II. PRÉSENTATION DES ARTICLES DU PROJET DE LOI INITIAL
A. DE NOUVEAUX DROITS EN FAVEUR DES SALARIÉS ET DU DIALOGUE SOCIAL
1. La généralisation de la couverture complémentaire collective « santé » et la portabilité des couvertures « santé » et « prévoyance »
L'article 1 er vise, d'une part, à généraliser dans toutes les entreprises, au plus tard à compter du 1 er janvier 2016, la couverture complémentaire santé collective obligatoire et, d'autre part, à assurer la continuité des droits ouverts par les contrats complémentaires santé et prévoyance, pendant un maximum d'un an, pour les salariés qui perdent leur emploi.
a) La généralisation de la couverture complémentaire collective « santé »
(1) L'importance de la complémentaire pour l'accès aux soins et l'intérêt des contrats collectifs par rapport aux contrats individuels
Dès les ordonnances de 1945 créant la sécurité sociale, le principe de la participation de l'assuré aux dépenses de santé a été affirmé, ce qui fut appelé le ticket modérateur. C'est à partir de ce principe que s'est développée la couverture complémentaire santé qui prend en charge tout ou partie du reste à charge pour le patient.
L'assurance maladie continue d'assurer 75,5 % des dépenses de santé en France, mais ce taux diminue tendanciellement depuis la fin des années 1970, phénomène qui s'est malheureusement accentué ces dernières années du fait des déremboursements, franchises et participations forfaitaires mis à la charge des patients. Les restes à charge portent principalement sur les soins de ville, les médicaments et les autres biens médicaux (optique...), peu sur les dépenses liées à l'hospitalisation. Les organismes complémentaires, qui ont versé 27,5 milliards d'euros de prestations en 2011, financent 13,7 % des dépenses de santé.
De nombreuses études mettent en avant l'importance de bénéficier d'une couverture complémentaire dans les phénomènes de renoncement aux soins : 33 % des personnes qui en sont privées déclarent avoir renoncé à des soins pour une raison financière, contre 15 % pour les personnes en bénéficiant.
Aujourd'hui, 56 % des bénéficiaires d'une couverture complémentaire s'assurent à titre individuel et 44 % profitent d'une garantie collective via leur employeur.
La diffusion de la complémentaire santé collective, qui est minoritaire, demeure en outre inégale, elle existe principalement dans les établissements de grande taille, dans ceux qui emploient surtout des cadres et dans le secteur de l'industrie.
Or, la couverture collective présente d'indéniables atouts par rapport à la couverture individuelle :
- la prévoyance collective repose sur le principe de non-sélection individuelle par l'organisme assureur ;
- les garanties offertes sont souvent plus larges en collectif qu'en individuel et la qualité des contrats est meilleure ;
- la cotisation moyenne d'un contrat individuel est supérieure de 32 % à celle d'un contrat collectif 7 ( * ) ;
- le régime fiscal de la couverture collective est avantageux tant pour le salarié au titre de l'impôt sur le revenu que pour l'employeur au titre de l'impôt sur les sociétés et, surtout, des prélèvements sociaux.
On peut d'ailleurs relever que les résultats financiers des contrats collectifs en santé sont systématiquement inférieurs à ceux des contrats individuels.
(2) Les dispositions du projet de loi
L'Ani et l' article 1 er du projet de loi fixent un principe essentiel : toutes les entreprises devront, au plus tard à compter du 1 er janvier 2016, proposer à leurs salariés une couverture santé collective, qui devra respecter un certain niveau de garanties minimales, qui seront déterminées par décret.
Cette généralisation permettra de faire bénéficier d'une couverture collective environ 3,7 millions de salariés qui en sont dépourvus, dont plus de 400 000 n'ont aucune complémentaire.
A compter du 1 er juin 2013, les branches professionnelles entameront des négociations pour mettre en oeuvre une telle couverture ; elles porteront notamment sur le contenu et le niveau des garanties, les modalités de choix de l'assureur, les cas de dispense d'affiliation obligatoire pour certains salariés et les délais de mise en oeuvre dans les entreprises.
Entre le 1 er juillet 2014 et le 1 er janvier 2016, les entreprises disposant d'un délégué syndical et qui ne sont pas couvertes par un accord de branche devront elles-mêmes entamer des négociations pour mettre en place, au plus tard le 1 er janvier 2016, une couverture complémentaire santé collective.
Ainsi, tant l'Ani que le projet de loi repose sur une logique de dialogue social au niveau de la branche , la négociation au niveau de l'entreprise n'intervenant qu'en l'absence d'accord professionnel. Aujourd'hui, soixante-dix branches disposent déjà d'un tel accord dont il sera cependant nécessaire de vérifier le niveau de garanties par rapport au panier de soins minimal qui sera défini par décret. A partir d'un panier de garanties prévu dans l'accord, trois cas de figures existent :
- l'accord laisse chaque entreprise libre de s'adresser à l'organisme de son choix ;
- il « recommande » un ou des organismes auprès desquels les entreprises sont libres de s'adresser, mais elles peuvent contracter auprès d'un autre, tant qu'il assure un contrat conforme au panier de garanties ;
- il « désigne » un ou plusieurs organismes auprès desquels les entreprises sont tenues d'assurer leurs salariés. Ces clauses de désignation ont été déclarées licites, à plusieurs reprises, par les plus hautes instances juridictionnelles (Conseil d'Etat, Cour de cassation 8 ( * ) et Cour de justice de l'Union européenne).
Contrairement à ce qui est parfois prétendu, le projet de loi laisse complète liberté aux partenaires sociaux pour choisir les modalités de choix de l'assureur : les organisations syndicales et patronales pourront soit laisser aux entreprises le choix complet de l'assureur, soit recommander un ou des organismes, soit en désigner.
Votre rapporteur estime ainsi qu' il n'appartient pas au législateur d'interdire aux partenaires sociaux les pratiques qu'ils mettent en oeuvre depuis longtemps et qui sont conformes au droit . Cependant, la loi doit les encadrer pour qu'elles soient transparentes et ouvertes. C'est pourquoi le projet de loi prévoit qu'en cas de désignation ou de recommandation par la branche, il est procédé à une mise en concurrence dans des conditions de transparence fixées par décret. L'Assemblée nationale a opportunément approfondi cette exigence.
La généralisation de la complémentaire santé collective, nouveau droit pour les salariés, aura un coût pour les entreprises , estimé entre 2 milliards et 3 milliards d'euros par l'étude d'impact du projet de loi, et un coût pour les finances publiques qui serait compris entre 1,5 milliard et 2,1 milliards . La montée en charge de ces dépenses sera progressive d'ici 2016.
b) Le maintien des droits aux couvertures complémentaires santé et prévoyance en cas de chômage
Conformément à l'Ani, l'article 1 er du projet de loi prévoit que les salariés couverts collectivement dans leur entreprise par une complémentaire santé ou un contrat de prévoyance bénéficieront, dans certaines conditions, du maintien de leurs droits à titre gratuit en cas de cessation du contrat de travail , dans la limite de la durée de leur dernier contrat et la période d'indemnisation du chômage, sans que ce maintien puisse excéder douze mois. Les entreprises et les organismes complémentaires ou de prévoyance devront appliquer cette « portabilité » à partir du 1 er juin 2014 pour le risque maladie et à compter du 1 er juin 2015 pour la prévoyance.
Enfin, l'article 1 er prévoit également que les partenaires sociaux engagent une négociation, avant le 1 er janvier 2016, pour permettre aux salariés de bénéficier d'une couverture prévoyance. La prévoyance, qui inclut selon certaines définitions le risque maladie, regroupe un ensemble de garanties destinées à assurer au salarié une indemnisation complémentaire en cas d'invalidité, d'incapacité, d'absence pour arrêt de travail ou de décès-veuvage. Aujourd'hui, 65 % des établissements déclarent offrir un contrat prévoyance, ce qui permet de couvrir 86 % de l'ensemble des salariés.
* 7 Source : Cour des comptes, rapport 2011 sur la sécurité sociale.
* 8 Dès un arrêt du 10 mars 1994, INPR, pourvoi n° 91-11516, et jusqu'à un arrêt du 5 décembre 2012, AG2R c/ AGEP, pourvoi n° 11-24233, relatif à l'accord dans le secteur de la boulangerie. Ce dernier arrêt précise : « la cour d'appel en a exactement déduit que l'article 14 de l'avenant n° 83 du 24 avril 2006 étendu pouvait valablement faire obligation aux entreprises entrant dans le champ d'application de la convention collective des entreprises artisanales relevant du secteur de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie de souscrire aux garanties dudit avenant auprès de l'organisme de prévoyance désigné à son article 13 au plus tard le 1 er janvier 2007 peu important le niveau de garantie souscrit antérieurement ».