EXAMEN EN COMMISSION
Lors de sa réunion du 22 novembre 2012, sous la présidence de M. Jean-Louis Carrère, président, la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné la proposition de résolution.
A l'issue de l'exposé du rapporteur, un débat s'est engagé.
M. Jean Besson . - Lorsque j'ai appris qu'une proposition de résolution européenne relative à la nomination d'un représentant spécial de l'Union européenne pour le Tibet avait été déposée au Sénat, j'ai immédiatement songé au fait que cette proposition de résolution ne pouvait qu'être interprétée comme une provocation à l'égard de la Chine.
La désignation de notre collègue M. Bernard Piras comme rapporteur de ce texte m'avait dans un premier temps rassuré.
Je tiens cependant à dire que, malgré les efforts de notre rapporteur, dont je tiens à saluer le travail, mes craintes ne sont pas complètement dissipées.
Comment justifier, en effet, le texte de cette proposition de résolution ?
Peut-on imaginer quelles seraient les réactions en France si le Parlement de la République populaire de Chine adoptait une résolution sur les droits des Corses ou des Basques ou demandant la désignation d'un représentant spécial chinois pour la question corse ou la question basque ?
De même, quelle serait la réaction de l'Espagne si le Parlement chinois demandait la nomination d'un représentant spécial pour la Catalogne ou le Pays basque ?
Par ailleurs, au moment même où la République populaire de Chine connaît un changement important de sa direction, où les relations franco-chinoises ont connu une nette amélioration, après certaines tensions provoquées notamment par la rencontre en 2008 en Pologne de l'ancien président de la République M. Nicolas Sarkozy avec le Dalaï-Lama ou encore par l'agression à Paris d'une jeune sportive handicapée chinoise lors du passage de la flamme olympique avant l'ouverture des jeux olympiques de Pékin, et à quelques semaines du prochain déplacement du président de la République M. François Hollande en République de Chine, l'adoption d'une telle proposition de résolution ne me paraît pas opportune.
Comme la plupart d'entre vous, je suis très attaché à l'amitié entre la France et la Chine. Je rappelle que le groupe d'amitié France-République populaire de Chine du Sénat, que j'ai l'honneur de présider, est l'un des groupes d'amitiés les plus importants du Sénat, puisqu'il compte 130 membres. Le président d'honneur, notre collègue Christian Poncelet, a été l'un des premiers parlementaires à se rendre en visite officielle en Chine, après la reconnaissance par la France en 1961 de la République populaire de Chine par le général de Gaulle.
Or, l'adoption de ce texte pourrait être considérée comme une provocation par la Chine et comme une ingérence dans ce qu'elle considère comme ses affaires intérieures.
Dans le cadre de notre groupe d'amitié, nous avions été l'une des premières délégations du Sénat à nous rendre, il y a déjà une dizaine d'années, dans la région autonome du Tibet en République populaire de Chine. Notre collègue M. Bernard Piras, ainsi que notre ancien collègue M. Jean Faure, faisaient d'ailleurs partie de cette délégation. Nous avions alors été assez surpris de constater qu'il existait une certaine liberté dans la pratique religieuse des Tibétains.
Naturellement, je ne considère pas le régime actuel de la République populaire de Chine comme un modèle de démocratie, mais je voudrais rappeler qu'avant son intégration à la République populaire de Chine en 1951, le Tibet n'était pas non plus une démocratie mais un régime que l'on peut qualifier de dictature théocratique.
Je suis donc confiant dans la sagesse de notre commission pour ne pas adopter en l'état un texte qui pourrait être interprété comme une provocation à l'égard de la Chine.
M. Jean-Louis Carrère , président . - Je voudrais rappeler que, dans cette affaire, nous sommes tenus par les dispositions du règlement de notre assemblée, qui précisent la procédure et le calendrier d'examen des propositions de résolutions européennes déposées au titre de l'article 88-4 de la Constitution.
Comme le prévoit le règlement du Sénat, nous ne pouvons pas repousser l'examen de ce texte. Nous pouvons uniquement le rejeter ou l'adopter, éventuellement après des modifications.
En effet, le règlement du Sénat prévoit que nous disposons d'un délai d'un mois, après l'adoption du texte de la proposition de résolution par la commission des affaires européennes, pour procéder à son examen, et qu'à défaut, le texte présenté par la commission des affaires européennes est considéré comme adopté.
Je rappelle aussi que le texte de la proposition de résolution européenne sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer a été déposé en septembre dernier par le président du groupe d'information sur le Tibet et cosigné par vingt-quatre des vingt-sept membres de ce groupe d'études, créé par une décision du bureau de notre assemblée, sous la précédente majorité, représentant la quasi-totalité des sensibilités politiques représentées au sein de notre assemblée.
Cette proposition de résolution européenne a été examinée en octobre par la commission des affaires européennes du Sénat, qui a adopté à l'unanimité le texte de la proposition de résolution avec les modifications proposées par le rapporteur.
Cette proposition de résolution européenne a ensuite été renvoyée à notre commission.
J'aurais préféré, à titre personnel, ne pas avoir à me prononcer sur cette proposition de résolution européenne. Toutefois, je ne peux pas me soustraire aux dispositions prévues par le règlement du Sénat. J'ai donc été amené à inscrire l'examen de ce texte à l'ordre du jour de notre commission dans le délai d'un mois prévu par le règlement du Sénat.
Aujourd'hui, nous sommes placés devant le dilemme suivant : étant donné que nous ne pouvons pas repousser l'examen de ce texte, nous avons le choix entre le rejeter, avec toutes les conséquences négatives qu'un tel rejet pourrait entraîner, ou bien l'adopter, avec les modifications rédactionnelles proposées par notre rapporteur qui visent à atténuer la rédaction sur les aspects les plus sensibles.
M. Robert Hue . - Je voudrais manifester ici ma profonde inquiétude devant le texte sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer. Je considère naturellement que tout doit être fait pour encourager la promotion de la démocratie et le respect des droits de l'Homme.
Je me suis moi-même rendu en République populaire de Chine en 1996, en qualité de dirigeant d'un parti politique qui avait renoué à cette occasion des relations avec le parti communiste chinois. Lors de cette visite, j'avais eu l'occasion d'avoir une longue discussion avec M. Jiang Zemin, à l'époque secrétaire général du parti communiste chinois et président de la République populaire de Chine. Lors de cette conversation, j'avais fait part au président chinois de mes inquiétudes concernant la situation au Tibet.
On ne peut donc pas me soupçonner de complaisance à l'égard de la Chine sur cette question.
Je partage les observations du président de notre commission et je voudrais également saluer le travail du rapporteur.
Toutefois, je considère que, dans la conjoncture actuelle, l'adoption d'une telle proposition de résolution serait une véritable folie.
Au moment où nous assistons à de fortes tensions sur la scène internationale, où une nouvelle équipe prend la direction de la République populaire de Chine, dont on ne connaît pas encore précisément les intentions, il faut nous interroger : quel est le premier message que notre pays et l'Europe entend adresser à la Chine ? Est-il réellement opportun aujourd'hui d'adopter un texte qui pourrait être considéré comme une provocation, voire même un affront par la Chine ?
Je considère donc que, dans les circonstances actuelles, cette proposition de résolution européenne est inopportune.
Certes, il est indiqué, dans le texte de la proposition de résolution qui nous est soumis, la nécessité de préserver la souveraineté et l'intégrité territoriale de la République populaire de Chine, ce qui est une évidence, mais dans le même temps - et c'est une contradiction flagrante - il nous est demandé d'apporter notre soutien à ce que l'on peut appeler un régime politique en exil, en suivant un mouvement de nature très idéologique qui se manifeste au niveau européen.
Je suis pour ma part soucieux de tout faire pour ne pas risquer de fragiliser notre diplomatie, à quelques semaines de la première visite officielle du président de la République M. François Hollande en République populaire de Chine.
Malgré les efforts de notre rapporteur, et à titre personnel, je voterai donc contre le texte de cette proposition de résolution.
M. Christian Poncelet . - Je partage les préoccupations exprimées par nos collègues. Adopter une telle proposition de résolution à la veille du déplacement officiel du président de la République en Chine ne peut être considéré que comme une faute diplomatique et risque de provoquer des tensions dans nos relations avec ce grand pays.
En outre, je m'efforce toujours d'appliquer le principe cher au général de Gaulle d'éviter d'interférer dans les affaires intérieures d'un autre pays. Le non-respect de ce principe nous a souvent causé des difficultés par le passé. Accepterions-nous de recevoir des leçons de démocratie et de respect des droits de l'Homme venant d'un autre pays ?
Je rappelle qu'en qualité de président du Sénat, j'ai toujours refusé de recevoir officiellement le Dalaï-Lama.
M. Bernard Piras , rapporteur . - Comme l'a rappelé le président de la commission, nous ne pouvons pas repousser l'examen de ce texte. Nous ne pouvons que l'adopter, l'amender ou le rejeter.
Je partage comme vous le souci d'éviter toute provocation inutile à l'égard de la Chine qui pourrait provoquer l'effet inverse de celui recherché ou de nuire aux relations entre la France et la Chine. Mais, il faut aussi s'interroger : quelles seraient les conséquences d'un éventuel rejet de ce texte par notre commission ? Comment un tel signal serait interprété ?
Par ailleurs, je rappelle que cette proposition de résolution européenne se fonde sur une résolution adoptée par le Parlement européen, que la France rappelle régulièrement sa préoccupation au regard du respect des droits de l'Homme en République populaire de Chine et qu'aux Etats-Unis la question des droits des Tibétains est évoquée régulièrement sans que cela ne provoque de véritables tensions avec la Chine.
Lors de l'examen de ce texte devant la commission des affaires européennes, nous avons procédé à plusieurs modifications importantes et je vous suggère de nouvelles modifications, qui visent à atténuer encore davantage la rédaction du texte.
Ainsi, la proposition de résolution ne demande plus la désignation d'un représentant spécial de l'Union européenne pour le Tibet, ce qui pouvait effectivement être considéré comme une provocation du point de vue de la Chine. Elle se contente désormais de demander au représentant spécial de l'Union européenne pour les droits de l'Homme de se saisir de cette question, ce qui est très différent. Elle n'évoque pas non plus la situation du Tibet mais les droits des Tibétains, ce qui constitue également une forte différence, notamment au regard de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la République populaire de Chine.
L'objectif de cette proposition de résolution n'est donc pas de porter atteinte aux relations avec la Chine mais uniquement d'attirer l'attention sur la situation des droits des Tibétains et d'appeler à une reprise du dialogue entre la Chine et les représentants du gouvernement tibétain en exil.
M. Christian Cambon . - Je souhaiterais faire deux observations.
Tout d'abord, il est manifeste que cette proposition de résolution européenne provoque un certain trouble au sein de notre commission.
Naturellement, nous sommes tous sensibles à la situation des tibétains.
Malgré la qualité du travail effectué par notre rapporteur, pour ma part, et à titre personnel, j'entends m'abstenir sur le texte, car je pense qu'on nous fait jouer un rôle qui n'est pas le nôtre et que je suis avant tout soucieux d'éviter tout ce qui pourrait conduire à fragiliser nos relations avec la Chine, qui ont déjà connu certaines tensions par le passé, et qui ne me paraissent pas être au niveau qu'elles méritent, notamment par rapport à l'Allemagne.
Je me félicite d'ailleurs du prochain déplacement du président de la République en Chine, même si je trouve un peu surprenant qu'un tel déplacement ne soit pas intervenu plus tôt.
Vous avez rappelé que l'insistance des Etats-Unis sur la question des droits de l'Homme, notamment au Tibet, n'a pas de réelles incidences sur les relations de ce pays avec la Chine. Mais nous ne sommes pas dans une situation comparable aux Etats-Unis qui ont une relation très étroite avec la Chine, notamment sur le plan commercial.
Je suis également porteur d'une procuration de notre collègue M. Jean-Pierre Raffarin, qui entend voter contre cette proposition de résolution.
M. Jean-Louis Carrère , président. - Entendons-nous bien, en ma qualité de président de cette commission, je souhaite absolument préserver l'indépendance de notre commission et du Parlement à l'égard de l'exécutif. Pour autant, je suis également soucieux de ne pas gêner l'action du président de la République et du ministre des affaires étrangères.
Je considère comme vous que le moment n'est peut-être pas le plus opportun pour adopter cette proposition de résolution. Toutefois, comme je vous l'ai indiqué, nous ne pouvons pas repousser son examen car nous sommes tenus de procéder à cet examen dans le délai d'un mois fixé par le règlement de notre assemblée. Soit nous rejetons cette proposition de résolution, ce qui - il faut en être bien conscient - risque de provoquer un certain émoi, soit nous adoptons le texte de la proposition de résolution, tel que modifié par notre rapporteur.
Je vous proposerai donc de consulter l'ensemble des membres de la commission avant de nous prononcer par un vote sur le texte de la proposition de résolution européenne, tel que modifié par le rapporteur.
M. Jean-Pierre Cantegrit . - En ma qualité de sénateurs représentant les Français établis hors de France, je suis également soucieux de la situation de nos nombreux compatriotes expatriés en Chine.
Je voterai donc contre le texte qui nous est soumis car je pense qu'il peut avoir des conséquences négatives pour la situation de nos compatriotes présents en Chine.
M. Jean-Claude Peyronnet . - Comme plusieurs de nos collègues, je suis non seulement gêné par la formulation de cette proposition de résolution, mais plus encore par le principe même de ce texte qui ne me paraît pas opportun. J'entends donc m'abstenir sur ce texte.
A l'issue de ce débat, la commission s'est prononcée par un vote sur l'adoption du texte de la proposition de résolution européenne, tel que modifié par le rapporteur.
Par dix voix pour, quatre voix contre, et quatre abstentions, la commission adopte le texte de la proposition de résolution européenne ainsi modifié.