Rapport n° 155 (2012-2013) de M. Bernard PIRAS , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 22 novembre 2012

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N° 155

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 novembre 2012

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur la proposition de résolution européenne de M. Jean-François HUMBERT et plusieurs de ses collègues, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, relative à la nomination d'un représentant spécial de l' Union européenne pour le Tibet ,

Par M. Bernard PIRAS,

Sénateur

et TEXTE DE LA COMMISSION

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Louis Carrère , président ; MM. Christian Cambon, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Mme Josette Durrieu, MM. Jacques Gautier, Robert Hue, Jean-Claude Peyronnet, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Daniel Reiner , vice-présidents ; Mmes Leila Aïchi, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Gilbert Roger, André Trillard , secrétaires ; M. Pierre André, Mme Kalliopi Ango Ela, MM. Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Pierre Bernard-Reymond, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Pierre Charon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Jean-Pierre Demerliat, Mme Michelle Demessine, MM. André Dulait, Hubert Falco, Jean-Paul Fournier, Pierre Frogier, Jacques Gillot, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Gournac, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Gérard Larcher, Robert Laufoaulu, Jeanny Lorgeoux, Rachel Mazuir, Christian Namy, Alain Néri, Jean-Marc Pastor, Philippe Paul, Bernard Piras, Christian Poncelet, Roland Povinelli, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Claude Requier, Richard Tuheiava, André Vallini .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

787 (2011-2012) et 91 (2012-2013)

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Nous sommes appelés à nous prononcer sur une proposition de résolution européenne, présentée par M. Jean-François Humbert et plusieurs de nos collègues sénateurs, membres du groupe d'information sénatorial sur le Tibet, relative à la nomination d'un représentant spécial de l'Union européenne pour le Tibet 1 ( * ) .

Cette proposition de résolution, fondée sur l'article 88-4 de la Constitution, a été déposée le 28 septembre 2012 et a été transmise à la commission des Affaires européennes, en application de l'article 73 quinquies du règlement du Sénat.

La commission des Affaires européennes s'est réunie le 25 octobre 2012 pour l'examen de ce texte et a adopté, après plusieurs modifications, le texte de la proposition de résolution.

En application du Règlement du Sénat, cette proposition de résolution a ensuite été renvoyée à votre commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Réunie le 22 novembre, votre commission a procédé à son examen et a adopté, après de nouvelles modifications, le texte de la proposition de résolution, qui figure en annexe au présent rapport.

Conformément au Règlement du Sénat, ce texte deviendra une résolution du Sénat, à moins que, dans un délai de trois jours francs, le président du Sénat, le président d'un groupe politique, le président d'une commission permanente, le président de la commission des Affaires européennes ou le Gouvernement demande, dans ce délai, qu'elle soit examinée en séance publique.

Il a semblé utile à votre rapporteur de revenir brièvement sur les modifications apportées au texte lors des différentes étapes de la procédure.

Initialement, la proposition de résolution européenne, présentée par notre collègue M. Jean-François Humbert et cosignée par vingt-quatre des vingt-sept de nos collègues membres du groupe d'information sénatorial sur le Tibet, visait à attirer l'attention de l'Union européenne et de la communauté internationale face à l'aggravation de la situation au Tibet , en demandant la désignation d'un représentant spécial de l'Union européenne pour le Tibet.

Avec la multiplication des immolations depuis 2010, la question tibétaine est, en effet, au coeur de l'actualité.

Depuis l'annexion du Tibet par la Chine en 1950 et après le départ du Dalaï-Lama pour Dharamsala en 1959, les Tibétains n'ont jamais accepté ce qu'ils ressentent comme une domination étrangère.

Après l'écrasement de la résistance armée tibétaine, les ravages de la révolution culturelle, après la répression du soulèvement à Lhassa en 1989, celui du printemps 2008 a été lourdement réprimé. Aujourd'hui, les Tibétains sont privés de leurs droits et libertés les plus élémentaires.

Dans un esprit d'apaisement, à deux reprises, le chef spirituel des Tibétains a, avec réalisme, ouvert la voie d'un compromis en donnant à la Chine la possibilité de sortir à son avantage et sans perdre la face de ces tensions permanentes. A Strasbourg, devant le Parlement européen, le Dalaï-Lama a proposé, en 1988, un plan de paix en cinq points : transformation du Tibet en une zone de paix démilitarisée ; abandon des transferts de population chinoises par la Chine ; respect des droits de l'Homme et des libertés individuelles ; restauration et protection de l'environnement naturel, avec l'abandon du stockage des déchets nucléaires chinois au Tibet ; ouverture de négociations sur le futur statut du Tibet. Concession majeure, il abandonnait la revendication d'indépendance pour se contenter d'une autonomie au sein de la Chine.

Publiant, en 1992, les lignes directrices de la politique du futur Tibet, le Dalaï-Lama a affirmé sa détermination à n'accepter personnellement aucune responsabilité politique dans le futur gouvernement du Tibet pour ne conserver qu'un magistère moral et religieux. Enfin, il a cédé le pouvoir à un Premier ministre du gouvernement en exil, choisi par la diaspora en exil.

Toutes ces concessions n'ont eu aucun effet sur la politique de la Chine et les négociations sino-tibétaines demeurent au point mort.

L'affirmation de l'histoire officielle chinoise, selon laquelle le Tibet appartient à la Chine, ne saurait justifier la politique menée par la Chine au Tibet depuis 1951. Il est également impossible d'accepter la banalisation de la question tibétaine comme le propose la Chine, quand elle prétend que l'affaire relève de ses affaires intérieures, au titre d'une politique générale des minorités ethniques.

Si la Chine représente un partenaire stratégique majeur pour notre pays, cela ne veut pas dire pour autant que la France élude, dans ses relations, la question des droits de l'homme.

Cette question est évoquée au plan bilatéral, chaque fois que des responsables français rencontrent des responsables chinois.

Concernant plus particulièrement le Tibet, la France, comme l'ensemble de nos partenaires européens, n'a de cesse d'appeler au dialogue, seule voie permettant de parvenir à une solution durable, qui respecte pleinement l'identité culturelle et spirituelle tibétaine, tout en préservant la souveraineté et l'intégrité territoriale de la République populaire de Chine.

Ainsi, comme le déclarait l'ancien ministre des affaires étrangères et européennes, M. Alain Juppé, le 31 mai 2011, en réponse à une question d'actualité à l'Assemblée nationale :

« Je voudrais vous faire partager ma conviction que notre politique vis-à-vis de la Chine est une politique équilibrée, entre notre volonté de garder avec cet acteur majeur de la scène mondiale un partenariat stratégique, et, en même temps, la fidélité à ce qui est le principe directeur de notre diplomatie, c'est-à-dire le respect des droits de l'Homme ».

La position de la France n'a pas varié depuis.

La question des droits de l'Homme est également évoquée à l'échelle de l'Union européenne, notamment dans le cadre du dialogue Union européenne-Chine sur les droits de l'Homme.

Toutefois, ce dialogue n'a débouché sur aucune amélioration significative de la situation des droits fondamentaux des Tibétains, comme le souligne le Parlement européen.

En 2002 et en 2003, le Parlement européen a adopté plusieurs résolutions appelant à nommer un représentant spécial de l'Union européenne pour le Tibet, afin de promouvoir des négociations sérieuses entre le gouvernement chinois, le Dalaï-Lama et ses représentants.

En effet, à partir de 1997, les Etats-Unis ont mis en place un Coordonateur spécial pour le Tibet. Ce coordonateur est une personnalité officielle de haut rang avec le titre de sous-secrétaire d'État. Sous le premier mandat du président Barack Obama, son titulaire était Mme Maria Otero, qui occupait les fonctions de Sous-secrétaire d'État pour la sécurité, les droits de l'Homme et la démocratie, en même temps que celles de coordonateur spécial pour le Tibet.

Celle-ci rencontrait trois fois par an les représentants du Conseil de la sécurité de la Maison Blanche, du département d'État, ainsi que le sous-secrétaire d'État pour l'Asie et le Pacifique. Elle se rendait régulièrement en Inde et au Népal pour rencontrer les Tibétains en exil. En trois ans, elle a rencontré cinq fois le Dalaï-Lama.

Comme autrefois sous la présidence de Bill Clinton, le Président Barack Obama et l'ancienne Secrétaire d'Etat Mme Hillary Clinton se sont montrés très actifs, et ce, sans conséquences négatives : les relations entre les États-Unis et la Chine sont meilleures que celles de bien des pays européens.

Les dirigeants Chinois ont accepté que la question du Tibet figure en priorité sur l'agenda sino-américain et leurs protestations sont formelles et presque routinières lorsque le Président Barack Obama rencontre le Dalaï-Lama, ce qui n'est pas le cas lorsque des dirigeants européens font de même.

Dans une nouvelle résolution du 15 février 2007, le Parlement européen recommandait à l'Union européenne d'adopter une approche plus ferme pour favoriser le dialogue sino-tibétain. Il invitait en particulier le gouvernement de la Chine et le Dalaï-Lama à reprendre leur dialogue sans préalable, afin de parvenir à des solutions pragmatiques qui respectent l'intégrité territoriale de la Chine et répondent aux aspirations du peuple tibétain. Cette résolution invitait aussi à évaluer le rôle que l'Union européenne pourrait jouer pour faciliter une solution négociée, notamment en nommant un représentant spécial de l'Union européenne pour le Tibet.

Or, cinq rencontres s'inscrivant dans le cadre du dialogue engagé en septembre 2002 entre le gouvernement de la Chine et les envoyés du Dalaï-Lama n'ont pas permis de régler les différences sur les problèmes de fond. En particulier, les deux parties n'ont pu atteindre une communauté de vues sur les relations historiques entre le Tibet et la Chine.

Après les événements de 2008 et le regain des tensions, le Parlement européen s'est encore attelé à la tâche de rappeler à la Chine la nécessité de respecter les droits de l'Homme au Tibet.

Sa résolution du 14 juin 2012 soutient à nouveau la nomination d'un rapporteur spécial pour le Tibet, placé auprès du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité, Mme Catherine Ashton.

Le texte de la proposition de résolution européenne, proposé par M. Jean-François Humbert et plusieurs de nos collègues sénateurs, membres du groupe d'information sénatorial sur le Tibet s'inspire directement de cette résolution du Parlement européen.

Comme l'indique l'exposé des motifs : « La situation au Tibet est toujours aussi dramatique et requiert l'attention immédiate de la communauté internationale.

Durant les décennies qui se sont écoulées depuis l'annexion du Tibet par la Chine, la communauté internationale a sous-estimé l'ampleur du malheur du peuple tibétain et ne s'est pas donné les moyens de lui apporter un soulagement. La dégradation récente de la situation au Tibet est, pour une part, une conséquence de cette attitude de négligence prolongée.

Depuis le printemps 2008, un cercle vicieux de protestations politiques de la part des Tibétains et de répression brutale de la part des forces de sécurité chinoises s'est enclenché, qui rend encore plus difficile la recherche d'une solution qui soit pacifique et mutuellement acceptable par les deux parties.

Le plus urgent pour les dirigeants tibétains en exil et pour la communauté internationale est de persuader les Tibétains à l'intérieur du Tibet de ne plus avoir recours à cette forme radicale de protestation que sont les auto-immolations par le feu. Au cours des deux dernières années, plus de 50 Tibétains ont ainsi sacrifié leur vie 2 ( * ) .

Jusqu'à présent, l'Union européenne a évoqué la question tibétaine auprès du gouvernement chinois dans le cadre du dialogue bilatéral Union européenne-Chine sur les droits de l'homme. Or, il est aujourd'hui manifeste que la situation globale des droits de l'Homme en République populaire de Chine n'a pas connu d'amélioration et que, dans le cas du Tibet, elle s'est même dégradée.

Il est donc nécessaire que l'Union européenne trouve maintenant des moyens plus efficaces pour la promotion des droits humains et des libertés fondamentales des Tibétains, ainsi que pour la recherche d'une solution pacifique à la question tibétaine, à travers le dialogue ».

En conséquence, les auteurs de la proposition de résolution demandent la nomination, auprès du Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, d'un Représentant spécial de l'Union européenne pour le Tibet, avec pour mandat de :

- promouvoir la coordination politique au sein de l'Union européenne pour des actions cohérentes visant à faire progresser les droits humains et les libertés des Tibétains, notamment leur droit à préserver leur identité propre, dans ses aspects religieux, culturels et linguistiques ;

- promouvoir la coordination politique au sein de l'Union européenne pour des actions cohérentes soutenant le dialogue entre le gouvernement de la République populaire de Chine et les émissaires du Dalaï-Lama, dans la perspective d'aboutir à une solution pacifique et mutuellement bénéfique de la question du Tibet, tenant compte de la nécessité, pour la République populaire de Chine, de préserver sa souveraineté et son intégrité territoriale et, pour les Tibétains, de jouir d'une réelle autonomie au sein de la République populaire de Chine ;

- promouvoir la coordination politique au sein de l'Union européenne pour des actions cohérentes soutenant la communauté tibétaine en exil dans ses efforts, sous la direction de l'administration centrale tibétaine, en faveur du développement des services d'éducation et de santé, de la garantie de moyens d'existence durables à ses membres, ainsi qu'en faveur de la préservation de la culture tibétaine en exil, dans tous ses aspects.

Lors de sa réunion du 25 octobre, la commission des Affaires européennes du Sénat a procédé à l'examen de la proposition de résolution. Elle a apporté plusieurs modifications, en veillant, d'une part, à conserver l'esprit général et l'objectif d'attirer l'attention sur le respect des droits fondamentaux des Tibétains, tout en évitant d'irriter inutilement la Chine sur des questions touchant à sa souveraineté et à son intégrité territoriale.

En particulier, nos collègues se sont interrogés sur l'opportunité de demander la nomination d'un représentant spécial de l'Union européenne pour une région à l'intérieur d'un État, ce qui constituerait une première. La Chine, qui considère le Tibet comme une affaire intérieure, pourrait ressentir durement cette innovation.

En définitive, nos collègues ont estimé qu'il serait plus efficace d'avoir recours au nouveau Représentant de l'Union pour les droits de l'Homme et de lui fixer la question tibétaine comme une priorité, ce qui a été accepté par la commission.

Rappelons qu'il existe actuellement onze représentants spéciaux de l'Union européenne, qui appuient l'action du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Catherine Ashton, et qui sont chargés de promouvoir les politiques et les intérêts européens dans les régions et les pays qui connaissent des troubles, comme les pays des Balkans occidentaux ou l'Afghanistan.

Le 25 juillet dernier, l'Union européenne s'est dotée, à la demande du Parlement européen, d'un représentant spécial pour les droits de l'Homme, dont le mandat vise notamment à renforcer l'efficacité, la présence et la visibilité de l'Union dans le domaine de la protection et de la promotion des droits de l'homme. M. Stavros Lambrinidis, ancien ministre des Affaires étrangères, de nationalité grecque, a été choisi pour occuper cette fonction.

La commission des Affaires européennes a ensuite adopté à l'unanimité le texte de la proposition de résolution ainsi modifié, qui a été renvoyé à votre commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Réunie le 22 novembre, votre commission a examiné le texte de la proposition de résolution.

Sur proposition de votre rapporteur, la commission a procédé à plusieurs modifications.

Tout d'abord, elle a souhaité modifier le titre de la proposition de résolution, afin de tirer les conséquences des modifications apportées par la commission des Affaires européennes. Elle a ainsi décidé de remplacer l'intitulé précédent, qui faisait toujours référence à un « représentant spécial pour le Tibet », par le titre suivant : « proposition de résolution européenne relative à l'action européenne en faveur de la protection des droits des Tibétains » .

Elle a également souhaité adopter de légères modifications rédactionnelles, aux alinéas 4 et 6, en remplaçant le singulier par le pluriel, afin de distinguer les libertés de religion, d'association et d'expression.

Votre commission a aussi jugé utile de transférer le segment de phrase « tenant compte de la nécessité, pour la République populaire de Chine, de préserver sa souveraineté et son intégrité territoriale et, pour les Tibétains, de jouir d'une réelle autonomie au sein de la République populaire de Chine » , de l'alinéa 12 à l'alinéa 8, afin de mieux en souligner l'importance.

Enfin, votre commission a préféré remplacer le nom de « Tibet » par l'expression « droits des Tibétains » aux alinéas 7 et 12.

Cette nuance sémantique permet, pour votre commission, de concilier le souci légitime d'attirer l'attention sur la situation critique des droits de l'Homme au Tibet et d'encourager la Chine à une attitude plus respectueuse des droits des Tibétains, tout en évitant toute ambigüité sur la souveraineté et l'intégrité territoriale de la République de Chine, qui n'est d'ailleurs pas remise en cause par le gouvernement tibétain en exil et qui pourrait provoquer l'effet inverse, avec un raidissement de la Chine dans son refus d'une ingérence dans ce qu'elle considère comme une affaire intérieure.

*

Au bénéfice de ces observations, votre commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté la proposition de résolution, dont le texte est reproduit ci-après.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE PRESENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 QUINQUIES DU RÈGLEMENT, RELATIVE À L'ACTION EUROPÉENNE EN FAVEUR DE LA PROTECTION DES DROITS DES TIBÉTAINS

TEXTE DE LA COMMISSION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la résolution 2012/2685 du Parlement européen du 14 juin 2012 sur la situation des droits de l'Homme au Tibet,

Considérant que le respect des droits de l'Homme, ainsi que des libertés de religion et d'association, est l'un des principes fondateurs de l'Union européenne, que sa politique étrangère vise notamment à promouvoir,

Considérant que le dialogue Union européenne-Chine sur les droits de l'Homme n'a débouché sur aucune amélioration sensible de la situation des droits fondamentaux des Tibétains,

Considérant que les autorités de la République populaire de Chine (RPC) ont eu un recours disproportionné à la force face aux manifestations de 2008 au Tibet et que, depuis lors, elles imposent des mesures de sécurité contraignantes qui limitent les libertés d'expression, d'association et de religion des Tibétains,

Considérant que les pourparlers entre les émissaires du Dalaï-Lama et le gouvernement de la RPC visant à trouver solution pacifique et mutuellement satisfaisante à la question des droits des Tibétains n'ont débouché sur aucun résultat concret et sont actuellement au point mort,

Considérant que les principes fixés dans le Mémorandum sur une autonomie réelle pour le peuple tibétain, présenté par les émissaires du Dalaï-Lama à leurs interlocuteurs chinois au mois d'octobre 2008, sont à prendre en compte pour arriver à une solution politique réaliste et durable de la question tibétaine, tenant compte de la nécessité, pour la RPC, de préserver sa souveraineté et son intégrité territoriale et, pour les Tibétains, de jouir d'une réelle autonomie au sein de la RPC,

Considérant que le processus de démocratisation des institutions tibétaines en exil a franchi récemment une étape décisive, avec le transfert des pouvoirs politiques du Dalaï-Lama au Premier ministre de l'administration centrale tibétaine en exil,

Demande au Haut Représentant de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de Sécurité, à défaut d'un représentant spécial pour le Tibet, de confier au Représentant spécial de l'Union européenne pour les droits de l'Homme la question tibétaine comme une priorité, avec pour mandat de :

- promouvoir la coordination politique au sein de l'Union européenne pour des actions cohérentes visant à faire progresser les droits humains et les libertés des Tibétains, notamment leur droit à préserver leur identité propre, dans ses aspects religieux, culturels et linguistiques ;

- promouvoir la coordination politique au sein de l'Union européenne pour des actions cohérentes soutenant le dialogue entre le gouvernement de la RPC et les émissaires du Dalaï-Lama, dans la perspective d'aboutir à une solution pacifique et mutuellement bénéfique de la question des droits des Tibétains ;

- promouvoir la coordination politique au sein de l'Union européenne pour des actions cohérentes soutenant la communauté tibétaine en exil dans ses efforts, sous la direction de l'administration centrale tibétaine, en faveur du développement des services d'éducation et de santé, de la garantie de moyens d'existence durables à ses membres, ainsi qu'en faveur de la préservation de la culture tibétaine en exil, dans tous ses aspects.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 22 novembre 2012, sous la présidence de M. Jean-Louis Carrère, président, la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné la proposition de résolution.

A l'issue de l'exposé du rapporteur, un débat s'est engagé.

M. Jean Besson . - Lorsque j'ai appris qu'une proposition de résolution européenne relative à la nomination d'un représentant spécial de l'Union européenne pour le Tibet avait été déposée au Sénat, j'ai immédiatement songé au fait que cette proposition de résolution ne pouvait qu'être interprétée comme une provocation à l'égard de la Chine.

La désignation de notre collègue M. Bernard Piras comme rapporteur de ce texte m'avait dans un premier temps rassuré.

Je tiens cependant à dire que, malgré les efforts de notre rapporteur, dont je tiens à saluer le travail, mes craintes ne sont pas complètement dissipées.

Comment justifier, en effet, le texte de cette proposition de résolution ?

Peut-on imaginer quelles seraient les réactions en France si le Parlement de la République populaire de Chine adoptait une résolution sur les droits des Corses ou des Basques ou demandant la désignation d'un représentant spécial chinois pour la question corse ou la question basque ?

De même, quelle serait la réaction de l'Espagne si le Parlement chinois demandait la nomination d'un représentant spécial pour la Catalogne ou le Pays basque ?

Par ailleurs, au moment même où la République populaire de Chine connaît un changement important de sa direction, où les relations franco-chinoises ont connu une nette amélioration, après certaines tensions provoquées notamment par la rencontre en 2008 en Pologne de l'ancien président de la République M. Nicolas Sarkozy avec le Dalaï-Lama ou encore par l'agression à Paris d'une jeune sportive handicapée chinoise lors du passage de la flamme olympique avant l'ouverture des jeux olympiques de Pékin, et à quelques semaines du prochain déplacement du président de la République M. François Hollande en République de Chine, l'adoption d'une telle proposition de résolution ne me paraît pas opportune.

Comme la plupart d'entre vous, je suis très attaché à l'amitié entre la France et la Chine. Je rappelle que le groupe d'amitié France-République populaire de Chine du Sénat, que j'ai l'honneur de présider, est l'un des groupes d'amitiés les plus importants du Sénat, puisqu'il compte 130 membres. Le président d'honneur, notre collègue Christian Poncelet, a été l'un des premiers parlementaires à se rendre en visite officielle en Chine, après la reconnaissance par la France en 1961 de la République populaire de Chine par le général de Gaulle.

Or, l'adoption de ce texte pourrait être considérée comme une provocation par la Chine et comme une ingérence dans ce qu'elle considère comme ses affaires intérieures.

Dans le cadre de notre groupe d'amitié, nous avions été l'une des premières délégations du Sénat à nous rendre, il y a déjà une dizaine d'années, dans la région autonome du Tibet en République populaire de Chine. Notre collègue M. Bernard Piras, ainsi que notre ancien collègue M. Jean Faure, faisaient d'ailleurs partie de cette délégation. Nous avions alors été assez surpris de constater qu'il existait une certaine liberté dans la pratique religieuse des Tibétains.

Naturellement, je ne considère pas le régime actuel de la République populaire de Chine comme un modèle de démocratie, mais je voudrais rappeler qu'avant son intégration à la République populaire de Chine en 1951, le Tibet n'était pas non plus une démocratie mais un régime que l'on peut qualifier de dictature théocratique.

Je suis donc confiant dans la sagesse de notre commission pour ne pas adopter en l'état un texte qui pourrait être interprété comme une provocation à l'égard de la Chine.

M. Jean-Louis Carrère , président . - Je voudrais rappeler que, dans cette affaire, nous sommes tenus par les dispositions du règlement de notre assemblée, qui précisent la procédure et le calendrier d'examen des propositions de résolutions européennes déposées au titre de l'article 88-4 de la Constitution.

Comme le prévoit le règlement du Sénat, nous ne pouvons pas repousser l'examen de ce texte. Nous pouvons uniquement le rejeter ou l'adopter, éventuellement après des modifications.

En effet, le règlement du Sénat prévoit que nous disposons d'un délai d'un mois, après l'adoption du texte de la proposition de résolution par la commission des affaires européennes, pour procéder à son examen, et qu'à défaut, le texte présenté par la commission des affaires européennes est considéré comme adopté.

Je rappelle aussi que le texte de la proposition de résolution européenne sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer a été déposé en septembre dernier par le président du groupe d'information sur le Tibet et cosigné par vingt-quatre des vingt-sept membres de ce groupe d'études, créé par une décision du bureau de notre assemblée, sous la précédente majorité, représentant la quasi-totalité des sensibilités politiques représentées au sein de notre assemblée.

Cette proposition de résolution européenne a été examinée en octobre par la commission des affaires européennes du Sénat, qui a adopté à l'unanimité le texte de la proposition de résolution avec les modifications proposées par le rapporteur.

Cette proposition de résolution européenne a ensuite été renvoyée à notre commission.

J'aurais préféré, à titre personnel, ne pas avoir à me prononcer sur cette proposition de résolution européenne. Toutefois, je ne peux pas me soustraire aux dispositions prévues par le règlement du Sénat. J'ai donc été amené à inscrire l'examen de ce texte à l'ordre du jour de notre commission dans le délai d'un mois prévu par le règlement du Sénat.

Aujourd'hui, nous sommes placés devant le dilemme suivant : étant donné que nous ne pouvons pas repousser l'examen de ce texte, nous avons le choix entre le rejeter, avec toutes les conséquences négatives qu'un tel rejet pourrait entraîner, ou bien l'adopter, avec les modifications rédactionnelles proposées par notre rapporteur qui visent à atténuer la rédaction sur les aspects les plus sensibles.

M. Robert Hue . - Je voudrais manifester ici ma profonde inquiétude devant le texte sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer. Je considère naturellement que tout doit être fait pour encourager la promotion de la démocratie et le respect des droits de l'Homme.

Je me suis moi-même rendu en République populaire de Chine en 1996, en qualité de dirigeant d'un parti politique qui avait renoué à cette occasion des relations avec le parti communiste chinois. Lors de cette visite, j'avais eu l'occasion d'avoir une longue discussion avec M. Jiang Zemin, à l'époque secrétaire général du parti communiste chinois et président de la République populaire de Chine. Lors de cette conversation, j'avais fait part au président chinois de mes inquiétudes concernant la situation au Tibet.

On ne peut donc pas me soupçonner de complaisance à l'égard de la Chine sur cette question.

Je partage les observations du président de notre commission et je voudrais également saluer le travail du rapporteur.

Toutefois, je considère que, dans la conjoncture actuelle, l'adoption d'une telle proposition de résolution serait une véritable folie.

Au moment où nous assistons à de fortes tensions sur la scène internationale, où une nouvelle équipe prend la direction de la République populaire de Chine, dont on ne connaît pas encore précisément les intentions, il faut nous interroger : quel est le premier message que notre pays et l'Europe entend adresser à la Chine ? Est-il réellement opportun aujourd'hui d'adopter un texte qui pourrait être considéré comme une provocation, voire même un affront par la Chine ?

Je considère donc que, dans les circonstances actuelles, cette proposition de résolution européenne est inopportune.

Certes, il est indiqué, dans le texte de la proposition de résolution qui nous est soumis, la nécessité de préserver la souveraineté et l'intégrité territoriale de la République populaire de Chine, ce qui est une évidence, mais dans le même temps - et c'est une contradiction flagrante - il nous est demandé d'apporter notre soutien à ce que l'on peut appeler un régime politique en exil, en suivant un mouvement de nature très idéologique qui se manifeste au niveau européen.

Je suis pour ma part soucieux de tout faire pour ne pas risquer de fragiliser notre diplomatie, à quelques semaines de la première visite officielle du président de la République M. François Hollande en République populaire de Chine.

Malgré les efforts de notre rapporteur, et à titre personnel, je voterai donc contre le texte de cette proposition de résolution.

M. Christian Poncelet . - Je partage les préoccupations exprimées par nos collègues. Adopter une telle proposition de résolution à la veille du déplacement officiel du président de la République en Chine ne peut être considéré que comme une faute diplomatique et risque de provoquer des tensions dans nos relations avec ce grand pays.

En outre, je m'efforce toujours d'appliquer le principe cher au général de Gaulle d'éviter d'interférer dans les affaires intérieures d'un autre pays. Le non-respect de ce principe nous a souvent causé des difficultés par le passé. Accepterions-nous de recevoir des leçons de démocratie et de respect des droits de l'Homme venant d'un autre pays ?

Je rappelle qu'en qualité de président du Sénat, j'ai toujours refusé de recevoir officiellement le Dalaï-Lama.

M. Bernard Piras , rapporteur . - Comme l'a rappelé le président de la commission, nous ne pouvons pas repousser l'examen de ce texte. Nous ne pouvons que l'adopter, l'amender ou le rejeter.

Je partage comme vous le souci d'éviter toute provocation inutile à l'égard de la Chine qui pourrait provoquer l'effet inverse de celui recherché ou de nuire aux relations entre la France et la Chine. Mais, il faut aussi s'interroger : quelles seraient les conséquences d'un éventuel rejet de ce texte par notre commission ? Comment un tel signal serait interprété ?

Par ailleurs, je rappelle que cette proposition de résolution européenne se fonde sur une résolution adoptée par le Parlement européen, que la France rappelle régulièrement sa préoccupation au regard du respect des droits de l'Homme en République populaire de Chine et qu'aux Etats-Unis la question des droits des Tibétains est évoquée régulièrement sans que cela ne provoque de véritables tensions avec la Chine.

Lors de l'examen de ce texte devant la commission des affaires européennes, nous avons procédé à plusieurs modifications importantes et je vous suggère de nouvelles modifications, qui visent à atténuer encore davantage la rédaction du texte.

Ainsi, la proposition de résolution ne demande plus la désignation d'un représentant spécial de l'Union européenne pour le Tibet, ce qui pouvait effectivement être considéré comme une provocation du point de vue de la Chine. Elle se contente désormais de demander au représentant spécial de l'Union européenne pour les droits de l'Homme de se saisir de cette question, ce qui est très différent. Elle n'évoque pas non plus la situation du Tibet mais les droits des Tibétains, ce qui constitue également une forte différence, notamment au regard de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la République populaire de Chine.

L'objectif de cette proposition de résolution n'est donc pas de porter atteinte aux relations avec la Chine mais uniquement d'attirer l'attention sur la situation des droits des Tibétains et d'appeler à une reprise du dialogue entre la Chine et les représentants du gouvernement tibétain en exil.

M. Christian Cambon . - Je souhaiterais faire deux observations.

Tout d'abord, il est manifeste que cette proposition de résolution européenne provoque un certain trouble au sein de notre commission.

Naturellement, nous sommes tous sensibles à la situation des tibétains.

Malgré la qualité du travail effectué par notre rapporteur, pour ma part, et à titre personnel, j'entends m'abstenir sur le texte, car je pense qu'on nous fait jouer un rôle qui n'est pas le nôtre et que je suis avant tout soucieux d'éviter tout ce qui pourrait conduire à fragiliser nos relations avec la Chine, qui ont déjà connu certaines tensions par le passé, et qui ne me paraissent pas être au niveau qu'elles méritent, notamment par rapport à l'Allemagne.

Je me félicite d'ailleurs du prochain déplacement du président de la République en Chine, même si je trouve un peu surprenant qu'un tel déplacement ne soit pas intervenu plus tôt.

Vous avez rappelé que l'insistance des Etats-Unis sur la question des droits de l'Homme, notamment au Tibet, n'a pas de réelles incidences sur les relations de ce pays avec la Chine. Mais nous ne sommes pas dans une situation comparable aux Etats-Unis qui ont une relation très étroite avec la Chine, notamment sur le plan commercial.

Je suis également porteur d'une procuration de notre collègue M. Jean-Pierre Raffarin, qui entend voter contre cette proposition de résolution.

M. Jean-Louis Carrère , président. - Entendons-nous bien, en ma qualité de président de cette commission, je souhaite absolument préserver l'indépendance de notre commission et du Parlement à l'égard de l'exécutif. Pour autant, je suis également soucieux de ne pas gêner l'action du président de la République et du ministre des affaires étrangères.

Je considère comme vous que le moment n'est peut-être pas le plus opportun pour adopter cette proposition de résolution. Toutefois, comme je vous l'ai indiqué, nous ne pouvons pas repousser son examen car nous sommes tenus de procéder à cet examen dans le délai d'un mois fixé par le règlement de notre assemblée. Soit nous rejetons cette proposition de résolution, ce qui - il faut en être bien conscient - risque de provoquer un certain émoi, soit nous adoptons le texte de la proposition de résolution, tel que modifié par notre rapporteur.

Je vous proposerai donc de consulter l'ensemble des membres de la commission avant de nous prononcer par un vote sur le texte de la proposition de résolution européenne, tel que modifié par le rapporteur.

M. Jean-Pierre Cantegrit . - En ma qualité de sénateurs représentant les Français établis hors de France, je suis également soucieux de la situation de nos nombreux compatriotes expatriés en Chine.

Je voterai donc contre le texte qui nous est soumis car je pense qu'il peut avoir des conséquences négatives pour la situation de nos compatriotes présents en Chine.

M. Jean-Claude Peyronnet . - Comme plusieurs de nos collègues, je suis non seulement gêné par la formulation de cette proposition de résolution, mais plus encore par le principe même de ce texte qui ne me paraît pas opportun. J'entends donc m'abstenir sur ce texte.

A l'issue de ce débat, la commission s'est prononcée par un vote sur l'adoption du texte de la proposition de résolution européenne, tel que modifié par le rapporteur.

Par dix voix pour, quatre voix contre, et quatre abstentions, la commission adopte le texte de la proposition de résolution européenne ainsi modifié.


* 1 Proposition de résolution européenne n° 787 (2011-2012), présentée par M. Jean-François Humbert et Mmes Jacqueline Alquier, Michèle André, MM. Serge Andreoni, Maurice Antiste, Alain Anziani, Michel Berson, Joël Bourdin, Mme Marie-Thérèse Bruguière, MM. Yvon Collin, Jean Desessard, André Gattolin, Bruno Gilles, Alain Houpert, Mlle Sophie Joissans, Mmes Christiane Kammermann, Élisabeth Lamure, MM. Jean-René Lecerf, Philippe Madrelle, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Jean-Pierre Plancade, Mmes Sophie Primas, Esther Sittler et M. Jean-Pierre Sueur, relative à la nomination d'un représentant spécial de l'Union européenne pour le Tibet, enregistrée le 28 septembre 2012

* 2 Le nombre d'immolations par le feu de Tibétains s'est accru depuis la date du dépôt de la proposition de résolution et s'élève à la date de l'examen du rapport à 76, selon les données de l'administration tibétaine en exil.

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