C. L'INDISPENSABLE RÉFORME DES PORTS D'OUTRE-MER : LE RAPPORT CGEDD/IGF/IGA DE JUIN 2009
Le rapport de juin 2009 consécutif à cette mission a estimé qu'il était « désormais devenu indispensable d'entamer le processus de réforme [des] ports » des départements d'outre-mer , notamment parce que « la formule dominante (port concédé à une CCI) n'est (...) plus adaptée aux exigences de la gestion moderne d'un grand port » 55 ( * ) .
L'analyse de la situation de chacun des ports d'outre-mer 56 ( * ) a abouti à un constat très sévère de la part de la mission, qui a formulé une proposition : appliquer la réforme portuaire de 2008 aux départements d'outre-mer, avec les adaptations rendues nécessaires par leurs spécificités.
1. Un constat sévère quant à la gouvernance des ports d'outre-mer
Le rapport CGEDD/IGF/IGA dresse un constat sévère de la gouvernance des ports des départements d'outre-mer , estimant que « les ports d'État d'outre-mer ne peuvent plus faire l'économie d'une réforme statutaire et d'une modernisation de leur organisation » 57 ( * ) .
Ce constat porte en réalité essentiellement sur les ports concédés aux CCI , puisque, pour ce qui concerne le port autonome de la Guadeloupe, « la structure retenue (établissement public de l'État) a pleinement joué son double rôle de gestionnaire avisé et de dépositaire de la puissance publique unique en matière portuaire » 58 ( * ) .
- Il apparaît tout d'abord que l'organisation des ports d'outre-mer est peu lisible . La direction bicéphale des ports concédés prête ainsi à confusion tant pour les acteurs extérieurs du port que pour les opérateurs utilisateurs des services du port. Les usagers des ports d'outre-mer mettent en avant « l'insatisfaction qu'engendre l'absence d'un interlocuteur unique disposant d'un pouvoir de décision clairement établi » 59 ( * ) .
Votre rapporteure relève que la quasi-totalité des personnes qu'elle a entendues, au premier rang desquels les usagers de ces ports mais également les syndicats, ont dressé le même constat : la direction bicéphale conduit à l'illisibilité des responsabilités, tant pour les salariés que pour les usagers, ainsi qu'à un manque d'efficacité et de réactivité, en raison des lourdeurs administratives.
- Par ailleurs, la formule de la concession est dépassée et très largement contestée.
Dans le cadre d'une concession, un cahier des charges établit clairement la répartition des compétences entre l'autorité concédante et le titulaire de la concession, précisant notamment les droits et les obligations attachés à la concession. Or le rapport de 2009 souligne que le bilan des concessions dans les ports d'outre-mer est « globalement très insatisfaisant » 60 ( * ) .
Les observations de la mission sont particulièrement sévères pour le port de Dégrad-des-Cannes.
BILAN DE LA GESTION DES PORTS CONCÉDÉS OUTRE-MER
Port de Dégrad-des-Cannes |
Port de Fort-de-France |
Port-Réunion |
|
Respect des obligations par le concessionnaire (qualité et état de l'outillage public) |
Le concessionnaire est « largement défaillant ». La dégradation des équipements a « rendu (...) largement impropre à son usage une partie essentielle du port, celle utilisée pour le trafic de conteneurs ». |
Le bilan est moins négatif qu'en Guyane. Pour autant, « le modèle dual montre, là encore, ses limites ». Le niveau d'entretien des installations est meilleur mais « le concessionnaire n'a pas été en mesure de maîtriser de manière suffisante les différentes phases d'évolution du port, notamment en raison d'une gestion des espaces peu rationnelles ». |
|
Bonne gestion des ressources collectées (affectation des excédents à l'amélioration de l'outillage public et à l'investissement) |
La CCI de Guyane a « régulièrement financé, à partir des droits de port, d'autres activités dont elle assurait la gestion » 61 ( * ) . La dette des autres services (notamment l'aéroport et la formation) envers le port équivaut à environ trois années de chiffres d'affaires. |
L'exploitation est largement excédentaire avec une trésorerie abondante « qui finance notamment le fonds de roulement de la concession aéroportuaire ». |
Le concessionnaire, « sans atteindre les mêmes excès [qu'en Guyane et en Martinique] (...) se trouve (...) dans une situation délicate en raison du déséquilibre structurel constaté dans les autres activités dont il a la charge » . |
Efficience de la structure
|
La structure n'est pas particulièrement efficiente. Les effectifs sont « relativement élevés compte-tenu de la modicité du trafic portuaire et du volume réduit des outillages publics concédés ». |
Le personnel de la CCI « pèse de plus en plus lourdement sur la structure de coûts ». |
|
Appréciation des usagers du port |
« Le concessionnaire n'est pas considéré comme un partenaire réellement professionnel ». |
Les usagers sont largement insatisfaits. Le système dual est, à leurs yeux, « source de dilution de responsabilités, de manque de réactivité et (...) ne correspond plus à une gestion moderne d'un port ». |
Les usagers sont largement insatisfaits. |
Source : « Rapport sur l'évolution des ports des départements d'outre-mer et de Saint-Pierre-et-Miquelon », Ibid., p. 12-14.
Votre rapporteure souligne que la mission a notamment constaté que les concessionnaires ont utilisé les excédents de trésorerie des concessions portuaires pour financer d'autres activités, notamment les aéroports . Comme le conclut son rapport, « le modèle de la concession a favorisé une utilisation des ressources (...) qui dépassait le cadre portuaire, ce qui a eu pour conséquence d'encourager les professionnels à pratiquer une politique de tarifs élevés » 62 ( * ) .
Cette situation paraît invraisemblable aux yeux de votre rapporteure, au vu de l'enjeu représenté par la question du niveau des prix et de la transparence de leur formation dans nos outre-mer . Votre rapporteure rappelle que ces problématiques ont ainsi été au coeur de la grave crise sociale que ceux-ci ont connu au début de l'année 2009.
- Le rapport de 2009 estime que la gouvernance de ces ports est inadaptée aux réalités actuelles et en partie défaillante du fait des carences de l'État.
L'État s'est largement désintéressé de la gestion des ports des départements d'outre-mer . Sous l'effet de la « relative négligence de (...) l'État » 63 ( * ) , les ports sont devenus des « concessions autonomes », les concessionnaires ne respectant pas quant à eux leurs obligations. On peut notamment relever les éléments suivants :
- les moyens attribués par les concessionnaires aux services des ports, notamment afin d'entretenir les ouvrages portuaires, ont été largement insuffisants ;
- le contrôle de l'État sur l'activité des concessionnaires a été inexistant. La responsabilité de l'État dans la situation actuelle des ports d'outre-mer apparaît clairement dans le rapport de la mission ;
Extraits du rapport de 2009 soulignant les carences de
l'État
« Les conditions d'une juste tarification sont devenues largement faussées. (...). La responsabilité en revient pour partie aux concessionnaires, enclins à utiliser la facilité que constituent les excédents de trésorerie, voire les ressources de la concession au profit d'activités connexes, notamment aéroportuaires mais aussi à l'État qui n'a pas su exercer dans toute sa plénitude son double rôle de tutelle et de contrôleur » (p. 3) ; « Les diverses administrations exerçant la tutelle auraient pu et auraient dû intervenir à de multiples occasions » (p. 14) L'État « a renoncé de facto à piloter le niveau tarifaire pratiqué dans les ports d'outre-mer . » (p. 15) |
- comme l'avait constaté le groupe de travail de votre commission de l'économie pour les ports de l'Hexagone, l'État ne s'est pas acquitté en outre-mer de certaines dépenses dont il a la charge, comme les coûts de dragage qui sont extrêmement importants en Guyane notamment ;
- enfin, les collectivités territoriales sont tenues à l'écart dans la gouvernance des ports concédés, étant réduit à un rôle de co-financeur, sans disposer des moyens institutionnels pour faire valoir leur point de vue.
- Il apparaît enfin que la productivité portuaire est, dans les départements d'outre-mer, largement perfectible .
Ces ports sont dans la même situation que les ports de l'Hexagone avant la réforme de 2008 : les entreprises de manutention ne maîtrisant pas suffisamment leurs moyens de production, il n'existe pas d'unité de commandement, ce qui conduit à une mauvaise articulation des horaires de travail et une fragilité de la chaîne d'opérations, à un temps important d'attente pour les navires, à des inemplois et des sureffectifs.
La productivité portuaire est particulièrement faible en Guyane, où il n'existe pas d'outillage de quai de manutention verticale, où les zones de travail « bord à quai » sont particulièrement dégradées et où le volume de trafic de marchandises est faible 64 ( * ) . En conséquence, la durée d'escale est très élevée (4 à 5 jours minimum), très éloignée des standards internationaux.
La perfectibilité de la productivité des ports ultramarins pose d'autant plus problème que ces derniers ne sont pas soumis à la même concurrence que les ports hexagonaux : les pays situés dans leur environnement immédiat ne respectent en effet pas les mêmes normes sociales, comme l'ont rappelé plusieurs interlocuteurs de votre rapporteure.
En conclusion, le rapport de 2009 estime que « le choix d'un système dual État/concessionnaire n'est plus défendable outre-mer » 65 ( * ) .
2. Une proposition : l'application de la réforme de 2008, avec les adaptations nécessaires
Au terme de ses travaux, la mission CGEDD/IGF/IGA a formulé une proposition pour l'évolution des ports des départements d'outre-mer : « faire évoluer [ces] ports (...) en leur donnant une nouvelle structure, sous la forme d'établissements publics, en s'inspirant de la réforme de 2008, tout en adaptant le mode de fonctionnement des organes de gouvernance aux spécificités de l'outre-mer. » 66 ( * )
Cette proposition comprend donc les axes suivants :
- mettre fin à la dualité de gestion État/CCI qui existe dans trois de ces quatre ports ;
- mettre en place un établissement public de l'État, avec la perspective de la création, à terme, d'un établissement public local : le bilan du seul établissement public existant en outre-mer, à savoir le port autonome de la Guadeloupe, est plus favorable que celui des ports concédés. Par ailleurs, la formule de l'établissement public permet de disposer d'une unicité de gestion, mettant ainsi fin à la confusion des responsabilités et renforçant l'obligation de transparence sur l'utilisation des droits du port.
La mission estime que la transformation en établissements publics locaux n'est cependant pas souhaitable dans l'immédiat, soulignant que « une fois les nouvelles structures mises en place et stabilisées et la poursuite de la réforme de la manutention engagée, une évolution vers un établissement public local pourrait être envisagée, en fonction du contexte » 67 ( * )
- instaurer au sein de ces établissements publics une gouvernance rénovée avec une meilleure représentation des collectivités territoriales : il s'agit donc de transposer la réforme de 2008 aux départements d'outre-mer en l'adaptant aux spécificités de ces territoires.
La mission estime que la transposition de la réforme de 2008 permettra de renforcer le poids des collectivités territoriales, notamment les conseils régionaux, au sein des instances de gouvernance. Par ailleurs, la représentation des personnels du port au sein de ces instances constitue un élément essentiel du dialogue social. La mission réaffirme également que les usagers des ports doivent être exclus du conseil de surveillance et regroupés au sein d'un conseil de développement 68 ( * ) .
- mener une réflexion sur l'unicité de commandement et l'intégration des opérations de manutention sur les terminaux : le rapport de 2009 estime « indispensable (...) de mettre un terme à la dualité de commandement qui subsiste dans certains ports d'outre-mer en matière de manutention des conteneurs » 69 ( * ) .
Pour autant, la mission est consciente du caractère très sensible socialement d'une telle réforme, qui est fortement soutenue par les usagers des ports. Dans tous les cas, le transfert des outillages aux manutentionnaires nécessitera donc une large concertation.
- assurer une grande vigilance de l'État face aux risques de monopole : la mission a estimé qu'il conviendrait de « mettre en place les dispositifs garantissant que ce mouvement ne risque pas d'aboutir à la création d'un acteur monopolistique de manutention » 70 ( * ) .
Suite à ce rapport, la Cour des comptes a invité, en février 2010, le Gouvernement à « étudier l'adaptation (...) du statut et des conditions de fonctionnement des ports outre-mer » 71 ( * ) .
Finalement, lors du Comité interministériel de la mer de Guérande, le 10 juin 2011, le Premier ministre a annoncé le lancement de la réforme des ports d'outre-mer.
* 55 « Rapport sur l'évolution des ports des départements d'outre-mer et de Saint-Pierre-et-Miquelon », Ibid., p. 3.
* 56 La mission a également analysé la situation des deux ports de Saint-Pierre-et-Miquelon (celui de Saint-Pierre et celui d Miquelon). Elle a estimé qu'ils étaient marqués par « un statut et une organisation portuaires atypiques mais qui ne nécessitent que quelques aménagements à la marge » (p. 45).
* 57 « Rapport sur l'évolution des ports des départements d'outre-mer et de Saint-Pierre-et-Miquelon », Ibid., p. 9.
* 58 Ibid., p. 84
* 59 Ibid., p. 10.
* 60 Ibid., p. 12.
* 61 Ibid., p. 12.
* 62 Ibid. p. 14.
* 63 Ibid., p. 15.
* 64 Au cours de son audition par votre rapporteure, M. Bernard Elie, représentant de CMA-CGM en Guyane, a souligné qu'au port de Dégrad-des-Cannes 8 à 10 conteneurs étaient déchargés par heure, contre entre 20 et 25 dans les ports antillais.
* 65 Ibid., p. 13-14.
* 66 Ibid., p. 4.
* 67 Ibid., p. 4.
* 68 Le rapport souligne en effet qu'il est « indispensable (...) d'exclure ces professionnels des débats du conseil qui les concernent (augmentations tarifaires, choix de développement...) et dont ils pourraient influencer ou anticiper les décisions » (p. 23).
* 69 « Rapport sur l'évolution des ports des départements d'outre-mer et de Saint-Pierre-et-Miquelon », Ibid., p. 23.
* 70 Ibid., p. 24.
* 71 « Les ports français face aux mutations du transport maritime », in : Rappel annuel 2010, Cour des comptes, février 2010, p. 191.