4. Une instabilité amplifiée ces dernières années par la financiarisation de l'économie et par des réponses inappropriées
a) La financiarisation
Les pratiques de vente à terme des récoltes ne sont pas nouvelles. Mais la financiarisation de l'économie revêt aujourd'hui une dimension différente, avec un fort impact sur les marchés agricoles. Selon une étude menée par le groupe de travail sur les matières premières agricoles mis en place par Paris Europlace, les engagements des investisseurs institutionnels sur les marchés dérivés de matières premières seraient passés de 13 milliards d'euros en 2005 à 205 milliards d'euros en 2008.
Dans ce contexte d'accroissement de ce phénomène de volatilité, il est pertinent de s'interroger également sur le rôle et la responsabilité de la spéculation sur les marchés dérivés dans l'emballement des prix qui s'est répercuté sur le marché physique .
Ce rôle ne fait pas consensus chez les économistes. Certains jugent la spéculation nécessaire puisqu'elle permet, dans un contexte de forte instabilité, d'anticiper et de gérer les risques inhérents à ces marchés. C'est le cas par exemple de Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires.
PHILIPPE CHALMIN : « LA SPÉCULATION EST UN PHÉNOMÈNE RÉEL » « La spéculation est un phénomène réel, elle est pratiquée par les acteurs financiers mais aussi par les professionnels de l'agriculture. Avec un cours actuel du blé à 230 euros la tonne, il est normal que les producteurs français spéculent. J'insiste sur le fait que la spéculation est nécessaire dans le contexte actuel d'instabilité des marchés puisqu'elle permet aux acteurs d'anticiper (ce que signifie justement speculare en latin). La spéculation financière fournit des liquidités nécessaires aux marchés et permet de gérer les risques. Depuis un siècle, toutes les études économiques ont conclu à la neutralité de la spéculation financière sur les prix des produits agricoles. Actuellement, les prix du lait augmentent fortement mais il n'existe pas de marché dérivé pour ce produit ni pour le riz, ce qui existe en revanche pour le blé, le maïs et le soja. » Source : Compte-rendu de l'audition de M. Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale (8 mars 2011). |
Si, comme l'ont montré les discussions lors de la table ronde du 27 avril, les fluctuations sont toujours déclenchées par un choc sur le marché physique, la spéculation contribue souvent à augmenter ces effets.
Fondamentalement, la spéculation ne peut être considérée comme pathologique, puisqu'elle émane d'acteurs (producteurs et acheteurs de matières premières) désireux de se couvrir contre les risques de variation de prix des produits. Ce type de spéculation classique se fonde sur l'anticipation des déséquilibres futurs de marché, qu'il est possible d'exploiter en prenant position sur les marchés à terme.
Cependant, la période récente se caractérise par le développement de comportements spéculatifs d'un type nouveau, liés à l'entrée en masse des investisseurs financiers sur ces marchés à terme. Selon la FAO en effet, la baisse des marchés mondiaux d'actions et d'obligations a déclenché une irruption massive de capitaux dans les marchés à terme des produits agricoles, injectés par les fonds spéculatifs et les fonds indiciels ou encore les fonds liés à des matières premières. Les produits agricoles sont désormais des composantes des produits financiers. Selon une stratégie de diversification du risque, les actions et les investissements sur les matières premières sont combinées au sein d'un même portefeuille.
Ainsi, ces acteurs achètent ou vendent non pas des produits, mais des indices de prix, en fonction non pas tant des facteurs fondamentaux à l'oeuvre sur les marchés que des tendances de court terme des prix eux-mêmes.
Le résultat est une financiarisation croissante des marchés de produits de base, qui se traduit à la fois par une forte accentuation, à la hausse comme à la baisse, des mouvements de prix, et par une corrélation grandissante entre les indices de prix des matières premières et les prix des principaux instruments financiers, boursiers notamment.
Manifeste lors du krach financier de l'automne 2008, qui a vu les indices des principales catégories de produits perdre en quelques semaines entre le tiers et la moitié de leur valeur (75 % dans le cas du pétrole), la volatilité sans précédent des prix des produits de base met en évidence le manque de transparence et de régulation de ces marchés.
Selon certaines prévisions (Goldman Sachs), la volatilité du prix des matières premières restera très forte en 2011, à la hausse pour certaines (zinc, or, cuivre, pétrole) ou à la baisse (aluminium, blé, coton, sucre).
Les marchés de produits alimentaires deviennent donc nettement liés aux marchés financiers.
Un contrat d'instruments dérivés se caractérise par le fait même que sa valeur dépend de celle du marché sous-jacent auquel il se rapporte. C'est d'autant plus vrai lorsque le marché sous-jacent est un marché physique. Les prix des instruments dérivés sur matières premières et des produits de base physiques sous-jacents sont donc corrélés. Les marchés d'instruments dérivés sur matières premières et les marchés de produits de base ne sauraient donc être considérés séparément. Source : communication de la Commission européenne - « Relever les défis posés par les marchés de produits de base et les matières premières », 2.2.2011. |
On constate en outre un lien de plus en plus étroit qui s'établit entre le marché spécifique des produits agricoles et le marché des matières premières, ce qui rend les prix solidaires, comme le montre l'exemple des biocarburants à travers un lien de plus en plus fort entre prix du blé et prix du pétrole.
La question de l'encadrement de ces marchés dérivés fera ainsi partie des discussions lors du « G20 » des 22 et 23 juin 2011.
Selon le Centre d'analyse stratégique en effet, si les fondamentaux décrits plus haut restent l'explication la plus plausible de la volatilité des cours, le développement des marchés financiers peut toutefois accentuer ce phénomène et amplifier cette volatilité, sans en être la cause première.
Source : FAO - La situation des marchés des produits agricoles en 2009.