Audition de Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune

Audition devant le sénateur Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales pour le projet de loi bioéthique Mardi 22 mars 2011

Monsieur le rapporteur, permettez-moi tout d'abord de vous dire tout le plaisir que j'ai à vous revoir après notre rencontre sur le plateau de la télévision du Sénat et de vous remercier pour votre accueil. En général, l'analyse qui a été faite du projet de loi du gouvernement et du texte voté par l'Assemblée nationale a été celle du statu quo qui placerait notre pays dans un état de régression. S'agissant des enjeux qui préoccupent la fondation Jérôme Lejeune (eugénisme et instrumentalisation de l'embryon), il n'en est rien. Je voudrais vous le montrer.

1. Les dérives eugéniques du dépistage prénatal

Je viens devant vous les mains vides. Sans idéologie à revendre ni arguments marketing. Mais avec le coeur plein d'effroi. Car mon expérience n'est pas banale, je crois. Fondateur et Président depuis 17 ans de la fondation Jérôme Lejeune, reconnue d'utilité publique, avec l'équipe de notre centre médical, ce sont les rescapés de l'eugénisme que nous accueillons parce qu'ils frappent à notre porte chaque jour. Nous n'allons pas les chercher ! Plus de 5 000 patients dont 80 % d'enfants trisomiques qui sont passés entre les mailles du filet de la politique de dépistage systématique de cette pathologie. Les parents nous disent : « vous ne savez pas ce qu'on a vécu ; pour échapper à la pression médicale, il faut être très fort ; la grossesse a été un cauchemar pour garder notre enfant ; personne ne nous comprenait ». Après cette épreuve, les parents viennent nous trouver à la fondation Jérôme Lejeune avec ces mots : « le diagnostic de la trisomie nous a été lancé à la figure ; « on vous avait prévenu, vous aviez les moyens d'éviter ça, vous l'avez voulu, on ne peut rien faire pour votre enfant, avez-vous pensé à la vie qu'il va avoir, à ce que vous imposez à la société », nous a dit le corps médical ; maintenant nous sommes culpabilisés de l'avoir fait naître ». C'est pourquoi, la fondation Jérôme Lejeune s'est donnée pour mission de rendre à ces familles ce qui leur est dû en toute justice : les consultations de suivi médical spécialisé qu'on offre à tous les malades et qu'on leur refuse à eux et les efforts de recherche scientifique dans une perspective thérapeutique qu'on accorde à toutes les maladies sauf à la trisomie 21 (pas un centime d'€ dans les 180 M€ du Plan Maladies Rares 2011-2014) ; tout cela parce que ces enfants n'auraient pas dû naître et que désormais tout est mis en oeuvre pour qu'il n'en naisse plus.

Ce vote au Sénat est crucial ; il sera peut-être le dernier soubresaut de la conscience collective en ces matières. Car il semble que le Parlement s'oriente vers le choix de ne plus débattre régulièrement de la loi de bioéthique. Comme si le progrès en France s'était arrêté en 2011 et qu'il ne devait plus y avoir de débat entre l'éthique et la science ! A l'évidence, ces débats existeront toujours. Mais si vous ne les accueillez plus en toute transparence dans vos assemblées parlementaires, ces débats se tiendront en secret dans les officines d'intérêt et les cénacles d'experts. Et la démocratie sera perdante une fois de plus.

A la veille de cette échéance ultime, je vous livre le fruit de ce qui est devenu une angoisse.

Les professionnels de la naissance et les parents sont devenus otages d'un système infernal qui s'emballe et que plus personne ne maîtrise. 1996 a vu la généralisation et le remboursement du dépistage de la trisomie 21 à toutes les femmes sans critère d'âge. Depuis, 92 % des enfants trisomiques sont dépistés et 96 % d'entre eux sont avortés. Même si elle n'était pas à proprement parler obligatoire, la pratique des professionnels a été en effet de proposer le test de dépistage, en population générale, à toutes les femmes enceintes. Le résultat a été incroyable : on a rendu létale une pathologie qui ne l'était pas. Ce qui est tout de même une performance unique dans les annales de la médecine. Les mentalités et les nouvelles valeurs qui sont induites par le dépistage et l'élimination sont terrifiantes. Souvenez-vous des propos tenus en janvier 2011 par le député Olivier Dussopt : « quand j'entends que malheureusement 96 % des enfants trisomiques dépistés sont avortés, la question que je me pose est de savoir pourquoi il en reste encore 4 % ». Souvenez-vous des propos tenus ensuite par le député Jean-Louis Touraine : « Dans la pratique, on ne fait pas de diagnostic de la trisomie 21, qui entraîne des risques pour la grossesse, si l'on veut garder un enfant trisomique». Souvenez-vous surtout de l'affaire Perruche dès 2000 et de sa jurisprudence qui a beaucoup concerné la trisomie 21. Jusqu'à ce que la loi Kouchner de 2002 intervienne, il est apparu que la médecine et la justice étaient devenues des instruments de l'eugénisme puisqu'un médecin qui donnait naissance à un enfant handicapé pouvait être traduit devant la justice pour rembourser le prix d'une vie qui ne méritait pas d'être vécue. Certaines bonnes âmes ont dit et disent toujours : « mais ce sont les familles qui dorénavant le demandent, elles pratiquent un eugénisme individuel ; nous les médecins ne faisons que répondre à leur attente ». Je m'élève absolument contre cette vision. Non, ce ne sont pas les familles qui sont eugénistes, elles sont courageuses. Non, les médecins ne sont pas des prescripteurs serviles, ils ont une conscience. En revanche, oui, nous avons laissé s'installer en France une offre qui crée une demande. Cette offre de dépistage repose explicitement sur l'aversion pour le handicap mental , la faisabilité technique qui ne cesse de progresser, le coût social insupportable des personnes handicapées. Ces trois fondements sont complètement immoraux et pourtant nous avons laissé faire cela (S. Aymé, Médecine-Sciences, 1996) ! Pour dissimuler cela, on prétend que rien n'est obligatoire, ni automatique et que le choix des femmes est respecté. Mais c'est faux : depuis les arrêtés de Mme Bachelot en 2009 (« il est proposé à toute femme enceinte un dépistage combiné du risque de trisomie 21 »), les médecins sont obligés de proposer cette information à toutes les femmes, c'est une obligation. Ensuite, les CPDPN qui sont censés examiner les dossiers des grossesses pouvant conduire à l'IMG, n'examinent jamais ceux de la trisomie 21 qui sont automatiquement considérés comme destinés à l'avortement , c'est un automatisme. Enfin, comme le montre l'enquête de l'Inserm de janvier 2009, la majorité des femmes affirment que le dépistage les conduit là où elles ne voudraient pas aller, c'est une violence qui n'a rien à voir avec la liberté des femmes . Le système est donc en lui-même au minimum prescripteur et pathogène.

Alors, aujourd'hui, que veut-on ? Inscrire dans la loi - alinéa 4 de l'article 9 - une obligation d'informer toutes les femmes enceintes, une obligation à laquelle les médecins s'astreignent déjà en fait ? Veut-on passer - formellement dans la loi - de la généralisation à l'obligation ? Mais enfin, que cherche-t-on puisqu'il s'agit déjà d'un dépistage de masse, que déjà la quasi-totalité des enfants trisomiques sont empêchés de naître ! Faut-il que le risque de voir naître un seul enfant trisomique soit définitivement écarté ? N'est-ce pas la marque d'une obsession sécuritaire et d'économie des « vies inutiles » ? La trisomie 21 apporte le désordre, la suppression du trisomique rétablit l'ordre , comme l'explique le Pr. Millez dans son apologie du DPN (L'euthanasie du foetus, aux éditions Odile Jacob).

A l'inverse de ces dérives, il me semble que l'amendement du Dr. Léonetti est sage qui vise à ne plus proposer le dépistage systématique mais seulement « lorsque les conditions médicales le nécessitent ». Je suis stupéfait par les deux arguments principaux opposés par certains professionnels de la grossesse. D'abord il y aurait une atteinte à l'égalité d'accès des femmes à l'information. Mais ce n'est pas son accessibilité qui rend cette offre éthique . Et, si l'on suit ce raisonnement, alors pourquoi ne les informe-t-on pas obligatoirement et systématiquement de tous les risques plus fréquents et plus graves que les femmes encourent ? Il faut partir de la réalité biologique : toutes les femmes ne sont pas égales devant le risque de la trisomie qui, comme vous le savez, augmente avec l'âge. Dès lors, informer toutes les femmes est inique puisque l'on crée de l'anxiété chez la majorité d'entre elles qui ne sont pas concernées. Les informer « lorsque les conditions médicales le nécessitent » rétablit au contraire l'égalité entre les femmes puisqu'on évite d'angoisser la majorité d'entre elles et qu'on rassure la minorité des autres par l'information donnée à bon escient. C'est de la médecine de base, celle qu'on pratique pour le dépistage de différents cancers. Le deuxième argument de certains professionnels de la naissance consiste à prétendre que l'amendement Léonetti va renforcer le pouvoir médical. On peut difficilement tenir un discours plus hypocrite. Il ne s'agit pas non plus pour les médecins de renoncer à leurs responsabilités. La vérité est que l'amendement Léonetti va réguler le rôle des médecins qui imposent, en fait, le dépistage à une population captive et ont créé une rente sans limite au profit des laboratoires : 800 000 femmes enceintes annuellement chez qui on développe un fantasme ciblé, celui de donner naissance à un enfant trisomique et pour lesquelles l'assurance maladie finance sans broncher un dépistage massif et efficace. Le chiffre d'affaire de cette lucrative activité s'élève à 100 M€ chaque année selon la Cour des comptes en 2003. On comprend que la corporation des laboratoires n'ait pas été la dernière à se joindre à l'indignation feinte des professionnels de la naissance.

Pour terminer, je voudrais vous donner à réfléchir sur les trois critères du système ainsi mis en place. Un groupe est sélectionné sur la base du génome de ses membres : le chromosome 21 supplémentaire. Les membres ainsi discriminés font l'objet d'atteintes à la vie de nature à entraîner la destruction totale ou partielle de leur groupe. Le système n'est pas fortuit, ni un accident de parcours, il fonctionne en vitesse de croisière sur la base d'un plan concerté : analyses coûts-bénéfices (Haut comité de la santé publique en 1994), stratégies de dépistage, objectifs de performance, qualité zéro-triso (Haute autorité de santé en 2007), budgets de financement (assurance maladie) . Vous observerez que ces trois critères visant la destruction organisée d'un groupe ne nécessitent nullement de recourir à la contrainte. Et pourtant, horresco referens , il faut savoir que ce sont précisément ces trois critères qui servent, aux termes de l'article 211-1 du code pénal français, à caractériser le génocide. Et je vous rappelle, à cet égard, que le législateur français a voulu que le code pénal français soit encore plus précis que la convention des Nations Unies.

2. La recherche sur l'embryon

La question de la recherche sur l'embryon est plus inquiétante encore parce que sa compréhension échappe à beaucoup d'observateurs. Si l'homme est l'homme, on doit admettre son histoire, une histoire qui, comme toutes les histoires et sauf preuve du contraire, commence au commencement, c'est-à-dire au stade embryonnaire.

La contestation du respect dû à l'embryon humain n'est revendiquée en pratique que par deux catégories de personnes et deux seulement : celles qui tirent profit de l'embryon et celles qui veulent s'absoudre de l'avoir maltraité. C'est assez pour rendre leur position plus que douteuse : intéressées au fait que l'humanité de l'embryon soit considérée comme négligeable, pour avoir les mains libres et la conscience tranquille, ces personnes s'érigent en pourfendeurs de sa nature. Mais elles sont à la fois juge et partie.

La plupart de ceux qui s'occupent de cette question ont aboli toute distance avec l'embryon. Ils ont établi envers lui un rapport de possessivité et de violence. Ils ont réduit l'embryon à sa dimension biologique, ils l'ont privé de son histoire personnelle, mis à disposition du plus offrant. Alors même que l'embryon est l'écrin mystérieux de l'humanité, l'embryon, des millions d'embryons humains sont prostitués dans un négationnisme ontologique effrayant. « Rencontrer un homme, c'est être tenu en éveil par une énigme » rappelait Lévinas. Notre attitude vis-à-vis de l'embryon est à des années lumières de ce regard humaniste.

L'histoire des lois de bioéthique depuis 17 ans est celle d'une dégradation consentie du statut de l'humain. En 1994, intervient la distinction des embryons in vitro qui n'appellent plus le même respect s'ils ne sont pas revêtus d'un projet parental. En 2004, c'est l'autorisation accordée de mener des recherches sur ces embryons dont on admet qu'ils peuvent être détruits pour la science. En 2011, il s'agit d'élargir encore les conditions d'accès à la recherche sur ces embryons pour des raisons qui, dorénavant, s'affichent clairement comme étant non plus scientifiques mais financières. Et il s'agit aussi, comme l'explique René Frydman dans son dernier livre (« Convictions » chez Bayard, février 2011), de pouvoir créer des embryons pour la recherche, ce qui paraissait, en 1994, le comble de la perversité .

Rappelons pour commencer que c'est à la demande expresse de certains scientifiques que la loi de 2004 a autorisé la recherche sur les cellules embryonnaires dans la perspective de « progrès thérapeutiques majeurs ».

Cette demande était-elle sincère ? La lecture du rapport de la mission parlementaire sur la bioéthique nous apprend que les partisans de la recherche sur l'embryon ont volontairement circonvenu la représentation nationale, qu'ils s'en prévalent et qu'ils l'assument. Lisez le rapport, il est édifiant : « c'était idiot parce qu'on savait que ça n'avait pas de réalité », « on a beaucoup joué là-dessus », « les scientifiques, pour nous pousser, disaient qu'ils étaient presque prêts »... Il fallait faire croire à tout le monde que la thérapie cellulaire à partir de l'embryon, c'était pour demain. La manoeuvre n'avait en réalité qu'une seule finalité : obtenir une faille dans le principe du respect de l'embryon humain et entrouvrir la porte de son exploitation. Une porte que personne n'aurait jamais le courage de refermer. Cette demande n'était donc pas sincère en ce sens qu'on a trompé les décideurs politiques et l'opinion publique en leur promettant n'importe quoi.

Cette demande était-elle guidée par une nécessité ? La réponse, apportée par les intéressés, est clairement négative puisque ce sont les mêmes scientifiques qui exigent aujourd'hui le retrait de la condition de « progrès thérapeutiques majeurs » de la loi de bioéthique. Pourquoi ? C'est simple : parce qu'ils n'y croient pas plus aujourd'hui qu'hier.

Pourquoi n'y croient-ils pas ? Parce que depuis vingt sept ans (commission Warnock), un pays comme la Grande Bretagne a pu disposer librement de l'embryon humain sans entrevoir une seule perspective clinique. Parce que les seules recherches en thérapie cellulaire dans le monde qui ont abouti à des traitements ou à des guérisons - et il y en a de nombreuses - l'ont été à partir de cellules souches d'origine non embryonnaire. J'entends encore le Pr. Peschanski annoncer que grâce à ses recherches sur l'embryon, on allait bientôt guérir les grands brûlés ! C'est peu confraternel pour l'hôpital Percy qui travaille depuis vingt cinq ans avec des cellules souches adultes et se situe à la pointe de ce qui se fait de mieux dans le monde. On a dit aussi que, grâce à M. Peschanski, on guérirait demain l'épidermolyse bulleuse alors qu'on la guérit aujourd'hui, avec des cellules souches adultes, sans avoir besoin de l'embryon humain (publication de John Wagner de Minneapolis).

Alors pourquoi cette demande insistante de libéraliser les conditions de la recherche sur l'embryon ? C'est pour améliorer les performances de la procréation assistée comme pour tester la toxicité de nouveaux produits qu'il faut pouvoir « consommer » de l'embryon. Voilà pourquoi, depuis cinq ans, l'Agence de la biomédecine a autorisé des quantités de recherches sur l'embryon poursuivant des buts que nous tenons pour illégaux (la justice tranchera) puisqu'ils n'ont rien à voir avec des progrès thérapeutiques. L'embryon ne guérit de rien, il n'est pas un médicament.

Est-ce une nécessité aujourd'hui de libéraliser les conditions de la recherche sur l'embryon pour améliorer les techniques de procréation assistée et tester en laboratoire de nouvelles molécules ? Il faut rappeler - avec la communauté scientifique - que les embryons des grands singes feraient fort bien l'affaire s'il n'était pas interdit d'y recourir. Ensuite, il y aurait une inconséquence historique à méconnaître les applications de la découverte des cellules reprogrammées (ou iPS) en 2006 qui a renversé les perspectives. La loi de 2004, avec prudence, recommandait de passer en revue les recherches alternatives d'efficacité comparable avant de se résoudre à utiliser l'embryon humain. Mais c'était avant la découverte des iPS. Depuis 2006, si on ne connaît pas encore ce que nous réservent les iPS en clinique, en revanche on sait qu'elles sont parfaitement capables de répondre aux besoins de modélisation de pathologies et de criblage de molécules que recherchent les industriels du médicament, qu'elles sont beaucoup plus accessibles que les cellules embryonnaires et n'entraînent aucun dommage éthique. On a donc légalement le devoir de les utiliser et de ne plus recourir aux cellules embryonnaires.

Seule la bannière du marché - celui de la fécondation in vitro et de l'industrie du médicament - rallie les promoteurs de la recherche sur l'embryon. Autrement dit, l'argument financier (c'est moins cher d'utiliser l'embryon humain que l'animal et que les iPS) reste la seule explication conduisant à réclamer un assouplissement des conditions de la recherche sur l'embryon alors que - scientifiquement - il n'a jamais été moins nécessaire qu'aujourd'hui de céder à cette tentation.

La fin ne doit pas justifier les moyens. Tout nous montre aujourd'hui qu'il y a des moyens honnêtes de parvenir à des fins honnêtes. Ce ne sont pas ces voies de la sagesse qu'empruntent quelques batteurs d'estrade que la France perd un temps considérable à écouter et qui font l'opinion des décideurs et des médias. Et j'introduis ici un dernier point - qui fait le lien entre ma première partie sur l'eugénisme et ma deuxième partie sur l'instrumentalisation de l'embryon - je veux parler du double DPI ou bébé- médicament.

3. Le double DPI ou bébé-médicament

La naissance du 1er bébé médicament en France est le fruit d'une mentalité eugéniste et d'une chosification de l'embryon.

Cette naissance dont l'annonce a été opportunément rendue publique par M. Frydman le matin du vote à l'Assemblée a été présentée comme une prouesse médicale. L'expression est totalement abusive. Car ce n'est ni une prouesse, ni médical. Le bébé médicament n'est que le résultat d'une technique doublement eugénique, inutile et mensongère. Le bébé médicament n'a guéri personne. Et il n'y a aucun exploit à obtenir un embryon sain quand on élimine les embryons malades.

Le bébé médicament : une technique doublement eugénique

Autorisé par la loi de bioéthique de 2004, à titre expérimental, le bébé-médicament nécessite un double tri d'embryons . D'abord, il faut éliminer les embryons porteurs de l'affection dont souffre le grand frère ou la grande soeur à soigner. Ensuite, dans le stock d'embryons sains, un 2 ème tri est effectué qui permet de ne garder que des embryons HLA-compatibles pour la greffe envisagée. C'est-à-dire qu'on admet explicitement de supprimer des embryons parfaitement sains qui n'ont pas la chance d'être compatibles pour une greffe. Il s'agit donc d'une double transgression . On devrait parler du bébé du double tri et non pas du double espoir. Pour obtenir un embryon qui corresponde au « cahier des charges » il a fallu concevoir et trier 27 embryons pour en trouver seulement 1 « compatible ».

Le bébé médicament : une technique inutile

Il importe d'autant plus de refuser cette évolution que le développement des banques de sang de cordon fait du bébé médicament une technique inutile . Il est possible de rechercher parmi les greffons de sang de cordon celui qui permettra de traiter la pathologie considérée. En l'occurrence ici, il s'agissait de la béta-thalassémie, mais il peut s'agir aussi de la maladie de Fanconi ou de la drépanocytose. En principe, avec 800 000 naissances en France, ce ne sont pas les cordons qui manquent !

Mais il faut quand même prendre conscience que la pénurie de stocks de sang de cordon aujourd'hui , entrainant un problème pour les greffes HLA-compatibles (il faut pour cela disposer d'échantillonnages variés), s'explique par l'absence de choix politiques clairvoyants au début des années 2000 relatifs à l'organisation de cette activité. Le Pr. Arnold Munnich, il y a déjà des années, que j'avais interrogé sur les difficultés de stockage du sang de cordon en France, m'avait confié que la raison pour laquelle notre pays était en retard était la suivante : il ne fallait pas faire d'ombre à la recherche sur l'embryon. Cette démission politique ne doit pas se renouveler en 2011.

Le bébé médicament : une manipulation

La loi de 2004 avait limité l'usage de cette technique à une expérience de 5 ans.

La pérennisation de cette technique repose sur un mensonge . La technique du bébé médicament aurait dû faire l'objet d'une expérimentation, puis d'une évaluation, avant d'être éventuellement reconduite ou arrêtée. Cela n'a pas été le cas puisque cette technique depuis 2004 n'a pas abouti (cf. le rapport du conseil d'Etat relatif à la révision de la loi de bioéthique, avril 2009). L'inscrire définitivement parmi les actes auxquels il pourrait être recouru est donc une malhonnêteté intellectuelle, un risque médical et une faiblesse sur le plan politique. Le bébé médicament, par son caractère sensationnel auquel certains praticiens ne résistent pas, risque, au surplus, de freiner la constitution de banques de sang du cordon.

Enfin il faut rappeler qu'en 2004 cette technique, que la majorité de l'époque ne souhaitait pas, a été introduite par un amendent de l'opposition. On note qu' en 2011 , c'est la même majorité , qui par un amendement du rapporteur du projet de loi (le député Jean Léonetti) valide aveuglément cette transgression .

Les choix politiques de 2011 s'inscriront-ils dans la continuité de ceux de 2004, eugénistes et fondés sur une manipulation médiatique , ou feront-ils preuve de lucidité et de courage pour privilégier des orientations solides médicalement et éthiques ?

Si le Sénat se ralliait aux propositions utilitaristes que nous avons dénoncées, à cette vision matérialiste de l'homme, si le Sénat succombait à cette célébration des noces entre le scientisme et le marché, alors il ferait le lit de ce que certains, comme le Pr. Pierre Jouannet, ancien président de la fédération des CECOS, sont capables de dire (à la MGEN le 19 septembre 2007) : « L'embryon change de nature puisqu'il existe de manière indissociable des raisons pour lesquelles il a été créé. Lorsque ces raisons n'existent plus, il devient quelque chose d'autre ou quelqu'un d'autre ou autre chose ; la question se pose alors du devenir de cet embryon. Il n'y a pas plusieurs choix : soit il sera utilisé par un autre couple, soit il sera détruit. Il y a deux manières de le détruire : soit purement et simplement, soit on permet à cet embryon de servir la recherche (...). Je crois donc que l'embryon n'existe pas en lui-même, mais en fonction des raisons pour lesquelles il a été créé » .

Ce texte fait froid dans le dos. Si l'homme, changeant de nature en fonction des circonstances, peut devenir le jouet de la science, si ce sont des scientifiques qui nous l'affirment, et si les politiques les suivent aveuglément, alors nous avons tout à redouter de leurs travaux et les lois de bioéthique n'y changeront rien. Jamais, le politique ne doit céder un pouce à la techno-science. Il n'y a pas de solution technique à la folie des hommes. Loin d'être hostile à la science, je souhaite seulement qu'elle reste au service de l'homme. Donnons carte blanche aux scientifiques à une seule condition : qu'ils ne portent pas atteinte à la vie de l'être humain. Cette conception n'est plus une valeur communément partagée sur le plan politique. J'espère que l'actuelle majorité y croit toujours et ne désespérera pas son électorat.

Jean-Marie Le Méné

Président de la Fondation Jérôme Lejeune

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