TRAVAUX DE COMMISSION

I. AUDITIONS

Audition d'Emmanuelle PRADA-BORDENAVE, directrice générale de l'agence de la biomédecine (mercredi 2 mars 2011)

Sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission a procédé à l' audition d' Emmanuelle Prada-Bordenave , directrice générale de l'agence de la biomédecine , sur le projet de loi relatif à la bioéthique dont Alain Milon est le rapporteur .

Muguette Dini, présidente . - Je remercie Mme Emmanuelle Prada Bordenave, directrice de l'agence de la biomédecine, de revenir devant notre commission après nos échanges de l'an dernier dans le cadre de nos travaux préparatoires à la révision des lois de bioéthique.

Alain Milon, rapporteur . - Madame, avant d'en venir à des questions plus précises, pourriez-vous nous présenter brièvement l'agence de la biomédecine et son articulation avec l'agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (Afssaps) ?

Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l'agence de la biomédecine . - L'agence de la biomédecine est un établissement public à caractère administratif, placé sous la tutelle de la direction générale de la santé - elle n'est donc pas une autorité administrative indépendante. Lors des débats sur la loi de bioéthique en 2004, on avait hésité entre la création d'une nouvelle agence ou la fusion avec une instance pré existante. La seconde option a été finalement retenue : l'agence a repris les missions de l'établissement français des greffes. Ce dernier avait succédé en 1994, dans un contexte de scandales sanitaires, à l'importante association France Transplant du professeur Jean Dausset.

La transplantation a une histoire ancienne dans notre pays, fruit de l'adhésion des Français à l'hôpital. Cette histoire est marquée par des prouesses médicales qui ont parfois tenu du miracle - les premières greffes du rein dans les années cinquante, puis la première transplantation cardiaque réalisée par le professeur Cabrol en mai 1968 avant les greffes de foie dans les années soixante-dix. Ce sont d'abord les professionnels qui ont cherché à mettre en relation donneurs et receveurs. Après la loi Lafay de 1949 qui visait à faciliter les dons de cornée pour réparer les blessures des soldats, la loi du sénateur Caillavet de 1976 a posé la règle du consentement présumé au don d'organes. Ce modèle français du don après la mort constitue le prolongement posthume de la valeur de solidarité inscrite dans notre devise républicaine. En 2004, l'idée était d'asseoir sur ce socle de valeurs les nouvelles missions de l'agence en matière de procréation, d'embryologie et de génétique humaines, moins éloignées qu'il n'y paraît du prélèvement et de la greffe.

Elle est l'une des plus petites agences françaises, avec 260 personnes dont seulement sept emplois hors plafond, sur financements propres ou européens. Si le personnel est, pour l'essentiel, concentré au siège, qui se trouve à la Plaine Saint-Denis où l'Etat a rassemblé plusieurs agences sanitaires, quatre-vingts personnes sont réparties sur le territoire national afin d'intervenir dans la régulation du prélèvement d'organes et l'appui à la greffe auprès des équipes hospitalières. Enfin, si nos effectifs sont constitués pour une large part de personnels médicaux, nous comptons également une équipe de biostatisticiens, d'épidémiologistes, d'assistants de recherche clinique et de techniciens de recherche clinique qui aident l'agence à accomplir sa mission d'évaluation. Notre budget représente 70 millions, dont 45 millions de subventions - un tiers provenant de l'Etat, deux tiers de l'assurance maladie - et 25 millions d'autofinancement pour le registre « France greffe de moelle ». Celui-ci a rejoint l'agence en 2006 ; il met en relation les donneurs et receveurs des cellules souches hématopoïétiques, qu'elles proviennent du sang placentaire ou de la moelle osseuse.

L'agence a pour mission d'accompagner, d'encadrer, d'évaluer et de promouvoir les activités de prélèvement et de greffe d'organes, de tissus et de cellules, ainsi que les activités de procréation, d'embryologie et de génétique humaines.

Accompagner, cela signifie tenir la liste d'attente des greffes. De fait, l'inscription au registre est obligatoire pour le prélèvement et la transplantation, la mise en relation étant assurée par un système informatisé - la logique est la même pour le registre « France greffe de moelle ». Nous apportons également une aide aux professionnels, notamment lorsqu'ils rencontrent des difficultés financières ou de tarification avec la tarification à l'activité (T2A). L'agence réunit d'ailleurs régulièrement des groupes de travail rassemblant plus de mille experts pour améliorer les pratiques.

Une deuxième mission est d'encadrer, via l'élaboration avec les professionnels, les instances de l'agence puis les tutelles, de recommandations et de règles de bonnes pratiques - seules les secondes, qui font l'objet d'un arrêté du ministre, sont contraignantes - en collaboration avec l'Afssaps pour les tissus et cellules et, également, avec la Haute Autorité de santé, la HAS. Encadrer, c'est participer aux décisions d'autorisations sanitaires délivrées par les agences régionales de santé (ARS). De fait, nous sommes consultés sur les autorisations des équipes de greffe, de PMA - procréation médicale assistée - et des centres DPI - diagnostic préimplantatoire. Depuis 2004, ce système d'autorisations à titre collectif est complété par des agréments individuels pour les praticiens dans les domaines de la PMA et du DPI que nous avons la charge de délivrer - la procédure administrative semble donc un peu lourde.

Autre mission : évaluer les activités dont nous avons la charge. Chacune des équipes est tenue de nous transmettre ses résultats que notre département statistique, composé de vingt-cinq personnes, analyse au regard d'une moyenne attendue calculée selon les contraintes propres à l'équipe. Si elle n'est pas atteinte, nous contactons l'équipe afin de chercher à comprendre pourquoi et y remédier. Si les difficultés persistent, nous nous rapprochons des autorités sanitaires pour envisager d'éventuelles mesures coercitives, voire un retrait de l'autorisation.

Enfin, nous devons aussi promouvoir le don d'organes, de tissus et de cellules, ainsi que le don de gamètes. Nous consacrons 7 millions par an à la promotion. Lors de la campagne de juin dernier, le slogan était « Pour sauver des vies, il faut l'avoir dit ». Cette année, nous mettrons l'accent sur le don de moelle osseuse pour inciter à l'inscription sur le registre. Nous avons également beaucoup investi dans internet via la création de sites pédagogiques et promotionnels.

Alain Milon, rapporteur . - Comment sont tenus les fichiers des greffes ? Quelles améliorations apporter ? Est-il envisageable d'aller vers des fichiers européens, voire mondiaux ? Ensuite, quel est l'intérêt quantitatif des dons croisés ? Le principe de l'anonymat du don doit-il toujours primer sur l'accès aux origines ? Enfin, n'y a-t-il pas d'autres moyens plus simples, telle l'inscription sur la carte Vitale, pour connaître les volontés des personnes sur le don ?

Emmanuelle Prada-Bordenave . - L'inscription sur la liste nationale d'attente des greffes relève d'une décision strictement médicale dans laquelle n'intervient pas l'agence de la biomédecine. Les fiches des receveurs, qui comprennent entre sept cents et mille indications biologiques, sont centralisées sur la base Cristal. Les fiches des donneurs, qu'il s'agisse de donneurs vivants ou post mortem, comportent, elles, sept cents indications biologiques. La base Cristal croise ensuite les fiches des donneurs et des receveurs. Au terme d'un grand débat sur l'attribution des organes en 1995, ont été retenus pour critères le degré d'urgence, la difficulté d'accès à la greffe en raison, notamment, de l'appartenance à un groupe sanguin extrêmement rare, tel le groupe B, et, enfin, les enfants - à morphologie égale, un enfant sera toujours prioritaire. Quant au registre « France greffe de moelle » pour les cellules, il recense tous les receveurs et, surtout, les donneurs et les greffons de sang placentaire.

Les listes sont-elles interconnectées ? Il existe des systèmes européens, mais ceux ci sont limités aux greffes d'organes pour lesquelles on ne trouve pas forcément de receveur. C'est le cas de la greffe cardiaque pédiatrique - la cage thoracique d'un enfant est réduite. Si un coeur est disponible en France à la suite d'un accident, qui est toujours un drame, nous nous connectons avec la Suisse pour chercher un receveur. Le délai maximal entre le moment où l'artère est coupée, puis branchée étant de quatre heures, c'est une contrainte dont nous devons tenir compte. Il existe également un système frontalier avec la Suisse pour les greffes de foie et un autre entre le Sud de la France et l'Espagne. La directive sur les dons d'organes, adoptée en juin dernier, encourage ce type de dispositifs. L'attribution des organes répond à un impératif d'équité - donner à ceux qui en ont le plus besoin - mais également d'efficacité - il ne faut pas perdre un organe, un bien rare et précieux. Eurotransplant, qui associe les pays rhénans - Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Allemagne - jusqu'à l'Autriche, la Croatie et la Slovénie, enregistre un taux d'allocation européenne, c'est-à-dire hors du pays du donneur, de 20 %.

Concernant les dons croisés, nous avons fait des simulations à partir du nombre de donneurs familiaux qui se présentent spontanément mais ne sont pas compatibles. Entre cinquante et cent donneurs sont écartés chaque année, que nous pourrions récupérer.

L'anonymat est un principe fondateur, sauf pour les donneurs vivants apparentés. Cela dit, il a toujours été atténué par l'établissement français des greffes puis par l'agence : si tel est le souhait des familles, les équipes hospitalières de prélèvement peuvent transmettre des informations sur les personnes greffées et leur situation. Cela aide certaines personnes à surmonter le deuil, après un drame aussi difficile que la perte d'un enfant. A l'inverse, d'autres familles ne le souhaitent pas et il faut être très attentif à leur position. Pour les dons de cellules et de moelle osseuse où l'interconnexion est mondiale, la pratique est la même : on connaît l'origine du don, parfois le sexe du donneur. Un de mes amis sait ainsi que sa fille a été soignée grâce à un donneur canadien. De nombreux pays n'appliquent pas la règle de l'anonymat ou la lèvent ensuite partiellement. On y assiste parfois à des scènes télévisées de rencontres entre la famille du petit donneur et les enfants sauvés grâce au don des organes. Ces scènes choquent les Français ; elles leur paraissent insupportables, les tests que nous avons effectués le montrent.

Sylvie Desmarescaux . - L'anonymat étant levé dans certains pays, un receveur de pays tiers, sachant que le don provient de France, ne va-t-il pas chercher à connaître l'identité du donneur ?

Emmanuelle Prada-Bordenave . - C'est une difficulté : lorsque certains receveurs allemands ou américains insistent pour savoir, nous leur répondons que la loi française l'interdit. Chacun doit respecter les lois de l'autre. Les civilisations, les cultures sont différentes, c'est là l'une des difficultés de la bioéthique. Quant aux Cecos - les centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme -, le professeur Georges David, qui les a créés, n'avait pas pensé à la question de l'accès aux origines : pour lui, ces centres permettaient seulement à un couple d'en aider un autre. Puis la pratique s'est alignée sur celles des dons d'organes et de cellules sans que l'on introduise cette espèce d'humanité qui prévaut pour l'information sur la provenance des greffons. En fait, la situation varie selon les équipes : certaines sont très strictes, d'autres plus ouvertes.

Guy Fischer . - En matière de don, où se situe la France au sein de l'Union européenne ? Ensuite, pour lancer le débat, que pensez-vous du projet de loi de bioéthique tel qu'il ressort des travaux de l'Assemblée nationale ? Pensez-vous qu'il faille en rester au statu quo ou aller plus loin dans les domaines de la recherche sur l'embryon, la levée partielle de l'anonymat du don qui a été finalement refusée à l'Assemblée nationale, l'élargissement de l'accès à la PMA et l'épineuse question de la gestation pour autrui ?

Isabelle Debré . - Comment évoluent les dons ? Quels sont les freins au don ? Il semblerait qu'il existe des obstacles religieux pour les yeux... Quels sont les organes dont on a le plus besoin aujourd'hui ? Enfin, n'existe-t-il pas un moyen simple de faire savoir la volonté de la personne de donner ses organes ? Je pense à cette affaire très médiatisée à Lyon : le père d'un jeune homme majeur décédé dans le métro a décidé de donner les organes de son fils sans consulter la mère alors que le jeune homme n'avait pas laissé de consigne écrite. Pourquoi ne pas préférer une inscription sur la carte Vitale, la carte de groupe sanguin ou même encore le port d'une médaille ou d'une marque sur le corps ?

Marie-Thérèse Hermange . - Pour une même pathologie, quels sont les délais d'attente pour une greffe de moelle osseuse par rapport à une greffe de sang de cordon ? Quand la France atteindra-t-elle un banking de 50 000 cellules souches de sang placentaire ?

Concernant le don, quelles sont les modalités d'appariement des couples reproducteurs et receveurs dans le cadre d'une IAD - insémination artificielle avec don de sperme ? Quels critères utilisent les Cecos et avec quels résultats ? Tout cela paraît bien occulte...

Sylvie Desmarescaux . - Vendredi dernier, j'ai participé à une manifestation en faveur du don d'organes dans mon département durant laquelle ont été remises des cartes de donneurs après que des papiers ont été signés. Une intention de don d'organes signalée oralement suffit-elle ou faut-il une trace écrite ? La situation est floue pour les Français, moi comprise...

Jean-Louis Lorrain . - Depuis peu, je représente le Sénat à l'agence de la biomédecine. Que pensez-vous du projet de loi relatif à la bioéthique qui arrive en discussion au Sénat ? Certains craignent que l'agence, en raison de son importance grandissante, ne confisque le débat sur les questions bioéthiques. Est-ce votre avis ? Comment percevez-vous votre indépendance ?

Raymonde Le Texier . - Quels sont les critères qui président à l'attribution des agréments individuels et des autorisations sanitaires pour les équipes ? La fiche du donneur d'organe comprend sept cents indications biologiques ; les délais étant très courts entre le prélèvement et la transplantation, comment respectez-vous cette obligation ? Enfin, quelle réflexion mène l'agence sur l'anonymat et l'accès aux origines dans les domaines du don de gamètes et sur la gestation pour autrui ?

Ronan Kerdraon . - Merci de cette présentation utile à un béotien comme moi. Pouvez-vous nous en dire plus sur les dons croisés, notamment concernant les greffes de rein ?

Marie-Thérèse Hermange . - Une question supplémentaire : comment améliorer l'accueil des familles des victimes pour faciliter le don cadavérique abordé à l'article 5 ? Tous les établissements pratiquent-ils le prélèvement d'organes sur donneurs décédés ?

Jacky Le Menn . - Le don d'organes est un acte gratuit. Comment l'agence s'assure-t-elle que les organes provenant de pays tiers ne sont pas issus du trafic ?

Emmanuelle Prada-Bordenave . - Abominable technocrate, je n'ai pas à me prononcer sur les choix du législateur ! On a reproché à l'agence d'être un « biopouvoir ». Le pouvoir technocratique n'est effectivement pas un pouvoir démocratique. Je suis conseiller d'Etat, non médecin. En revanche, je sais, par ma culture juridique, que le rôle d'une agence placée sous la tutelle d'un ministère est de mettre en oeuvre vos décisions, si nous le pouvons mieux vaut rester dans l'ordre du possible... Depuis 2004, l'agence réunit un conseil d'orientation, instance de réflexion et d'éthique. Il est constitué d'experts scientifiques et médicaux, de représentants d'associations, de personnalités qualifiées et de membres des corps constitués, dont les parlementaires. Les députés ont prévu de porter le nombre de sénateurs et de députés de deux à six.

Monsieur Fischer, sans être la meilleure, la France est en bon rang en ce qui concerne le don d'organes. Elle est devancée par l'Espagne et le Portugal qui enregistrent trente donneurs pour un million d'habitants, contre vingt-quatre environ en France. Grâce au plan ambitieux intitulé « les Quinze-Vingt » - consistant à passer de quinze à vingt donneurs par million d'habitants - suivi du plan Greffe qui a obligé tous les établissements de santé, jusqu'aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), à participer à l'effort de dons d'organes et de cornées, notre pays a atteint de bons résultats. Le désengagement des établissements de santé, depuis trois ou quatre ans, posant difficulté, la ministre de la santé nous a demandé de réfléchir au lancement d'un nouveau plan ; nous lui remettrons les éléments fin mars. L'Allemagne et la Grande-Bretagne ont un système qui rend obligatoires l'inscription sur un registre et la détention d'une carte de donneur pour permettre les prélèvements d'organes ; or, ils ont des résultats moins satisfaisants que les nôtres : entre treize et quinze donneurs pour un million d'habitants. L'organisation, mondiale de la santé (OMS) recommande d'ailleurs l'adoption du système français. Il est, de loin, le plus simple : tout Français est présumé donneur après sa mort. Mais tout est fonction des cultures...

En revanche, on peut, en France, s'opposer au prélèvement : le refus du don d'organes ou du don de certains organes, de même que le refus de l'autopsie médicale, est un acte positif consigné dans un registre qui comporte plus de 70 000 noms, ce qui semble peu. Peut-être cela s'explique-t-il par une superstition bien française qui consiste à croire qu'envisager sa mort, c'est la précipiter. Ce registre est systématiquement consulté avant tout prélèvement. Peu de personnes y ont accès, dont je ne fais pas partie ; il est confidentiel. Les coordinations hospitalières, lorsqu'elles sont bien formées, demandent aux proches si la personne a manifesté de son vivant une opposition au don d'organes. Dans la pratique, les équipes sont confrontées au fait que, dans nos civilisations, le corps du défunt appartient à la famille qui le met en terre. Jamais une équipe n'ira contre la volonté des familles, y compris dans les pays où existe un registre des donneurs. Il n'est pas concevable de rendre les proches fous de douleur pour prélever deux reins, il y va de l'humanité. Nous devons porter ce système français que l'OMS recommande. Nos campagnes d'information sont mémorisées à plus de 95 %, ainsi que le montrent les tests qui les suivent. Dans le cas du jeune Lyonnais dont parlait Mme Debré, le père a dit avoir accepté de donner les organes de son fils parce que ce dernier s'était exprimé en ce sens de son vivant. Juridiquement, il s'agissait de s'assurer que son fils ne s'était pas opposé au don.

Isabelle Debré . - Tout Français est donc présumé donneur, sauf opposition expresse. Or, ce n'est pas ainsi que les Français comprennent le message que véhiculent vos campagnes. Ils ont l'impression qu'il faut consentement pour qu'il y ait don.

Emmanuelle Prada-Bordenave . - Avec la campagne de l'an dernier « Pour ou contre, dites-le à vos proches. », nous avons voulu passer un cran supérieur, dire qu'il est bien de donner.

Isabelle Debré . - Soit, mais il faudrait plutôt expliquer que le don est automatique, sauf opposition manifeste !

Emmanuelle Prada-Bordenave . - Ce serait un peu rude...

La France connaît une pénurie d'organes sauf pour les cornées : 13 000 à 14 000 personnes sont en attente, 4 500 personnes ont été greffées l'an dernier.

Concernant la greffe de moelle osseuse, pourriez-vous préciser, madame Hermange, votre question ?

Marie-Thérèse Hermange . - Nous savons que la compatibilité du typage HLA - human leucocyte antigen - est plus facile avec une greffe issue de sang placentaire qu'avec une greffe de moelle osseuse. Pour une même pathologie, quels sont les délais d'attente pour une greffe de sang placentaire et une greffe de moelle osseuse ? L'agence a-t-elle établi cette comparaison ?

Emmanuelle Prada-Bordenave . - La notion de délais d'attente ne me semble pas appropriée. Lorsque l'onco-hématologue a épuisé les solutions chimiques, il envisage la greffe et cherche d'abord dans les fichiers un donneur dit « sur pied », c'est-à-dire un donneur vivant, sauf cas particuliers. Or, en France, nous sommes très exigeants sur le matching ; nous exigeons une compatibilité 10/10 pour les caractéristiques de l'immunité. Le clinicien va tenter de trouver un donneur identique sur les quatorze millions de donneurs inscrits dans les fichiers mondiaux.

Marie-Thérèse Hermange . - Je connais un receveur qui attend depuis dix-huit mois !

Emmanuelle Prada-Bordenave . - Non, on n'attend pas autant s'il y a urgence. En l'espèce, le praticien estimait sans doute que la greffe pouvait attendre, dans le cas d'une bêta-thalassémie ou d'une drépanocytose ; mais parfois il suffit de deux mois pour être greffé. La France est le premier pays d'Europe en nombre de greffes de sang placentaire : la disponibilité du greffon est plus immédiate, on n'a pas à convoquer un donneur et l'on gagne environ un mois. Mais les résultats sont moins bons - c'est inévitable puisque ce type de greffe se pratique par défaut. La quantité cellulaire est moins importante. Un prélèvement sur un jeune de vingt ans fournit plus de cellules qu'un cordon ; et si l'on prend deux cordons, ils ne seront pas identiquement matchés, il faudra gérer trois identités biologiques. C'est une difficulté de la greffe de sang de cordon.

Je ne sais quand le seuil de 50 000 unités consignées sera atteint, mais nous en sommes à 12 000 et nous atteindrons en 2013 un niveau de 25 000 ou 30 000, comme prévu dans le plan cancer qui a mobilisé 34 millions d'euros.

Les agréments individuels ou d'équipes sont délivrés selon des critères objectifs - diplômes, titres, expérience - définis par décret. La génétique étant une science récente, on s'adresse aussi aux services dans lesquels l'intéressé à travaillé pour s'assurer qu'il a pratiqué telle médecine, par exemple, en cytologie génétique à Necker...

Nous ne parlons pas de « couples reproducteurs » mais d'appariement donneur-receveur. Les Cecos sont une association, fondée en 1974. A l'époque, l'Académie des sciences morales et politiques y était défavorable et ils se sont créés hors des hôpitaux, où ils ont été intégrés dans les années quatre-vingt-dix. Ils respectent une charte et des règles que je vous communiquerai. Ils s'efforcent de trouver le donneur le plus proche, dans sa morphologie, du père. En Grande-Bretagne, on a vu des situations catastrophiques faute de rigueur et de sécurité des procédures : un couple noir avec un bébé blanc, par exemple, rencontre bien des difficultés car la société réagit de façon violente.

Depuis la loi de 2004, l'agence de la biomédecine doit inclure dans son rapport annuel un point sur le trafic d'organes. Le Conseil de l'Europe le demande aussi à ses membres. Car le trafic est à nos portes, en Europe. Notre pays n'a pas de problème car nos compatriotes ont confiance dans leur système de santé et ils savent qu'acheter un organe à l'étranger est un mauvais calcul. Songez que 20 % des enfants bulgares ayant recouru à une greffe au Pakistan se sont retrouvé porteurs du Sida.

Nous conduisons des enquêtes - anonymes jusqu'à présent mais l'Assemblée nationale a introduit des modifications - dans les centres de dialyse et les centres de greffe. Il apparaît que tout au plus une trentaine de personnes ont rencontré des problèmes ; ce sont généralement des primo-immigrants, repartis dans leur pays d'origine, Chine, Egypte, où la famille les convainc de se faire greffer sur place sans devoir attendre... Ainsi une patiente chinoise ayant préféré recevoir chez elle une greffe de rein a-t-elle développé un cancer de la vessie six mois après, lié au greffon. Chez nous, un dépistage des cancers est bien sûr effectué au moment du prélèvement. Les Français aisés mais aussi les plus modestes et les étrangers qui vivent en France depuis suffisamment longtemps, tous savent qu'ils n'ont aucun intérêt à se rendre à l'étranger.

La loi est stricte. Si des assouplissements sont apportés en matière de don du vivant, il faudra les entourer de mesures robustes - car sous couvert de don par un proche, on peut se livrer à un trafic : rien de plus facile que de faire incruster de fausses photos dans Copains d'avant... Je reçois un courrier volumineux d'étrangers prêts à offrir un rein en France...

Raymonde Le Texier . - Puisqu'à présent tout le monde est donneur sauf ceux qui ont exprimé leur refus, vous devriez disposer d'un plus grand nombre d'organes. Je ne comprends pas la faiblesse du ratio que vous avez indiqué.

Emmanuelle Prada-Bordenave . - Le prélèvement de cornée, qui peut se pratiquer à la morgue jusqu'à trois jours après le décès, est une exception. En général, les autres organes subissent lors du décès des dommages irréversibles et ne peuvent donc être greffés. Il y a donc des contraintes très particulières pour qu'on puisse envisager le prélèvement d'organes. En fait, le prélèvement après la mort a progressivement été réservé aux décès occasionnés par la destruction du cerveau constatée à l'hôpital, lorsque la personne est en service de réanimation, car alors, des outils irriguent le corps en permanence. On compte environ quatre mille à cinq mille morts encéphaliques dans des hôpitaux dotés de réanimations performantes ou de Samu susceptible d'emmener en urgence le donneur dans un service compétent. On procède finalement à environ mille cinq cents prélèvements, ce qui est un pourcentage finalement assez élevé, les autres étant écartés en raison d'une opposition de l'intéressé ou de son entourage.

On peut encore améliorer la situation et nous voulons prélever plus dans les hôpitaux, donc mieux recenser, en déployant des logiciels et en formant partout au prélèvement. Nous ne sommes plus au temps des pionniers où les équipes spécialisées se jetaient dans un avion à trois heures du matin pour aller chercher un organe à l'autre bout de la France. Aujourd'hui, il faut que les chirurgiens soient plus nombreux formés au prélèvement. S'il est mal fait, l'organe ne pourra être utilisé.

Statistiquement, les décès par arrêt cardiaque sont beaucoup plus nombreux que ceux qui surviennent en service de réanimation. On commence à pratiquer le prélèvement sur les personnes mortes ailleurs qu'à l'hôpital, mais lorsque le coeur s'arrête de battre, il faut agir vite pour que les organes ne soient pas endommagés. Dans certains pays, on pratique le prélèvement après arrêt des soins sur un patient. On commence à l'envisager en France : mais attention à ne pas laisser penser que l'on cesse de soigner un peu plus tôt, pour prélever un peu plus vite !

Alain Milon, rapporteur . - Nous auditionnerons un étudiant qui a consacré une thèse à ce sujet.

Isabelle Debré . - Pour la cornée, la famille doit-elle être informée ou doit elle donner une autorisation ?

Emmanuelle Prada-Bordenave . - La famille est bien sûr informée, comme pour les autres organes. On se souvient de la terrible affaire d'Amiens, où les parents d'un jeune décédé sur le périphérique avaient accepté le prélèvement d'organes : on avait également prélevé ses cornées, mais sans leur en parler. Ils l'ont découvert après coup et ont eu le sentiment que l'on avait volé les yeux de leur fils, qu'on l'avait mutilé sans rien leur dire. Ils ne s'en sont jamais remis.

Jacky Le Menn . - L'information est effectivement obligatoire.

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