EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er - Définition du livre numérique et périmètre d'application de la loi
L'article 1 er de la présente proposition de loi définit le livre numérique dont le prix de vente sera régi par ses dispositions.
Son premier alinéa prévoit que le texte s'appliquera non pas à l'ensemble des livres publiés sous format numérique mais uniquement à ceux qui présentent un contenu intellectuel - une « oeuvre de l'esprit » - et répondent au principe de réversibilité , c'est-à-dire qui sont soit déjà imprimés soit imprimables sans perte significative d'information. C'est ce que l'on appelle le « livre homothétique », évoqué par le rapport « Création et Internet » de MM. Zelnik, Cerutti et Toubon.
Rappelons que ce principe de réversibilité est apparu préférable à la notion de « livre numérisé » proposée par l'Autorité de la concurrence, dans son avis 09-A-56 du 18 décembre 2009 portant sur le livre numérique. En effet, des livres initialement publiés sous forme numérique mais pouvant être imprimés sont d'une nature identique à ceux initialement publiés sous forme imprimée et numérisés ultérieurement, et il importe donc de les viser également.
Les évolutions technologiques étant de plus en plus rapides, le second alinéa de l'article renvoie à un décret le soin de préciser les caractéristiques des livres numériques. Sont notamment concernés les « éléments accessoires propres à l'édition numérique » pouvant entrer dans le champ d'application du texte en application du premier alinéa.
L'Assemblée nationale n'ayant apporté qu'une modification rédactionnelle à cet article, votre commission l'a adopté sans modification.
Article 2 - Fixation du prix de vente au public par l'éditeur
L'article 2 de la proposition de loi pose le principe de la fixation par l'éditeur du prix de vente au détail des livres numériques, ce prix pouvant cependant varier en fonction du contenu de l'offre commerciale, de ses modalités d'accès ou d'usage.
La question du champ d'application de cet article se pose à un double titre :
- celui de l'adoption ou non d'une clause d'extraterritorialité concernant les éditeurs de livres numériques ;
- et celui des règles applicables aux offres groupées de tels livres.
• S'agissant d'une éventuelle clause
d'extraterritorialité relative aux éditeurs
Une telle clause ne figurait pas dans la proposition de loi initiale , qui prévoyait que seuls les éditeurs établis 2 ( * ) en France seraient assujettis à l'obligation de fixer le prix de vente des livres numériques qu'ils éditent.
En première lecture, le Sénat a adopté un amendement de notre collègue Jean-Pierre Leleux tendant à viser l'ensemble des personnes éditant un livre numérique en vue de le diffuser en France.
Ainsi, tout éditeur, même non établi en France, serait soumis à l'obligation de fixer un prix de vente au public. Toutefois, seuls les livres numériques diffusés en France seraient assujettis à l'obligation, l'éditeur restant libre de fixer son prix de vente à l'étranger, notamment dans le cadre du contrat de mandat 3 ( * ) .
Il s'agissait ainsi d'approfondir le débat sur la portée des clauses de diversité culturelle figurant à la fois dans des directives européennes et dans la convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, et d'interroger l'Union européenne sur ce point.
Le texte adopté par le Sénat a donc été notifié à la Commission européenne le 7 novembre 2010. Cette dernière a rendu un avis circonstancié assorti d'observations le 31 janvier 2011 4 ( * ) , suivant son premier avis circonstancié sur la proposition de loi initiale, du 13 décembre 2010 5 ( * ) .
Dans cet avis, la Commission européenne conclut de ses analyses que « la proposition de loi notifiée pourrait restreindre la liberté d'établissement (article 49 du TFUE) et la libre prestation de services (article 56 du TFUE). L'article 3 de la proposition de loi notifiée pourrait également être incompatible avec l'article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31/CE. De même, l'article 3, paragraphe 4, de la directive e-commerce indique que des objectifs de diversité culturelle ne peuvent justifier des restrictions de la prestation de services de la société de l'information.
Dans la mesure où un objectif de diversité culturelle pourrait justifier l'une des restrictions de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services potentiellement imposées par la proposition de loi, la Commission considère que ces restrictions ne semblent pas appropriées pour atteindre des objectifs de diversité culturelle et ne sont pas proportionnelles à ces objectifs.
Pour ces raisons, la Commission émet l'avis circonstancié prévu à l'article 9, paragraphe 2, de la directive 98/34/CE au motif que le projet notifié serait contraire aux articles 49 et 56 du TFUE, ainsi qu'à l'article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/31/CE, si ce dernier devait être adopté sans prendre en considération les remarques qui précèdent. »
Faisant preuve de prudence, l'Assemblée nationale a préféré revenir au texte de la proposition de loi initiale pour ce premier alinéa de l'article 2, de même que pour l'article 3 d'ailleurs.
Votre rapporteur relève cependant que la Commission européenne n'a pas « fermé la porte ». Elle a émis des réserves, certes fortes, - d'ailleurs, elle n'a curieusement visé que l'article 3 et pas l'article 2 - mais a aussi posé au Gouvernement français une série de questions - certaines d'ordre général, d'autres relatives au droit de la concurrence - qui devraient permettre de les lever. Ceci suppose :
- un volontarisme politique fort du Gouvernement, complémentaire de celui de notre Haute assemblée ;
- une présentation complète et claire des objectifs du texte ainsi que l'apport des preuves et « éclaircissements » attendus par la Commission sur les différents point relevés, en particulier pour justifier le respect des principes de l'adéquation (c'est-à-dire de la nécessité) et de la proportionnalité entre les objectifs de la proposition de loi et les moyens choisis pour les atteindre.
Rappelons que ces objectifs concernent en particulier :
- la promotion de la diversité culturelle et linguistique, notamment défendue par la convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles d'octobre 2005, mais aussi par certains textes européens. Ceci suppose le maintien de la richesse de l'offre éditoriale et de sa mise en valeur à l'égard des lecteurs ;
- le respect d'une concurrence loyale non susceptible de conduire à une concentration excessive du marché de la librairie numérique ; à cette fin, les libraires physiques - qui contribuent au maillage culturel de notre territoire - doivent pouvoir aussi exister dans des conditions viables sur ce nouveau marché ;
- et, bien entendu, le respect du droit d'auteur.
La propriété intellectuelle devant demeurer la clé de voûte de l'édition, les éditeurs doivent conserver un rôle central dans la détermination des prix, comme le prévoit la proposition de loi C'est pourquoi, votre commission a décidé - à l'unanimité - de rétablir le texte adopté par le Sénat en première lecture sur ce point, en rendant la proposition de loi applicable à tout éditeur souhaitant la diffusion commerciale d'un livre numérique sur le territoire national .
• Le cas spécifique de certains types
d'offres à usage collectif, dans un but professionnel, de recherche ou
d'enseignement supérieur
.
L'Assemblée nationale a adopté une seconde modification à l'article 2 de la proposition de loi.
Rappelons que dans sa rédaction initiale, la proposition de loi prévoyait que les dispositions du premier alinéa de l'article 2 - c'est-à-dire le fait que l'éditeur fixe le prix public du livre - visait à exclure de ce dispositif certains types d'offres proposées par des éditeurs scientifiques et techniques « hybrides » - livres numériques mais aussi bases de données - très spécifiques, destinés à un public professionnel, notamment à des bibliothèques universitaires ou à des organismes de recherche. En effet, leur modèle économique est particulier puisqu'ils sont à la fois éditeurs et détaillants. En outre, sur ce segment mature du marché, les prix fixés ont toujours fait l'objet de larges négociations commerciales.
Mais le court temps imparti au Sénat pour l'examen du texte en première lecture n'avait pas permis d'aboutir à un consensus de nature à atteindre à la fois l'objectif précité et celui consistant à ménager une place aux libraires comme intermédiaires pour d'autres offres de livres. C'est pourquoi le Sénat avait renvoyé à un décret les conditions et modalités d'application de l'article 2, tout en formant le voeu que la « navette législative » donne à l'ensemble des acteurs concernés le temps de cette nécessaire concertation.
Comme le ministre l'avait indiqué, on pouvait aussi penser que la combinaison des articles 1 er et 2 permettait de préserver les spécificités de ce modèle. Par ailleurs, la régulation ne portant que sur les offres de livres dits « homothétiques », la très grande majorité des produits complexes concernés en était de fait exclue.
Cependant, la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale a adopté deux amendements identiques de son rapporteur, M. Hervé Gaymard, et de M. Lionel Tardy afin d'instituer une exception au principe de la fixation du prix de vente par l'éditeur, applicable aux seuls livres numériques intégrés dans des offres comprenant des contenus d'une autre nature et des fonctionnalités . Ces offres devraient être proposées sous la forme de licences d'utilisation destinées à un usage collectif et dans un but de recherche ou d'enseignement supérieur , qu'il s'agit ainsi de favoriser.
Votre commission a adopté cette disposition ; la précision ainsi apportée est claire et de nature à rassurer à la fois les éditeurs concernés et leurs clients, à savoir notamment les bibliothèques universitaires.
Votre commission a adopté cet article ainsi modifié .
* 2 Rappelons qu'est considérée comme établie en France, une entreprise disposant d'une infrastructure pour exercer cette activité sur le territoire national et dont la participation à la vie économique de la France a un caractère stable et continu.
* 3 Voir les développements sur ce point dans le rapport du Sénat en première lecture (Rapport n° 50 (2010-2011) présenté par Mme Colette Mélot au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication).
* 4 Voir la présentation et l'analyse de cet avis dans l'exposé général du présent rapport.
* 5 Voir les deux avis circonstanciés de la commission européenne en annexe au présent rapport.