D. UNE CLARIFICATION ATTENDUE DES PROCÉDURES D'ÉLOIGNEMENT ET UNE MISE EN CONFORMITÉ AVEC LE DROIT COMMUNAUTAIRE

1. La transposition de la directive « retour »

La directive retour oblige la France à modifier encore une fois les dispositions relatives aux mesures d'éloignement du CESEDA.

La loi du 24 juillet 2006 avait simplifié les procédures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière pour tenir compte de l'accroissement considérable du contentieux administratif en matière de droit des étrangers. A cette époque en effet, le contentieux des étrangers dans son ensemble (recours contre les APRF, les refus de séjour, les mesures d'expulsion, référé) représentait plus du quart des affaires enregistrées chaque année dans les tribunaux administratifs.

La loi du 24 juillet 2006 avait ainsi couplé les décisions concernant le refus d'un titre de séjour avec une obligation de quitter le territoire français (OQTF), alors qu'il existait auparavant deux décisions distinctes : la première concernant le refus de titre qui est assortie d'une simple invitation à quitter le territoire français sans valeur contraignante (IQTF), la deuxième imposant la reconduite à la frontière. Elle avait également supprimé la possibilité de prendre des APRF notifiés par voie postale, afin de ne faire subsister que les APRF notifiés par voie administrative, c'est-à-dire à la suite d'une interpellation . Elle avait enfin créé la possibilité de désigner des magistrats administratifs honoraires pour statuer sur les litiges relatifs aux arrêtés de reconduite à la frontière.

En septembre 2005, la Commission européenne a présenté un projet de directive pour harmoniser les règles juridiques des conditions d'éloignement des étrangers en situation irrégulière dans l'Union européenne. La directive relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier a été adoptée par le Parlement européen le 18 juin 2008 et par le Conseil le 16 décembre 2008. La date limite de transposition a été fixée au 24 décembre 2010 au plus tard.

Cette directive implique une réforme importante des dispositions relatives aux étrangers en situation irrégulière du CESEDA.

a) La fusion de l'obligation de quitter le territoire français et de l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière.

Quatre ans après la loi de 2006, le projet de loi introduit une nouvelle réforme des mesures d'éloignement. En effet, la directive pose le principe d'une mesure d'éloignement des étrangers en situation irrégulière qui ouvre un délai de départ volontaire d'une durée allant de 7 à 30 jours. Or, si l'obligation de quitter le territoire français telle qu'elle résulte de la loi de 2006 est tout-à-fait compatible avec cet aspect de la directive puisqu'elle est assortie d'un délai de départ volontaire de 30 jours, elle n'est cependant prononcée, dans le droit en vigueur, qu'en cas de décision négative relative à un titre de séjour. Dans les autres cas de situation irrégulière de l'étranger, l'article L 511-1 du CESEDA prévoit que l'étranger fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière d'exécution immédiate .

Il convenait donc de généraliser la mesure d'obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire, ce qu'effectue l'article 23 du projet de loi.

Toutefois, la directive permet aux Etats membres de ne pas accorder de délai de départ volontaire s'il existe un risque de fuite ou si la personne constitue un danger pour la sécurité publique, l'ordre public ou la sécurité nationale. L'article 23 décline donc dans un second temps une série de cas dans lesquels le préfet ne sera pas tenu d'accorder un délai de départ volontaire à l'étranger. Tels que prévus par le projet de loi, ces cas recoupent en réalité pour l'essentiel ceux qui permettent, dans le droit en vigueur, de prononcer un arrêté de reconduite à la frontière (donc un éloignement immédiatement exécutoire). Il est donc permis de penser qu'un délai de départ volontaire ne sera pas accordé à l'étranger faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire dans un nombre de cas sensiblement plus élevé qu'actuellement.

b) La création d'une interdiction de retour

L'article 11 de la directive « retour » permet de prononcer une interdiction de retour sur le territoire de l'Etat qui décide de la mesure d'éloignement et oblige un autre Etat membre qui souhaiterait accueillir sur son territoire une personne faisant l'objet d'une telle mesure à consulter le premier et à prendre en compte ses intérêts. Cette interdiction de retour sur le territoire (IRT) peut être prononcée à l'encontre d'un étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai de départ volontaire (c'est-à-dire l'étranger pour lequel il existait un risque de fuite, l'étranger qui constituait une menace pour l'ordre public ou dont la demande de séjour était manifestement frauduleuse).

Le Gouvernement a choisi de transposer cette nouvelle mesure, qui ne recouvre pas les hypothèses actuelles de l'expulsion pour cause de menace grave contre l'ordre public (articles L. 521-1 et suivants du CESEDA). En revanche, votre rapporteur constate que la peine d'interdiction du territoire français peut déjà être prononcée à l'encontre des étrangers en séjour irrégulier (article L. 621-1), des étrangers condamnés pour aide à l'entrée et au séjour irrégulier d'un autre étranger ainsi que pour les mariages blancs (article L. 622-3). Elle est alors d'une durée maximale de trois ans. Ainsi, la transposition de la directive sur ce point ne semblait pas strictement indispensable, dans la mesure où elle n'impose pas aux Etats membres de prévoir que ce soit l'administration, et non le juge, qui puisse prononcer une interdiction de territoire.

Concrètement cependant, alors que l'expulsion et l'interdiction du territoire sont essentiellement prononcées à l'encontre d'étrangers en situation régulière en France mais coupables de crimes ou de délits ou considérés comme représentant un menace pour l'ordre public, la nouvelle interdiction de retour sur le territoire sera uniquement prononcée dans des cas où l'étranger se trouve en séjour irrégulier et où il fait en général l'objet, dans le droit en vigueur, d'une simple mesure d'éloignement assortie ou non d'un délai de départ volontaire . Il semble donc logique que cette interdiction de retour soit prononcée par l'administration, qui décide déjà de la mesure d'éloignement pour séjour irrégulier.

Ainsi, le projet de loi prévoit qu'une interdiction de retour peut être prononcée à l'encontre d'un étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire, que le préfet lui ait ou non accordé un délai de départ volontaire. Toutefois, les modalités de l'interdiction de retour diffèrent selon que ce délai a été ou non accordé : dans le premier cas, l'interdiction est d'une durée maximale de deux ans et elle est abrogée à la demande de l'étranger qui a dûment quitté le territoire (sauf exception) ; dans le second cas, elle est de trois ans au maximum et reste en vigueur une fois que l'étranger a quitté le territoire. Rappelons que le préfet n'accorde pas de délai de départ volontaire lorsque l'étranger a tenté de se voir accorder un titre de séjour par fraude ou simplement lorsqu'il entre dans l'un des cas considéré comme présumant un « risque de fuite » selon le projet de loi, c'est-à-dire notamment s'il n'a pas demandé le renouvellement de son titre de séjour dans les délais requis.

Le projet de loi prévoit également que l'autorité administrative tient compte, pour prononcer l'IRT et pour en choisir la durée, de la durée de la présence en France de l'étranger, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, du fait qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement, et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français.

L'Assemblée nationale a apporté à ce dispositif des modifications significatives, au motif d'une plus grande fidélité au texte de la directive « retour ». Ainsi, dans l'hypothèse d'une OQTF sans délai de départ volontaire, le préfet serait tenu, sauf pour des « raisons humanitaires », de prononcer l'IRT de trois ans . Dans l'hypothèse où un délai de départ volontaire a été accordé à l'étranger, le préfet pourrait ou non décider une IRT de deux ans. En outre, la situation personnelle de l'étranger, caractérisée par les quatre éléments précités (durée de la présence en France de l'étranger, nature et ancienneté de ses liens avec la France, fait qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement, éventuelle menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français) ne serait appréciée que pour déterminer la durée de l'IRT, et non la décision même de la prononcer.

Ce durcissement du texte initial aboutit à faire de l'interdiction de retour une mesure qui sera prononcée dans un très grand nombre de cas . En effet, elle serait quasi automatique pour les étrangers qui ne bénéficient pas d'un délai de départ volontaire, soit, du fait de la transcription de la notion de « risque de fuite » par le projet de loi, dans tous les cas actuels où une mesure d'arrêté de reconduite à la frontière est prononcée, et même au-delà (puisque le « risque de fuite » est également présumé dans le cas où l'étranger ne dispose pas de garanties de représentation suffisantes, alors que dans le droit en vigueur cette situation ne correspond pas à une hypothèse de prononcé d'un APRF). Or, environ la moitié des mesures d'éloignement actuellement prononcées sont des APRF.

c) Le développement de l'assignation à résidence

L'article 15 de la directive « Retour » prévoit très clairement que le placement en rétention d'un étranger peut intervenir « à moins que d'autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier ». Le droit en vigueur, dans lequel la seule mesure alternative à la rétention est l'assignation à résidence, mais prononcée uniquement par le juge des libertés et de la détention saisi aux fins de prolongation de la rétention (cette possibilité n'était que rarement utilisée), ne semble pas conforme sur ce point à la directive.

C'est pourquoi le projet de loi crée une nouvelle mesure d'assignation à résidence, qui peut être prononcée par le préfet dans les mêmes cas que ceux qui lui permettent de décider le placement en rétention (articles 30 et 33). Il reviendra donc désormais à l'autorité administrative de choisir entre ces deux possibilités de maintenir l'étranger sous son contrôle afin de l'éloigner à bref délai .

L'article 30 du projet de loi, relatif au placement en rétention, précise ainsi que « à moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours ».

2. Les mesures d'éloignement et leur contentieux : la mise en application de certaines recommandations du rapport Mazeaud

Le nombre de mesures d'éloignement exécutées a connu une très forte augmentation à partir de 2004. Il est ainsi passé de 11 000 en 2003 à 17 000 en 2004 puis près de 20 000 en 2005, de 24 000 en 2006 et 2007, pour quasiment atteindre le seuil des 30 000 en 2008 et 2009. Selon le projet annuel de performance annexé à la loi de finances initiale pour 2011, ce nombre sera d'environ 28 000 en 2010. La prévision fixée pour 2011 reste stable avec 28 000 éloignements prévus, la cible retenue pour 2013 étant également de 28 000. Il convient par ailleurs de garder à l'esprit que ces éloignements comportent les retours volontaires, qui en représentent presque 30% en 2009.

Parallèlement, le nombre de mesures d'éloignement prononcées est passé de 56 000 environ à un pic de 112 000 en 2007, pour redescendre à 95 000 en 2009. Le taux d'exécution des mesures d'éloignement n'a ainsi jamais dépassé significativement les 20%.

Les causes de ce déficit d'exécution des mesures d'éloignement sont connues :

- en premier lieu, les refus par le juge de la détention et des libertés de demandes de prolongation de rétention (27,2 % des causes d'échec des éloignements) et les annulations par le juge administratif de mesures ou décisions fixant le pays de renvoi (6,5 % des échecs) sont nombreux ;

- en second lieu, le taux de délivrance des laissez-passer consulaires, indispensables pour une réadmission des intéressés dans leur pays d'origine, est faible (33,8 % des causes d'échec des éloignements en 2009). Ce taux se situait ainsi à seulement 33,2 % au premier semestre 2010.

Par ailleurs, le contentieux des mesures d'éloignement représente une partie non négligeable de l'activité des juridictions administratives. Il représente ainsi 48,9 % des affaires enregistrées devant les cours administratives d'appel, voire plus de 60 % à Paris et Versailles, alors même que la plupart des décisions juridictionnelles relatives au retour ne sont pas exécutées.

Face à cette situation peu satisfaisante, plusieurs dispositions du projet de loi sont susceptibles d'apporter des améliorations . Il s'agit d'abord de la réforme des mesures d'éloignement, déjà évoquée à propos de la transposition de la directive « retour ». En effet, l'unification des mesures d'éloignement permet de remédier à la distinction peu nette entre l'obligation de quitter le territoire et l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, mesures entre lesquelles il était parfois difficile de décider pour l'autorité administrative. Désormais, celle-ci prononcera dans tous les cas une obligation de quitter le territoire et disposera de critères explicites pour choisir ou non d'assortir cette OQTF d'un délai de départ volontaire et d'une interdiction de retour sur le territoire (article 23).

a) L'inversion du contentieux administratif et du contentieux judiciaire en matière de rétention administrative

Ensuite, le projet de loi tend à réformer en partie le contentieux des mesures d'éloignement.

Celui-ci fait intervenir à la fois le juge administratif et le juge judiciaire, malgré des tentatives destinées à confier à l'un ou à l'autre l'ensemble de la matière. Cette difficulté est à l'origine de la création, le 30 janvier 2008, de la commission sur le cadre constitutionnel de l'immigration, présidée par M. Pierre Mazeaud, à la demande de M. Brice Hortefeux, alors ministre de l'immigration.

La commission a toutefois constaté que les règles constitutionnelles ne permettaient pas d'unifier le contentieux de l'éloignement des étrangers. Cependant, elle a souligné que l'enchevêtrement actuel des procédures était à l'origine d'un encombrement de la justice administrative et d'une faible efficacité de la politique d'éloignement, notamment du fait d'un nombre important d'annulations juridictionnelles imputables à la complexité des procédures.

En outre, l'étude d'impact annexée au projet de loi fait état de l'exigence posée par l'article 15 de la directive « retour » d'un « contrôle juridictionnel accéléré de la rétention » et pose le constat de l'absence de celui-ci dans le droit en vigueur . En effet, la mesure de placement en rétention peut bien faire l'objet, dans le droit en vigueur, d'un recours en urgence devant le juge administratif mais ce recours est en réalité assez peu exercé du fait de l'intervention préalable du juge des libertés et de la détention saisi par le préfet pour prolonger la rétention au-delà de 48 heures. Lorsque le juge administratif en vient à se prononcer, il arrive souvent que l'étranger ne soit plus en rétention, soit qu'il ait été libéré à la demande du JLD, soit qu'il ait été reconduit, de sorte que le recours est devenu sans objet. Ainsi, le contrôle préalable du JLD est souvent considéré par l'étranger comme le stade de la procédure où il peut contester la mesure de placement en rétention dont il fait l'objet alors même que cette contestation est en réalité du ressort du juge administratif.

Dès lors, le Gouvernement a choisi une voie consistant, tout en préservant la dualité des juridictions, à décaler dans le temps l'intervention de l'une par rapport à l'autre.

Le projet de loi prévoit ainsi le JLD n'interviendra plus qu'au terme d'un délai de cinq jours pour prolonger la rétention (il aura alors 24 heures pour se prononcer) et crée pour le contrôle juridictionnel de la rétention un recours spécifique en urgence devant le juge administratif, celui-ci devant être saisi en 48h et statuer en 72 heures.

Serait ainsi conjuré le risque que le JLD autorise la prolongation de la rétention alors même que celle-ci, en tant que mesure administrative, sera annulée par le juge administratif. Il convient toutefois de noter que ce cas est relativement peu fréquent et qu'il arrive au contraire souvent que le JLD remette un étranger en liberté du fait d'une irrégularité commise par l'administration (en matière d'interpellation, de garde à vue, de notification de ses droits à l'étranger, etc.) alors même que la mesure de placement en rétention est légale, et que l'éloignement aurait été exécuté si le JDL n'était pas intervenu. Il aurait donc sans doute fallu, pour respecter pleinement la directive, qu'un recours complet, aussi bien sur la légalité de la procédure de placement en rétention que sur la légalité de la mesure de rétention elle-même, pût être exercé en urgence. Ce ne sera pas le cas dans la nouvelle procédure, à moins que le juge administratif, qui statuera désormais le premier, décide de se prononcer désormais également sur l'interpellation, la garde à vue, etc. Dans le cas contraire, un étranger pourra être éloigné alors même que la régularité de la procédure de son placement en rétention n'aura pas pu être tranchée par le JDL.

Or, l'intervention de l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, est ici une nécessité constitutionnelle . Selon le Conseil, cette intervention doit avoir lieu « dans le plus court délai possible ». Si un délai de 48 heures est conforme à la Constitution, un délai de 7 jours est, selon lui, excessif 6 ( * ) .

La réforme aura également des conséquences pratiques importantes, en particulier pour le fonctionnement de la juridiction administrative . En effet, le premier recours étant celui devant le juge administratif et le placement en rétention lui-même étant désormais l'objet du recours, il est probable que les étrangers choisissent bien plus souvent qu'aujourd'hui de saisir le juge administratif à l'occasion de leur placement en rétention.

En outre, le juge administratif aura à connaître en urgence de nombreuses décisions pour un même recours : décision d'éloignement, choix du pays de renvoi, arrêté de rétention, décision de ne pas accorder un délai de départ volontaire, décision d'interdiction de retour.

Enfin, les étrangers seront peut-être amenés à intenter des procédures de référé-liberté s'ils considèrent qu'ils sont injustement détenus, dans la mesure où ils ne pourront être entendus par le juge des libertés et de la détention qu'au terme d'un délai de cinq jours suivant leur placement en rétention.

b) La possibilité d'audiences délocalisées dans le contentieux administratif

Comme c'est déjà le cas pour les audiences de prolongation de la rétention devant le JLD, le texte prévoit que « si une salle d'audience attribuée au ministère de la justice lui permettant de statuer publiquement a été spécialement aménagée à proximité immédiate de ce lieu de rétention ou en son sein, il peut statuer dans cette salle ». Cette possibilité a été ajoutée par la commission des lois de l'Assemblée nationale au motif que, selon son rapporteur, « la mise en oeuvre du projet de loi va en effet avoir pour conséquence de multiplier les recours administratifs de la part d'étrangers en rétention, et donc les escortes en direction des tribunaux administratifs, qui sont en nombre beaucoup moins nombreux que les TGI ».

Pourront ainsi être utilisées les salles aménagées à proximité immédiate des centres de rétention pour la tenue des audiences de prolongation de la rétention devant le JLD. Il convient de noter que certains représentants des magistrats administratifs ont fait part à cet égard de leurs inquiétudes auprès de votre rapporteur : outre le fait que ces audiences ainsi délocalisées seront dépourvues d'une partie de la solennité qui s'attache à l'exercice de la justice, il n'est pas évident que les contraintes matérielles de l'organisation d'une telle audience soient moins coûteuses que les escortes policières qu'elles sont censées remplacer.

c) L'encadrement des pouvoirs du juge judiciaire

Parallèlement au décalage de l'intervention du juge judiciaire, le projet de loi comporte des dispositions destinées à renforcer la sécurité juridique des procédures d'éloignement :

- il s'agit d'abord de l'extension de la possibilité pour le parquet de demander un appel suspensif de la décision de remise en liberté par le juge des libertés et de la détention. Le projet de loi prolonge ainsi de quatre à six heures le délai dont dispose le parquet pour demander un appel suspensif. Cette prolongation est valable tant pour le maintien en zone d'attente (article 11) qu'en matière de placement en rétention administrative (article 44) ;

- par ailleurs, le projet de loi tend à introduire en droit des étrangers l'adage « pas de nullité sans grief », afin que le JLD ne puisse pas annuler de procédures au seul motif que des irrégularités purement formelles et ne portant pas atteinte aux droits de l'étranger ont été commises (articles 10 et 39) ;

- est également entérinée une jurisprudence de la Cour de Cassation dont il résulte que les moyens tirés de l'irrégularité de la procédure précédant la première audience de prolongation du maintien en zone d'attente ou en rétention ne peuvent plus être invoqués au cours de la seconde audience de prolongation. En effet, les deux audiences n'ont pas le même objet : seule la première a pour finalité d'examiner la régularité du placement en rétention, tandis que la seconde ne vise qu'à vérifier que les conditions autorisant une prolongation supplémentaire sont réunies (articles 8 et 42) ;

- une procédure de « purge des nullités » en appel est introduite : une irrégularité ne pourra pas être soulevée pour la première fois en appel (articles 12 et 43) ;

- enfin, le juge devra vérifier que l'étranger a eu la possibilité d'exercer ses droits (accès à un interprète, un conseil, un médecin...) a compter de l'arrivée au centre de rétention, et non plus de la notification du placement. Il s'agit ainsi de mieux tenir compte des contraintes matérielles qui empêchent parfois l'administration de mettre les étrangers en état d'exercer leurs droits dans les plus brefs délais suivant la notification du placement en rétention (articles 31 et 38).

d) L'allongement de la durée maximale de rétention

Par ailleurs, le projet de loi relatif à l'immigration tend à allonger à 45 jours (au lieu de 32 jours) la durée maximale de rétention administrative. Cette disposition ne résulte pas de la nécessité de transposer la directive « retour », puisque celle-ci se contente de fixer une durée de rétention maximale de 6 mois, mais de la volonté de faciliter la négociation des accords de réadmission négociés par la commission européenne. En effet, dans le cadre des négociations de l'Union européenne avec les pays d'origine, nombre de ceux-ci refusent de s'engager à délivrer des laissez-passer consulaire dans un délai inférieur à un mois et demi.

Ainsi, après une première période de rétention de cinq jours, l'administration pourra demander une prolongation de 20 jours (contre 15 jours actuellement). Ensuite, une nouvelle prolongation de 20 jours pourra être demandée si la mesure d'éloignement n'a pas pu être exécutée sans que ce défaut d'exécution ne soit imputable à un manque de diligence de l'administration 7 ( * ) .

3. La transposition de la directive « libre circulation »

Enfin, certaines dispositions du projet de loi entrent dans le champ de la directive 2004/32 CE du 29 avril 2004 dite directive « libre circulation ».

Ainsi, le projet de loi prévoit 8 ( * ) que les ressortissants de pays membres de l'Union européenne peuvent faire l'objet d'une OQTF lorsque leur séjour est constitutif d'un abus de droit, c'est-à-dire notamment lorsqu'ils effectuent plusieurs séjours inférieurs à trois mois (ceux-ci étant en principe autorisés pour tous les citoyens de l'Union européenne) dans le seul but de se maintenir sur le territoire alors qu'ils ne pourraient pas y rester plus de trois mois (en particulier parce qu'ils ne remplissent pas les conditions nécessaires en termes de ressources), ou bien « dans le but de bénéficier du système d'assistance sociale ». Il s'agit, dans ce dernier cas, de la transposition de l'article 14 de la directive qui prévoit que « les citoyens de l'Union et les membres de leur famille ont un droit de séjour tel que prévu à l'article 6 (c'est-à-dire un séjour de moins de trois mois) tant qu'ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale de l'État membre d'accueil ».

Par ailleurs, l'article 49 précise les cas dans lesquels un étranger résidant en France depuis moins de trois mois et constituant une menace pour l'ordre public pourra faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière (il s'agit d'ailleurs du dernier cas où une reconduite à la frontière pourra être prononcée, puisque désormais toutes les mesures d'éloignement fondées sur le séjour irrégulier seront des obligations de quitter le territoire). Puisqu'elle vise les étrangers en séjour régulier de moins de trois mois, cette disposition concerne en particulier les ressortissants communautaires (qui ont en principe un droit au court séjour).

L'article 49 dispose ainsi que « la menace pour l'ordre public peut notamment s'apprécier au regard de la commission des faits passibles de poursuites pénales sur le fondement des articles du code pénal... » : il s'agit des faits permettant par ailleurs de retirer à un étranger sa carte de séjour : trafic de stupéfiants, traite d'êtres humains, proxénétisme, mais aussi exploitation de la mendicité, vol dans un transport collectif, demande de fonds sous la contrainte. Il est également fait référence à certains vols avec circonstances aggravantes et à l'occupation illégale d'un terrain public ou privé. Ce dernier cas fait écho aux débats intervenus en août et septembre 2010 à propos de la transposition de la directive « libre circulation » par la France.

En effet, concernant la notion de « menace pour l'ordre public », les dispositions de la directive « libre circulation », selon lesquelles le comportement du ressortissant communautaire concerné doit représenter « une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société » pour justifier la mise en oeuvre d'une mesure d'éloignement, ne sont pas reprises dans le droit interne. Or, la Cour de justice a rappelé que « le recours par une autorité nationale à la notion d'ordre public, en tant que dérogation au principe fondamental de la libre circulation des personnes, suppose, en tout état de cause, l'existence, en dehors du trouble social que constitue toute infraction à la loi, d'une menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ».

Toutefois, ce principe est appliqué mot pour mot par le juge administratif français 9 ( * ) , de telle sorte, par exemple, que l'occupation illégale d'un terrain ne peut selon lui justifier une mesure d'éloignement. La notion de « menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société » est de même mise en oeuvre par la jurisprudence qui exige que cette menace soit à la fois « actuelle et personnelle » 10 ( * ) . Si, en l'espèce, le droit interne ne transpose pas totalement les dispositions de la directive, l'application de celles-ci est donc assurée par le juge, comme en témoignent les récentes annulations de décisions de reconduite à la frontière prononcées par le Tribunal administratif de Lille le 30 août 2010 en conformité avec la jurisprudence précitée de la Cour administrative d'appel de Versailles.

L'article 49 du projet de loi semble toutefois aller à l'encontre d'une transposition plus complète de la directive, c'est pourquoi votre commission a intégré à son texte des amendements du gouvernement visant à assurer une transposition plus explicite (voir ci-dessous).


* 6 Décision n°79-109 DC du 9 janvier 1980.

* 7 Le droit en vigueur distingue deux cas. Si la non-exécution de la mesure d'éloignement est due à l'étranger (perte ou de la destruction des documents de voyage de l'intéressé, dissimulation par celui-ci de son identité ou obstruction volontaire faite à son éloignement), la prolongation est de 15 jours. Si elle est due à la non-délivrance d'un laissez-passer consulaire ou d'un moyen de transport, la prolongation n'est que de cinq jours

* 8 Il s'agit d'une disposition issue d'un amendement du Gouvernement adopté par l'Assemblée nationale.

* 9 CAA Versailles, 15 juillet 2009, n° 09VE01053.

* 10 Conseil d'Etat, 24 juillet 1981, Cheghba.

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