II. LA CONVERGENCE DE DEUX INITIATIVES PARLEMENTAIRES EN FAVEUR D'UNE MEILLEURE PLACE DES FEMMES DANS LES CONSEILS : LA NÉCESSITÉ DE LÉGIFÉRER
Adoptée le 20 janvier dernier, la proposition de loi initiée par nos collègues députés Jean-François Copé et Marie-Jo Zimmermann rejoint celle de notre collègue Nicole Bricq et des membres de son groupe, renvoyée en commission par le Sénat le 29 avril 2010 en vue d'un examen conjoint par votre commission de ces deux propositions de loi proches, tout au moins dans leur objectif de favoriser une meilleure présence des femmes dans les conseils.
Ces deux propositions de loi, dont la première émane du groupe majoritaire de l'Assemblée nationale et la seconde d'un groupe d'opposition du Sénat, sont les premiers textes examinés par le Parlement ayant pour objet de réaliser l'objectif constitutionnel d'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales, en commençant par les instances de décision des grandes entreprises.
Votre commission estime que la convergence de ces deux initiatives parlementaires représente un signe politique fort de la volonté du Parlement d'agir dans ce domaine.
A. QUELLE MÉTHODE POUR ACCROÎTRE LA PRÉSENCE DES FEMMES DANS LES CONSEILS ?
1. Les limites de l'autorégulation, l'insuffisance des démarches non contraignantes et l'opportunité de légiférer
a) Les différentes formes de « soft law »
Les bonnes pratiques, les codes de conduite et la règle « comply or explain », la démarche de labellisation... Les formes de « soft law » en droit des sociétés sont nombreuses. Inspirées des pratiques anglo-saxonnes, elles visent à encadrer de façon non réglementaire les comportements des sociétés. Ce sont des pratiques codifiées par les entreprises elles-mêmes.
Il existe à ce jour deux codes de gouvernement d'entreprise : d'une part le code AFEP-MEDEF, remontant à 2003, et d'autre part le code Middlenext, beaucoup plus récent puisqu'il a été rendu public en 2009. Le premier a été élaboré par les deux grands mouvements patronaux que sont le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et l'Association française des entreprises privées (AFEP), qui regroupe les plus grandes sociétés françaises, dont l'essentiel de celles appartenant à l'indice CAC 40. Le second code a été conçu très récemment par l'association Middlenext, qui représente les moyennes sociétés cotées (les « midcaps »). Ces deux codes s'adressent prioritairement aux sociétés faisant appel public à l'épargne. Les organisations ayant élaboré ces codes ont été entendues par votre rapporteur.
A la suite de la transposition d'une directive communautaire par la loi n° 2008-649 du 3 juillet 2008 portant diverses dispositions d'adaptation du droit des sociétés au droit communautaire, la règle « comply or explain » a été introduite dans le code de commerce, dans le cadre du rapport du président du conseil d'administration ou de surveillance à l'assemblée générale (articles L. 225-37 et L. 225-68). De ce fait, les entreprises adhérentes au code AFEP-MEDEF devront rendre compte de la manière dont elles appliquent l'obligation de représentation équilibrée dans la composition de leur conseil. Cette règle consiste, d'une part, à adhérer volontairement à un système de règles (code de conduite) et à l'appliquer et, d'autre part, à expliquer publiquement pourquoi, dans certains cas, on ne l'applique pas. Ce mécanisme permet de s'affranchir du caractère univoque et rigide de la loi formelle.
Article L. 225-37, septième alinéa, du code de commerce « Lorsqu'une société se réfère volontairement à un code de gouvernement d'entreprise élaboré par les organisations représentatives des entreprises, le rapport prévu au présent article précise également les dispositions qui ont été écartées et les raisons pour lesquelles elles l'ont été. Se trouve de surcroît précisé le lieu où ce code peut être consulté. Si une société ne se réfère pas à un tel code de gouvernement d'entreprise, ce rapport indique les règles retenues en complément des exigences requises par la loi et explique les raisons pour lesquelles la société a décidé de n'appliquer aucune disposition de ce code de gouvernement d'entreprise. » |
La limite de ce mécanisme réside dans le fait que toutes les sociétés ne sont pas affiliées à un code de gouvernement d'entreprise et dans le fait que, sous réserve des réactions du marché, des épargnants et des investisseurs, une règle écartée de façon injustifiée ne trouvera pas de sanction effective.
b) Légiférer a minima et s'en remettre aux codes de conduite ?
Une solution intermédiaire, prônée par certaines personnes entendues par votre rapporteur, consisterait à s'en tenir à une intervention législative minimale, le législateur renvoyant aux codes de gouvernement d'entreprise pour assurer la mise en oeuvre des obligations qu'il prescrit.
La loi prévoirait une simple obligation de représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les conseils, ainsi qu'une habilitation formelle des codes de conduite à intégrer des dispositions sur la question.
Cette méthode rencontrerait les mêmes limites que les codes de bonne conduite eux-mêmes : ils ne s'appliquent qu'aux sociétés qui le veulent bien et ils peuvent être ignorés lorsque la société l'estime préférable pour sa gestion.
2. Les quotas : un mal désormais nécessaire
a) Un ralliement résigné à l'idée des quotas
La grande majorité des personnes entendues par votre rapporteur qui ont exprimé la nécessité d'imposer des quotas de femmes dans les conseils affirment qu'elles n'imaginaient pas il y a quelques années se résigner à cette méthode, seule façon d'évoluer selon elles face à l'échec de l'autorégulation des entreprises. Votre rapporteur partage ce point de vue, consciente du fait que la part des femmes n'a pas pu progresser malgré leurs compétences.
b) La justification de l'objectif de 40 %
La proposition de loi déposée par nos collègues députés prévoyait initialement une obligation de proportion minimale de 50 % de chaque sexe au sein des conseils d'administration et de surveillance des sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé. La commission des lois a constaté le caractère rigide et inopérant d'un tel seuil, quand bien même en cas de nombre impair de membres dans le conseil, un écart de un serait bien évidemment admis. En effet, la composition du conseil aurait risqué à tout moment de devenir irrégulière, en cas de vacance par décès ou démission, en cas de départ d'un administrateur pour cause de cumul de mandats... La parité stricte dans les conseils était en réalité une illusion.
Aussi la commission des lois de l'Assemblée nationale a-t-elle retenu le seuil de 40 %, qui laisse une certaine souplesse permettant d'accompagner l'évolution de la composition du conseil tout en étant suffisamment significatif pour avoir un effet sur la teneur des délibérations des conseils. Selon les experts entendus par votre rapporteur, il apparaît qu'une minorité numérique ne parvient à s'exprimer utilement et de façon autonome dans un groupe qu'à partir d'une proportion de 30 %.
c) La correspondance avec la recommandation AFEP-MEDEF
Peu de temps après l'adoption le 20 janvier 2010 de la proposition de loi par l'Assemblée nationale, les présidents du MEDEF et de l'AFEP, Mme Laurence Parisot et M. Maurice Lévy, annoncèrent le 19 avril la modification du code de gouvernement d'entreprise AFEP-MEDEF pour y intégrer une obligation de représentation équilibrée à hauteur de 20 % dans les trois ans et de 40 % dans les six ans, plaidant dès lors l'inutilité de la loi.
Cette modification précipitée et ponctuelle du code AFEP-MEDEF, si elle n'interrompit pas le processus parlementaire, ainsi que l'atteste le présent rapport, eut pour effet immédiat de susciter de nombreuses nominations de femmes dans les conseils d'administration ou de surveillance à l'occasion des assemblées générales de printemps. Plusieurs de ces nominations furent d'ailleurs abondamment commentées dans la presse.
Votre rapporteur estime que cette évolution très rapide, qu'il tient à saluer, montre que la loi ne fixe donc pas des objectifs irréalistes. Il y voit même un encouragement à ce que le législateur intervienne pour inciter les entreprises à remplir les obligations du code AFEP-MEDEF en matière de mixité dans les conseils.
3. Le cumul des mandats sociaux : une problématique essentielle, sans lien manifeste avec celle de la présence des femmes
a) La limitation du cumul des mandats pour favoriser l'accès des femmes aux conseils
Alors que la proposition de loi transmise par l'Assemblée nationale ne prévoit qu'un objectif de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes, assorti de délais et de sanctions, la proposition de loi de notre collègue Nicole Bricq a souhaité s'appuyer, pour parvenir plus concrètement à cet objectif, sur une plus forte limitation du cumul des mandats sociaux. En effet, en libérant des postes dans les conseils d'administration ou les conseils de surveillance, des règles plus strictes de cumul de mandats sociaux devraient permettre plus aisément de donner davantage de place aux femmes. Cette affirmation d'apparent bon sens est cependant loin d'être évidente.
Selon notre collègue, ces règles permettraient également de réduire l'endogamie des conseils et de renforcer l'indépendance de leurs membres en limitant les risques de conflit d'intérêts. Force est d'observer, à cet égard, que 20 % des mandataires sociaux des sociétés du CAC 40 concentrent 43 % des droits de vote dans les conseils du fait du cumul des mandats.
Ce raisonnement se limite toutefois au nombre de mandats sociaux qui peuvent être simultanément cumulés, sans prendre en compte les mandats successifs, c'est-à-dire le cumul dans le temps, ni la durée elle-même des mandats. De plus, ces règles plus strictes affecteraient aussi les femmes qui détiennent actuellement plusieurs mandats d'administrateur ou sont membres de plusieurs conseils de surveillance. Le cumul pourrait constituer un outil pour faciliter, dans un premier temps, l'accroissement de la place des femmes, le temps qu'il soit fait appel à d'autres femmes.
Par ailleurs, la proposition de loi prohibe le cumul des fonctions de président du conseil d'administration, directeur général, membre du directoire ou président du conseil de surveillance dans une entreprise privée avec les mêmes fonctions dans une entreprise du secteur public. Votre rapporteur a observé que cette question avait déjà été soumise au Sénat, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi présentée par notre collègue Yvon Collin (n° 8, 2009-2010), adoptée le 18 novembre 2009. Le Sénat a adopté ce texte dans une version modifiée selon laquelle la nomination à des fonctions de président du conseil d'administration, de directeur général, de membre du directoire ou de président du conseil de surveillance dans une entreprise publique concurremment à des fonctions similaires dans une entreprise du secteur privé est soumise à l'avis préalable de l'agence des participations de l'État. Le Sénat s'est ainsi déjà prononcé sur cette question.
LES RÈGLES DE CUMUL DES MANDATS SOCIAUX DANS LES SOCIÉTÉS ANONYMES Les règles de cumul ne concernent pas les mandataires personnes morales. Les représentants désignés par ces personnes morales sont néanmoins soumis aux mêmes règles de cumul que les mandataires personnes physiques. Les mandats exercés dans les sociétés étrangères ne sont pas pris en compte. Seuls comptent au regard des règles de cumul les mandats exercés dans les sociétés anonymes dont le siège est établi en France. 1. Le cumul des mandats d'administrateur et de membre du conseil de surveillance Une même personne ne peut exercer plus de cinq mandats d'administrateur de sociétés anonymes (article L. 225-21). Les mandats d'administrateur ou de membre du conseil de surveillance exercés au sein de sociétés contrôlées, cotées ou non, ne sont pas pris en compte pour les administrateurs de la société mère. Les mandats d'administrateur exercés par une même personne au sein de plusieurs sociétés non cotées contrôlées par une même société mère, qui n'est pas administrateur de la société mère, ne comptent que pour un seul, à condition de ne pas excéder cinq, soit un plafond de vingt-cinq . Une même personne ne peut exercer plus de cinq mandats de membre du conseil de surveillance de sociétés anonymes (article L. 225-77). Les mandats d'administrateur ou de membre du conseil de surveillance exercés au sein de sociétés contrôlées, cotées ou non, ne sont pas pris en compte pour les membres du conseil de surveillance de la société mère. Les mandats de membre du conseil de surveillance exercés par une même personne au sein de plusieurs sociétés non cotées contrôlées par une même société mère, qui n'est pas membre du conseil de surveillance de la société mère, ne comptent que pour un seul, à condition de ne pas excéder cinq, soit un total possible de vingt-cinq. Une même personne ne peut exercer plus de cinq mandats d'administrateur ou de membre de conseil de surveillance (article L. 225-94), et pas cinq mandats d'administrateur et cinq mandats de membre de conseil de surveillance. Il s'agit de la combinaison des deux dispositions précédentes. Le président du conseil d'administration étant élu par le conseil en son sein (article L. 225-47), il est soumis aux mêmes règles de cumul que les autres administrateurs. Il en est de même du président et du vice-président du conseil de surveillance (article L. 225-81). 2. Le cumul des mandats de directeur général et de membre du directoire Une même personne ne peut exercer plus d'un mandat de directeur général (article L. 225-54-1). Un deuxième mandat de directeur général ou bien un mandat de membre du directoire ou de directeur général unique (mandataire unique exerçant les prérogatives du directoire) peut être exercé dans une société contrôlée, cotée ou non. Le directeur général d'une société non cotée peut exercer un deuxième mandat de directeur général ou bien un mandat de membre du directoire ou de directeur général unique dans une société elle aussi non cotée. Une même personne ne peut exercer plus d'un mandat de membre du directoire ou de directeur général unique (article L. 225-67). Un deuxième mandat de membre du directoire ou de directeur général unique ou bien un mandat de directeur général peut être exercé dans une société contrôlée, cotée ou non. Un membre du directoire ou le directeur général unique d'une société non cotée peut exercer un deuxième mandat de membre du directoire ou de directeur général unique ou bien un mandat de directeur général dans une société elle aussi non cotée. 3. Le cumul de tous les types de mandats Les règles relatives au cumul de mandats de plusieurs types ne font pas obstacle aux dérogations et autorisations prévues ci-dessus. Une même personne ne peut exercer plus de cinq mandats de directeur général, membre du directoire, directeur général unique, administrateur ou membre du conseil de surveillance (article L. 225-94-1). Le directeur général peut ne pas être administrateur de la société. Lorsqu'il est administrateur dans la même société, ces fonctions ne comptent que pour un seul mandat. Les mandats d'administrateur ou de membre du conseil de surveillance exercés au sein de sociétés contrôlées, cotées ou non, ne sont pas pris en compte pour les administrateurs ou les membres du conseil de surveillance de la société mère. Le cumul des mandats de membre du directoire ou directeur général unique et de membre du conseil de surveillance est interdit au sein d'une même société (article L. 225-74). |
b) Les vraies questions posées par le cumul des mandats
La problématique du cumul des mandats est différente selon qu'on évoque les mandats d'administrateur ou de directeur général, selon que les mandats cumulés se situent au sein d'un même groupe ou non, selon qu'ils se situent dans les conseils de sociétés étrangères, auquel cas il est difficile de légiférer pour des sociétés n'ayant pas leur siège sur le territoire française.
Il est ressorti des auditions de votre rapporteur un constat largement partagé selon lequel, certes, le cumul des mandats d'administrateurs pourrait être davantage limité entre eux, mais surtout, il conviendrait de restreindre significativement les possibilités de cumul de mandats d'administrateur pour tout détenteur d'un mandat exécutif, que ce soit directeur général, directeur général unique ou membre de directoire. En effet, il apparaît que pour préparer sérieusement un conseil, il faut trois jours de travail, et que le rythme de réunion des conseils est aujourd'hui plus soutenu d'autrefois, de l'ordre d'une fois par mois. Dans ces conditions, appartenir à plusieurs conseils semble difficilement conciliable lorsque l'on est déjà directeur général d'une société.
Toutefois, votre commission a considéré qu'il n'était pas opportun, dès lors que la question du cumul n'est pas directement et exclusivement liée à celle de la place des femmes dans les conseils d'administration et de surveillance, de légiférer trop rapidement sur le cumul des mandats sociaux. Les règles en la matière ont en effet été plusieurs fois modifiées au début de la décennie 2000 dans des délais rapprochés. Dans ce domaine comme dans d'autres, la loi a besoin de stabilité et les acteurs économiques de prévisibilité.