Article 26 (art. L. 351-1-4 nouveau du code de la sécurité sociale) Abaissement de la condition d'âge pour le départ à la retraite et bénéfice du taux plein au profit des assurés justifiant d'une incapacité permanente au titre d'une maladie ou d'un accident professionnel

Objet : Cet article institue une prise en compte de la pénibilité au travail en ouvrant la possibilité aux assurés, qui justifient d'une incapacité permanente au titre d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail, de bénéficier d'un abaissement de la condition d'âge pour le départ à la retraite et de la liquidation de leur pension au taux plein.

I - Les dispositions initiales du projet de loi

La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a permis aux assurés ayant commencé à travailler jeunes et ayant eu, de ce fait, une longue carrière de partir à la retraite avant l'âge de soixante ans (dispositif carrières longues). Par ailleurs, les personnes ne pouvant prétendre à cette mesure, mais dont l'état de santé est gravement altéré, peuvent bénéficier de la retraite pour inaptitude au travail, qui permet d'obtenir le taux plein dès l'âge légal quelle que soit la durée d'assurance effectivement accomplie.

Ces dispositions laissent néanmoins entière la question des assurés qui ne peuvent prétendre au dispositif carrières longues, par exemple parce qu'ils n'ont pas commencé à travailler suffisamment jeunes, ou dont l'état de santé ne répond pas aux critères retenus pour bénéficier de la retraite pour inaptitude au travail, étant entendu que l'âge de la retraite pour inaptitude au travail est aligné sur l'âge légal.

Le dispositif proposé par le présent article entend donc compléter les mesures existantes en ouvrant des droits spécifiques aux salariés dont l'état de santé est altéré pour des raisons imputables au travail. Il fait l'objet d'un nouvel article L. 351-1-4 dans la section 1 du chapitre I er du titre V du livre III du code de la sécurité sociale consacrée aux conditions d'âge.

1. Les assurés concernés

Le nouveau dispositif s'adresse « aux assurés qui justifient d'une incapacité permanente au sens de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale au moins égale à un taux déterminé par décret, lorsque cette incapacité est reconnue au titre d'une maladie professionnelle mentionnée à l'article L. 461-1 ou au titre d'un accident de travail mentionné à l'article L. 411-1 et ayant entraîné des lésions identiques à celles indemnisées au titre d'une maladie professionnelle » .

L'inscription de la mesure dans le champ de la branche accidents du travail et maladies professionnelles

Les assurés concernés par le dispositif sont ceux couverts par la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), c'est-à-dire les seuls salariés du secteur privé 80 ( * ) .

Par ailleurs, le nouvel article L. 351-1-4 ne couvre que deux des trois risques pris en charge par la branche AT-MP :

- les maladies professionnelles visées le sont dans leur acception habituelle : aux termes de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans l'un des quelque cent tableaux de maladies professionnelles annexés au code de la sécurité sociale, et contractée dans les conditions mentionnées dans ce tableau.

Les principales maladies professionnelles occasionnant une incapacité permanente sont les troubles musculo-squelettiques (près de 60 %) et les affections dues à l'inhalation de poussières d'amiante (environ 22 %) ;

- les accidents du travail sont ceux définis par l'article L. 411-1 du code du travail, c'est-à-dire les accidents survenus, quelle qu'en soit la cause, par le fait ou à l'occasion du travail, le salarié concerné bénéficiant d'une présomption d'imputabilité simple du fait du caractère professionnel de l'accident.

Le présent article précise toutefois que seuls sont retenus les accidents du travail « ayant entraîné des lésions identiques à celles indemnisées au titre d'une maladie professionnelle » ;

- en revanche, les accidents de trajet 81 ( * ) ne sont pas concernés par le dispositif, dans la mesure où il n'y a pas de lien direct entre celui-ci et l'activité professionnelle effectivement exercée.

En résumé, pour que le salarié soit éligible au dispositif « pénibilité », il faut qu'il y ait un lien direct entre l'activité professionnelle effectivement exercée et la maladie ou l'accident dont il a été victime.

Le taux d'incapacité permanente choisi

Pour bénéficier du nouveau dispositif, l'assuré doit justifier d'une incapacité permanente au sens de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale au moins égale à un taux qui devra être fixé par décret. Lors de la conférence de presse du 16 juin 2010 au cours de laquelle le Gouvernement a présenté la réforme, celui-ci a indiqué que ce taux serait de 20 %.

En application de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, le taux de l'incapacité permanente est déterminé « d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentale de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité » . Le barème ne peut avoir qu'un caractère indicatif dans la mesure où les taux d'incapacité proposés sont des taux moyens. Le médecin conseil chargé de l'évaluation du taux d'incapacité garde, lorsqu'il se trouve devant un cas dont le caractère lui paraît particulier, l'entière liberté de s'écarter des chiffres du barème ; il doit alors exposer clairement les raisons qui l'y ont conduit. Au final, c'est la caisse d'assurance maladie qui, après avis du médecin conseil, détermine le taux d'incapacité permanente de la personne.

Il existe deux barèmes indicatifs d'invalidité qui, en application de l'article R. 434-35, sont annexés au code de la sécurité sociale : l'un permet de déterminer le taux d'incapacité permanente en matière d'accidents du travail, l'autre en matière de maladies professionnelles.

L'assuré atteint d'une incapacité permanente consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle peut percevoir soit une indemnité en capital si son taux d'incapacité est inférieur à 10 %, soit une rente viagère si ce taux est supérieur ou égal à 10 %

Au 1 er janvier 2010, la branche AT-MP servait 1 300 000 rentes, dont 387 000 au titre d'un taux d'incapacité supérieur ou égal à 20 %.

La pension de vieillesse au titre de l'inaptitude au travail

Les assurés reconnus médicalement inaptes au travail et les invalides peuvent bénéficier d'une retraite à taux plein dès soixante ans au titre de l'inaptitude, quelle que soit leur durée d'assurance.

L'inaptitude au travail doit être reconnue par le médecin-conseil de la caisse de retraite.

On distingue deux catégories de bénéficiaires de cette pension de vieillesse.

Tout d'abord, les personnes réputées inaptes , c'est-à-dire dont l'incapacité de travail liée au handicap a déjà fait l'objet d'une évaluation, et dispensées, de ce fait, du contrôle médical par la caisse de retraite :

- les personnes reconnues invalides avant soixante ans : l'état d'invalidité est reconnu par le médecin-conseil de la caisse d'assurance maladie pour un assuré qui, à la suite d'une maladie ou d'un accident dont l'origine n'est pas professionnelle, voit sa capacité de travail réduite d'au moins deux tiers. Lorsque l'assuré atteint l'âge légal requis pour la liquidation d'une pension de vieillesse, sa pension d'invalidité est transformée en pension de retraite pour inaptitude ;

- les titulaires d'une pension d'invalidité ;

- les titulaires d'une pension de vieillesse de veuf ou de veuve substituée à une pension d'invalidité de veuf ou de veuve ;

- les titulaires de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ;

- les titulaires de la carte d'invalidité reconnaissant une incapacité de travail permanente d'au moins 80 %.

Ensuite, les personnes dont l'inaptitude au travail , c'est-à-dire dont la capacité de travail médicalement constatée, à partir de soixante ans, par le service du contrôle médical de la caisse de retraite, est réduite d'au moins 50 % compte tenu :

- de l'emploi en cours ou du dernier emploi exercé ;

- ou, à défaut, des aptitudes physiques ou mentales à exercer une activité professionnelle.

Selon la Commission des comptes de la sécurité sociale, dans son rapport de juin 2010, sur l'ensemble des 11 676 000 retraités du régime général en 2009 , on comptait 2 209 000 ex-invalides ou inaptes (soit 18,9 % de l'ensemble des retraités) : 687 000 bénéficiaires d'une pension d'invalidité commuée en pension de retraite et 1 522 500 d'une pension au titre de l'inaptitude.

Le dispositif d'inaptitude au travail représentait 12 milliards d'euros de prestations vieillesse en 2009, dont 5,5 milliards au titre des pensions d'invalidité commuées en pension de retraite et 6,6 milliards au titre des pensions pour inaptitude.

2. Les droits accordés

Le nouveau dispositif pénibilité vise à prendre en compte, au moment de la retraite, la situation des salariés dont l'état de santé s'est dégradé pour des raisons imputables au travail.

Dès lors que ces derniers justifient d'un taux d'incapacité permanente d'au moins 20 %, un double droit leur est accordé :

- l'abaissement de la condition d'âge prévue au premier alinéa de l'article L. 351-1 du code de la sécurité sociale, c'est-à-dire l'âge légal d'ouverture du droit à pension. Cet âge, qui sera de soixante-deux ans en 2018 - conformément aux nouvelles dispositions du présent texte (article 5) -, sera abaissé par décret. Le Gouvernement a annoncé que les personnes concernées par le dispositif pénibilité pourront partir à l'âge de soixante ans, autrement dit qu'elles bénéficieront du maintien de l'âge légal de départ actuellement en vigueur ;

- le bénéfice du taux plein . Le II du nouvel article L. 351-4-1 du code de la sécurité sociale prévoit en effet que la pension de vieillesse liquidée est calculée au taux plein, même si l'assuré ne justifie pas de la durée d'assurance ou de périodes équivalentes dans le régime général et un ou plusieurs régimes obligatoires.

Les intéressés pourront donc liquider leur pension au taux plein de 50 % et ne subiront pas de décote, quelle que soit leur durée de cotisation et ce, alors que l'article 6 du projet de loi relève l'âge d'annulation de la décote à soixante-sept ans en 2023.

Les bénéficiaires du dispositif continueront à percevoir par ailleurs leur rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle.

Lors de la présentation de la réforme le 16 juin dernier, le Gouvernement a annoncé que cette mesure bénéficiera, après montée en charge, à 10 000 personnes par an. Ce chiffre figure également dans l'étude accompagnant le projet de loi.

Exemples figurant dans le dossier de presse du Gouvernement du 16 juin 2010

Denise, cinquante-six ans, est manutentionnaire dans une usine fabriquant des équipements automobiles. A la suite de ports répétés de charges lourdes, elle souffre de raideurs de l'épaule et de sciatique chronique. Celles-ci ont été reconnues comme maladies professionnelles à un taux supérieur à 20 %. Elle a été reclassée dans un emploi de bureau. Jusqu'à la réforme des retraites de 2010, elle ne pouvait en aucun cas partir à la retraite avant les autres : son âge légal de départ était fixé à soixante ans. Compte tenu du relèvement de l'âge légal à soixante-deux ans en 2018, elle aurait dû partir à soixante et un ans et quatre mois. Mais grâce à la mise en place du dispositif « pénibilité », elle pourra toujours prendre sa retraite à soixante ans, en 2014.

Max, cinquante-sept ans, est éboueur. Il souffre, en raison du port répété de poubelles, d'une hernie discale reconnue en maladie professionnelle. Il n'aura pas tous ses trimestres au moment de partir à la retraite car il a eu un début de vie professionnelle difficile. Au lieu de partir à la retraite à soixante et un ans, et avec une décote, il partira à soixante ans avec une pension complète.

II - Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Le présent article n'a pas été modifié par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale lors de son examen en juillet dernier, cette dernière ayant souhaité attendre la fin de la concertation avec les partenaires sociaux qui était prévue pour le mois de septembre.

En revanche, le dispositif a été complété en séance publique, à la suite de l'adoption d'un amendement gouvernemental.

Le paragraphe III du nouvel article L. 351-1-4 du code de la sécurité sociale vise à étendre les dispositions prévues aux paragraphes I et II aux personnes justifiant d'un taux d'incapacité permanente inférieur à 20 %.

Cette extension est toutefois subordonnée à trois conditions :

- premièrement, l'assuré doit justifier d'un taux d'incapacité permanente - déterminé par le médecin-conseil - au moins égal à un taux fixé par décret. Le Gouvernement a annoncé que ce taux minimal serait de 10 % ;

- deuxièmement, l'assuré doit avoir été exposé, pendant un nombre d'années déterminé par décret, à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels.

La durée d'exposition retenue sera différente selon le facteur de risques professionnels considéré, ainsi que l'ont indiqué les services du ministère à votre rapporteur ;

- troisièmement, son incapacité permanente doit être « directement liée » à l'exposition à ces facteurs de risques professionnels.

Pour mettre en oeuvre ce dispositif, il est créé une commission pluridisciplinaire chargée de deux missions :

- valider les modes de preuve apportés par l'assuré quant à son exposition à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels ;

- apprécier l'effectivité du lien entre l'incapacité permanente dont il est victime et l'exposition à ce ou ces facteurs de risques professionnels.

Le texte précise que « l'avis [de la commission disciplinaire] s'impose à l'organisme débiteur de la pension de retraite » . Autrement dit, la caisse de retraite doit prendre acte du fait que l'assuré, s'il est reconnu éligible au dispositif, peut partir à la retraite à soixante ans avec le taux plein.

Plusieurs éléments relatifs à cette commission pluridisciplinaire doivent être fixés par voie réglementaire : sa composition ; son fonctionnement et son ressort territorial ; les éléments du dossier au vu desquels elle rend son avis.

Selon les informations recueillies par votre rapporteur, cette commission ne sera pas uniquement composée de médecins ; elle comportera également des experts de la santé au travail (des ergonomes, par exemple). Son fonctionnement devrait être régional.

Pour apprécier l'effectivité du lien entre l'incapacité permanente et l'exposition à un ou des facteurs de pénibilité, elle s'appuiera sur des matrices lésions-expositions.

Le Gouvernement a annoncé que le nombre total de bénéficiaires du dispositif passerait de 10 000 à 30 000 par an, du fait de l'ouverture de son champ d'application aux personnes atteinte d'une incapacité permanente comprise entre 10 % et 20 %.

Lors de son audition par votre commission, le ministre du travail a indiqué que le surcoût résultant de cette extension serait de l'ordre de 300 millions d'euros pour la branche accidents du travail-maladies professionnelles.

III - Le texte adopté par la commission

Le Gouvernement a fait le choix de ne traiter, dans ce projet de loi, que de la pénibilité à effets immédiats, c'est-à-dire de la pénibilité dont les effets sur l'état de santé du travailleur sont observables, au moment où celui-ci décide de liquider sa retraite.

Lors de son audition par votre commission, le ministre du travail a justifié cette décision par le souhait que ce dispositif « soit rapidement opérationnel » .

Votre commission prend acte de ce choix et attire l'attention sur l'importance du décret d'application qui précisera les modalités de mise en oeuvre du « deuxième étage » du dispositif, ajouté à l'initiative du Gouvernement lors des débats à l'Assemblée nationale. Ce décret devra notamment veiller à définir une grille de lecture identique à l'ensemble des commissions pluridisciplinaires afin d'éviter les différences de traitement d'un territoire à l'autre.

Dans un souci de cohérence et de clarté juridiques, la commission a, à l'initiative de son rapporteur, supprimé cet article qui sera réintroduit au sein du chapitre II du titre IV nouvellement créé et intitulé « Compensation de la pénibilité ».


* 80 La mesure n'est pas applicable aux trois fonctions publiques, qui ne sont pas couvertes par la branche accidents du travail-maladies professionnelles, mais régies par des dispositifs reposant sur des logiques différentes. En effet, le fonctionnaire qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer à exercer ses fonctions est radié des cadres par anticipation et perçoit, à ce titre, une pension civile d'invalidité. Lorsque l'incapacité permanente résulte d'une cause professionnelle, le fonctionnaire a droit, en plus de la pension civile d'invalidité, à une rente viagère d'invalidité, le total de la pension civile d'invalidité et de la rente viagère d'invalidité ne pouvant dépasser le montant du dernier traitement.

Le dispositif ne concerne pas non plus les professionnels indépendants dans la mesure où leur régime (le RSI) ne comporte pas de branche accidents du travail-maladies professionnelles.

En revanche, il est étendu aux salariés agricoles (cf. article 27 quinquies) et aux non salariés agricoles (article 27 quater).

* 81 L'accident de trajet est défini à l'article L. 411-2 du code de la sécurité sociale comme celui survenu pendant le trajet d'aller et de retour entre la résidence principale, une résidence secondaire - ou tout autre lieu où le travailleur se rend de façon habituelle - et le lieu de travail ou bien entre le lieu du travail et le restaurant, la cantine ou, d'une manière plus générale, le lieu où le travailleur prend habituellement ses repas.

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