EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Alors que la lutte contre les violences faites aux femmes a été déclarée « grande cause nationale » pour l'année 2010, le Sénat est appelé à se prononcer sur deux propositions de loi tendant à renforcer la lutte contre les violences conjugales.
L'implication du Sénat dans la lutte contre les violences commises au sein du couple n'est pas nouvelle. Il y a quelques années, les initiatives de nos collègues Roland Courteau et Nicole Borvo Cohen-Seat avaient conduit à l'adoption de la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.
La proposition de loi n° 118 (2009-2010) relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants de notre collègue Roland Courteau et plusieurs de ses collègues a été inscrite à l'ordre du jour de notre Assemblée du 10 février 2010. Dans un souci de cohérence de l'action du Parlement, le Sénat s'était alors prononcé à l'unanimité en faveur de son renvoi en commission, afin d'en joindre l'examen à celui d'une proposition de loi élaborée par les députés et adoptée par l'Assemblée nationale le 25 février 2010.
Cette proposition de loi, que le Sénat est invité à examiner, est le fruit des travaux d'une mission d'évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, créée par la conférence des présidents de l'Assemblée nationale le 2 décembre 2008. Cette mission d'évaluation, présidée par Mme Danielle Bousquet et qui a désigné M. Guy Geoffroy rapporteur de ses travaux, a formulé, dans son rapport d'information publié en juillet 2009, 65 propositions dont une partie ont été traduites dans la présente proposition de loi, qui a été ensuite examinée par une commission spéciale composée des membres de la mission d'information.
Cette proposition de loi, qui comporte, à l'issue de son examen par les députés, 34 articles, recoupe pour l'essentiel les thèmes abordés par la proposition de loi de notre collègue Roland Courteau. Pour cette raison, votre commission a souhaité la prendre pour base de travail, tout en y intégrant, lorsque cela s'est avéré nécessaire, les dispositions du texte proposé par notre collègue qui n'auraient pas été satisfaites par la proposition de loi des députés.
Ces deux propositions de loi visent un triple objectif : mieux protéger , mieux prévenir , mieux réprimer .
En raison du large spectre des thèmes abordés, la commission des affaires sociales s'est saisie pour avis et a désigné sa présidente, notre collègue Muguette Dini, rapporteur pour avis de ces propositions de loi. La délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, que votre commission a souhaité consulter, a quant à elle désigné notre collègue Françoise Laborde rapporteur de ses travaux.
Votre commission, qui partage pleinement les objectifs poursuivis tant par les députés que par notre collègue Roland Courteau, a souhaité adopter cette proposition de loi tout en lui apportant les modifications nécessaires pour la conforter sur le plan juridique.
I. LES VIOLENCES AU SEIN DU COUPLE, UN PHÉNOMÈNE D'AMPLEUR ENCORE MAL CONNUE
Si la mission d'évaluation de l'Assemblée nationale s'était donné pour tâche d'évaluer l'ensemble des violences infligées aux femmes, au sein du foyer mais aussi dans l'espace public et sur les lieux de travail, la proposition de loi issue de ses travaux concentre son attention sur la question des violences commises au sein du couple -phénomène d'ampleur encore mal connue et, de ce fait, mal évalué et mal combattu par les pouvoirs publics.
A. DES ÉVALUATIONS IMPARFAITES
Les violences conjugales demeurent une réalité difficile à évaluer , en raison principalement du caractère incomplet des données fournies par les services de police et de gendarmerie ou par le casier judiciaire national. En effet, parce qu'elles se déroulent dans le huis-clos du foyer conjugal, une grande majorité de ces violences ne sont jamais portées à la connaissance de la Justice .
En 2007, 47.573 faits constatés de violences volontaires sur femmes majeures par conjoint ou ex-conjoint ont été enregistrés en France métropolitaine et dans les quatre départements d'outre-mer. Entre 2004 et 2007, ce nombre a crû de 31,1 %. De grandes disparités peuvent néanmoins être observées entre régions d'une part, et entre zones rurales et zones urbaines d'autre part 1 ( * ) .
Par ailleurs, d'après l'étude réalisée par la Délégation aux victimes du ministère de l'Intérieur, 184 personnes (157 femmes et 27 hommes) sont décédées en 2008, victimes d'un homicide volontaire ou de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner commis par leur conjoint.
Ces données doivent être interprétées avec la plus grande précaution.
En effet, l'augmentation de plus de 30 % en trois ans des faits de violences constatés résulte sans doute pour partie :
- d'une part, d'une intensification de la collecte d'informations, liée à une meilleure sensibilisation du public, à une moindre réticence des victimes à dénoncer les faits et à un traitement plus systématique des plaintes par les services de police et de gendarmerie 2 ( * ) ;
- d'autre part, d'un changement de périmètre lié à une évolution de la législation : la loi du 4 avril 2006 a élargi la notion de circonstances aggravantes de violences par conjoint ou concubin aux ex-conjoints et ex-concubins ainsi qu'aux partenaires de la victime liées à cette dernière par un pacte civil de solidarité (PACS). Les violences commises par ces personnes n'ont ainsi été comptabilisées parmi les violences conjugales qu'à partir d'avril 2006.
Néanmoins, les chiffres constatés par les services de police et de gendarmerie paraissent bien en-deçà des violences conjugales réellement subies. Selon les estimations réalisées par l'Observatoire national de la délinquance (OND), le nombre de plaintes déposées par les victimes de violences conjugales représenterait moins de 9 % des violences conjugales réellement subies 3 ( * ) . En outre, le nombre d'homicides au sein du couple constatés n'inclut pas les suicides consécutifs aux violences physiques ou psychologiques infligées par un conjoint.
Afin de compléter ces données parcellaires, les pouvoirs publics ont, depuis une dizaine d'années 4 ( * ) , recours à des enquêtes de victimation .
D'après l'enquête « cadre de vie et sécurité » réalisée conjointement par l'INSEE et l'OND en 2007 5 ( * ) , 410.000 femmes, soit 2,3 % de l'ensemble des femmes âgées de 18 à 60 ans, ont été victimes de violences physiques de la part d'un conjoint ou d'un ex-conjoint en 2005-2006.
Par ailleurs, il convient de rappeler que les violences conjugales ne concernent pas uniquement les femmes. D'après les estimations de l'Observatoire national de la délinquance, 130.000 hommes âgés de 18 à 60 ans, soit 0,7 % d'entre eux, auraient subi des violences infligées par une conjointe ou une ex-conjointe en 2005-2006. Le taux de plainte des hommes victimes de violences conjugales serait inférieur de moitié à celui des femmes victimes des mêmes violences, l'enquête précitée l'évaluant à moins de 5 % .
* 1 Bulletin statistique de l'Observatoire national de la délinquance, juillet 2008.
* 2 Depuis plusieurs années, des instructions sont adressées par les parquets aux services enquêteurs afin qu'une procédure soit établie systématiquement à la place d'une main courante ou d'un procès-verbal de renseignements judiciaires, et ce, même si la victime a refusé de porter plainte ou l'a retirée. De ce fait, entre 2005 et 2009, le nombre de poursuites a augmenté de 21 % tandis que les classements sans suite ont diminué de 34 %. Le nombre de condamnations pour violences conjugales a quant à lui augmenté de plus de 80 % entre 2004 et 2008 (source : ministère de la Justice).
* 3 Lorsque les femmes vivent avec l'auteur des violences au moment des faits. En revanche, lorsque les violences ont été commises par un ex-conjoint, le taux de plainte est supérieur à 50 %.
* 4 L'Enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France, réalisée en 2000, a constitué la première étude exhaustive menée sur ce thème.
* 5 Etude réalisée à partir des réponses données en 2007 par 10.000 personnes âgées de 18 à 60 ans interrogées sur les violences physiques dont elles ont pu être victimes en 2005 ou 2006.