II. DES EVOLUTIONS NÉCESSAIREMENT INSCRITES DANS LE CADRE D'UNE RÉFORME D'ENSEMBLE DE LA PROCÉDURE PÉNALE

A. LES PISTES DE RÉFORME ACTUELLEMENT ENVISAGÉES

1. Les propositions du rapport du comité de réflexion sur la justice pénale

Le comité de réflexion, présidé par M. Philippe Léger, chargé de formuler des propositions visant à réformer la procédure pénale, dans le rapport remis au Président de la République, le 1 er septembre 2009, préconise trois séries d'évolutions du régime de la garde à vue.

Il recommande d'abord un renforcement de la présence de l'avocat durant la garde à vue , d'une part, avec la possibilité d'un nouvel entretien avec l'avocat à la douzième heure , l'avocat ayant alors accès aux procès-verbaux des auditions de son client et, d'autre part, la présence possible de l'avocat dès lors que la garde à vue est prolongée (c'est-à-dire à l'issue de la vingt-quatrième heure).

Cependant, bien que certains de ses membres aient plaidé en ce sens, la majorité du comité n'a pas souhaité que l'avocat soit présent dès la première heure et assiste à l'ensemble des auditions du gardé à vue.

En effet, elle a considéré « qu'il convient de préserver l'efficacité de l'enquête et que les premières investigations se révèlent souvent déterminantes pour la découverte de la vérité ». De même, le comité a estimé nécessaire de conserver les régimes spécifiques retenus actuellement pour la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants et le terrorisme « sous peine de rendre la justice dangereusement impuissante pour le traitement de ces formes graves de délinquance ». Il a proposé néanmoins, s'agissant du trafic de stupéfiants, que l'avocat intervienne non à la soixante-douzième heure mais à la quarante-huitième heure.

Par ailleurs, il a recommandé l'extension de l' enregistrement obligatoire à toutes les gardes à vue .

Enfin, le comité Léger a suggéré de restreindre les possibilités de placements en garde à vue .

Tout d'abord, cette mesure devrait être limitée aux cas où la contrainte est absolument nécessaire. En effet, comme le rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation, « aucune disposition légale n'impose à l'officier de police judiciaire de placer en garde à vue une personne entendue sur les faits qui lui sont imputés dès lors qu'elle a accepté d'être immédiatement auditionnée et qu'aucune contrainte n'a été exercée durant le temps strictement nécessaire à son audition où elle est demeurée à la disposition des enquêteurs » 12 ( * ) .

Ensuite, le comité a souhaité une limitation fondée sur la nature des faits susceptibles de justifier la garde à vue . Il a préconisé l'interdiction de la garde à vue pour les infractions pour lesquelles aucune peine d'emprisonnement n'est encourue.

Afin de permettre à la justice et aux services de police judiciaire d'élucider les infractions et de poursuivre efficacement leurs auteurs, le comité propose la création d'une retenue judiciaire pour toute personne soupçonnée d'une infraction passible d'une peine d'emprisonnement inférieur à cinq ans. Ce dispositif serait limité à une durée maximale de six heures et comporterait des garanties réduites par rapport à celles de la garde à vue (information du procureur qui pourrait à tout moment décider la levée de la mesure et droit de l'intéressé de s'entretenir avec un avocat). Si, au cours de la retenue, il apparaît que des investigations plus importantes sont nécessaires, la mesure pourrait être transformée en garde à vue -les heures écoulées devant alors être décomptées du délai de la garde à vue.

2. Les grandes lignes de la réforme envisagée par le Gouvernement

Lors du débat sur la question orale présentée par M. Jacques Mézard, la ministre de la justice et des libertés a donné plusieurs indications sur les modifications du régime de la garde à vue envisagées par le gouvernement dans le cadre de la réforme du code de procédure pénale.

En premier lieu, et il faut s'en réjouir, le gouvernement n'a pas repris la suggestion formulée par le comité Léger d'instaurer une retenue qui, faute de garanties identiques à celles de la garde à vue, n'aurait pas contribué à renforcer la protection des libertés individuelles. Mme Michèle Alliot-Marie a en revanche évoqué la possibilité d'une audition par les services de police judiciaire de la personne, avec son accord , pendant une durée qui ne saurait excéder quatre heures.

Le principe de cette audition libre serait réservé aux infractions « ne présentant pas un caractère de particulière gravité ». Par ailleurs, la personne pourrait demander à être placée en garde à vue afin de bénéficier des droits qui y sont associés (information des proches, assistance de l'avocat et, le cas échéant, d'un médecin, connaissance de la nature de l'infraction reprochée...).

En deuxième lieu, le recours à la garde à vue serait limité aux crimes ou délits passibles d'une peine d'emprisonnement .

En outre, en matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne pourrait être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites par un gardé à vue qui n'aurait pu bénéficier de l'assistance d'un avocat.

Enfin, en cas de prolongation de la garde à vue au-delà de la vingt-quatrième heure, le gardé à vue pourrait être assisté par son avocat pendant toute la durée de la prolongation. L'avocat exercerait alors pleinement sa fonction de conseil en posant des questions ou en formulant des observations.

B. LA PROPOSITION DE LOI : DES DISPOSITIONS PLUS AMBITIEUSES JUSTIFIANT UNE RÉFLEXION APPROFONDIE

La proposition de loi présentée par M. Jacques Mézard ainsi que par plusieurs de ses collègues du groupe du Rassemblement démocratique et social européen bouleverse le régime actuel de la garde à vue.

Constituée d'un article unique, elle tend à modifier l'article 63-4 du code de procédure pénale. Le principe en est simple : la personne gardée à vue, ne saurait, en principe, être entendue sans être assistée de son avocat.

Cette règle se décline avec quelques nuances selon les différentes étapes du déroulement de la garde à vue :

- au début de la garde à vue , la personne gardée à vue est assistée d'un avocat pour la première audition, si elle en fait la demande . En conséquence, l' audition serait différée jusqu'à l'arrivée de l'avocat ;

- à l' issue de cette audition , la personne ne pourrait être entendue, interrogée ou assister à tout acte d'enquête hors la présence de l'avocat sauf si elle renonce expressément à ce droit .

En cas de prolongation, la personne disposerait naturellement de droits identiques : la personne pourrait ainsi demander à faire l'objet d'une audition assistée d'un avocat, si elle en fait la demande.

Enfin, la proposition de loi vise ainsi à supprimer les régimes dérogatoires relatifs à la grande criminalité. Le report à la soixante-douzième heure de l'intervention de l'avocat serait néanmoins maintenu pour les crimes et délits constituant des actes de terrorisme .

L'extension du rôle de l'avocat ne va toutefois pas jusqu'à l'accès immédiat au dossier.

Il est vrai qu'en principe cette mesure est délicate à mettre en oeuvre : en cas d'interpellation, particulièrement dans une enquête de flagrance, le dossier est constitué matériellement au cours de la garde à vue, l'ensemble des procès-verbaux étant rédigés et rassemblés uniquement à la fin de la mesure.

En outre, la proposition de loi prévoit expressément que « l'avocat ne peut faire état auprès de quiconque du ou des entretiens avec la personne placée en garde à vue pendant la durée de cette dernière ».

*

* *

Sans doute, la proposition de loi présentée par notre collègue appelle-t-elle certaines réserves. Ainsi, votre rapporteur est hostile à la suppression des dispositifs dérogatoires concernant les formes les plus graves de criminalité qui, aux termes du texte proposé, seraient réservés aux seules infractions de terrorisme.

Ces dispositions n'en constituent pas moins une base cohérente d'évolution du régime de la garde à vue, inscrite dans une démarche constructive .

Votre commission a rappelé qu'une réforme d'ampleur de la procédure pénale serait prochainement soumise au Parlement. Elle s'est demandé si le régime de la garde à vue pouvait être appréhendé indépendamment des choix qui seraient fait sur le déroulement de l'enquête et, en particulier, sur le rôle dévolu dans ce cadre, au procureur de la République.

Elle a estimé, en tout état de cause, que la réflexion n'était sans doute pas encore mûre sur des sujets délicats tels que l'organisation effective de la défense dans le cas où la présence de l'avocat serait admise pendant les interrogatoires de garde à vue, l'accès de la défense au dossier ou encore la possible évolution des régimes dérogatoires. Aussi a-t-elle souhaité que le débat se poursuive sur ces sujets et se nourrisse des propositions du Gouvernement.

Votre commission a décidé en conséquence, à ce stade, de ne pas établir de texte et d'adopter une motion tendant au renvoi en commission de la présente proposition de loi.

* 12 Cour de cass, crim, 2 septembre 2003.

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