III. UNE POLITIQUE ENCORE EN CHANTIER
Comme l'a souligné votre rapporteure spéciale à l'occasion de l'examen du PLF pour 2009, une politique immobilière digne de ce nom ne peut se borner à la réalisation de ventes patrimoniales , serait-ce dans les meilleures conditions possibles pour les intérêts financiers de l'Etat. Les cessions ne doivent pas constituer un objectif « final », mais seulement l'un des vecteurs d'une gestion cohérente ; le but véritable est la rationalisation des coûts et des implantations . L'état actuel du marché immobilier, qui a empêché en 2008 et empêchera vraisemblablement à nouveau, en 2009 voire en 2010, de procéder à toutes les ventes initialement programmées (cf. supra , II), met en relief cette exigence.
Les progrès réalisés , depuis la rénovation de la politique immobilière de l'Etat lancée en 2004-2005 , ont été importants . Les chantiers qui demeurent , cependant , le sont au moins tout autant . La doctrine de la gestion immobilière de l'Etat reste en cours de constitution, ses instruments sont élaborés progressivement. Il faut souligner le caractère essentiel que revêt ici la volonté politique , tant peuvent se révéler prégnantes les réticences au changement.
Votre rapporteure spéciale, ci-après, dresse un état des lieux synthétique des avancées récentes et des perspectives à court terme, en présentant d'abord les mesures qui participent de la « refondation » de cette gestion, puis celles qui réalisent l'extension de son périmètre, enfin celles qui tendent à en améliorer la gouvernance et les outils.
A. LA « REFONDATION » DE LA GESTION IMMOBILIÈRE DE L'ETAT
Trois mesures sont constitutives d'une véritable « refondation » - une consolidation à partir de bases plus solides - de la gestion, par l'Etat, de son patrimoine immobilier.
1. L'amélioration de l'inventaire et de la valorisation du patrimoine immobilier de l'Etat
Pour assurer une gestion efficace, la connaissance exhaustive du patrimoine en cause est primordiale. Or, dans son rapport de certification des comptes de l'Etat pour 2008, la Cour des comptes a maintenu la réserve substantielle , qu'elle avait déjà formulée pour les exercices 2006 et 2007, quant à la qualité de l'inventaire et de la valorisation du parc immobilier .
Comme indiqué plus haut, le patrimoine immobilier a été inscrit dans le bilan de l'Etat, au 31 décembre 2008, pour une valeur de 62,4 milliards d'euros . Dans le détail, ce patrimoine se compose de terrains pour 3 milliards d'euros et de bâtiments pour 59 milliards d'euros , dont 5,1 milliards d'euros au titre des biens dits « spécifiques », principalement les établissements pénitentiaires.
D'après les indications fournies à votre rapporteure spéciale, 7 % des immeubles de l'Etat n'étaient pas été évalués convenablement à la clôture de l'exercice 2008 :
- d'une part, 4 % de ces biens, soit 1.306 immeubles dont 179 situés à l'étranger et 363 situés dans les collectivités et départements d'outre-mer, n'avaient jamais fait l'objet d'une évaluation depuis leur entrée dans le patrimoine de l'Etat. Le service France Domaine s'est engagé à faire évaluer ces immeubles en 2009 ;
- d'autre part, 3 % des biens concernés n'avaient pas été évalués sur place , comme l'imposent les normes comptables, ce qui a faussé leur valeur de marché. Une clarification de méthode a été apportée , sur ce point, dans une note pour l'inventaire relatif à l'année 2009, diffusée en juillet dernier dans les services déconcentrés des domaines.
2. La substitution de « conventions d'utilisation » au régime de l'affectation des immeubles domaniaux
Un des principaux obstacles à la mise en oeuvre d'une gestion efficace du patrimoine immobilier de l'Etat semble résider dans l' habitude des différentes administrations à se comporter en « quasi-propriétaires », bien qu'elles ne soient qu'affectataires des immeubles qu'elles occupent. Pour porter remède à cette situation, conformément aux orientations du conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP) du 12 décembre 2007, le décret n° 2008-1248 du 1 er décembre 2008 relatif à l'utilisation des immeubles domaniaux par l'Etat et ses établissements publics, précisé par deux circulaires du Premier ministre en date du 16 janvier 2009 (l'une adressée aux ministre, l'autre aux préfets), a abrogé les régimes de l'affectation aux services de l'Etat et de l'attribution à titre de dotation au profit des établissements publics, pour leur substituer un régime, nouveau, de « conventions d'utilisation ».
Par ces conventions, l'Etat propriétaire peut mettre à la disposition des administrations des immeubles domaniaux. Conclue pour une durée déterminée, conçue sur le modèle des baux privés mais prenant en compte les contraintes inhérentes aux missions de service public, chaque convention formalise les engagements pris de part et d'autre . Elle fixe des objectifs de performance immobilière, sert de support aux loyers budgétaires et à la mise en oeuvre de la politique d'entretien des bâtiments de l'Etat, et doit permettre de s'assurer, à échéances régulières, de l'utilisation rationnelle des surfaces de bureaux.
Juridiquement, le service France Domaine dispose de cinq ans pour la signature de l'ensemble des conventions, la priorité étant donnée aux immeubles de bureaux ; les arrêtés d'affectation et de remise en dotation continuent de produire leurs effets dans l'intervalle. Toutefois, suivant les renseignements donnés à votre rapporteure spéciale, l'objectif est d'avoir couvert la totalité du parc immobilier d'ici l'année 2013 .
3. Une mutualisation de l'emploi des produits de cessions immobilières à renforcer
Un facteur important du maintien de réflexes de « quasi-propriétaires » dont peuvent témoigner les ministères réside dans le régime d'intéressement aux cessions immobilières qui a été aménagé, en leur faveur, afin de les inciter à la réalisation de ces ventes.
Les circulaires du Premier ministre du 16 janvier 2009 , précitées, ont modifié ce régime (rappelé en détail dans l'encadré ci-dessous), dans le sens d'une mutualisation , sauf exception , à hauteur de 20 % des recettes de cession . La mesure vise à dégager une marge financière au profit de projets, s'inscrivant dans une gestion patrimoniale rationalisée, que certains ministères n'ont pas les moyens de soutenir, notamment ceux qui, ne bénéficiant pas d'un vaste parc immobilier, ne peuvent procéder à un niveau de cessions suffisant pour dégager les crédits requis. En outre, en ce qui concerne les cessions menées pour les services déconcentrés entrant dans le champ de la réforme de l'administration territoriale de l'Etat (« RéATE », qui doit conduire à la mise en place de directions départementales interministérielles), la mutualisation des produits est intégrale .
L'intéressement des ministères aux cessions immobilières Suivant le régime défini en 2004 par le Gouvernement, les ministères bénéficient d'un droit de retour sur les produits de leurs cessions immobilières, en vue de financer les opérations de relogement de leurs services ou des dépenses immobilières d'investissement. D'abord fixé, en principe, à hauteur de 85 % des produits de cession constatés, le taux de ce « retour » au bénéfice des ministères a été abaissé à 65 % à compter de 2009, afin de dégager une réserve de crédits mutualisés à hauteur de 20 % ; pour les services déconcentrés concernés par la réforme de l'administration territoriale de l'Etat (RéATE), la totalité des 85 % est mutualisée. Par ailleurs, en 2009 a été abandonnée la différence de taux de retour des produits qui existait, jusqu'alors, en fonction du caractère occupé ou inoccupé des immeubles vendus. Les 15 % de produits restant sont affectés au désendettement de l'Etat . En vue de donner un fondement législatif à ce régime, à l'initiative de votre rapporteure spéciale, l'article 195 de la LFI pour 2009 a fixé la règle selon laquelle « les produits de cessions de biens immeubles de l'Etat sont affectés à son désendettement à hauteur d'un minimum de 15 % » . Toutefois, à l'initiative du Gouvernement, pour conserver les règles antérieurement fixées, il a été précisé que, par dérogation, « la contribution au désendettement de l'Etat ne s'applique pas aux produits de cessions des immeubles domaniaux mis à la disposition du ministère de la défense jusqu'au 31 décembre 2014, aux produits de cessions des immeubles domaniaux situés à l'étranger et, jusqu'au 31 décembre 2009, aux produits de cessions des immeubles domaniaux mis à disposition des services du ministère chargé de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire ». Pour ces produits, le taux de retour aux ministères concernés est de 100 % , et la mutualisation partielle décidée à compter de 2009 ne s'applique pas. Source : documentation budgétaire |
Cette mutualisation des ressources issues des cessions immobilières, aux yeux de votre rapporteure spéciale, constitue un « premier pas » dans la bonne direction , qui est celle de la reconnaissance d'un « Etat propriétaire » unique. Cependant, la mesure reste encore très partielle :
- d'une part, lorsqu'elle s'exerce, ce n'est, sauf cas de la RéATE, qu'à hauteur de 20 % des produits ;
- d'autre part, elle ne concerne, notamment, ni les cessions du ministère de la défense ni celles d'immeubles situés à l'étranger.
Comme l'a déjà fait valoir votre rapporteure spéciale, il y a donc lieu de poursuivre plus avant dans cette voie, en mettant progressivement fin à des régimes d'intéressement aux cessions qui ne se justifiaient, à titre d'incitation des ministères à vendre, que dans les premiers temps de la rationalisation du patrimoine immobilier de l'Etat .