c) ...et compenser, dans une certaine mesure, le cantonnement de l'« Etat-providence »
Dans une approche cette fois microéconomique, le lien entre le développement du crédit et un certain retrait de l'Etat providence a pu être établi.
Au cours des années soixante à soixante-dix, les différents aspects de « l'inclusion sociale » (versement des salaires, protection contre les risques maladie et chômage) ont nécessité une intermédiation bancaire croissante ; ce mouvement a pu être qualifié de « financiarisation des rapports sociaux » (Servet, 2004).
Dans ce contexte, le rôle social du crédit s'est alors affirmé pour satisfaire deux types de besoins : d'abord, le besoin de promotion (achat de biens ou de services, y compris de formations), puis, après les « Trente glorieuses » , le besoin de protection , qui selon certains auteurs « s'affirme progressivement comme une finalité majeure » 10 ( * ) .
En effet, les solidarités traditionnelles sont devenues moins facilement mobilisables tandis que le rôle protecteur de l'Etat, soumis à une contrainte budgétaire croissante, a fait l'objet de certaines remises en cause (par exemple sur le plan de la santé), alors même que, d'une part, les standards de consommation et de bien-être continuaient à progresser et que, d'autre part, un chômage de masse s'instaurait, engendrant de nombreuses situations de précarité professionnelles et familiales.
Dans un récent rapport 11 ( * ) , le Conseil économique, social et environnemental observe ainsi que « depuis quelque temps, certains établissements financiers proposent des crédits spécifiques dédiés à la santé en matière de soins dentaires, optiques, prothèses auditives, permettant aux assurés de financer les dépenses restant à leur charge après remboursement de la sécurité sociale et/ou de leurs mutuelles.
« Ce crédit est distribué avec un TEG de 5,90 %. Les associations de consommateurs ne manquent pas de dénoncer ces nouveaux types de crédit, rendus possibles par l'augmentation régulière des « restes à charge » même pour les personnes ayant souscrit des complémentaires, comme un pas supplémentaire vers la « marchandisation » de la santé.
« Le recours au crédit se substitue donc parfois à la diminution ou à la suppression de prestations versées par des mutuelles ou des complémentaires retraites que des personnes en difficulté financière ont été contraintes d'abandonner. En cas de difficultés financières supplémentaires, les effets seront cumulatifs et donc très périlleux... Pourtant, les emprunteurs y voient la solution à leurs problèmes sans en mesurer, la plupart du temps, réellement les dangers ».
Si les administrations publiques se trouvent soumises, les années à venir, à une forte contrainte de désendettement, on ne peut exclure que des tensions importantes se portent sur des dépenses publiques substituables, c'est-à-dire correspondant à des besoins susceptibles d'être plus ou moins satisfaits par des initiatives ou un financement privés, dont les chapitres les plus importants concernent la santé et l'éducation.
Finalement, un accès fluidifié au crédit pourrait non seulement présenter un intérêt macroéconomique immédiat (soutenir la demande), mais encore aider à satisfaire certains besoins essentiels des particuliers , voire conditionner une élévation de la croissance potentielle qui dépend largement de la proportion de la population recevant un enseignement supérieur de qualité, le cas échéant financé au moyen du crédit 12 ( * ) .
* 10 Voir « La pauvreté dans les sociétés financiarisées » - Georges Gloukoviesoff - Regards croisés sur l'économie n° 4 - La Découverte, 2008.
* 11 Rapport présenté en 2007 par Mme Pierrette Crosemarie et intitulé « Le surendettement des particuliers » .
* 12 C'est aujourd'hui une pratique courante dans la plupart des grandes démocraties libérales, quoique principalement dispensée sous forme de prêts publics. Dans les pays de l'OCDE, l'accroissement des taux de scolarisation dans l'enseignement supérieur s'est accompagné d'une diminution de la part publique du financement des établissements concernés. Selon la moyenne établie sur la base des 18 pays de l'OCDE dont les données tendancielles sont disponibles, la part publique du financement des établissements d'enseignement supérieur a régressé entre 1995 (79 %) et 2005 (73 %). Cette diminution s'explique essentiellement par une tendance qui s'est observée jusqu'alors dans des pays non européens, à savoir des frais de scolarité plus élevés et une plus grande participation des entreprises au financement des établissements d'enseignement supérieur.