N° 369 rectifié
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009
Annexe au procès-verbal de la séance du 28 avril 2009 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires économiques (1) sur la proposition de résolution européenne présentée par Mmes Catherine TASCA, Michèle ANDRÉ, MM. Robert BADINTER, Yannick BODIN, Didier BOULAUD, Mmes Bernadette BOURZAI, Monique CERISIER-ben GUIGA, M. Pierre-Yves COLLOMBAT, Mme Christiane DEMONTÈS, MM. Yves KRATTINGER, Serge LAGAUCHE, Jean-Claude PEYRONNET, Roland RIES, Simon SUTOUR, Michel TESTON et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, en application de l'article 73 bis du Règlement, sur la communication de la Commission européenne sur sa stratégie politique annuelle pour 2009 (COM (2008) 72 FINAL),
Par M. Pierre HÉRISSON,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Paul Emorine , président ; MM. Gérard César, Gérard Cornu, Pierre Hérisson, Daniel Raoul, Mme Odette Herviaux, MM. Marcel Deneux, Daniel Marsin, Gérard Le Cam , vice-présidents ; M. Dominique Braye, Mme Élisabeth Lamure, MM. Bruno Sido, Thierry Repentin, Paul Raoult, Daniel Soulage, Bruno Retailleau , secrétaires ; MM. Pierre André, Serge Andreoni, Gérard Bailly, Michel Bécot, Joël Billard, Claude Biwer, Jean Bizet, Yannick Botrel, Martial Bourquin, Jean-Pierre Caffet, Yves Chastan, Alain Chatillon, Roland Courteau, Jean-Claude Danglot, Philippe Darniche, Marc Daunis, Denis Detcheverry, Mme Évelyne Didier, MM. Philippe Dominati, Michel Doublet, Daniel Dubois, Alain Fauconnier, François Fortassin, Alain Fouché, Adrien Giraud, Francis Grignon, Didier Guillaume, Michel Houel, Alain Houpert, Mme Christiane Hummel, M. Benoît Huré, Mme Bariza Khiari, MM. Daniel Laurent, Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Claude Lise, Roger Madec, Michel Magras, Hervé Maurey, Jean-Claude Merceron, Jean-Jacques Mirassou, Jacques Muller, Robert Navarro, Louis Nègre, Mme Jacqueline Panis, MM. Jean-Marc Pastor, Georges Patient, François Patriat, Philippe Paul, Jackie Pierre, Rémy Pointereau, Ladislas Poniatowski, Marcel Rainaud, Charles Revet, Roland Ries, Mmes Mireille Schurch, Esther Sittler, Odette Terrade, MM. Michel Teston, Robert Tropeano, Raymond Vall. |
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Sénat : |
57 rectifié (2008-2009) |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le 27 octobre dernier une proposition de résolution portant sur la communication de la Commission européenne sur sa stratégie politique annuelle pour 2009 1 ( * ) a été déposée par Mme Catherine Tasca et plusieurs de ses collègues sur le Bureau du Sénat.
Cette proposition de résolution est examinée par votre commission des affaires économiques conformément à l'article 73 bis du règlement. Il s'agit également d'une mise en application de la réforme constitutionnelle du 23 juillet dernier : elle porte en effet sur un document non transmis par le Gouvernement, alors que le Sénat ne pouvait pas, auparavant, se saisir de sa propre initiative d'un document émanant d'une institution européenne.
Votre rapporteur se réjouit de cette occasion qui permet au Sénat d'exprimer sa position sur la question importante des services publics ou, pour employer un vocabulaire plus approprié au niveau européen, des services d'intérêt général. Si la question est particulièrement technique, elle est également d'une grande portée pour la vie quotidienne des Européens.
Or la crise conduit à porter un regard nouveau sur les services d'intérêt général et sur l'action des pouvoirs publics dans l'économie. Elle a mis en évidence l'incapacité des seuls mécanismes du marché à réguler par eux-mêmes l'économie. L'intervention publique - les politiques menées au niveau national comme les conclusions du G20 de début avril le montrent bien - est aujourd'hui non seulement acceptée, mais recommandée au niveau international pour contribuer à tirer les entreprises et les citoyens de l'ornière dans lequel l'effondrement du système financier les a poussés.
Votre rapporteur a souhaité pour cette raison s'associer à l'objectif de la proposition de résolution de renforcer le statut des services d'intérêt général, sans pour autant reprendre à son compte l'exposé des motifs, dont le caractère polémique lui apparaît très disproportionné et sans lien avec le sujet traité. Il a par ailleurs estimé que cet objectif nécessitait l'adoption d'un outil juridique communautaire, sans que celui-ci soit nécessairement une directive-cadre.
Il faut espérer qu'une telle résolution du Sénat, discutée en séance publique, contribue à un large débat sur le contenu et la portée des services d'intérêt général, qui s'inscrira dans le contexte des élections européennes puis du renouvellement de la Commission européenne.
I. FACE À LA CRISE, LES SERVICES D'INTÉRÊT GÉNÉRAL SONT EN EUROPE UN POINT D'APPUI POUR MIEUX REDÉMARRER
Tous les compteurs sont au rouge. Dans une note conjointe 2 ( * ) , les trois grands instituts d'analyse économique français, allemand et italien pointent du doigt une chute du PIB de 1,6 % au dernier trimestre 2008, contraction qui devrait se poursuivre pendant les trois premiers trimestres au moins de 2009. La consommation privée, longtemps moteur de la croissance en France, se réduit avec la diminution du revenu disponible des ménages.
Le marché du travail se détériore : 88.700 emplois ont été perdus au quatrième trimestre 2008 en France 3 ( * ) et le FMI prévoit que le taux de chômage dépassera l'an prochain les 10 % dans les plupart des économies avancées 4 ( * ) . En Espagne, le taux de chômage a dépassé 17 % au premier trimestre 2009, contre moins de 14 % trois mois auparavant 5 ( * ) .
A. LES SERVICES PUBLICS PEUVENT CONTRIBUER À LIMITER LES EFFETS DÉVASTATEURS DE LA CRISE
Les services publics et les services d'intérêt général sont un facteur clé de cohésion économique, sociale et territoriale, particulièrement nécessaire en temps de crise.
L'offre de services publics, au même titre que la protection sociale, participe à la préservation de cette cohésion.
Le « coussin protecteur » du modèle social européen Comme l'indique l'économiste Paul Krugman 6 ( * ) , « prix Nobel » d'économie 2008, un Etat-providence généreux réduit la souffrance causée par la période de crise en Europe et limite la baisse de la consommation. L'OFCE estime également que le modèle social français « dote les ménages français de filets de sécurité plus conséquents, appréciables en période de fort ralentissement de l'activité » 7 ( * ) . Les « stabilisateurs automatiques » limitent dans une certaine mesure l'impact de la crise dans les pays européens : la baisse des revenus distribués par les entreprises est contrebalancée par une augmentation des revenus sociaux (dont les indemnités liées au chômage) mais également par des mesures relatives au marché du travail : ainsi les entreprises allemandes parviennent-elles à réduire les licenciements massifs en recourant au dispositif du « Kurzarbeit » qui permet, pendant une durée limitée, de réduire la durée horaire du travail. L'enjeu est essentiel : - les salariés conservent un pouvoir d'achat suffisant et une qualification qui maintient leur employabilité ; - les entreprises ne se séparent pas d'une main d'oeuvre expérimentée, ce qui leur permettra de profiter plus rapidement de la reprise à la sortie de la crise. |
Or, au-delà des seules dépenses sociales, l'offre de services publics contribue à réduire les inégalités . Nos collègues Joël Bourdin et Yvon Collin, dans un récent rapport sur la coordination des politiques économiques en Europe rendu au nom de la délégation du Sénat pour la planification 8 ( * ) , notent en se fondant sur des calculs élaborés par l'OCDE 9 ( * ) que les prestations en natures fournies dans le cadre des services publics constituent un facteur important de réduction des inégalités .
D'après les estimations de l'OCDE :
- la France et l'Allemagne ont un niveau d'inégalité des revenus supérieur à celui des Pays-Bas ;
- toutefois, la France comble la différence avec les Pays-Bas grâce à un haut niveau de redistribution en nature par les services publics, ce qui n'est pas le cas de l'Allemagne.
Enfin, les services publics assurent des services que le marché ne serait pas en mesure de fournir de lui-même , notamment en termes d'action sociale et d'aménagement du territoire.
Votre rapporteur souligne l'importance de cette mission des services publics. À titre d'exemple, il peut témoigner, en sa qualité de président de l'Observatoire national de la présence postale, de la nécessité d'assurer au service public postal les moyens d'assurer sa mission d'aménagement du territoire en assurant un financement équilibré et pérenne au fonds national de péréquation postale territoriale.
B. LA CRISE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE A MONTRÉ LES LIMITES D'UNE RÉGULATION PAR LES SEULES RÈGLES DU MARCHÉ
L'urgence de la situation a remis en cause en l'espace de quelques mois les modèles de libéralisme et de non-intervention qui depuis les années 1980 étaient présentés, au niveau européen comme mondial, comme le modèle unique de toute « bonne » politique économique.
Désormais la capacité des marchés financiers à se réguler eux-mêmes est remise en cause explicitement et l'intervention de l'Etat n'est plus considérée comme suspecte a priori. L'idée selon laquelle l'économie pourrait sortir de la crise par les seuls moyens du marché n'a plus cours.
Début avril 2009, le sommet du G20 a ainsi annoncé des actions d'une nature et d'une dimension inimaginables quelques mois plus tôt : triplement des ressources du fonds monétaire international (FMI) à 750 milliards de dollars, déblocage de 1.100 milliards de dollars au total pour soutenir l'économie et renforcement du système de régulation des marchés financiers.
Dès lors la position traditionnelle de la Commission européenne paraît difficile à tenir : le strict respect des règles de concurrence ne peut constituer la seule règle d'action (ou de non-action) pour les autorités publiques. Si ces règles favorisent en période normale un développement des marchés pour le bénéfice des consommateurs, elles doivent être conciliées avec une intervention publique qui en limite les excès, que ce soit en période de crise ou pour préserver les équilibres sociaux ou territoriaux.
La Commission elle-même a commencé à prendre compte la nouvelle situation en autorisant, le 26 novembre 2008, les Etats membres à accorder, jusqu'à la fin de 2010, une aide forfaitaire maximale de 500.000 euros par entreprise. La règle dite de minimis fixait auparavant un seuil de 200.000 euros, en-dessous duquel les aides ne sont pas considérées comme des aides d'Etat.
C. L'EUROPE EST LE NIVEAU D'INTERVENTION ADÉQUAT POUR PRÉSERVER LES SERVICES PUBLICS
La réponse à une crise mondiale ne peut être nationale.
Au niveau européen particulièrement, c'est la quasi-totalité des pays membres de l'Union qui sont touchés à des degrés divers mais selon des processus analogues : crise immobilière, récession, augmentation du chômage.
L'économie européenne est fortement intégrée : la France destine 63,7 % de ses exportations aux autres pays membres de l'Union européenne, dont proviennent 59,4 % de ses importations 10 ( * ) . Toute dépense d'argent public en faveur d'un secteur économique est susceptible de profiter à des entreprises situées hors des frontières aussi bien qu'aux entreprises nationales. Une coordination au niveau communautaire apparaît donc comme nécessaire afin d'assurer leur pleine efficacité aux dispositifs d'aide publique.
Face à cette intégration qui fait de l'Europe un géant économique, l'Europe sociale manque de visibilité . Comme l'estimait Mme Catherine Tasca devant la délégation du Sénat pour l'Union européenne, le 4 juin 2008, « le débat juridique et institutionnel masque la vraie question d'ordre politique qui touche le projet même de la société européenne ».
L'Europe peut pourtant afficher des succès indéniables en matière de liberté de circulation et de coordination des régimes de sécurité sociale, d'égalité entre hommes et femmes et de lutte contre les discriminations, confortés sur le plan des principes par l'adoption de la Charte des droits fondamentaux à laquelle le traité de Lisbonne donne une force juridique contraignante. Les institutions communautaires demeurent pourtant perçues comme des « monstres froids » éloignés des préoccupations des citoyens.
À cet égard, une prise de position franche et une action déterminée des instances européennes en faveur du renforcement des services d'intérêt général, notamment dans le domaine social , constitueraient un signal positif . La France pourrait apporter son expérience dans la construction des services publics de qualité aux pays entrés le plus récemment dans l'Union.
* 1 Proposition de résolution européenne n° 57 rectifié, présentée en application de l'article 73 bis du règlement , sur la communication de la Commission européenne sur sa stratégie politique annuelle pour 2009 (COM (2008) 72 final), présentée par Mme Catherine Tasca et plusieurs de ses collègues.
* 2 Euro-zone economic outlook , IFO (Allemagne), INSEE (France), ISAE (Italie), 7 avril 2009.
* 3 INSEE Conjoncture - Informations rapides, n° 46, 13 février 2009 .
* 4 FMI, Perspectives de l'économie mondiale , avril 2009.
* 5 Communiqué de l'Institut espagnol de la statistique, vendredi 24 avril.
* 6 Paul Krugman, New York Times, 16 mars 2009.
* 7 Lettre de l'OFCE , 20 avril 2009.
* 8 Rapport d'information n° 342 (2007-2008) fait MM. Joël Bourdin et Yvon Collin au nom de la délégation du Sénat pour la planification sur la coordination des politiques économiques en Europe (tome II).
* 9 Croissance et inégalités , OCDE, octobre 2008.
* 10 Chiffres de la Direction générale des douanes et droits indirects.