II. LA DÉFINITION DES ÉTUDES D'IMPACT JOINTES AU DÉPÔT DES PROJETS DE LOI
A. LES NOUVELLES RÈGLES CONSTITUTIONNELLES DE PRÉSENTATION DES PROJETS DE LOI
L'article 39, troisième alinéa, de la Constitution, dans sa rédaction issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, dispose que la présentation des projets de loi déposés devant l'Assemblée nationale ou le Sénat doit répondre aux conditions fixées par une loi organique.
Cette disposition avait été insérée par l'Assemblée nationale en première lecture. Les députés avaient en effet souhaité que les conditions d'élaboration des projets de loi soient définies par une loi organique. Le Sénat avait ensuite précisé que la loi organique devait déterminer les conditions de présentation des projets de loi déposés devant les assemblées, afin de marquer qu'il s'agissait d'accompagner ces textes de documents relatifs à leur élaboration et à leurs conséquences.
Le dispositif initialement retenu par l'Assemblée nationale consistait à permettre aux Conférences des présidents des deux assemblées de constater conjointement la méconnaissance des règles fixées par la loi organique. Le Sénat avait préféré confier cette appréciation à la Conférence des présidents de la première assemblée saisie.
Aux termes de l'avant-dernier alinéa de l'article 39, dans l'hypothèse où la Conférence des présidents et le Gouvernement auraient des positions divergentes, le président de l'assemblée intéressée ou le Premier ministre pourront saisir le Conseil constitutionnel, qui devra statuer dans les huit jours.
Le juge constitutionnel sera donc, le cas échéant, chargé d'apprécier le respect des dispositions organiques relatives à la présentation des projets de loi.
Aux termes de l'article 46 de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, les nouvelles dispositions de l'article 39 entrent en vigueur dans les conditions fixées par la loi organique.
B. L'EXPÉRIENCE PEU PROBANTE DES ÉTUDES D'IMPACT EN FRANCE
- L'échec d'un dispositif défini par des circulaires
Les tentatives visant à rendre obligatoires dans les années 1995-2003 les études d'impact préalables à l'élaboration de nouvelles législations n'ont guère été concluantes dans notre pays.
En effet, plusieurs circulaires du Premier ministre ont tenté d'imposer la réalisation d'études d'impact pour les projets de loi et les projets de décret les plus importants 7 ( * ) .
La circulaire du Premier ministre du 21 novembre 1995 relative à l'expérimentation d'une étude d'impact accompagnant les projets de loi et les projets de décret en Conseil d'État prescrivait une méthodologie ambitieuse, chaque étude d'impact devant « permettre au Parlement comme au Gouvernement de légiférer et réglementer à bon escient, en les éclairant mieux qu'ils ne le sont actuellement sur la portée et les incidences des projets qui leur sont soumis ».
Après un bilan peu satisfaisant de cette expérimentation 8 ( * ) , la circulaire du Premier ministre du 26 janvier 1998 relative à l'étude d'impact des projets de loi et des projets de décret en Conseil d'État tente de compléter ce dispositif. Un groupe de travail sur la qualité de la réglementation relève quatre années plus tard que les études d'impact apparaissent comme une contrainte procédurale pour les administrations et perdent progressivement leur intérêt 9 ( * ) .
Le rapport de ce groupe de travail souligne que l'étude est souvent réalisée in fine , lorsque le texte a été élaboré et les arbitrages rendus, les services en charge des projets de texte ayant « tendance à attendre le dernier moment pour préparer l'étude d'impact ». Il observe que « le fait que les études d'impact soient, de manière générale, préparées par les fonctionnaires qui ont rédigé le projet de texte lui-même ainsi que son exposé des motifs ou rapport de présentation, n'est pas sans inconvénients. Il leur est en effet difficile de prendre un peu de recul par rapport à ce projet et d'en faire une analyse critique, mentionnant les aspects négatifs éventuels [...]. »
Comme le relève le Conseil d'Etat dans son rapport public consacré en 2006 à la sécurité juridique et à la complexité du droit, les dispositions de la circulaire du 26 janvier 1998, prévoyant que le cabinet du Premier ministre et le secrétaire général du Gouvernement n'accepteraient pas, « sauf cas exceptionnel dûment justifié par une extrême urgence » l'examen interministériel de projets de textes dépourvus d'une étude d'impact conforme aux exigences définies, « ne paraissent pas avoir été appliquées ». De même, « la faculté ouverte au cabinet du Premier ministre de décider une contre-expertise, ou au Conseil d'État d'ajourner l'examen du texte auquel ne serait pas jointe une étude d'impact conforme n'a pas davantage été invoquée » 10 ( * ) .
Les délais souvent très courts de préparation des réformes et l'absence de sanction en cas de manquements aux prescriptions relatives à la réalisation d'études d'impact ont eu raison de ce dispositif. Aussi le Gouvernement a-t-il lui-même réduit ses prétentions, les circulaires du 26 août et 30 septembre 2003 prévoyant seulement que des réunions interministérielles de programmation étudient « les alternatives à la réglementation » et décident « s'il est nécessaire de procéder à une étude d'impact, la forme que celle-ci doit prendre et les conditions dans lesquelles elle doit être réalisée ».
L'assouplissement du dispositif a finalement abouti à l'abandon des études d'impact. Un nouveau rapport au Premier ministre sur la qualité de la réglementation, publié en 2004, souligne que l'étude d'impact doit être à la fois un outil de décision et un instrument de changement du processus même de règlementation 11 ( * ) .
Pourtant, en matière d'évaluation préalable des réformes, certaines expériences étrangères paraissent concluantes.
- Des expériences plus probantes à l'étranger
Le rapport du groupe de travail sur la qualité de la réglementation de 2004 relève que les Etats-Unis, le Canada et le Royaume-Uni ont été les premiers pays à se doter, dès les années 1970-80, de dispositifs d'analyse d'impact de leur réglementation 12 ( * ) . Selon ce rapport, « les expériences des pays de l'OCDE montrent que le contrôle des évaluations par un pôle central est indispensable ». Ce pôle est d'autant plus efficace qu'il est indépendant et animé par des experts.
Au Royaume-Uni, les études d'impact ont d'abord été développées à partir de 1985 dans les domaines intéressant les entreprises, l'environnement et la santé. La pratique a ensuite été progressivement étendue et systématisée, à partir de 1997. Les projets sont soumis à une Mission pour l'amélioration de la qualité de la réglementation, qui évalue notamment la cohérence du dispositif normatif. Des études d'impact sont réalisées en plusieurs étapes, l'évaluation finale étant soumise à l'approbation du ministre compétent. Cette évaluation s'appuie en particulier sur un ensemble de consultations, dont la durée ne peut être inférieure à douze semaines.
Le rapport public 2006 du Conseil d'État relève que « comme au Canada, la rédaction des textes est, en Grande-Bretagne, centralisée au service législatif du Gouvernement. Composé d'une trentaine de juristes rattachés au ministère de la justice, ce service a spécifiquement en charge la rédaction des textes et travaille en étroite concertation avec les équipes ministérielles intéressées ».
En Espagne, la loi du 27 novembre 1997 relative au gouvernement soumet tous les projets de loi et de règlement à une analyse de la nécessité et de l'opportunité de la mesure, complétée par une estimation de son coût. Les projets de loi doivent en conséquence obligatoirement être assortis de documents d'évaluation de la nécessité et du coût de la réforme.
L'Union européenne a également mis en place un dispositif d'analyse d'impact de sa réglementation. Ainsi, à la fin de l'année 2005, les trois institutions européennes - Parlement européen, Conseil et Commission - ont convenu d'une « approche commune de l'analyse d'impact ». Cette approche comporte un ensemble de règles relatives à la préparation et à l'utilisation d'analyses d'impact dans le processus législatif, que les institutions sont tenues de respecter. L'analyse d'impact initiale d'une proposition par la Commission sert généralement de fondement aux analyses éventuellement réalisées par les autres institutions européennes lorsqu'elles apportent des modifications de fond à la proposition de la Commission.
- La nécessité d'un dispositif coercitif
La conception entièrement gouvernementale du dispositif et l'absence de mécanisme de contrôle dans les mains du Parlement semblent constituer les deux principales causes de l'échec des expériences conduites en France en matière d'études d'impact.
A la lumière de ces expériences, il apparaît que la définition d'un fondement constitutionnel à la réalisation des études d'impact et à leur contrôle par le Parlement devrait désormais garantir l'efficacité du dispositif.
S'agissant de la préparation des projets de loi, le législateur doit lui-même définir la teneur de l'étude d'impact. Il sera ainsi en mesure d'influencer le mode d'élaboration de ces textes, le principal objectif des nouvelles conditions de présentation des projets de loi étant de vérifier la pertinence du recours à la législation et d'accroître la cohérence et la simplicité de notre ordonnancement juridique.
Le Parlement doit en outre pouvoir apprécier le contenu de l'étude d'impact qui lui est transmise et, le cas échéant, sanctionner son insuffisance . Le Gouvernement serait alors fortement incité à prendre le temps et les moyens d'une étude approfondie, susceptible d'améliorer la qualité des projets de loi. La perspective de la sanction que peut représenter le refus, par la première assemblée saisie, d'inscrire à l'ordre du jour un projet de loi dont l'étude d'impact serait déficiente, devrait en effet conduire le Gouvernement à remplir de façon satisfaisante cette nouvelle obligation.
Aussi le présent projet de loi organique devrait-il enfin permettre à notre pays de se doter d'un véritable dispositif d'évaluation préalable des réformes législatives.
* 7 Circulaires du 26 juillet 1995, du 21 novembre 1995, du 26 janvier 1998, du 26 août 2003 et du 30 septembre 2003.
* 8 Conseil d'État, étude de la section du rapport et des études, Bilan de l'application de la circulaire du 21 novembre 1995 relative aux études d'impact, mars 1997.
* 9 Rapport du groupe de travail interministériel sur la qualité de la réglementation, présidé par M. Dieudonné Mandelkern, la Documentation française, 2002, p. 107-108.
* 10 Conseil d'État, rapport public 2006, Sécurité juridique et complexité du droit, p. 304-305.
* 11 Pour une meilleure qualité de la réglementation, rapport au Premier ministre, groupe de travail présidé par M. Bruno Lasserre, la Documentation française, 2004, p. 6.
* 12 Idem, p. 37-38.