b) Un statu quo n'est pas acceptable
Au contraire du statut quo qui semble devoir prévaloir, votre commission des affaires économiques estime que le projet de loi qui lui est soumis se devrait d'apporter des réponses à ce problème et ce pour trois raisons :
- d'une part, la mission du législateur ne serait pas totalement exercée si un texte visant à conformer la France à ses obligations européennes ne portait que sur une partie des insuffisances du droit national et non sur toutes celles qui lui sont reprochées dans le cadre de la procédure de recours en manquement susceptible d'être engagée contre la France, dans le prolongement de la mise en demeure du mois de juin dernier ;
- d'autre part, votre commission estime qu'il n'est pas cohérent de nous demander de nous prononcer sur la création d'une autorité de régulation de la concurrence ferroviaire alors que, précisément, le système que cette autorité doit réguler manque singulièrement de transparence en ce qui concerne la répartition des rôles entre les acteurs. Or, votre rapporteur a acquis la conviction que l'on ne peut pas demander à une autorité de régulation, aussi efficace et aussi puissante soit-elle, d'être à elle seule le « redresseur de torts » de toute une organisation. Si l'organisation même de la SNCF conduit à entretenir des liens entre les services d'exploitation du réseau et le reste de l'entreprise ferroviaire, il convient de réformer ces structures sans attendre de la CRAF qu'elle consacre toute son activité à instruire les litiges nés de cette absence d'indépendance des « fonctions essentielles ». En résumé, créer une autorité de régulation dans le système ferroviaire français actuel sans réformer celui-ci reviendrait en grande partie à poser « un cautère sur une jambe de bois » ;
- enfin, il convient d'évoquer une troisième raison qui est davantage d'ordre technique et économique que juridique. Elle tient au fait que, comme l'a mis en exergue le rapport précité de notre collègue Hubert Haenel, les dysfonctionnements dans la gestion du réseau ferroviaire n'affectent pas seulement la transparence de notre système ferroviaire ; ils affectent aussi son niveau de performance. On observe en effet une tendance à l'enclenchement d'un cercle vicieux qui peut être ainsi décrit : le souci des horairistes de RFF de contrôler strictement l'action de son délégataire (SNCF Infra) est un facteur de lourdeur et de rigidité dans la procédure d'allocation des sillons 32 ( * ) , ce qui gêne la prévision des circulations et aboutit à un report massif sur les allocations de sillons à la dernière minute 33 ( * ) (c'est-à-dire compris entre trois mois et huit jours à l'avance) pour lesquels il est possible de bénéficier de plus de souplesse. Sans même évoquer le fait que la gestion des sillons est compliquée par la trop faible prévisibilité des périodes de travaux, le système actuel aboutit à une sous-utilisation du réseau généralement évaluée à environ 15 %. Or, moins de trains qui circulent c'est moins de redevances perçues pour financer l'entretien et la modernisation du réseau 34 ( * ) et de son exploitation, ce qui se traduit en retour par des problèmes de gestion des sillons. Les dysfonctionnements organisationnels liés à la dichotomie entre RFF et SNCF Infra ne posent donc pas seulement des problèmes juridiques mais ils créent des tensions sur notre réseau qui sont incompatibles avec l'objectif de développement du transport ferroviaire.
Plusieurs mois après le rapport de la Cour des comptes 35 ( * ) , un audit de l'Ecole polytechnique de Lausanne 36 ( * ) et le rapport Haenel s'accordant sur ce constat, votre commission a considéré qu'il serait incompréhensible que le présent projet de loi ne soit pas utilisé comme « véhicule législatif » pour améliorer cette situation.
* 32 Les procédures d'échanges et de reporting entre la SNCF et RFF rendent extrêmement difficiles les adaptions ou modifications de la demande de sillons adressée par le demandeur. De même, ce dernier peine à se voir proposer des sillions alternatifs lorsqu'il n'a pas obtenu celui qu'il souhaitait.
* 33 C'est ainsi que les retards pris tout au long de la chaîne de traitement ont fait passer les sillons de dernière minutes et les demandes de changement de 150.000 en 2004 à 350.000 en 2007.
* 34 Non seulement les travaux sur les voies mais aussi par exemple pour l'automatisation des centres d'aiguillages, domaine dans lequel la France est très en retard.
* 35 Rapport public thématique du 15 avril 2008, « Le Réseau ferroviaire : une réforme inachevée, une stratégie incertaine ».
* 36 Audit sur la répartition des capacités d'infrastructure (RFF-SNCF) P. Tzieropoulos et équipe LITEP, décembre 2007.