Article 9 (article 47-5 de la loi du 30 septembre 1986) - Conditions de révocation des présidents des sociétés nationales de programme

I - Le droit existant

L'article 47-5 de la loi du 30 septembre 1986 pose le principe selon lequel « les mandats des présidents des conseils d'administration des sociétés mentionnées aux articles 47-1 à 47-3 peuvent leur être retirés dans les mêmes formes que celles dans lesquelles il leur ont été confiés ».

Ce principe constitue la reprise dans la loi du 30 septembre 1986, du principe posé à l'article L. 225-47 du code de commerce, qui, s'agissant des présidents de conseil d'administration des sociétés anonymes, dispose : « Le conseil d'administration peut le révoquer à tout moment. Toute disposition contraire est réputée non écrite. » 69 ( * )

Toutefois la révocation ad nutum , qui est la règle en matière de sociétés anonymes, ne s'applique aux présidents de conseil d'administration des sociétés nationales de programme qu'avec certains tempéraments : l'article 47-5 de la loi de 1986 posant un principe de parallélisme des formes, la révocation du président des sociétés nationales de programme doit sans doute être motivée comme l'est, en application de l'article 47-4 de la même loi, la nomination de ces derniers.

Pour autant, les dispositions de l'article 47-5 n'ayant jamais été mises en oeuvre, les précédents manquent sur l'encadrement effectif de la procédure de révocation et sur les recours dont la décision de retrait de mandat est susceptible.

Votre commission observe néanmoins que si la révocation n'est encadrée par aucune exigence particulière, s'agissant notamment de ses motifs, elle relève en tout état de cause d'une autorité administrative indépendante. Au-delà du parallélisme des formes posé par l'article 47-5, l'intervention du CSA apparaît comme une garantie essentielle de l'indépendance des présidents des sociétés de l'audiovisuel public.

II - Le texte du projet de loi

L'article 9 du projet de loi modifie le premier alinéa de l'article 47-5 de la loi du 30 septembre 1986, afin de tirer les conséquences de l'article 8, qui crée une nouvelle procédure de nomination.

En effet, l'application du parallélisme des formes prévu par la rédaction en vigueur de l'article 47-5 devenait juridiquement impossible du fait de la création de la procédure prévue à l'article 8 du projet de loi et à l'article unique du projet de loi organique.

Cette procédure suppose en effet l'intervention de trois organes :

- la nomination par décret et l'avis motivé du CSA sont prévus par la loi ordinaire ;

- l'avis des commissions parlementaires permanentes relève de la loi organique prise en application du nouvel article 13 de la Constitution.

Or s'il était loisible au législateur de prévoir que la révocation se faisait par décret, après avis conforme du CSA, il ne l'était pas de poser dans la loi ordinaire le principe d'une intervention des commissions permanentes au titre de l'article 13 de la Constitution.

La jurisprudence constitutionnelle française est en effet marquée par un principe d'interprétation strict en matière de relation entre les pouvoirs. En l'absence de base constitutionnelle explicite, le Conseil constitutionnel ne manque jamais de censurer une disposition étendant les prérogatives respectives du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif.

L'interprétation des articles 34 et 37 de la Constitution fait exception à ce principe jurisprudentiel, mais cette hypothèse singulière trouve son origine dans les instruments qu'offre la Constitution au Gouvernement pour faire respecter le domaine propre du règlement.

Or l'article 13 de la Constitution fait référence à l'exercice du seul pouvoir de nomination et ne vise en aucun cas la révocation . Dès lors, à peine d'inconstitutionnalité, il paraissait impossible de respecter le principe du parallélisme des formes en matière de révocation des présidents des sociétés nationales de programme.

En conséquence, l'article 9 du projet de loi ne reprend que partiellement la procédure applicable à la nomination des présidents des entreprises publiques de l'audiovisuel.

Il prévoit donc l'intervention :

- du pouvoir exécutif , qui a l'initiative du retrait de mandat ;

- du CSA , qui est consulté sur cette révocation. Le retrait de mandat s'exerçant sur avis conforme, le CSA peut donc y faire obstacle.

L'avis conforme, avec possibilité de veto, des commissions parlementaires permanentes n'était donc pas prévu par le projet de loi initial s'agissant de la seule révocation.

III - L'examen par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a adopté deux amendements proposés par le rapporteur au nom de la commission spéciale.

Outre un amendement de clarification rédactionnelle, l'Assemblée a renforcé les garanties entourant la révocation des présidents des sociétés nationales de programme en prévoyant un strict parallélisme des formes entre la nomination et le retrait de mandat.

Les commissions permanentes concernées seront donc consultées au sujet de la révocation et celle-ci ne pourra avoir lieu si les votes négatifs représentent trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

IV - La position de votre commission

Votre commission estime tout d'abord que l'article 9 du projet de loi ne pouvait pas, à peine d'inconstitutionnalité, être adopté dans la rédaction proposée par le Gouvernement.

Le Conseil constitutionnel considère, en effet, que la modification des dispositions légales entourant la nomination et la révocation des présidents des sociétés nationales de programme peut être opérée par le législateur à la seule condition de ne pas priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.

Parmi ces exigences figure l'indépendance des présidents des sociétés nationales de programme qui, en vertu de la jurisprudence constitutionnelle, concourt à l'exercice effectif de la liberté de la communication. 70 ( * )

En l'état du droit, cette indépendance est garantie par l'existence d'une procédure de retrait de mandat opérée dans les mêmes formes que la nomination. Il s'agit là d'une disposition qui n'est pas purement formelle : elle confie en l'espèce au seul CSA la compétence non seulement de nomination, mais aussi de révocation, contribuant ainsi à garantir l'indépendance des présidents des sociétés nationales de programme.

En posant un principe de parallélisme des formes, l'article 47-5 a, en conséquence, défini le niveau minimum des garanties d'indépendance accordées aux présidents des sociétés précitées : leur révocation doit s'opérer dans les mêmes conditions et avec les mêmes garanties que leur nomination.

En prévoyant à l'article 9 que la révocation s'opérait par décret motivé sur avis conforme et motivé du CSA, le projet de loi initial tendait à entourer la révocation de garanties moins strictes que la nomination. Ce faisant, il marquait un recul par rapport à l'équilibre des textes en vigueur, qui posent un parallélisme strict.

Pour votre commission, le législateur peut donc, indépendamment de toute référence à l'habilitation donnée à l'article 13 de la Constitution, subordonner la révocation au respect d'une procédure aussi stricte que celle qui vaut pour la nomination.

Au surplus, votre commission observe que la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a reconnu une compétence particulière au législateur pour garantir la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias. Sur ce seul fondement, il lui est loisible d'apporter les garanties nécessaires à l'indépendance du secteur audiovisuel public.

Votre commission note, à cet égard, qu'une telle compétence reconnue au législateur par la Constitution n'aurait pas de sens si elle excluait la possibilité pour celui-ci de venir subordonner l'exercice du pouvoir de nomination dans le secteur public audiovisuel à l'intervention d'un autre organe ou d'une autre institution.

En effet, s'agissant de ce dernier secteur, l'indépendance et la liberté des médias ne peuvent se définir que dans le rapport que ceux-ci entretiennent avec le pouvoir politique, et singulièrement avec le pouvoir exécutif.

Aussi, sauf à vider de son sens la disposition adoptée dans la Constitution à l'initiative du Sénat sur proposition de M. David Assouline (Soc - Paris), il apparaît impossible de dénier au législateur la possibilité de régler les formes selon lesquelles les présidents des sociétés nationales de programme sont révoqués.

Votre commission observe que l'Assemblée nationale a souhaité un parallélisme des formes s'agissant de sociétés jouant un rôle déterminant dans l'exercice de la liberté de la communication.

Elle estime néanmoins nécessaire de renforcer plus encore ces garanties. L'article 47-5 de la loi du 30 septembre 1986 a, en effet, été inspiré par la volonté de transposer dans le droit applicable aux entreprises publiques de l'audiovisuel la faculté de révocation ad nutum ouverte aux conseils d'administration des sociétés anonymes de droit commun. Cette transposition n'était toutefois que formelle : l'autorité de nomination étant le CSA, la révocation par ce dernier, aussi peu encadrée soit-elle, apparaissait comme une garantie essentielle de l'indépendance des présidents des sociétés nationales de programme.

Lorsque l'autorité de nomination est le pouvoir exécutif, le parallélisme des formes ne revêt plus la même signification : il revient, en effet, à confier à l'autorité politique le soin de prendre l'initiative de la révocation, fragilisant ainsi l'indépendance des présidents des sociétés nationales de programme.

En effet, l'indépendance de ces derniers ne tient pas seulement à leur procédure de nomination, mais aussi et surtout aux conditions qui entourent leur possible révocation.

La nomination par une autorité politique ne signifie pas la subordination à cette autorité si, une fois la nomination opérée, l'indépendance de la personnalité nommée est garantie. A contrario , lorsque la révocation par l'autorité de nomination est la règle, elle signifie une subordination à cette même autorité.

Ici encore, lorsque la nomination des présidents des sociétés de l'audiovisuel public était opérée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, la révocation décidée dans les mêmes formes n'était pas perçue comme une remise en cause de l'indépendance des présidents des sociétés nationales de programme, puisque l'autorité de révocation et de nomination était une autorité administrative indépendante qui ne pouvait s'engager dans un retrait de mandat pour des motifs autres qu'indiscutables.

Tel n'est plus nécessairement le cas lorsque l'autorité de révocation est une autorité politique .

Il ne s'agit pas là d'un cas d'école, puisque M. Philippe Guilhaume, premier président commun des sociétés Antenne 2 et FR3, a démissionné un peu plus d'un an après avoir été nommé suite aux pressions du pouvoir politique. Si de telles pressions étaient imaginables alors que le pouvoir exécutif n'avait pas le pouvoir de révoquer les présidents des sociétés nationales de programme, il n'y a aucune raison d'en exclure la possibilité lorsque l'autorité politique pourra engager elle-même la procédure de retrait de mandat.

C'est pourquoi votre commission estime indispensable d'apporter des garanties supplémentaires en matière de révocation des présidents des sociétés nationales de programme, dans la mesure où leur mandat peut leur être retiré par décret.

Votre commission note avec satisfaction que l'intervention du CSA est prévue par le présent projet de loi. Elle constitue une première garantie significative.

Votre commission juge néanmoins nécessaire de la doubler d'une deuxième garantie reposant sur le pouvoir législatif . Rien ne garantira mieux l'indépendance des présidents des sociétés nationales de programme que le fait de subordonner leur révocation à la confirmation de celle-ci à la majorité qualifiée par les commissions parlementaires permanentes des assemblées.

Dès lors que l'exigence d'une majorité qualifiée sera posée, elle conduira, en effet, à subordonner la révocation à un accord donné aussi bien par des parlementaires de la majorité gouvernementale que par des parlementaires de l'opposition.

La révocation ne pourra alors avoir lieu que si elle apparaît parfaitement justifiée aux yeux de tous. Ce pourrait être le cas si la télévision de service public venait à manquer de manière indiscutable aux missions qui sont les siennes ou si le président d'une société nationale de programme se trouvait dans l'incapacité à exercer ses fonctions pour des raisons personnelles.

Votre commission considère qu'une telle procédure, en soumettant la révocation des présidents des sociétés nationales de programme à des exigences plus fortes que celles valant pour leur nomination, se rapprocherait du régime applicable à la nomination et à la révocation des fonctionnaires et agents publics occupant des emplois jouant un rôle essentiel en matière de préservation des droits et libertés .

Ainsi, le président et les membres des autorités administratives indépendantes sont-ils nommés par des autorités politiques, mais sont irrévocables. Tel est notamment le cas pour les membres et les présidents du Conseil constitutionnel ou du CSA.

De même, les magistrats du siège sont nommés par le Président de la République sur avis conforme ou, dans certaines hypothèses, sur simple avis du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), mais sont inamovibles. Par ailleurs, lorsqu'il statue en matière disciplinaire, le CSM est présidé, s'agissant des magistrats du siège, par le Premier président de la Cour de cassation. Jusqu'à l'adoption de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, tel n'était pas le cas pour les matières autres que disciplinaires, le CSM étant alors présidé par le Président de la République.

Les présidents de société nationale de programmes ne sont pas des dirigeants d'entreprises publiques comme les autres, car leur indépendance est l'une des conditions de l'exercice effectif d'une liberté exercée par la Constitution.

Sans aller jusqu'à l'irrévocabilité, votre commission considère qu'ils doivent bénéficier de garanties particulières. Elle propose donc de subordonner leur révocation à des garanties plus importantes encore que celles qui entourent leur nomination.

Votre commission a donc adopté un amendement prévoyant que la révocation ne peut avoir lieu si le nombre de votes favorables à celle-ci n'atteint pas la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des commissions chargées des affaires culturelles de chacune des deux assemblées parlementaires.

Votre commission vous demande d'adopter l'article 9 ainsi modifié.

* 69 Il n'y a donc aucune différence entre le retrait de mandat et la révocation. L'article L. 225-47 du code précité utilise ainsi le terme de révocation s'agissant du retrait du mandat confié au président du conseil d'administration. La doctrine fait de même. Ainsi le professeur Maurice Cozian n'utilise-t-il que le terme de révocation. Cf. Maurice Cozian et alii, Droit des sociétés, Paris, LITEC, 2007, p.251 et suivantes.

* 70 Cf. la décision n° 89-259 DC du 26 juillet 1989 précitée.

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