II. L'ABSENCE D'INSTRUMENTS JURIDIQUES ADÉQUATS
La pratique des disparitions forcées viole toute une série de droits inhérents à la personne humaine :
- le droit à la sécurité et à la dignité ;
- le droit de ne pas être soumis à la torture ou à d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
- le droit à des conditions de détention humaines ;
- le droit à une personnalité juridique ;
- le droit à un procès équitable ;
- le droit à une vie de famille ;
- le droit à la vie (lorsque la personne disparue est tuée).
En outre, la disparition forcée est une violation particulièrement cruelle car elle affecte également les proches de la victime. Ceux-ci, ignorant ce que la victime est devenue, attendent pendant des années des nouvelles qui n'arriveront jamais et se trouvent dans l'incapacité de faire leur deuil. A l'angoisse s'ajoute souvent la détresse matérielle, lorsque la victime était la principale source de revenus de la famille. Faute de certificat de décès, les proches ne peuvent pas toujours obtenir une pension ou une aide.
Nous sommes donc face à un nouveau délit, un crime d'Etat, que les lois en vigueur ne prévoient généralement pas puisqu'il n'y a en apparence ni auteur -étant donné que celui-ci ne se manifeste d'aucune manière- ni victime -puisque par construction elle a disparu. Les formes d'enlèvement, de détention arbitraire, de tortures, d'assassinat, etc. ne permettent nullement de qualifier juridiquement la disparition.
La forme la plus semblable à la disparition : l'enlèvement, se différencie également de celle-ci, car l'auteur, bien qu'agissant dans la clandestinité, finit généralement par se manifester, revendiquant l'enlèvement en demandant une rançon ou posant des exigences.
La disparition est également différente de la détention, légale ou illégale, accompagnée ou non de mise au secret, car, dans le cas de disparition, les autorités n'admettent pas retenir la victime.
Pour ces raisons, il est apparu indispensable d'établir un délit pénal spécifique.
III. LES DISPARITIONS FORCÉES EN DROIT INTERNATIONAL
A. LES PRÉCÉDENTES RÉACTIONS
La première réaction au niveau international a été celle de l'Organisation des États Américains concernant les disparus au Chili, à la suite du coup d'Etat du 11 septembre 1973, à l'occasion de la visite du secrétaire exécutif de la commission interaméricaine des droits de l'Homme en octobre de la même année.
Dans le cadre des Nations unies , la première résolution sur la question des disparus date de décembre 1978 1 ( * ) . Dans cette résolution, présentée par la France, l'Assemblée générale s'inquiétait des rapports issus de diverses parties du monde au sujet des disparitions forcées de personnes et se disait émue par l'angoisse que ces disparitions engendraient. Elle demandait aux gouvernements de garantir que les autorités ou organisations chargées de faire respecter la loi et la sécurité soient tenues responsables juridiquement en cas d'abus conduisant à des disparitions forcées ou involontaires.
En 1980 fut créé, par la Commission des droits de l'Homme de l'Onu. un groupe de travail chargé de la question des disparitions forcées . Ce groupe de travail a continué de travailler. Il a rendu un rapport annuel en 2007 et devrait examiner 799 cas de disparitions forcées en 2008.
Au niveau régional, la résolution 666 (XIII - 083) de l'Assemblée générale de l'Organisation des États Américains , approuvée en novembre 1983, a considéré que « la pratique des disparitions forcées de personnes en Amérique (était) un affront à la conscience de l'hémisphère et (constituait) un crime de lèse humanité ».
Le 18 décembre 1992, l'Assemblée générale de l'Onu a adopté la Déclaration relative à la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (résolution 74/133). Deux aspects de la Déclaration de 1992 méritent d'être soulignés. D'une part, les disparitions forcées constituent un délit spécifique, différent, par exemple, de l'enlèvement. D'autre part, la Déclaration exclut de manière expressive la compétence de la juridiction militaire en cas de jugement d'auteurs présumés de disparition forcée.
La Convention interaméricaine du 9 juin 1994, adoptée par la résolution 1256 de l'Assemblée Générale de l'Organisation des Etats Américains, reconnaît, dans son préambule, la persistance du phénomène des disparitions forcées de personnes au sein du continent et considère qu'il s'agit « d'une offense grave et odieuse à la dignité intrinsèque de la personne humaine ». Il convient de remarquer qu'en 1988 et en 1989 la Cour interaméricaine des droits de l'Homme a condamné l'Etat du Honduras dans le cas des disparitions forcées de M. Angel Manfredo Velázquez Rodriguez et de M. Saul Godinez, en se fondant sur la Convention Américaine relative aux droits de l'Homme.
Parmi les autres instruments internationaux traitant de la question des disparitions forcées, il importe d'évoquer le projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité , rédigé par la Commission du droit international, ainsi que le Statut de Rome de 1998 portant création de la Cour pénale internationale. La proposition d'un article 21 faite par M. Vargas Carreno, reproduite dans l'annuaire de la CDI (1995-Vol. II, 2e partie) reconnaissait la disparition forcée comme une violation systématique ou massive des droits de l'homme. En son article 7§1, le statut de Rome a inclus la disparition forcée dans la liste des actes constitutifs de crime contre l'humanité. A n'en pas douter, c'est aujourd'hui le Statut de Rome qui est appelé à constituer la référence en matière de définition des crimes de droit international
* 1 Résolution 33/173 de l'Assemblée générale de l'Onu. du 20 décembre 1978.