B. L'ENGAGEMENT DES NATIONS UNIES DANS LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION
En 1996, les Nations unies ont adopté une résolution invitant les Etats membres à incriminer dans leur droit pénal la corruption d'agents publics étrangers et à supprimer la déductibilité fiscale des paiements illicites. Depuis lors, cette organisation internationale a pris plusieurs initiatives pour favoriser la lutte contre la corruption.
1. La genèse de la convention des Nations unies anti-corruption, la France est à l'origine du texte
La Convention contre la criminalité transnationale organisée dite convention de Palerme, adoptée en décembre 2000 et entrée en vigueur en septembre 2003, constitue le premier instrument de droit pénal destiné à lutter contre les phénomènes de criminalité organisée transnationaux.
Ce texte a amorcé un rapprochement des législations pénales nationales en établissant les incriminations à caractère universel de participation au groupe criminel organisé, de blanchiment des produits du crime, de corruption et d'entrave au bon fonctionnement de la justice et définit pour la première fois les concepts essentiels d'infraction grave et de transnationalité de l'infraction.
Elle établit un cadre universel pour la mise en oeuvre d'une coopération policière et judiciaire internationale permettant d'améliorer la prévention et la répression des phénomènes de criminalité organisée.
Afin d'aller plus loin dans la lutte contre la corruption, les Nations unies ont souhaité élaboré un instrument complémentaire.
La France a proposé en avril 1999 un projet de texte tendant à incriminer spécifiquement la corruption. Puis, l'Organisation des Nations unies a mis en place un comité spécial ouvert à tous les États, chargé d'élaborer un instrument juridique international efficace contre la corruption dans le cadre duquel la convention dite de Mérida a été négociée de janvier 2002 à octobre 2003.
2. La convention de Mérida, un vaste programme
Très touffue , la convention de Mérida, adoptée en octobre 2003, comporte cinq volets principaux respectivement consacrés aux mesures préventives, aux incriminations, à la détection et à la répression de la corruption, à la coopération internationale, au recouvrement des avoirs et à l'assistance technique. Certaines de ses dispositions font d'ailleurs écho à celles de la convention pénale sur la corruption mais toutes ne sont pas contraignantes.
Le contenu de la Convention de Mérida En matière de prévention , la convention de Mérida invite les Etats à mettre en place des organes spécialisés et à renforcer les procédures pour sélectionner et former les agents publics particulièrement exposés à la corruption. Elle préconise également la mise en place de procédures transparentes dans le domaine des marchés publics et des finances publiques ou encore la sécurisation des normes de comptabilité et d'audit dans le secteur privé. S'agissant des incriminations pénales , la convention distingue deux degrés de contrainte : - elle énumère les infractions que les Etats parties doivent obligatoirement punir (corruption passive et active d'agents publics nationaux, corruption active d'agents publics étrangers ou de fonctionnaires d'organisations internationales publiques dans le cadre des activités du commerce international, détournement de biens par un agent public, blanchiment du produit du crime, recel et entrave au bon fonctionnement de la justice -faux témoignage ou subornation de témoin et menaces et intimidation à l'égard d'un agent de la justice ou d'un agent des services de détection et de répression) ; - elle détaille une liste beaucoup plus étoffée d'infractions que les Etats doivent « envisager » de sanctionner au nombre desquelles figurent la corruption passive d'agents publics étrangers ou de fonctionnaires internationaux, le trafic d'influence, l'abus de fonction, l'enrichissement illicite, la corruption (passive et active) dans le secteur privé et la soustraction de biens dans le secteur privé. La convention cite également un certain nombre de mesures à prendre pour faciliter les poursuites judiciaires (gel, saisie et confiscation du produit du crime, protection des témoins, des experts et des victimes et levée du secret bancaire...). Outre une partie « classique » consacrée à l'entraide judiciaire, l'aspect le plus novateur qu'elle développe a trait à la restitution des avoirs définie comme un principe fondamental. La convention encourage les institutions financières à surveiller l'identité des comptes de leurs clients les plus importants. Sont évoquées les mesures à prendre pour le recouvrement direct de biens aux fins de la confiscation. La mise en place d'un service de renseignement financier et d'accords et arrangements bilatéraux ou multilatéraux sont encouragés en vue de renforcer l'efficacité de la coopération internationale. |
3. L'application de la convention de Mérida
La Convention a été signée par 140 pays (dont la Chine, le Royaume-Uni, le Canada, la Finlande, l'Afrique du Sud, les Etats-Unis) et 103 l'ont ratifiée. Ce texte est entré en vigueur le 14 décembre 2005 36 ( * ) .
Les stipulations de la convention ne prévoient pas de mécanisme de réserves mais en vertu du droit des traités, les Etats peuvent formuler une déclaration unilatérale visant à exclure l'application d'une clause.
Ainsi, la Fédération de Russie a déclaré son intention de ne pas incriminer la corruption passive d'agents publics étrangers.
Les Etats Unis ne se considèreraient pas comme tenus par l'introduction du trafic d'influence visée par la convention. La législation américaine admet d'ailleurs les paiements de facilitation (« routine governmental action ») -qui ont pour objet de faciliter ou d'accélérer des démarches administratives telles que la délivrance d'un visa ou d'une autorisation administrative- et ne sont donc pas passibles de trafic d'influence.
La France a été le premier Etat du G8 à signer ce texte. Le Parlement a autorisé sa ratification par la loi n° 2005-743 du 4 juillet 2005 et a déposé ses instruments de ratification. Elle n'a formulé aucune réserve.
De nombreuses mesures obligatoires de la convention de Mérida sont déjà prises en compte par notre droit . Par exemple, le détournement de biens publics est réprimé à l'article 432-15 du code pénal, de même que la soustraction de biens du secteur privé peut être poursuivie sur le fondement des articles 241-3 et 242-6 du code de commerce consacrés aux abus de biens sociaux et de l'article 314-1 du code pénal (abus de confiance) 37 ( * ) .
Toutefois, deux points nécessitent une mise en conformité de notre législation au regard de :
- certaines incriminations d'entrave au bon fonctionnement de la justice (subornation de témoin et faux témoignages, menaces et actes d'intimidation envers le personnel judiciaire) dont le champ d'application se limite à des faits visant à perturber le cours de la justice française ; la convention de Mérida recommande en effet l'extension de certaines infractions à des actes destinés à nuire à la bonne marche de la justice d'un Etat étranger ou d'une cour internationale ;
- la mise en oeuvre des techniques d'enquête spéciales , la convention de Mérida préconisant d'étendre ces mesures opérationnelles à toutes les infractions qu'elle vise.
* 36 Sa date d'entrée en vigueur a été fixée au quatre-vingt-dix-neuvième jour suivant la date de dépôt du trentième instrument de ratification.
* 37 Un tableau qui figure en annexe récapitule les stipulations de la convention déjà satisfaites dans notre droit.