N° 181

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 25 janvier 2007

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi, instituant le droit opposable au logement et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (Urgence déclarée),

Par M. Bernard SEILLIER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gérard Dériot, Jean-Pierre Godefroy, Mmes Claire-Lise Campion, Valérie Létard, MM. Roland Muzeau, Bernard Seillier, vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Gilbert Barbier, Daniel Bernardet, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mmes Isabelle Debré, Christiane Demontès, Sylvie Desmarescaux, M. Claude Domeizel, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Jean-Claude Etienne, Guy Fischer, Jacques Gillot, Francis Giraud, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, Annie Jarraud-Vergnolle, Christiane Kammermann, MM. Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Mme Raymonde Le Texier, MM. Roger Madec, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Georges Mouly, Mme Catherine Procaccia, M. Thierry Repentin, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, Patricia Schillinger, Esther Sittler, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Alain Vasselle, François Vendasi.

Voir les numéros :

Sénat : 170 , 174 et 175 (2006-2007)

Logement et habitat.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi que nous abordons aujourd'hui est d'une nature particulière et rare. Il n'est pas un texte de mise au point ni de régulation fine d'un mécanisme à perfectionner, ce qu'est souvent la législation de nos sociétés développées.

C'est une sorte de retour aux fondamentaux de l'humanité. Il marque une affirmation exceptionnelle du primat du politique sur l'économique. C'est une forme de défi et de reconquête méritant d'être saluée, dans un temps de soumission trop fréquente du politique aux lois du marché. Une véritable ambition d'écologie humaine s'affirme à travers ce projet de loi dans la mesure même où il proclame que la personne humaine ne s'arrête pas à l'enveloppe extérieure de son corps, mais s'étend au logement dans lequel il doit pouvoir s'abriter, y développer sa vie intime et organiser celle de sa famille immédiate. La dignité humaine comporte en effet cet impératif d'habitat qu'est le corps de sa mère jusqu'à sa naissance et un logement conforme à sa dignité ensuite. Devant cet espace vital nécessaire au point d'être inséparable de l'existence individuelle en tant que telle, l'Etat va se reconnaître avec ce texte une véritable responsabilité de satisfaction. Les premières pierres d'une véritable protection sociale contre le mal-logement ou la carence totale de logement vont ainsi être posées non plus seulement au niveau des principes, mais de la réalité même.

C'est un véritable événement dont le succès dépendra de l'attention que nous lui porterons.

Plusieurs précautions doivent entourer les premiers pas dans l'effectivité, de ce nouveau droit au logement.

Une première erreur à éviter consisterait à croire que tout est réglé, alors que ce n'est qu'un début qu'il faut acclimater à nos pratiques juridiques et à nos comportements.

En effet, les premières difficultés viendront des causes du mal-logement.

Autant la problématique est claire quand on se trouve en présence de causes étrangères à la victime du mal-logement : carence de l'offre ou insolvabilité du fait de la pauvreté par exemple.

Autant dire tout de suite, en revanche, que des situations délicates seront ici ou là soulevées quand la responsabilité du demandeur de logement sera partiellement engagée dans la naissance de la situation. Je pense notamment aux séparations conjugales dans de grandes villes où leur multiplication crée une envolée de demandes de logements, puisqu'il en faut deux là où un seul suffisait. Et qui plus est, le doublement concerne des logements de taille identique pour que les conjoints séparés puissent y accueillir à tour de rôle leurs enfants.

Un autre point sensible proviendra de la demande générée par l'immigration et se cristallisera autour de la notion de stabilité de la présence exprimée au moment de la demande de logement.

Une autre menace pèse sur le succès de la reconnaissance du droit social au logement : l'engorgement spontané ou organisé des tribunaux administratifs.

Une part d'inconnu existe en effet sur cette variable. C'est inévitable et il serait vain de chercher à différer l'entrée en vigueur de la loi pour assurer une sécurité absolue à la satisfaction du droit au logement de manière instantanée. Le pilotage du processus instauré passe par la différenciation entre simplement prioritaire et prioritaire urgent.

Ce sont les commissions de médiation qui disposeront de la gestion de ce classement. Mais il ne s'agit pas d'une maîtrise totalement libre puisque les catégories de classement ne comportent que peu de latitude d'appréciation.

L'idée de réguler le système par la modification des dates de mise en oeuvre ne me semble pas opératoire pour deux raisons. Aucune quantification suffisamment précise à ce jour, et surtout aucune anticipation sur la mise en oeuvre de la dynamique nouvelle ne permettent d'affiner avec une précision suffisante le calendrier à substituer à celui que prévoit le projet, sans compter le risque de ruiner l'effet stimulant attendu d'un volontarisme explicite.

Mais surtout, l'impression inévitablement créée alors, de chercher à vider de sa substance le droit au logement opposable ne pourrait que diviser les esprits alors que la reconnaissance même de ce droit social nouveau appelle un enthousiasme aussi général que celui qui prévalut à la Libération de la France après guerre, avec l'instauration des régimes de base de protection sociale. En sens contraire également, une anticipation d'un an de la mise en oeuvre pour les gens à la rue appelés à connaître un passage dans un hébergement provisoire, avant l'accès définitif dans un logement normal, donnerait l'impression totalement erronée qu'en fait c'est d'un droit à l'hébergement dont il s'agirait avant tout ici.

La vraie question est de savoir comment non pas enclencher, mais développer et accélérer dans la durée, une dynamique de résorption du hiatus entre la demande de logements et sa satisfaction.

Or chacun sait bien que la solution au problème du logement en France ne dépend pas seulement de ce texte, mais de deux autres variables : le rythme de construction et de mise sur le marché de logements sociaux en provenance du parc public ou privé d'une part, la résorption du différentiel entre la solvabilité de la demande et le coût de l'offre de location, d'autre part. Sur ces deux aspects, des signaux sont introduits par amendements dans le texte, pour qu'il soit clair que la stratégie globale de mise en oeuvre du droit au logement, ne repose pas sur le contentieux mais sur une démarche globale .

A ce titre, le projet initial contenait la mise en place d'un comité de suivi autour du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées. Cette disposition ne figure pas dans le projet pour des raisons juridiques. Sa création est d'ordre réglementaire. Sa nécessité est cependant évidente. Aucun doute ne pèse sur sa mise en place, tant son rôle sera indispensable pour suivre la genèse de ce nouveau droit, de ses balbutiements initiaux jusqu'à sa maturité et à son accomplissement.

Il s'agit véritablement d'un accompagnement dans tous les sens du terme, de la part de toutes les parties prenantes, pour qu'aucune ne soit tentée de contrarier la marche en avant engagée aujourd'hui.

Je forme le voeu que chaque Français soit conscient de l'enjeu que le Président de la République et le Gouvernement ont su affirmer au moment où les circonstances le rendaient recevable par l'opinion publique.

A nous parlementaires de mettre en forme aujourd'hui ce texte, dans les contingences propres à cette phase législative historique, non seulement sans dénaturer son inspiration, mais aussi et surtout en lui donnant toute l'énergie de notre confiance.

Cette réapparition d'une pure essence du politique, porteuse de l'espoir du bien commun, au milieu d'une économie mondialisée séduite par le primat du financier mérite quelque effort de chacune et chacun d'entre nous.

I. L'AFFIRMATION PROGRESSIVE DU PRINCIPE D'UN DROIT AU LOGEMENT OPPOSABLE

A. LE DISPOSITIF ACTUEL

1. La loi reconnaît déjà l'existence d'un droit au logement

Le droit au logement a été défini par la loi Besson du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement. Son article premier précise que sa garantie « constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la nation » et que « toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'existence, a droit à une aide de la collectivité, [...] pour accéder à un logement décent et indépendant ou s'y maintenir » .

Puis, dans sa décision n° 94-359 du 19 janvier 1995 relative à loi n° 94-624 du 21 juillet 1994 relative à l'habitat, le Conseil constitutionnel a consacré le droit au logement comme un objectif ayant valeur constitutionnelle 1 ( * ) .

Depuis 2002, le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées plaide pour la mise en oeuvre d'un droit au logement opposable. Dans son rapport de 2002 2 ( * ) , il envisageait plusieurs orientations pour définir les conditions de son application, parmi lesquelles la création d'une obligation de résultat juridiquement opposable par l'ouverture d'un recours contentieux, assortie du développement d'une offre locative sociale diversifiée et de la sécurisation de l'accès au logement.

En 2003 3 ( * ) , sa réflexion s'est davantage focalisée sur l'identification d'une autorité responsable et des conditions de construction de sa responsabilité.

Dans un rapport plus récent 4 ( * ) encore, il évoque la possibilité d'une expérimentation locale, tout en préconisant la responsabilité en dernier ressort de l'Etat.

* 1 « La possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle ».

* 2 Huitième rapport du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, Vers un droit au logement opposable - octobre 2002.

* 3 Neuvième rapport du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, Droit au logement : construire la responsabilité - novembre 2003.

* 4 Rapport au Premier ministre sur l'expérimentation locale d'un droit au logement opposable, octobre 2006.

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