EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à se prononcer sur le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance.

La prévention de la délinquance a constitué une préoccupation constante ces dernières années et inspiré des réformes d'importance, qu'il s'agisse de la loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003, de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ou, plus récemment, de la loi sur le traitement de la récidive du 12 décembre 2005.

Ces initiatives conjuguées à l'action déterminée du Gouvernement et à la forte mobilisation des forces de police et de gendarmerie ont porté leurs fruits. Depuis 2002, la délinquance a en effet reculé de 9 %.

Toutefois, ses formes ont évolué. Comme l'a souligné M. Alain Bauer, président de l'Observatoire national de la délinquance, lors de son audition par votre rapporteur, les violences non crapuleuses -celles qui n'ont pas pour objet principal l'accaparement d'un bien- tendent quant à elles à progresser. Or, face à ce phénomène, la réponse ne peut être seulement policière mais doit également comporter un volet social et éducatif.

Le projet de loi prend la mesure de ces transformations. S'il complète l'effort législatif déjà engagé, il se démarque cependant des textes antérieurs par son souci d'appréhender la notion de prévention dans toutes ses dimensions et pas seulement sous l'angle de la sécurité. Il couvre ainsi un très large spectre : ses dispositions modifient entre autres le code général des collectivités territoriales, le code de l'action sociale et des familles, le code de l'éducation, le code de l'urbanisme, le code de la santé publique, le code pénal, le code de procédure pénale et l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.

Ce texte est également marqué du sceau du pragmatisme . Il s'agit d'abord de prendre en compte des préoccupations concrètes et d'y apporter des solutions réalistes. Face à un phénomène complexe, les réponses ne peuvent être que modulées et variées.

Toutefois, au-delà de l'apparente diversité des mesures proposées, le texte présente une forte cohérence autour de plusieurs lignes directrices. La première tient au rôle dévolu au maire en matière de prévention de la délinquance. Le maire, en effet, au plus près des réalités du terrain, apparaît le mieux à même d'animer et de coordonner l'action dans ce domaine. Le souci de mieux agir contre la délinquance des mineurs constitue l'autre axe fondamental du projet de loi. Face à l'aggravation des faits de violence commis par des délinquants de plus en plus jeunes, les instruments actuels de prévention ou de répression semblent dépassés. Le texte présente à cet égard le mérite d'aborder la question dans ses dimensions sociale, sanitaire, éducative et répressive.

Relever les défis de la prévention implique la mobilisation et la coordination de tous les acteurs concernés. Si aucune loi ne pourra jamais suppléer le défaut de volonté, ce projet de loi permet de déterminer un cadre d'action clarifié pour favoriser une meilleure synergie des forces.

Sans doute la mise en oeuvre d'une politique de prévention ambitieuse impliquera-t-elle la mobilisation de moyens humains et financiers sur la durée et des assurances devront être données à cet égard à la représentation nationale.

Afin de l'éclairer sur les enjeux soulevés par ce texte et ses propositions, votre rapporteur a procédé aux auditions, ouvertes à l'ensemble des membres de votre commission, de plus de soixante personnalités issues de tous les secteurs intéressés par la prévention de la délinquance 1 ( * ) . Enfin, au cours d'une audition à laquelle ont également participé les membres de la commission des affaires sociales, elle a entendu les quatre ministres concernés présenter le projet de loi : MM. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, M. Pascal Clément, garde des Sceaux, ministre de la justice, M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales et M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille.

Au terme de ces échanges et de la réflexion conduite en son sein, votre commission approuve les grandes orientations du texte et souhaite les conforter par les amendements qu'elle vous soumet.

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La commission des affaires sociales s'est également saisie pour avis des articles 5 à 11, 18 à 24 et 27 à 29 et a désigné M. Nicolas About, son président, comme rapporteur.

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Une première définition de la prévention de la délinquance pourrait être « l'ensemble des mesures non pénales permettant d'empêcher la commission d'infractions », par opposition avec la répression de la délinquance.

Cette définition apparaît toutefois trop restrictive. La sanction est une composante essentielle de la prévention grâce à ses vertus à la fois dissuasives et pédagogiques. La diversification de la réponse pénale permet d'ailleurs de développer, à côté de la sanction pure et simple, une dimension éducative importante.

La frontière entre répression et prévention est donc souvent floue, voire artificielle. La lutte contre la délinquance ne peut fonctionner que si elle « marche avec ses deux jambes » pour reprendre l'expression de notre collègue Jean-Marie Bockel lors de son audition en tant que président de l'association des maires des grandes villes de France.

Pour autant, ces remarques ne doivent pas empêcher de tenter de définir un champ propre à la prévention de la délinquance, distinct de la répression.

Une première particularité est que la prévention relève d'une multitude d'acteurs intervenant dans des domaines divers, tandis que la répression reste, peu ou prou, de la seule compétence de l'autorité judiciaire secondée par les services de la police et de la gendarmerie nationales.

La seconde particularité concerne le moment où se situe la prévention. Par définition, la répression n'est possible que si une infraction a été commise. Elle peut ensuite s'étaler dans le temps et confiner, par certains aspects déjà évoqués ci-dessus, à la prévention notamment en matière de récidive. Elle reste néanmoins une réaction directe à un fait constaté.

A l'inverse, la prévention intervient avant la commission d'une infraction. Cette assertion quasiment tautologique laisse entrapercevoir toute la difficulté d'un exercice qui consiste à agir sur ce qui n'est pas.

Deux stratégies doivent être adoptées :

- anticiper des évènements ce qui nécessite une capacité à rassembler des informations diverses et à les analyser ;

- agir en amont sur les facteurs identifiés ou supposés de la délinquance.

La prévention peut revêtir des formes très diverses et intervenir à différents niveaux.

Tout d'abord, rappelons que la police administrative est sans doute la première forme juridique et historique de la prévention de la délinquance. Elle doit assurer « le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques », selon l'expression consacrée.

Plus récemment a été développé le concept de prévention situationnelle . Ce vocable recouvre une série de politiques et d'actions qui, en jouant sur la rationalité du délinquant potentiel, vise à rendre difficile, risquée ou inintéressante la commission d'une infraction. La prévention situationnelle agit sur l'ordre matériel en intégrant la prise en considération des motifs et des intentions des auteurs d'infractions et de leur perception des circonstances propices.

Elle peut jouer :

- sur le comportement des victimes potentielles en les sensibilisant aux risques de délinquance ;

- sur l'attractivité des cibles (gardiennage, alarme, blindage, protection des cartes bancaires, projection d'encre indélébile sur les billets, neutralisation des téléphones mobiles volés...) ;

- sur l'environnement physique (vidéosurveillance, éclairage public, urbanisme permettant l'intervention des forces de sécurité...) ;

- sur la disponibilité de facilitateurs (alcool, possession d'armes ou de chiens dangereux...).

Enfin, une autre dimension d'une politique de prévention de la délinquance est la prévention sociale. Cette approche est distincte des précédentes. Elle vise à prévenir, à détecter ou à endiguer l'apparition de comportements délinquants en agissant cette fois sur les rapports sociaux et les individus . Cette politique recouvre là encore une extrême variété d'actions qu'elles soient éducatives, sociales ou économiques. L'action sociale, bien que ce ne soit pas son objet, peut participer indirectement à la prévention de la délinquance.

De manière plus directe, l'essor depuis une quinzaine d'années de la médiation sociale dans l'objectif de resserrer le lien social ou de faciliter la relation entre service public et usager est devenu l'un des instruments d'une politique de prévention de la délinquance.

Le projet de loi, par la diversité de ses dispositions, combine ces différentes approches en y associant le plus grand nombre d'intervenants.

I. LES ACTEURS DE LA PRÉVENTION

Une politique de prévention de la délinquance efficace suppose l'intervention d'un grand nombre d'acteurs. De ce constat deux priorités peuvent être dégagées : mobiliser et sensibiliser ces acteurs, d'une part, et coordonner leurs actions selon une stratégie d'ensemble, d'autre part. On parle alors de coproduction de sécurité .

Cette stratégie de coproduction de sécurité a été initiée pour la première fois dans les rapports « Peyrefitte » en 1977 2 ( * ) et « Bonnemaison » en 1982 3 ( * ) . C'est notamment à la suite de ce dernier rapport que les premières politiques territorialisées de prévention de la délinquance ont été développées en s'appuyant notamment sur les conseils communaux de prévention de la délinquance (CCPD), ancêtres des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquante créés par un décret du 17 juillet 2002.

Toutefois, le concept de coproduction de sécurité émerge réellement comme principe d'action publique en France avec la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité (LOPS) du 21 janvier 1995. Ce texte associe les urbanistes, les propriétaires d'immeubles, les entreprises privées de sécurité et les collectivités territoriales à la lutte contre l'insécurité au même titre que la police nationale et la gendarmerie.

Depuis, cette stratégie a été confirmée et approfondie par plusieurs textes, notamment la loi n° 99-291 du 15 avril 1999 relative aux polices municipales, la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne et la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure.

Le projet de loi s'inscrit dans le droit fil de ces textes et consacre solennellement le rôle de plusieurs acteurs.

A. LE MAIRE COMME PILOTE DE LA PRÉVENTION DE LA DÉLINQUANCE

L'article premier du projet de loi dispose que « le maire anime, sur le territoire de la commune, la politique de prévention de la délinquance et en coordonne la mise en oeuvre ».

Cette disposition est d'abord une reconnaissance symbolique qui entérine la forte montée en puissance des municipalités dans le champ de la sécurité locale au cours des vingt dernières années. De véritables « politiques de police municipale » 4 ( * ) se mettent en place qui ne se limitent plus à la mise en oeuvre des pouvoirs de police administrative classiques du maire.

Cette reconnaissance par la loi devrait conforter la légitimité du maire dans ce domaine vis-à-vis des autres partenaires comme l'Etat et le département.

Cette fonction de pilote devrait se cristalliser au sein des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD).

Créés en 2002, ces conseils ont connu un succès mitigé. 874 communes s'en sont dotées à ce jour. Toutefois, leur dynamisme est extrêmement inégal. Les auditions de votre rapporteur ont montré que beaucoup ne se réunissaient qu'en assemblée plénière une ou deux fois par an ce qui ne permettaient ni d'échanger des informations, ni de coordonner des actions. Ces structures sont tributaires de la bonne volonté de leurs membres. Seuls les CLSPD dotés d'une formation restreinte, de groupes de travail ou d'une cellule de veille ont une réelle efficacité opérationnelle- soit environ un tiers de ces conseils.

Ce bilan en demi-teinte ne doit pas condamner cette jeune structure qui reste le principal lieu dans lequel le maire peut exercer sa compétence de coordonnateur de la prévention. L'article premier du projet de la loi tend par conséquent à faire figurer dans la loi les CLSPD et à les rendre obligatoires dans les communes de plus 10.000 habitants. Cette obligation ne devrait en réalité peser que sur environ 350 communes de plus de 10.000 habitants qui ne se sont pas encore dotées de ce conseil. L'objectif est de relancer un dispositif qui s'essouffle, à charge pour les maires de le faire vivre.

A Paris, du fait des spécificités de la répartition des pouvoirs de police entre le préfet de police et le maire de Paris, ces deux autorités animeraient et coordonneraient conjointement la politique de prévention de la délinquance, de la même façon qu'ils coprésideraient le CLSPD. L'article L. 2512-15 du code général des collectivités territoriales dispose que le préfet de police associe simplement le maire de Paris à la définition des actions de prévention de la délinquance.

Enfin, l'article 46 du projet de loi étend la possibilité pour les agents de la ville de Paris chargés d'un service de police de constater par procès-verbal les contraventions aux arrêtés de police du maire de Paris et de relever l'identité des contrevenants.

Ce même article étend par ailleurs les pouvoirs de police judiciaire des gardes champêtres afin de leur permettre de constater les contraventions mentionnées au code pénal dès lors qu'elles ne nécessitent pas de leur part d'actes d'enquête. Les contraventions réprimant des atteintes à l'intégrité des personnes sont exclues. En réalité, le projet de loi confie aux gardes champêtres ce que la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances a donné aux agents de police municipale.

Pour tirer les conséquences de l'extension continue des compétences des gardes champêtres, votre commission vous propose un amendement tendant à rebaptiser les gardes champêtres « agents de police rurale ».

Au cours de son audition, M. Gérard Pelletier, président de l'association des maires ruraux de France, a souligné le caractère désuet du titre de gardes champêtres qui ne reflétait plus la nature du travail de ces agents.

* 1 Voir la liste des personnes auditionnées en annexe.

* 2 Rapport du Comité d'études sur la violence, la criminalité et la délinquance présidé par Alain Peyrefitte, Garde des Sceaux, « Réponses à la violence » 1977.

* 3 Rapport de G. Bonnemaison « Face à la délinquance: prévention, répression, solidarité », Commission des maires sur la sécurité, Rapport au Premier ministre, La Documentation Française 1982.

* 4 Cette expression est utilisée par M. Jean-Charles Froment, professeur de droit public, dans un article paru dans la semaine juridique (n°16-13 avril 2004).

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