Article 19 (art. 1075 à 1075-3 et art. 1075-4 nouveau
du code civil)
Règles générales applicables aux
donations-partages et aux testaments-partages
Cet article a pour objet de réécrire les dispositions du code civil définissant les règles générales applicables aux donations-partages et aux testaments-partages, afin d'élargir le champ d'application de ces libéralités.
1. Partage d'ascendant : extension aux héritiers présomptifs
Le 1° , adopté sans modification par l'Assemblée nationale, tend à réécrire l'article 1075 relatif au partage d'ascendant.
En l'état actuel du droit, seuls les père et mère et autres ascendants peuvent faire, entre leurs enfants et descendants, la distribution et le partage de leurs biens. Cet acte peut prendre la forme d'une donation-partage ou d'un testament-partage. Il est soumis aux formalités, conditions et règles prescrites pour les donations entre vifs dans le premier cas et pour les testaments dans le second.
Comme le souligne le professeur Michel Grimaldi, « entre ces deux variétés de partage d'ascendant, il existe de profondes différences :
« - le testament-partage ne dessaisit pas l'ascendant de ses biens, alors que la donation-partage l'en dépouille immédiatement ; le partage testamentaire vient à son heure, alors que le partage entre vifs est un partage anticipé ;
« - le testament-partage, étant librement révocable, est modifiable à tout moment alors que la donation-partage, étant irrévocable, est définitive ;
« - le testament-partage, acte unilatéral, réalise un partage autoritaire, alors que la donation-partage, acte-conventionnel, favorise un partage négocié 197 ( * ) . »
La modification proposée consiste à prévoir désormais que toute personne peut faire la distribution et le partage de ses biens entre ses héritiers présomptifs 198 ( * ) , et non plus ses seuls enfants et descendants.
L'objectif recherché est notamment de permettre à une personne sans enfant de distribuer et partager ses biens entre ses frères et soeurs ou ses neveux et nièces.
Selon l'exposé des motifs du projet de loi, cette ouverture devrait faire de la donation-partage, prévue à l'origine comme un acte d'autorité parentale, un outil généralisé de règlement anticipé des successions.
Votre commission vous soumet un amendement ayant pour objet d'autoriser expressément le disposant à partager non seulement ses biens mais également ses droits. Cette précision semble cohérente à la fois avec la définition des libéralités proposée par l'article 10 du projet de loi à l'article 893 du code civil et avec la possibilité actuellement reconnue à un ascendant de partager ses droits dans une indivision.
2. Donation-partage : extension aux petits enfants
Le 2° tend en effet à prévoir, à l'article 1075-1, que le disposant peut également faire la distribution et le partage de ses biens entre des descendants de degrés différents 199 ( * ) , qu'ils soient ou non ses héritiers présomptifs.
Le régime spécifique de cette forme particulière de libéralité-partage serait précisé par les dispositions de l'article 20 du projet de loi. Il s'agirait nécessairement d'une disposition entre vifs puisque l'accord des héritiers réservataires serait nécessaire.
En l'état actuel du droit, l'ascendant ne peut procéder à une donation-partage entre ses enfants et petits-enfants sauf en cas de représentation -c'est-à-dire en cas de décès ou d'indignité de leur père ou mère. S'il n'a qu'un enfant, il ne peut procéder à une donation-partage ni entre cet enfant unique et ses petits-enfants ni entre ses seuls petits-enfants. Il ne dispose que de la donation simple pour avantager l'un d'entre eux. Or cette donation revêt un caractère préciputaire et peut absorber tout ou partie de la quotité disponible.
Désormais, le disposant pourrait gratifier, par exemple, un petit enfant n'ayant pas la qualité d'héritier présomptif dans l'hypothèse où son enfant serait encore en vie et aurait renoncé à ses droits successoraux à son profit.
L'exposé des motifs du projet de loi souligne qu'« il s'agit ici de s'adapter à l'évolution démographique de la population . Cet élargissement est le corollaire logique de la création des nouveaux pactes successoraux. En effet, la part dévolue aux petits-enfants lors de la donation-partage sera imputée sur la réserve du descendant direct qui devra intervenir à l'acte afin de consentir à l'atteinte portée à sa part de réserve . »
Quant à M. Sébastien Huyghe, rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, il a indiqué à juste titre en séance publique que : « Cette mesure très attendue permettra de faire bénéficier les générations les plus jeunes de la donation-partage et de faire concourir des descendants de générations différentes. En effet, de nombreux bénéficiaires d'une donation-partage la reçoivent à un âge souvent avancé. Dorénavant, ils pourront accepter que leurs propres enfants bénéficient de la donation à leur place. Cette disposition permettra également, sur le plan économique, d'insuffler une dynamique dans ces donations-partages, des bénéficiaires plus jeunes étant plus à même de recourir à des investissements que des bénéficiaires en retraite 200 ( * ) . »
Votre commission vous soumet un amendement de coordination ayant pour objet de permettre la distribution et le partage des droits du disposant.
3. Donation partage et entreprise : extension aux droits sociaux
Le 3° tend à faire figurer à l'article 1075-2, en élargissant leur champ d'application, les dispositions actuelles du troisième alinéa de l'article 1075, relatives à la transmission des entreprises par voie de donation-partage .
Ces dispositions, introduites par la loi n° 88-15 du 5 janvier 1988, autorisent la distribution et le partage de biens comprenant une entreprise individuelle à caractère industriel, commercial, artisanal, agricole ou libéral non seulement entre les enfants et descendants du disposant mais également au profit d'autres personnes 201 ( * ) .
Cette possibilité est actuellement réservée à la seule donation-partage ; elle ne semble donc pouvoir être exercée par la voie d'un testament-partage.
La rédaction retenue implique que l'ascendant ait au moins deux enfants.
Si la nature de l'entreprise importe peu, en revanche sa forme est essentielle : il doit s'agir d'une entreprise individuelle et non d'une entreprise exploitée en forme sociale. Les entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée et les entreprises agricoles à responsabilité limitée en sont donc exclues.
Enfin, les tiers ne peuvent recevoir que l'entreprise, c'est-à-dire les biens corporels et incorporels affectés à son exploitation. La rédaction retenue, en indiquant qu'ils peuvent recevoir tout ou partie de la propriété ou de la jouissance de ces biens, autorise ainsi, contrairement à ce qu'indique le rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale, une transmission en pleine propriété et pas seulement en nue-propriété.
Dans ce cas particulier de donation-partage, l'attribution de l'entreprise à une autre personne qu'un enfant du donateur a nécessairement le caractère d'une donation préciputaire, ou encore hors part successorale.
Selon le Jurisclasseur, cette possibilité semble avoir connu peu, sinon pas du tout, d'application en pratique, les inconvénients de sa mise en oeuvre étant manifestes : donation de l'entreprise à un tiers, plus ou moins éloigné ou étranger à la parenté, charges de soultes importantes si l'entreprise constitue le seul bien dont il est disposé. Toutefois, les mesures fiscales prises en faveur de la transmission d'entreprise à compter de 2004 pourraient changer la situation 202 ( * ) .
Il en est de même de la principale modification proposée par le projet de loi, qui consiste à autoriser le partage de droits sociaux représentatifs d'une entreprise .
Elle est particulièrement bienvenue dans la mesure où un grand nombre d'entreprises, y compris familiales, sont aujourd'hui exploitées en société -à titre d'exemple, 42 % des quelque 870.000 entreprises artisanales sont exploitées sous cette forme. Elle facilitera leur transmission.
Votre commission vous soumet toutefois un amendement ayant pour double objet :
- réparer un oubli dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, en autorisant la distribution et le partage des droits sociaux ;
- éviter que le disposant puisse transmettre à un tiers, par le biais de la donation-partage, des parts de sociétés sans lien avec son activité professionnelle, en exigeant qu'il exerce une fonction dirigeante dans la société.
Comme aujourd'hui, ces dispositions qui traitent de la donation-partage figureraient dans la section 1 consacrée aux règles générales régissant les libéralités-partages et non dans la section consacrée aux règles spécifiques applicables aux donations-partages. Force est de reconnaître que la nouvelle structure de cette section, qui traite des donations-partages faites aux héritiers présomptifs (paragraphe 1) et des donations-partages faites à des descendants de degrés différents (paragraphe 2) ne s'y prête guère.
4. Coordinations
Le 1° bis , inséré par l'Assemblée nationale sur proposition de sa commission des lois et avec l'accord du Gouvernement, tend à prévoir explicitement le déplacement des dispositions de l'article 1075-1 à l'article 1075-3, aux termes duquel le partage fait par un ascendant ne peut être attaqué pour cause de lésion. Par coordination avec le 1°, le 4° prévoit simplement de supprimer les mots « fait par un ascendant ». Ce déplacement était implicite dans la rédaction du projet de loi initial ; il est justifié par l'extension aux petits-enfants du champ d'application des libéralités-partages opéré par le 2°.
Votre commission vous soumet un amendement de clarification consistant à prévoir dans le nouvel article 1075-3 que l'action en complément de part pour cause de lésion ne peut être exercée contre les donations-partages et les testaments-partages.
Le 2° bis , inséré par l'Assemblée nationale sur proposition de sa commission des lois et avec l'accord du Gouvernement, tend à prévoir le déplacement des dispositions actuelles de l'article 1075-2, relatives aux soultes dues par les donataires, dans un nouvel article 1075-4. Ce déplacement était également implicite dans la rédaction initiale du projet de loi. Par coordination avec les dispositions de l'article 4 du projet de loi, le 5° prévoit de remplacer la référence à l'article 833-1 du code civil par une référence à l'article 828, aux termes duquel : lorsque le débiteur d'une soulte a obtenu des délais de paiement et que, par suite des circonstances économiques, la valeur des biens qui lui sont échus a augmenté ou diminué de plus du quart depuis le partage, les sommes restant dues augmentent ou diminuent dans la même proportion, sauf exclusion de cette variation par les parties.
Enfin, le 6° tend à déplacer dans un nouvel article 1075-5 les dispositions actuelles de l'article 1075-3, prévoyant la dévolution légale des biens non compris dans le partage au jour du décès du disposant. Ce dernier terme serait substitué à celui d'ascendant par coordination avec les dispositions du 1° et du 2°. Votre commission vous soumet un amendement de coordination afin de faire également référence aux droits non compris dans le partage.
Elle vous propose d' adopter l'article 19 ainsi modifié .
* 197 Droit patrimonial de la famille - Dalloz action - 2001-2002 - page 897.
* 198 Les héritiers présomptifs sont ceux qui, au jour de l'acte et si le disposant décédait à cette date, seraient héritiers légaux. Il s'agit des héritiers visés à l'article 734. Toutefois, pour être qualifiés de présomptifs, ils doivent être au jour de l'acte en rang utile. Ainsi, les enfants sont des héritiers présomptifs de leurs parents ; en l'absence d'enfants, ce sont les collatéraux ; un petit-fils n'est pas l'héritier présomptif de son grand-père paternel si, au jour de l'acte, son père est vivant et n'a pas renoncé à la succession. L'expression est déjà connue du code civil qui l'emploie aux articles 846 et 1031.
* 199 Dans sa rédaction initiale, le projet de loi employait la notion de « génération », moins précise que celle de degré lorsque le conjoint est plus jeune que les enfants du disposant issus d'un premier lit.
* 200 Journal officiel des débats de l'Assemblée nationale - troisième séance du mardi 21 février 2006.
* 201 Il peut s'agir d'un descendant plus éloigné, d'un autre parent, d'un conjoint ou encore d'un étranger à la famille.
* 202 Le patrimoine et sa transmission - questions-réponses - Juriscompact -édition 2005.