Art. 844 du code civil : Imputation des libéralités non rapportables
Le 2° du I de l'article 5 du projet de loi se borne à opérer les mêmes adaptations rédactionnelles qu'à l'article 844, qui prévoit que les donations non rapportables et les legs réclamés par l'héritier venant au partage ne peuvent être retenus que jusqu'à concurrence de la quotité disponible, l'excédent étant sujet à réduction.
On rappellera que la quotité disponible est la part de la succession dont le de cujus peut disposer, par opposition à la réserve. Elle varie en fonction du nombre d'enfants laissés par le défunt : la moitié, en présence d'un enfant, le tiers, en présence de deux enfants et un quart au-delà (art. 913).
En revanche, les donations en avancement d'hoirie s'imputent sur la réserve héréditaire, l'excédent étant reporté sur la quotité disponible.
Art. 845 du code civil : Situation de l'héritier renonçant
Cet article procède à une innovation plus substantielle en renversant le principe de non rapport des donations consenties en avancement de part successorale à un héritier renonçant .
Actuellement, le rapport n'est pas dû par l'héritier renonçant, devenu étranger à la succession . L'article 843 prévoit en effet que seuls les héritiers venant à la succession sont tenus du rapport.
L'actuel article 845 prévoit que l'héritier qui renonce à la succession peut cependant retenir le don entre vifs ou réclamer son legs jusqu'à concurrence de la portion disponible. La renonciation transforme donc une libéralité rapportable en libéralité hors part .
Cette règle est à l'origine de la plupart des renonciations à une succession solvable : l'héritier donataire peut avoir intérêt à conserver pour lui seul ce qui lui a été donné et à abandonner aux autres les biens laissés par le de cujus , plutôt que de partager l'ensemble avec eux 89 ( * ) .
Ce procédé peut altérer les prévisions transmissives du donateur et il n'apparaît pas logique que celui qui renonce à une succession puisse conserver ce qu'il n'a reçu qu'à titre d'avance sur celle-ci.
Suivant l'avis d'une partie de la doctrine, le 3° du I de l'article 5 du projet de loi complète l'article 845 en indiquant que le disposant pourra exiger expressément le rapport en cas de renonciation. Ce rapport ne sera donc pas automatique.
Il ajoute que le rapport s'effectuera alors en valeur .
Conformément au premier alinéa de l'article 858 modifié par le 8° de cet article, le rapport ne pourra se faire en moins prenant , technique qui constitue pourtant la règle en matière de rapport des libéralités.
Le rapport en moins prenant concerne le règlement des dettes dont un héritier se trouve tenu envers la succession. Au lieu de verser dans la masse partageable la somme qu'il doit, l'héritier débiteur prend moins que ses cohéritiers sur les autres biens. Le règlement est intégré au partage : l'héritier débiteur est alloti de la créance qu'a sur lui l'hérédité, qui s'éteint donc par confusion. Cette technique permet de simplifier les opérations de partage et évite aux cohéritiers de faire face à un héritier insolvable.
Il existe deux techniques de moins prenant : le prélèvement et l'imputation.
Le prélèvement est la seule technique prévue par la loi (actuel art. 830). Chacun des cohéritiers du gratifié prélève sur l'actif existant des biens représentant une valeur égale à celle dont le rapport est dû. Le reliquat se partage ensuite également entre tous. Les prélèvements doivent porter de préférence sur les biens de même nature que ceux qui ont été donnés. L'inconvénient de cette technique est d'aboutir comme tout partage partiel à l'apparition d'une masse résiduelle difficilement partageable en nature, d'où un risque de licitation. L'article 4 du projet de loi, en rerédigeant complètement l'article 830, a supprimé toute préférence en faveur de cette technique.
La pratique notariale a privilégié la technique de l' imputation , qui consiste à procéder à un partage unique, l'indemnité de rapport étant placée dans le lot du donataire, qui la recueille en imputation* de sa part. Tous les biens étant partagés en une fois, le risque de licitation est moindre.
L'article 845 modifié prévoit cependant le rapport en nature dans deux hypothèses :
- en cas de stipulation de l'acte de donation. Les aliénations et constitutions de droits réels consenties par le donataire s'éteindront alors par l'effet du rapport à moins que le donateur n'y ait consenti (art. 858 modifié) ;
- l'héritier peut rapporter en nature le bien donné qui lui appartient encore, à condition que ce bien soit libre de toute charge ou occupation dont il n'aurait pas déjà été grevé à l'époque de la donation (art. 859).
Rappelons en outre qu'en vertu de l'article 857, le rapport n'est dû que par le cohéritier à son cohéritier (et non aux légataires ou aux créanciers de la succession).
Votre commission souscrit aux objectifs recherchés par le projet de loi. Elle constate néanmoins que ce dispositif présente une lacune s'agissant de la définition du secteur d'imputation de la libéralité ainsi consentie, qui rendra très difficile, voire impossible, la prise en compte de cette libéralité dans le cadre des opérations préalables au partage.
Afin de clarifier cette situation, votre commission vous propose par amendement de traiter fictivement l'héritier réservataire renonçant astreint à l'obligation de rapport comme un héritier réservataire acceptant, en ce qui concerne la réunion fictive, l'imputation et la réduction de la libéralité en cause 90 ( * ) .
Votre commission vous proposera également d'adopter des amendements de coordination à l'article 919-1 modifié par l'article 13 du projet de loi ainsi qu'à l'article 919-3.
* 89 Par exemple : un de cujus laisse deux fils, A et B, et un patrimoine estimé à 50, alors qu'il avait donné à A un immeuble valant 100. Si A renonce, il conserve 100 et B reçoit les 50, alors que s'il accepte, A et B recevront chacun 75 (100+50 divisés par 2).
* 90 Par exemple, A décède en laissant trois enfants B, C et D et un patrimoine de 500. B, qui avait reçu 100, renonce et doit le rapport.
En l'état du projet de loi, la masse de calcul de la quotité disponible est de 600 et la quotité disponible d'1/3, soit 200. La libéralité s'impute normalement sur la part successorale du gratifié, mais comme il renonce, il ne dispose plus de part de réserve.
En l'absence de précision, l'imputation devrait donc se faire sur la réserve globale et diminuerait la réserve individuelle des héritiers acceptants. La libéralité devrait donc être automatiquement réduite.
La solution consistant à imputer la libéralité sur la quotité disponible est également critiquable puisqu'elle aurait pour effet de la diminuer, ce qui est contraire à l'esprit de la réforme.
En revanche, en reconstituant fictivement et uniquement pour l'imputation de la donation la part de réserve de B, on obtient une quotité disponible d'1/4, soit 150 et une réserve globale de 450. La donation faite à B s'impute sur cette réserve, à concurrence de sa part de réserve fictive et pour le surplus sur la quotité disponible. Après imputation, la réserve globale serait donc de 350 à partager entre C et D et la quotité disponible de 150 resterait entièrement libre.