Article 18
(articles L. 131-3-1 à 131-3-3 [nouveaux]
du code de la propriété intellectuelle)

Conditions d'exploitation des droits des auteurs agents publics

I. Texte du projet de loi

Cet article propose d'introduire trois articles nouveaux dans le code de la propriété intellectuelle visant à déterminer les conditions d'exploitation des droits d'auteur reconnus aux agents de l'État, des collectivités territoriales et des établissements publics administratifs.

A- ARTICLES L. 131-3-1 ET L. 131-3-2 (NOUVEAUX) DU CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

Le premier alinéa de l'article L. 131-3-1 et l'article L. 131-3-2 (nouveaux) du code de la propriété intellectuelle créent un régime de cession légale des droits patrimoniaux au bénéfice de l'État, des collectivités territoriales et des établissements publics à caractère administratif pour l'exploitation des oeuvres réalisées par leurs agents. Les droits naissent par conséquent sur la tête du fonctionnaire mais sont automatiquement cédés à la personne publique qui les emploie.

Cette cession automatique des droits patrimoniaux de l'auteur est encadrée. D'une part, droit de reproduction et droit de représentation ne seront cédés que « dans la mesure strictement nécessaire à l'accomplissement d'une mission de service public ». D'autre part, condition nécessaire mais non suffisante, cette cession de plein droit n'interviendra qu'au cas ou l'oeuvre sera créée « dans l'exercice [des] fonctions ou d'après les instructions reçues » 131 ( * ) .

Ces dispositions s'inscrivent ainsi dans la lignée de l'arrêt OFRATEME : en « paralysant » l'exercice du droit d'exploitation dans la mesure nécessaire au fonctionnement du service, elles accordent à l'administration des droits exorbitants du droit commun de la propriété intellectuelle.

Le second alinéa de l'article L. 131-3-1 (nouveau) du code de la propriété intellectuelle établit quant à lui un droit de préférence au profit de l'État pour l'exploitation commerciale 132 ( * ) des oeuvres ayant fait l'objet de la cession légale mentionnée ci-dessus.

Ce dispositif vise à « sécuriser » la question de la commercialisation des travaux réalisés par les agents de l'Etat au regard du droit de la concurrence. En effet, depuis la décision Société Million et Marais du 3 novembre 1997, le Conseil d'Etat accepte de confronter les collectivités publiques au droit de la concurrence. Dans ces conditions, l'intervention de l'Etat sur les mêmes marchés que les entreprises du secteur privé sans que les oeuvres de ses agents soient grevées de la rémunération d'un droit d'auteur pourrait, si cela est révélateur d'un abus de position dominante ou de la mise en place d'une politique de prix prédateurs, être censurée par le juge national ou communautaire.

Les conditions d'exercice de ce droit de préférence et son articulation avec le mécanisme de cession légale prévu à l'alinéa précédent ne sont malheureusement pas précisées par le présent projet de loi. Si l'on peut estimer qu'il appartiendra à l'auteur d'informer son administration des oeuvres qu'il a créées et qu'il souhaite exploiter commercialement, plusieurs autres questions relatives à ce droit d'option, comme l'appelait le CSPLA, restent en suspens.

La première a trait aux caractéristiques principales de ce droit de préférence. Celles-ci s'inspireront-elles du droit de préférence défini à l'article L. 132-4 du code de la propriété intellectuelle 133 ( * ) , du droit de préemption commun au droit public et au droit privé ou seront-elles totalement nouvelles ? En dépit du temps écoulé depuis la rédaction du texte, les services compétents du ministère de la culture n'ont pu apporter aucune précision à ce sujet. L'utilisation d'un concept juridique existant aurait au moins eu l'avantage non négligeable d'éclairer la représentation nationale sur les intentions du Gouvernement en la matière.

La deuxième est relative au prix. Si l'administration ne pourra imposer à l'auteur une rémunération inférieure au marché, reste à déterminer les modalités de rémunération de l'auteur. Celles-ci s'inspireront elles des dispositions de l'article L. 131-4 du code de la propriété intellectuelle 134 ( * ) ou feront elles l'objet d'un dispositif réglementaire totalement nouveau ?

Sur cette question encore, les services ministériels n'ont pas été en mesure d'apporter de réponse précise à votre rapporteur concernant ces interrogations.

B- ARTICLE L. 131-3-2 (NOUVEAU) DU CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

Cet article étend aux collectivités territoriales et aux établissements publics l'application de l'article L. 131-3-1 (nouveau) du code de la propriété intellectuelle.

C- ARTICLE L. 131-3-3 (NOUVEAU) DU CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

Cet article renvoie à un décret en Conseil d'État la fixation des modalités d'application des deux articles précédents. Interrogés par votre rapporteur sur le contenu de ce texte, les services du ministère de la culture ont tenu à préciser que « ce décret, qui n'est pas encore rédigé, devra respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle, notamment en matière de rémunération. »

Cet article précise par ailleurs que le décret définira « en particulier les conditions dans lesquelles un agent, auteur d'une oeuvre, peut être intéressé aux produits tirés de son exploitation quand la personne publique qui l'emploie, cessionnaire du droit d'exploitation, a retiré un bénéfice d'une exploitation non commerciale de cette oeuvre ».

Il propose donc d'intéresser les agents publics aux bénéfices issus de l'exploitation de leur oeuvre dans le cadre d'un service public administratif. Une telle initiative n'est pas complètement originale dans son principe : l'article R. 611-14-1 prévoit par exemple l'attribution d'un intéressement aux fonctionnaires et aux agents publics auteurs d'une invention. Les dispositions de cet article sont en revanche plus audacieuses quant à leur champ d'application. En effet, si l'on peut aisément envisager qu'une invention fasse l'objet d'un dépôt de brevet dont l'exploitation soit source de profits, il n'en va pas de même de l'exploitation bénéficiaire d'une oeuvre dans le cadre d'un service public administratif. Aucun exemple concret n'a d'ailleurs à ce jour pu être avancé par les services du ministère de la culture.

II. Texte adopté par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale, sur proposition du rapporteur de la commission des lois M. Christian Vanneste, a adopté quatre amendements.

Le premier est un amendement visant à dissiper l'ambiguïté de l'expression « bénéfice retiré d'une exploitation non commerciale ».

Le deuxième vise à ajouter à la liste des personnes publiques entrant dans le champ de cette disposition, la Banque de France et les autorités administratives indépendantes dotées de la personnalité morale.

Les deux derniers amendements tendent à exclure les activités de recherches menées en partenariat avec le secteur privé par les établissements publics à caractère scientifique et technologique et les établissements publics à caractère scientifique culturel et professionnel du champ d'application du droit de préférence.

Cette disposition vise ainsi à « sécuriser » opportunément la signature des contrats conclus entre ces établissements publics et leurs partenaires privés.

III. Position de votre commission

Votre commission se félicite de l'adoption par l'Assemblée nationale d'un amendement à l'article 16 projet de loi visant à exclure de l'application du présent article les agents publics auteurs d'oeuvres dont la divulgation n'est soumise, en vertu de leur statut ou des règles régissant leur fonction, à aucun contrôle préalable de l'autorité hiérarchique permet de les résoudre.

Elle continue toutefois à s'interroger sur les modalités d'application du droit de préférence.

Sous cette réserve, votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.

* 131 Cette expression est déjà utilisée à l'article L. 113-9 du CPI organisant la dévolution à l'employeur des droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés, agents de l'État, des collectivités publiques et des établissements publics à caractère administratif : « Sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l'exercice de leurs fonctions ou d'après les instructions de leur employeur sont dévolus à l'employeur qui est seul habilité à les exercer. »

* 132 Votre rapporteur rappellera que l'interdiction faîte aux agents publics de cumuler une activité privée avec leur activité principale n'est pas applicable à la production des oeuvres scientifiques, littéraires ou artistiques. Aucun obstacle juridique ne s'oppose par conséquent à ce qu'un agent public jouisse des droits afférents à sa création lorsque celle-ci fait l'objet d'une exploitation commerciale. Toutefois, il convient de préciser que l'agent public ne peut exploiter lui-même son oeuvre. A moins que l'exploitation soit réalisée par un établissement public industriel et commercial, il lui appartient donc de céder son droit d'exploitation à un organisme privé afin de retirer un bénéfice de la vente de son oeuvre sans exercer lui-même une activité commerciale incompatible avec sa qualité de fonctionnaire.

* 133 « Est licite la stipulation par laquelle l'auteur s'engage à accorder un droit de préférence à un éditeur pour l'édition de ses oeuvres futures de genres nettement déterminés.

Ce droit est limité pour chaque genre à cinq ouvrages nouveaux à compter du jour de la signature du contrat d'édition conclu pour la première oeuvre ou à la production de l'auteur réalisée dans un délai de cinq années à compter du même jour.

L'éditeur doit exercer le droit qui lui est reconnu en faisant connaître par écrit sa décision à l'auteur, dans le délai de trois mois à dater du jour de la remise par celui-ci de chaque manuscrit définitif.

Lorsque l'éditeur bénéficiant du droit de préférence aura refusé successivement deux ouvrages nouveaux présentés par l'auteur dans le genre déterminé au contrat, l'auteur pourra reprendre immédiatement et de plein droit sa liberté quant aux oeuvres futures qu'il produira dans ce genre. Il devra toutefois, au cas où il aurait reçu ses oeuvres futures des avances du premier éditeur, effectuer préalablement le remboursement de celles-ci. »

* 134 Art. 131-4 : « La cession par l'auteur de ses droits sur son oeuvre peut être totale ou partielle. Elle doit comporter au profit de l'auteur la participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l'exploitation.

Toutefois, la rémunération de l'auteur peut être évaluée forfaitairement dans les cas suivants :

1° La base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée ;

2° Les moyens de contrôler l'application de la participation font défaut ;

3° Les frais des opérations de calcul et de contrôle seraient hors de proportion avec les résultats à atteindre ;

4° La nature ou les conditions de l'exploitation rendent impossible l'application de la règle de la rémunération proportionnelle, soit que la contribution de l'auteur ne constitue pas l'un des éléments essentiels de la création intellectuelle de l'oeuvre, soit que l'utilisation de l'oeuvre ne présente qu'un caractère accessoire par rapport à l'objet exploité ;

5° En cas de cession des droits portant sur un logiciel ;

6° Dans les autres cas prévus au présent code.

Est également licite la conversion entre les parties, à la demande de l'auteur, des droits provenant des contrats en vigueur en annuités forfaitaires pour des durées à déterminer entre les parties. »

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