Article 17
(article L. 121-7-1 [nouveau] du code de la propriété intellectuelle)

Limites du droit moral des auteurs agents publics

I. Texte du projet de loi

Cet article propose de restreindre l'exercice de trois des quatre attributs 123 ( * ) du droit moral reconnus à l'auteur fonctionnaire.

Le projet de loi n'a donc pas suivi les recommandations du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique qui, dans son avis 2001-1 affirmait qu' « aucune réglementation restrictive du droit moral n'apparaît [...] souhaitable. Le risque de voir le droit moral compromettre la mission de service public est en effet très faible, surtout sous le contrôle du juge administratif, auquel il reviendra de conjurer le risque d'abus, quelle que soit la prérogative en cause... » .

Le hiatus existant entre l'avis du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique et les dispositions du projet de loi semble mettre en évidence deux conceptions du droit d'auteur.

En suggérant de préserver l'intégrité du droit moral reconnu aux auteurs agents publics, l'avis du CSPLA s'inscrit pleinement dans la tradition personnaliste du droit d'auteur à la française. Perpétuel, inaliénable 124 ( * ) et jouissant d'une véritable prééminence 125 ( * ) vis-à-vis des droits patrimoniaux, le droit moral ne doit faire l'objet de restrictions qu'à titre exceptionnel et sous le contrôle du juge.

En proposant au contraire de restreindre expressément les prérogatives traditionnellement reconnues à l'auteur dans le cas des oeuvres créées par les agents publics, le projet de loi oppose à la conception personnaliste défendue par le CSPLA une approche pragmatique permettant de se prémunir, le cas échéant, contre toute entrave au fonctionnement du service public. En s'inspirant très largement des dispositions de l'article L. 121-7 du code de la propriété intellectuelle 126 ( * ) relatives au régime applicable aux logiciels, le présent texte donne ainsi au droit moral des agents publics un caractère purement symbolique.

A- LE DROIT DE DIVULGATION ET LE DROIT AU RESPECT DE L'oeUVRE

Le service public justifie d'apporter des aménagements substantiels à ces deux composantes du droit moral traditionnellement liées. Comme le notait Desbois, « le droit au respect de l'oeuvre complète le droit de divulgation. L'auteur est seul juge de l'opportunité de communiquer son oeuvre au public. Il est pareillement seul juge de l'opportunité de la modifier, quelle que soit l'importance de cette modification. »

(1) Le droit de divulgation

Le droit de divulgation défini à l'article L. 121-1 du CPI confère au seul créateur le droit de se prononcer sur le principe même de la communication de l'oeuvre au public et d'en choisir le procédé et les conditions.

Alors que le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique estimait que « Le problème du droit de divulgation ne se pose pas autrement que dans les relations entre un employeur et un salarié de droit privé, et on n'imagine pas que le juge puisse admettre que l'agent public se retranche derrière cet attribut du droit moral pour méconnaître les devoirs de sa charge. » , le projet de loi propose de restreindre l'exercice de ce droit.

Aux termes du présent article, l'agent public ne pourra se prévaloir de sa qualité d'auteur pour échapper à ses obligations statutaires et devra par conséquent exercer son droit de divulgation sous réserve du respect des règles :

- auxquelles il est soumis en sa qualité d'agent ;

- qui régissent l'organisation, le fonctionnement et l'activité de la collectivité publique qui l'emploie

Le droit de divulgation peut être ainsi « paralysé» pour assurer le respect du secret administratif ou du devoir de réserve. A contrario , ce droit ne pourra être opposé à l'administration par l'agent public chargé de rédiger un rapport et souhaitant s'opposer à sa publication ou par un enseignant refusant d'assurer ses cours.

(2) Le droit au respect de l'oeuvre

Aux termes de l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, « L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible ».

Si traditionnellement « le respect est dû à l'oeuvre telle que l'auteur a voulu qu'elle soit » 127 ( * ) , il n'en va pas de même en matière de création des agents publics. Le 1° du présent article interdit à l'agent de s'opposer à la modification de son oeuvre par l'autorité investie du pouvoir hiérarchique.

Une fois de plus, le présent article fait peu de cas de l'avis du CSPLA qui estimait que « l'exercice [du droit au respect de l'oeuvre] est contrôlé par le juge et l'examen de la jurisprudence montre que l'on parvient dans ce domaine à des solutions équilibrées ». Au contraire, le présent projet de loi tient à conforter le pouvoir de l'autorité hiérarchique en autorisant expressément celle-ci à porter atteinte à l'intégrité des oeuvres réalisées par ses subordonnés.

Cet article pose néanmoins deux limites à ce pouvoir.

D'une part, cette modification ne peut se justifier que dans l'intérêt du service. S'il appartiendra au juge de délimiter précisément cette notion, on peut estimer que celle-ci ne pourra en aucun cas justifier les modifications rédactionnelles imposées par un supérieur pointilleux.

D'autre part, conformément aux dispositions de la Convention de Berne, toute modification peut être contestée par l'auteur dans la mesure où celle-ci porte atteinte à son honneur et à sa réputation. L'article 6 bis de cette convention précise en effet que « Indépendamment des droits patrimoniaux d'auteur, et même après la cession desdits droits, l'auteur conserve le droit de revendiquer la paternité de l'oeuvre ou de s'opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de cette oeuvre ou à toute autre atteinte à la même oeuvre, préjudiciable à son honneur ou à sa réputation ».

B- LE DROIT DE REPENTIR ET DE RETRAIT

Le présent article interdit à l'agent public d'exercer son droit de repentir 128 ( * ) ou de retrait.

L'article L. 121-4 du code de la propriété intellectuelle reconnaît en effet à l'auteur ayant cédé son monopole d'exploitation le droit de mettre fin à l'exploitation de son oeuvre (droit de retrait) ou de modifier celle-ci (droit de repentir). L'auteur ne peut toutefois faire respecter ses « scrupules » qu'à la condition d'indemniser préalablement le cessionnaire du préjudice causé par cette décision.

Force est de reconnaître qu'un exercice incontrôlé de ces deux prérogatives par l'agent public rendrait aléatoire l'exploitation de l'oeuvre créée dans le cadre du service. Certains services ayant pour mission de créer et de divulguer des oeuvres de l'esprit, l'exercice de ces droits pourrait même se heurter directement au principe à valeur constitutionnelle de continuité du service public.

II. Texte adopté par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a adopté trois amendements rédactionnels à cet article.

III. Position de votre commission

A la lecture du texte proposé par le Gouvernement, votre rapporteur s'était interrogé sur les conditions d'application de ce droit moral atrophié aux catégories d'agents publics jouissant d'une certaine indépendance dans l'exercice de leurs fonctions.

La question se posait notamment pour les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs de l'enseignement supérieur qui ne jouissent que d'une protection législative 129 ( * ) . Ces derniers étaient a priori soumis au présent dispositif alors même que l'article L. 952-2 du code de l'éducation précise qu'ils « jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d'objectivité. »

L'application des dispositions relatives au droit de divulgation se heurtait ainsi au principe selon lequel « les personnels des établissements à caractère scientifique, culturel et professionnel [...] contribuent au développement et à la diffusion des connaissances et à la recherche » (art. L. 951-1 du code de l'éducation).

L'application des dispositions relatives au droit au respect de l'oeuvre et au droit de repentir et au retrait se heurtaient, quant à elles, au problème de l'identité de l'autorité investie du pouvoir hiérarchique. S'agissait-il dans ce cas du ministre de l'Éducation nationale, du président de l'Université, du Conseil scientifique ou du directeur de laboratoire ? L'intrusion des pairs dans le travail de l'enseignant-chercheur paraissait en tous cas peu compatible avec le statut de ce dernier.

Par ailleurs, votre rapporteur s'interrogeait sur la justification des modifications apportées aux oeuvres dans l'intérêt du service alors que l'intérêt du service exige que la libre expression et l'indépendance des enseignants-chercheurs soient garanties.

L'amendement adopté par l'Assemblée nationale à l'article 16 du présent texte et tendant à exclure de l'application de ce dispositif les agents publics auteurs d'oeuvres dont la divulgation n'est soumise, en vertu de leur statut ou des règles régissant leur fonction, à aucun contrôle préalable de l'autorité hiérarchique, permet de répondre à l'ensemble de ces interrogations.

Votre commission vous propose par conséquent d' adopter cet article sans modification.

* 123 Les quatre attributs du droit moral sont le droit de divulgation, le droit de repentir ou de retrait, le droit à la paternité et le droit au respect de l'oeuvre.

* 124 Article L.121-1 du CPI.

* 125 Votre rapporteur tient à rappeler que l'alinéa 2 de l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle cite « les attributs d'ordre intellectuel et moral » avant les « attributs d'ordre patrimonial ».

* 126 « Sauf stipulation contraire plus favorable à l'auteur d'un logiciel, celui-ci ne peut :

1° S'opposer à la modification du logiciel par le cessionnaire des droits mentionnés au 2° de l'article L. 122-6, lorsqu'elle n'est préjudiciable ni à son honneur ni à sa réputation ;

2° Exercer son droit de repentir ou de retrait. »

* 127 TGI Paris, 3 e chambre, 15 octobre 1992.

* 128 Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique proposait sur ce sujet aussi une analyse différente : « Le droit de repentir n'est pas en cause puisqu'il ne peut être exercé qu'après une cession contractuelle qui fait défaut ici ».

* 129 Cette question ne se pose pas pour les professeurs d'université dont la garantie d'indépendance résulte d'un principe fondamental des lois de la République 130 .

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