TRAVAUX DE LA COMMISSION
I. TABLE RONDE
Réunie le mercredi 1 er juin 2005 , sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a organisé une table ronde sur le projet de loi n° 343 (2004-2005), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l' égalité salariale entre les femmes et les hommes .
M. Nicolas About, président , a indiqué que la table ronde réunit Mme Gaétane Hazeran, présidente de l'association « Action'elles », M. Jean-François Sorro, directeur général de l'Association française pour l'assurance de la qualité - Association française de normalisation (AFAQ-AFNOR), Mme Annie Thomas, secrétaire nationale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et membre de l'Observatoire de la parité entre les hommes et les femmes et M. Jean-Luc Vergne, directeur des relations et des ressources humaines du groupe PSA-Peugeot Citroën .
Il a souhaité savoir si, en matière d'égalité hommes-femmes, la situation actuelle justifiait, à leur sens, l'adoption d'une nouvelle loi.
Après avoir indiqué qu'elle avait représenté la CFDT dans les négociations sur l'accord national interprofessionnel du 1 er mars 2004 relatif à la mixité et à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, Mme Annie Thomas a estimé que le projet de loi doit être une incitation des partenaires sociaux à négocier, tant au niveau des branches que des entreprises.
Constatant que, par tradition, l'industrie automobile est très masculinisée, M. Jean-Luc Vergne s'est félicité que le groupe PSA-Peugeot Citroën ait été l'une des premières entreprises à avoir obtenu le label Egalité, créé par Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, en juin 2004, sur une base volontaire, sans qu'un support législatif ait été nécessaire.
Après avoir précisé qu'elle s'exprimerait en tant que chef d'entreprise et représentante d'un groupement patronal de petites et moyennes entreprises, Mme Gaétane Hazeran a souligné que les dispositifs actuels en faveur de l'égalité salariale entre les hommes et les femmes sont encore inappliqués, comme en témoigne la persistance des écarts salariaux.
Mme Esther Sittler, rapporteur, a souhaité connaître la manière dont les participants à la table ronde analysent l'évolution de la situation des femmes sur le marché de l'emploi depuis vingt ans.
Mme Annie Thomas a relevé deux évolutions paradoxales : d'un côté, l'augmentation de la qualification des jeunes filles, désormais plus diplômées que les garçons, et, de l'autre, la concentration des femmes dans les emplois atypiques (contrats à durée déterminée et emplois à temps partiel), féminisés à 80 %. Elle a considéré que les femmes constituent désormais la variable d'ajustement des entreprises qui souhaitent renforcer la flexibilité des emplois. Elle a appelé le législateur à faire en sorte que la nature des emplois occupés ne constitue pas un obstacle à l'accès à la protection sociale, notamment à l'assurance vieillesse.
Confirmant que les filles connaissent désormais un taux de réussite au baccalauréat supérieur à celui des garçons, M. Jean-Luc Vergne a indiqué que les entreprises, contraintes de recruter en fonction des candidats disponibles, n'étaient pas responsables des choix d'orientation des filles, souvent cantonnées dans certaines filières éducatives et universitaires, comme l'action sociale, contrairement aux garçons, plus enclins à choisir des filières scientifiques et technologiques.
Déplorant l'aggravation de la situation des femmes sur le marché actuel de l'emploi, Mme Gaétane Hazeran a expliqué que, si la proportion de femmes au chômage était supérieure de deux points à celle des hommes, c'est parce qu'elles n'ont pas le choix des emplois qu'elles occupent, leur salaire ayant longtemps été considéré comme un salaire d'appoint. En cas de divorce, devenues chefs de famille, elles ne recourent à la création d'entreprise que comme un ultime recours. Elle a également insisté sur la nécessité de distinguer la situation des femmes en milieu urbain et celle des femmes en milieu rural.
Mme Esther Sittler a souhaité savoir si les pratiques discriminatoires sont aujourd'hui les principales raisons des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes ou si des facteurs objectifs plus décisifs sont en cause et si les dispositions du projet de loi pour réduire les écarts salariaux d'ici à cinq ans sont pertinentes.
Refusant de croire à l'existence de discriminations volontairement pratiquées par les entreprises, comme en témoigne la faiblesse de la jurisprudence en la matière, Mme Annie Thomas a insisté à nouveau sur les choix d'orientation scolaire des filles, souvent cantonnées à des filières dites « féminines ». Elle a plaidé pour un changement des mentalités et la mise en oeuvre de pratiques innovantes dans les entreprises, comme l'initiative exemplaire prise par l'Union des industries métallurgiques et minières (UIMM) pour sensibiliser les filles aux métiers de l'industrie. Elle a toutefois douté de la possibilité d'atteindre une complète parité salariale dans les cinq ans.
Affirmant également que les entreprises ne pratiquent pas une discrimination délibérée, puisqu'elles recrutent en fonction des candidatures, Mme Gaétane Hazeran a plutôt mis en avant les facteurs objectifs liés à la condition actuelle des femmes tels que l'organisation du travail ou les modalités de mise en oeuvre des 35 heures, sources de surmenage pour des salariées déjà fortement sollicitées par leurs nombreuses obligations familiales.
M. Jean-Luc Vergne a confirmé qu'aucun facteur objectif ne peut justifier les écarts salariaux entre les hommes et les femmes, lorsqu'elles sont aussi compétentes dans leur catégorie professionnelle. Il a plutôt mis l'accent sur la moindre rapidité de la progression des carrières des femmes, qui s'explique souvent par leurs contraintes familiales. Il a alors rappelé que PSA a mis en place un système permettant de recruter une proportion plus importante de femmes dans les services faiblement féminisés.
Pour accompagner les lois et les règlements relatifs à la parité professionnelle, M. Jean-François Sorro a expliqué que l'AFAQ-AFNOR, organisme indépendant de certification, a mis en place le label Egalité, créé par le ministère de la parité et de l'égalité professionnelle sur une base strictement volontaire, ce qui aura sans doute pour effet de faire évoluer efficacement les mentalités.
Mme Gaétane Hazeran a jugé qu'il faudrait aller au-delà et que des mesures coercitives sont indispensables pour accélérer l'évolution des mentalités, en ajoutant qu'une forte incitation financière pour les entreprises serait préférable à la mise en place de pénalités.
M. Roland Muzeau a estimé que le travail à temps partiel subi, majoritairement féminin, est une réalité que les nombreux textes de loi n'ont pas réussi à endiguer. Il a fait valoir que certaines entreprises très féminisées, dans les secteurs du nettoyage ou de la grande distribution, font des économies grâce aux emplois précaires occupés par les femmes. Il a alors défendu le principe d'un renforcement des mesures coercitives et des pénalités.
Mme Esther Sittler, rapporteur , a indiqué que la question du travail à temps partiel des femmes devrait faire l'objet d'un traitement particulier dans un futur projet de loi préparé par le ministère en charge des relations du travail.
En raison des incertitudes liées au remaniement gouvernemental en cours, M. Nicolas About, président , a estimé que la question du travail à temps partiel devrait être prise en compte dès le présent projet de loi relatif à l'égalité salariale.
Rappelant l'inefficacité des sanctions appliquées aux entreprises qui n'embauchent pas les personnes âgées de plus cinquante ans ou les personnes handicapées, les entreprises préférant payer des pénalités plutôt que de recruter ces actifs, Mme Annie Thomas a exprimé des réserves sur leur efficacité. Elle a annoncé que la nouvelle convention d'assurance chômage, qu'elle négociera en tant que vice-présidente de l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC) d'ici à la fin de l'année, devra réfléchir à la possibilité d'augmenter les cotisations sociales de certaines entreprises, comme les entreprises d'intérim et du spectacle, qui emploient majoritairement des personnes sous contrat précaire, ce qui alimente le chômage. Concernant la difficulté de promouvoir les femmes dans les petites et moyennes entreprises, elle a reconnu une part de responsabilité aux syndicats, trop peu présents dans les petites structures. Elle a considéré que le prochain retournement démographique est un facteur d'optimisme, car les femmes devront investir les métiers dits « masculins » si notre pays ne veut pas recourir, in fine, à l'immigration.
Après avoir témoigné de ses visites dans l'usine Peugeot de Poissy, dont il a qualifié d'exemplaire la politique en matière de parité, M. Alain Gournac a contesté l'analyse de M. Roland Muzeau sur la stratégie d'économie salariale qui serait, à son sens, délibérément menée par les entreprises de nettoyage. Il a indiqué, au contraire, que, dans la ville dont il est l'élu, celles-ci sont très attachées à la qualité de leurs prestations. Analysant les motifs du travail à temps partiel des femmes, il a expliqué que les employées municipales demandent fréquemment à travailler à mi temps pour pouvoir concilier leur vie professionnelle et leurs contraintes familiales.
Mme Bernadette Dupont a confirmé la réalité des demandes d'emploi à temps partiel émanant des femmes dans les municipalités, situation qui s'avère parfois difficile à gérer. Par ailleurs, elle n'a pas jugé pertinente la comparaison entre la situation des femmes et celle des personnes handicapées, parce que ces dernières, souvent sous-qualifiées et souffrant parfois de difficultés psychologiques, ont besoin d'un accompagnement, ce qui n'est bien sûr pas systématique pour les femmes.
Mme Gisèle Printz a jugé que cette énième loi sur le même sujet ne servira pas à grand-chose, préconisant l'application de mesures plus contraignantes. Elle a souhaité connaître le regard que portent les entreprises sur la maternité et sur la formation professionnelle des femmes. Enfin, après avoir déploré la faiblesse de l'engagement des syndicats sur cette question, elle s'est dite convaincue que certains emplois, actuellement massivement occupés par les femmes, comme les assistantes maternelles, pourraient l'être sans aucune difficulté par des hommes.
Défendant sa position sur l'équivalence des salaires à compétence égale, M. Jean Luc Vergne a fait observer qu'au sein de PSA, la signature d'un accord sur l'emploi féminin en 2003, puis d'un autre sur la diversité culturelle en 2004, n'aurait pas pu être possible il y a cinq ans. Il s'est déclaré très heureux de l'évolution rapide des mentalités et conscient de la nécessité, pour les grands groupes industriels, d'être représentatifs de la diversité de leur clientèle.
Mme Gaétane Hazeran a récusé l'idée selon laquelle « une filière qui se féminise est une filière qui se dévalorise », formule récemment parue dans un article de presse. Elle a signalé que certaines études auraient établi que, lorsqu'elles deviennent chefs d'entreprise, les femmes reproduiraient les schémas issus de leurs expériences de salariées, notamment en baissant les prix, les salaires et les marges, accréditant du même coup l'idée, solidement ancrée dans notre culture, que le salaire des femmes est un salaire d'appoint. Elle a considéré que le recours à des dispositifs plus contraignants pour les entreprises ne devrait pas nécessairement passer par une taxation supplémentaire, mais plutôt par un allégement des cotisations sociales supportées par celles qui font, de la parité, une réalité.
Répondant à M. Alain Gournac et à Mme Gisèle Printz, Mme Annie Thomas a souligné que, parmi les raisons objectives au ralentissement des promotions, figure la maternité. Elle a ajouté que si, dans la fonction publique municipale, certaines femmes demandent effectivement à travailler à temps partiel, tel n'est pas le cas dans la grande distribution, où elles subissent plutôt la précarité des contrats de travail. Quant aux syndicats, leur présence auprès des femmes devrait se renforcer, à commencer par la féminisation des syndicats eux-mêmes, comme en témoigne l'engagement de la CFDT à augmenter la proportion de femmes parmi les négociateurs des accords collectifs.
Après avoir rappelé sa longue expérience professionnelle à Peugeot, M. Louis Souvet a souligné combien le traitement individuel des cas personnels rend difficile l'organisation du travail dans les entreprises et a tempéré les propos selon lesquels la loi pourrait tout régler en la matière.
Mme Sylvie Desmarescaux a préconisé l'application des lois existantes, plutôt que l'adoption d'une loi supplémentaire. Faisant un parallèle avec la loi sur la parité en politique, elle a confirmé que les partis politiques préfèrent désormais payer des pénalités plutôt que de faire appel à des femmes sur les listes électorales. Elle a enfin récusé l'idée selon laquelle les filières qui se féminisent se dévalorisent, s'interrogeant sur les raisons pour lesquelles certains emplois ne sont pas occupés par des hommes.
Approuvant cette position, M. Michel Esneu a défendu l'idée de changer les mentalités des filles qui, malgré leurs meilleures performances scolaires et universitaires, doutent encore d'elles-mêmes et de leur capacité à assumer des responsabilités.
Revenant au texte du projet de loi en faveur de l'égalité salariale, M. Jean Luc Vergne a rappelé que l'article premier dispose que la salariée, de retour d'un congé maternité, doit bénéficier de la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant sa période d'absence par les salariés relevant de sa catégorie professionnelle. Il a considéré que cette mesure porterait préjudice aux femmes qui bénéficiaient auparavant de plus fortes augmentations et qu'il serait préférable de prévoir une augmentation égale à la moyenne des augmentations perçues par la salariée elle-même au cours des trois années précédentes. Il a ensuite estimé que l'article 13 bis, introduit par voie d'amendement par l'Assemblée nationale, et qui prévoit la parité de représentation au sein du conseil d'administration dans les grandes entreprises privées, ne correspond pas à la réalité du fonctionnement de ce type d'entreprises : en effet, les administrateurs y sont avant tout choisis non pas sur des considérations de sexe, mais sur leur capacité à définir la stratégie de développement de l'entreprise.
Considérant, à l'inverse, que les articles premier et 13 bis constituent un progrès réel, Mme Annie Thomas a d'abord rappelé que la présence des femmes dans le conseil d'administration de l'entreprise Nike a permis à celle-ci de mieux comprendre les attentes des femmes et, du même coup, de devenir leader sur le marché féminin du sport. Ensuite, elle a approuvé l'idée formulée par M. Michel Esneu d'intégrer dans la loi les bonnes pratiques répertoriées dans les entreprises afin qu'elles servent d'exemples aux autres. A cet égard, elle a jugé que la loi « Génisson » de 2001 était une bonne loi, ce dont la Délégation du Sénat aux droits des femmes a fait état dans son récent rapport, même si la presse n'a retenu que la statistique selon laquelle 72 % des entreprises n'ont pas signé d'accord sur la parité.
M. Jean-François Sorro a exprimé ses doutes sur la capacité de l'arsenal législatif à changer le cours des choses, préférant largement les systèmes alternatifs, comme le label Egalité, excellent outil d'innovation. Ce label a permis, au demeurant, de valoriser certaines pratiques en matière d'aménagement des horaires de travail ou de prise en compte de la maternité.
M. Roland Muzeau a souligné que la sanction n'a de sens que lorsqu'elle est significative. Conseillant aux syndicats de ne pas être naïfs, il a affirmé que dans le commerce et la grande distribution, les grands groupes ne respectent pas toujours la législation.
Mme Esther Sittler, rapporteur, a souhaité savoir si certaines pratiques ont été répertoriées comme particulièrement innovantes pour atteindre effectivement l'égalité professionnelle.
M. Jean-Luc Vergne a indiqué que l'objectif de PSA est de recruter une proportion encore plus significative de femmes, d'améliorer l'harmonisation de la vie professionnelle et de la vie familiale et, en coopération avec le groupe ACCOR, de renforcer les aides matérielles accordées aux femmes.
Se référant aux pratiques recensées en Europe du Nord, Mme Gaétane Hazeran a cité la création des crèches d'entreprises et l'assouplissement des horaires de travail, en particulier le soir.
M. Jean-François Sorro a également mis l'accent sur la création de crèches intégrées ou partagées au sein des entreprises et sur les mesures de soutien des femmes dans la gestion de leur vie quotidienne.
Mme Annie Thomas a souhaité un renforcement du dialogue social au niveau des territoires, comme l'a expérimenté l'union régionale de la CFDT en Bretagne et dans les Pays de la Loire, où un poste de chargée de mission a été créé pour sensibiliser les syndicalistes à l'égalité professionnelle hommes-femmes.