II. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION : PRÉSERVER UN MINIMUM DE CONTRÔLE AUX FRONTIÈRES INTÉRIEURES
La proposition de résolution présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne du Sénat par notre collègue M. Robert Del Picchia approuve la quasi totalité de la proposition de règlement. Le volet « frontières extérieures » ne pose pas de problèmes. En revanche, le volet « frontières intérieures » paraît soulever d'importantes difficultés. Elles concernent les modifications proposées par la Commission.
A. LA CLAUSE DE SAUVEGARDE : MAINTENIR SON DÉCLENCHEMENT À LA SEULE APPRÉCIATION DE L'ÉTAT MEMBRE CONCERNÉ
1. S'opposer à la nouvelle procédure proposée par la Commission
La délégation pour l'Union européenne estime que l'appréciation des circonstances et de l'opportunité de recourir à la clause de sauvegarde revient à l'Etat concerné et à lui-seul.
En effet, la responsabilité de l'ordre public et de la sécurité nationale incombe aux Etats membres qui doivent en rendre compte à leurs citoyens . Il apparaît inopportun de soumettre la réintroduction de contrôles frontaliers à l'avis préalable de la Commission et des autres Etats membres.
Les propositions de la Commission formaliseraient excessivement la procédure et supposeraient de prévenir au moins quinze jours à l'avance l'ensemble des partenaires. Surtout, votre rapporteur remarque que le rétablissement des contrôles est subordonné à l'organisation obligatoire de la consultation préalable des Etats membres et de la Commission. La sauvegarde de l'ordre public ne peut pas être suspendue à cette condition de forme.
En outre, apprécier le risque de troubles à l'ordre public ou à la sécurité nationale exige souvent une analyse fine et fondée sur des informations actualisées en permanence. Dans ce contexte, prévoir deux à trois semaines à l'avance l'intensité, la durée et même la date de rétablissement des contrôles aux frontières peut s'avérer un exercice difficile 22 ( * ) .
L'opposition de la proposition de résolution à une immixtion de la Commission européenne ou du Conseil dans l'appréciation de l'opportunité de recourir à la clause de sauvegarde est toutefois nuancée légèrement. La proposition suggère en effet que l'Etat concerné doit être en mesure de s'expliquer dès que possible sur sa décision auprès de ces deux institutions. Il s'agirait donc d'une intervention a posteriori .
2. Le problème particulier des frontières avec la Belgique et le Luxembourg
L'exposé des motifs de la proposition de résolution attire l'attention sur l'une des conséquences probables d'une réforme de la clause de sauvegarde. Elle fragiliserait la décision de maintenir des contrôles permanents aux frontières belge et luxembourgeoise en réponse à la politique néerlandaise en matière de stupéfiants.
En effet, la France maintient de manière quasi-permanente le contrôle de la frontière avec la Belgique et le Luxembourg depuis que l'espace Schengen existe. La base juridique de cette décision a priori contraire au principe de la libre circulation des personnes est la déclaration commune 23 ( * ) concernant l'article 71, paragraphe 2, de la Convention de Schengen . Cette déclaration commune, intégrée dans l'acquis Schengen par le traité d'Amsterdam, permet aux parties contractantes de prendre les mesures administratives et pénales nécessaires afin de prévenir et réprimer l'importation et l'exportation de stupéfiants dans le cas où une des parties contractantes déroge au principe visé à l'article 71, paragraphe 2, précité selon lequel les parties contractantes s'engagent à prévenir et réprimer l'exportation et la cession de stupéfiants, y compris le cannabis.
Or, la Commission européenne s'interroge sur la valeur de cette base juridique et sur sa pertinence pour justifier le maintien de contrôles fixes permanents qui vont bien au-delà de ce que permet la clause de sauvegarde.
Dans ce contexte, la réforme de la clause de sauvegarde ne ferait que souligner davantage le caractère anormal du maintien de tels contrôles, quel que soit son bien fondé d'un point de vue policier par ailleurs . Cette situation ne plaide pas en faveur de la position française qui consiste à s'opposer à une formalisation approfondie de la clause de sauvegarde conçue précisément pour éviter les abus.
Telle est la raison pour laquelle l'exposé des motifs de la proposition de résolution souhaite lier la levée éventuelle des contrôles permanents à l'approfondissement de la lutte contre les stupéfiants au niveau européen . Ceci permettrait de sortir par le haut de ce conflit. Chaque Etat membre a en effet une responsabilité particulière vis-à-vis de ses partenaires dans un espace sans frontière.
La proposition de résolution fonde ses espoirs sur la nouvelle « stratégie anti-drogue » de l'Union européenne, qui a été arrêtée depuis par le Conseil européen des 16 et 17 décembre 2004, afin d'apporter un surcroît d'efficacité et de garanties en matière de lutte contre le trafic international de stupéfiants. Le point 27-3 de « la stratégie anti-drogue » reconnaît ainsi que « des politiques nationales cohérentes en matière de poursuites dans tous les États membres constituent la condition préalable à remplir pour qu'une politique de répression commune de l'UE en matière de drogue soit crédible ». Les États membres sont invités à s'efforcer « d'assurer la cohérence entre leurs règles nationales en matière de poursuites ».
Si la stratégie répond à ce souci, la question du maintien de contrôles à certaines frontières devra être réexaminée .
B. DÉFENDRE LA NOTION DE « ZONES DE CONTRÔLE » MOUVANTES À PROXIMITÉ DES FRONTIÈRES INTÉRIEURES
1. Maintenir cette faculté
La proposition de résolution s'oppose à l'interdiction explicite de procéder à des contrôles spécifiques dans la zone frontalière.
La Commission souhaite en effet mettre fin à cette pratique française consacrée par notre législation . L'article 8-2 de l'ordonnance n°45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France prévoit ainsi que, dans une bande de vingt kilomètres, les officiers de police judiciaire peuvent procéder, avec l'accord du conducteur ou, à défaut, sur instructions du procureur de la République, à la visite sommaire des véhicules circulant sur la voie publique, à l'exclusion des voitures particulières. De même, l'article 78-2 du code de procédure pénale permet dans cette bande de procéder au contrôle de l'identité en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi. Le code des douanes offre des facilités semblables.
Plus encore, la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité a étendu ces possibilités de contrôles en les autorisant sur les aires de stationnement et les sections autoroutières, jusqu'au premier péage, si celui-ci est situé au delà de la ligne des 20 kilomètres 24 ( * ) .
Ces contrôles visent essentiellement à lutter contre l'immigration illégale, mais ces contrôles jouent également un rôle important dans la lutte contre la criminalité organisée transnationale de manière générale.
Par ailleurs, comme le souligne la proposition de résolution, la France a développé une importante coopération transfrontalière sur le plan bilatéral, avec notamment des commissariats communs de police.
L'ensemble de ce dispositif pourrait être remis en cause par le projet de code communautaire . Si rien dans les textes Schengen en vigueur n'autorise explicitement de telles zones de contrôles frontaliers, rien non plus ne les interdit. Cela ne serait plus le cas avec ce code.
La proposition de résolution estime que se priver de tels instruments ne pourrait pas être compris par les citoyens et pourrait se retourner contre l'idée européenne. La libre circulation des personnes ne doit pas signifier un désarmement juridique unilatéral des forces de sécurité.
2. Promouvoir la notion de « zones de contrôle »
Consciente qu'une politique commune relative aux contrôles aux frontières intérieures est nécessaire, la Délégation pour l'Union européenne du Sénat demande au Gouvernement de prendre des initiatives afin de promouvoir au niveau européen la notion de « zones de contrôle » mouvantes à proximité des frontières intérieures .
En effet, selon les informations recueillies par votre rapporteur au cours de ses auditions, la France serait le seul pays à disposer d'une législation de ce type. L'Autriche envisagerait de suivre l'exemple français, mais attendrait de voir dans quel sens vont évoluer les négociations. Les avantages de cette notion de « zones de contrôle » devraient être promus au niveau européen afin de faire prévaloir la conception française.
* 22 La France a recouru à la clause de sauvegarde lors de l'organisation de Conseils européens, de matchs de football, de manifestations pro- ETA ou de grands évènements internationaux tels que le sommet du G8 à Evian.
* 23 La déclaration commune a été adoptée au moment de la signature de la Convention de Schengen.
* 24 Voir les articles 10, 81 et 85 de la loi du 26 novembre 2003. Le Sénat fut à l'origine des articles 10 et 85.