B. L'ÉCOLE : LE DÉVELOPPEMENT INDISPENSABLE DE LA SCOLARISATION EN MILIEU ORDINAIRE

1. Un dispositif complexe aux résultats insuffisants

L'orientation scolaire des enfants handicapés est aujourd'hui fonction des décisions de la commission départementale d'éducation spéciale (CDES), créée par la loi de 1975, qui fonctionne sous le copilotage de l'inspecteur d'académie et du directeur départemental des affaires sanitaires et sociales. Selon l'âge et le niveau scolaire de l'enfant, son dossier est étudié par l'une des deux sections de la CDES : la commission de circonscription préélémentaire et élémentaire (CCPE) ou la commission de circonscription du second degré (CCSD).

Leurs décisions s'imposent aux établissements mais pas aux parents ou aux représentants légaux de l'enfant. Elles doivent, en outre, s'adapter aux changements intervenant dans la situation de ce dernier.

La mise en oeuvre de l'obligation éducative passe par des dispositifs variés. Elle peut prendre la forme d'une intégration scolaire en milieu ordinaire, individuelle ou collective, dans une classe ordinaire ou spécialisée, voire dans un établissement d'enseignement spécialisé, soit à temps plein, soit à temps partiel, avec ou sans soutien particulier. Elle peut aussi être organisée au sein d'établissements médico-sociaux d'éducation spéciale, suivant le type de déficiences et éventuellement avec le soutien de services spécialisés.

Cette diversité devait initialement permettre des processus dynamiques de passage d'une structure à une autre, en fonction de l'évolution des handicaps. Mais elle a plutôt conduit à figer les situations en multipliant des cloisonnements souvent infranchissables, ainsi que l'a mis en exergue votre commission dans son rapport d'information précité 9 ( * ) .

L'éducation ordinaire - c'est-à-dire l'intégration scolaire en milieu ordinaire - est normalement la règle. Deux solutions sont ici possibles :

- une intégration individuelle dans une classe « ordinaire », avec d'autres enfants ou adolescents du même âge, et, le cas échéant, un soutien spécifique qui peut être fourni par les réseaux d'aide spécialisée aux élèves en difficulté (RASED) ou les services de type SESSAD, voire par des auxiliaires d'intégration scolaire ou par des enseignants spécialisés itinérants ;

- une intégration collective dans une classe « spéciale » située dans un établissement scolaire « ordinaire ». Il s'agit ici des classes d'intégration scolaire (CLIS) à l'école élémentaire et des unités pédagogiques d'intégration (UPI) au collège. Les enfants et adolescents handicapés y suivent un enseignement adapté à leurs capacités et délivré en principe par des enseignants spécialisés. Mais ils participent également aux activités des autres élèves de l'établissement et les côtoient quotidiennement. Là encore, ils peuvent bénéficier des mêmes soutiens qu'en cas d'intégration individuelle. Il existe également, dans certains collèges, les sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) qui accueillent les enfants et les adolescents handicapés en vue de les aider à atteindre le niveau du certificat d'aptitude professionnelle.

A côté de l'éducation ordinaire, intervient l'éducation spécialisée.

Celle-ci peut d'abord relever du ministère de l'éducation nationale. Il s'agit notamment des établissements régionaux d'enseignement adapté (EREA) qui sont chargés d'assurer un enseignement adapté au type de handicap, en proposant si nécessaire un internat éducatif. Il s'agit également, mais plus rarement, des centres de formation d'apprentis spécialisés (CFAS) qui accueillent les jeunes handicapés ne pouvant être intégrés dans un CFA « ordinaire ».

Mais l'éducation spéciale relève principalement du ministère des affaires sociales au travers des établissements médico-sociaux des « annexes XXIV ». Ceux-ci sont spécialisés par type de handicap et ont vocation à organiser une prise en charge globale de l'enfant ou de l'adolescent et particulièrement en matière éducative. Il convient notamment de rappeler le rôle des instituts médico-éducatifs (IME) qui sont de deux sortes : les instituts médico-pédagogiques (IMP) et les instituts médico-professionnels (IMPro). Les premiers ont vocation à assurer l'éducation générale et pratique des enfants dès l'âge de trois ou six ans, tandis que les seconds visent à dispenser, parallèlement à un complément d'éducation générale, une formation professionnelle adaptée au handicap à partir de quatorze ans.

Cet éclatement du paysage éducatif est encore renforcé par la complexité, voire l'opacité, des processus d'orientation par la CDES, perçue comme un véritable « labyrinthe » par de nombreux parents.

Cette situation tient à la complexité de la procédure qui conduit à écarter les familles de la prise de décision, à la durée insuffisante d'examen des dossiers et au manque de prise en compte des besoins et des capacités de l'enfant.

Les carences du système institutionnel sont encore renforcées par l'insuffisance des moyens mis en oeuvre.

L'intégration scolaire en milieu ordinaire ne progresse ainsi que lentement , puisqu'elle ne concerne qu'environ 75.000 enfants ou adolescents handicapés.

Ainsi , l'intégration individuelle reste rare. Selon la Cour des comptes 10 ( * ) , 27.900 enfants atteints d'un handicap étaient scolarisés dans une classe ordinaire du premier degré à la rentrée 1999. Près des trois quarts l'étaient à temps plein. 54 % d'entre eux (10.800 enfants) présentaient une déficience intellectuelle ou psychique. Dans le second degré, l'intégration scolaire individuelle concernait 17.200 élèves en situation de handicap : 11.300 en premier cycle, 5.900 en second cycle. Les trois quarts fréquentaient des lycées ou des classes ordinaires de collège ; 25 % étaient en sections ou établissements non spécialisés d'enseignement adapté. 13 % de ces adolescents en collège, 8 % en lycée, étaient réputés atteints d'une déficience intellectuelle ou physique. Enfin, 7.000 jeunes gens en situation de handicap poursuivaient des études universitaires ; 11 % d'entre eux présentaient des troubles à dominante psychologique.

L'intégration collective se développe progressivement, mais ne concerne que marginalement le second degré. En effet, si, en 2000, 48.200 élèves étaient scolarisés dans les classes spécialisées du premier degré, ils n'étaient que 1.200 dans les UPI.

De fait, l'éducation spéciale reste plus fréquente . Au total, en 2000, on comptait environ 135.000 enfants ou adolescents handicapés relevant de ces dispositifs.

Ainsi, les établissements du secteur médico-éducatif accueillaient, pour l'année scolaire 2000-2001, environ 100.000 enfants et adolescents handicapés, dont moins de 7.000 étaient scolarisés à l'extérieur de l'établissement.

De plus, on estime à environ 18.000 le nombre d'enfants ou d'adolescents handicapés scolarisés dans des établissements spécialisés de l'éducation nationale (notamment les SEGPA et les EREA).

Parallèlement, se développent les services d'éducation spéciale et de soins à domicile. Ainsi, à la rentrée 2001, on comptabilisait 20.809 places en SESSAD contre 17.347 en 2000 et 13.466 en 1998.

A l'insuffisance des places d'accueil en milieu ordinaire, s'ajoute une inadaptation évidente des moyens humains, tant à l'éducation nationale que dans le secteur médico-éducatif, qui pénalise ces élèves en termes de qualité de la formation reçue.

Il existe tout d'abord un manque important d'enseignants spécialisés.

Dans l'éducation nationale, pour l'année scolaire 1999-2000, sur les 19.164 enseignants exerçant dans l'enseignement spécialisé et adapté du premier degré public, seuls 3.645 d'entre eux étaient des instituteurs spécialisés, soit environ 20 %. De même, dans le secteur médico-éducatif, la carence en enseignants est patente.

Est également à déplorer la faiblesse de la formation des enseignants sur le handicap , qui explique les trop nombreuses réticences à l'accueil d'enfants handicapés dans les classes ordinaires .

En effet, une formation adaptée des enseignants est indispensable et le développement des aides à la scolarisation ne peut s'y substituer. Or, cette formation, qu'elle soit initiale ou continue, n'est guère effective.

Votre commission se réjouit toutefois, à cet égard, de la mise en place d'un nouveau plan de formation dans les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), visant à introduire une formation initiale et continue adaptée dans les programmes, instituée par le Plan Ferry du 21 janvier 2003. Elle souhaite une mise en oeuvre rapide.

Votre commission rappelle enfin l'insuffisance des aides à l'accompagnement et souhaite le développement des auxiliaires de vie scolaire afin de permettre aux enfants qui le peuvent d'être intégrés en milieu ordinaire.

Ces analyses amènent votre commission, à la suite de la Cour des comptes, à dresser un bilan sévère des conditions de mise en oeuvre de l'obligation éducative.

Si la mise en oeuvre du plan « Handiscol » depuis 1999 a certes permis, dans certains départements, une amélioration de la situation, l'intégration scolaire reste encore l'exception.


Le plan Handiscol

Lancé le 20 avril 1999 par les ministères en charge de l'éducation nationale ainsi que de l'emploi et de la solidarité, le plan Handiscol fait suite au rapport rendu en mars 1999 par les inspections générales des deux ministères.

Ce plan proposait vingt mesures pour surmonter les obstacles à l'accueil des jeunes handicapés dans les établissements scolaires : en vue de réaffirmer le droit et favoriser son exercice (quatre mesures), de constituer des outils d'observation (deux mesures, notamment rapprocher les outils statistiques des deux ministères), d'améliorer l'orientation, de renforcer le pilotage (trois mesures, notamment instaurer des groupes départementaux Handiscol), de développer les dispositifs et les outils de l'intégration (huit mesures) et d'améliorer la formation des personnels de l'éducation nationale (trois mesures).

Une circulaire interministérielle du 19 novembre 1999 a créé des groupes départementaux Handiscol dans le but d'assurer une cohérence locale entre les actions des différents partenaires. Bien que dépourvu de pouvoir décisionnel, le groupe Handiscol est considéré comme l'instrument de la conduite concertée de la politique départementale d'intégration scolaire. Il a pour mission d'évaluer les besoins éducatifs spécifiques et d'établir un rapport annuel sur la scolarisation des enfants et adolescents handicapés.

Le 25 janvier 2000, intervenant devant le Conseil national consultatif des personnes handicapées, le Premier ministre avait assigné à l'administration l'objectif de doubler en trois ans le nombre d'élèves handicapés scolarisés.

L'une des mesures du plan était de développer la cellule nationale d'écoute Handiscol. Sur l'année 2000/2001, elle n'a recensé que 1.828 appels, soit en moyenne onze appels par jour. Les appels portaient presque tous sur des refus d'établissements de scolariser des enfants handicapés. Les raisons le plus souvent avancées par les établissements pour justifier leur refus étaient le niveau de l'élève handicapé et l'absence d'auxiliaire d'intégration.

Quarante-cinq des services déconcentrés des quatre-vingt-quatre départements interrogés au cours de l'enquête ont répondu qu'ils n'avaient pas été informés de dysfonctionnements qui auraient été enregistrés à la cellule nationale d'écoute Handiscol.

Les missions des groupes départementaux Handiscol recouvrent largement celles des CDES : recensement des besoins éducatifs spécifiques sur le département, évaluation des réponses qui leur sont apportées, suivi des modalités de scolarisation. Ils doivent recueillir « le bilan annuel du fonctionnement de la CDES et des commissions de circonscription » et formuler « des propositions pour son amélioration ». A l'exception des représentants des collectivités locales qui y ont été introduits, la coprésidence et la composition des groupes Handiscol sont comparables à celles des CDES.

L'inspection générale de l'éducation nationale constatait en février 2002 que les groupes départementaux Handiscol avaient du mal à se situer parmi les instances existantes et que leur apport à l'intégration scolaire restait très limité.

Un plan quinquennal pour l'intégration des élèves handicapés, en priorité dans le second degré, a été rendu public le 21 janvier 2003. Il prévoit notamment l'ouverture de 1.000 classes spécialisées (CLIS et UPI), l'augmentation du nombre d'auxiliaires de vie scolaire et la mise en oeuvre de projets d'accueil individualisé permettant une scolarité aménagée.

Source : Cour des comptes

Compte tenu des freins existants à l'intégration scolaire et des difficultés rencontrées par le secteur médico-éducatif, l'obligation éducative n'est pas toujours effective et l'absence de toute scolarisation demeure encore trop fréquente.

Selon le rapport de la Cour des comptes précité, le nombre d'enfants âgés de six à seize ans pour lesquels un dossier a été déposé devant une CDES et qui n'ont jamais été scolarisés se situe entre 5.000 et 14.000. Ces enfants s'ajoutent à ceux non scolarisés accueillis dans les établissements. L'enquête de l'IGEN et de l'IGAS menée en mars 1999 concluait ainsi à la non-scolarisation de 26 % des jeunes handicapés accueillis en établissement.

2. Une situation dégradée qui appelle une réponse forte

Constatant les retards de l'intégration scolaire et la persistance de trop nombreux cas de non-scolarisation, le présent projet de loi révise le principe d'obligation éducative de la loi du 30 juin 1975 pour en faire une obligation d'intégration scolaire en milieu ordinaire .

Cette dernière devient prioritaire dès lors que la situation de l'enfant permet à la nouvelle commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées de proposer une telle orientation, et les passages d'un système à l'autre sont encouragés.

L'éducation ordinaire n'est donc plus opposée à l'éducation spéciale, dont le terme même est abandonné, mais la complémentarité des interventions au bénéfice de l'enfant est favorisée, selon un projet individualisé élaboré avec ses parents.

En outre, l'éducation nationale est désormais responsable de l'ensemble de la scolarisation des élèves handicapés, y compris dans l'enseignement supérieur. A cet égard, le présent projet de loi tend également à faciliter l'accueil d'étudiants handicapés dans les établissements d'enseignement supérieur.

Il est également prévu que la scolarisation des enfants handicapés dans les établissements de santé et les établissements médico-sociaux sera désormais assurée par des personnes qualifiées relevant du ministère de l'éducation nationale, afin de garantir à tous la même qualité d'enseignement, ce qui permettra notamment un passage plus facile vers l'école ordinaire.

Enfin, les règlements des examens et concours seront modifiés afin de prévoir les aménagements nécessaires à leur ouverture aux candidats handicapés (mise à disposition d'un assistant, octroi d'un temps supplémentaire, etc.).

Cet ensemble de mesures est amené à conforter les dispositifs des Plans Handiscol de 1999 et Ferry de 2003, en donnant valeur législative à leurs principes essentiels.

Afin de renforcer encore la portée de leurs orientations pour permettre une réelle amélioration de la situation des enfants et des adolescents handicapés au regard de l'obligation scolaire, votre commission a souhaité préciser plusieurs points du dispositif, notamment en faisant de l'établissement ordinaire le plus proche du domicile l'établissement de référence tout au long du parcours de formation de l'enfant, de façon à obliger l'éducation nationale à connaître chacun de ces enfants.

En outre, elle propose d'introduire dans la loi une obligation de formation des enseignants à l'accueil de ces élèves.

Ces deux mesures phares devraient sensibiliser largement le service public de l'éducation à l'importance de la scolarisation des enfants et des adolescents handicapés pour leur offrir toutes les chances d'une véritable intégration professionnelle et, plus largement, sociale.

* 9 « Compensation du handicap : le temps de la solidarité », M. Paul Blanc, rapport d'information n° 369 (2001-2002).

* 10 La vie avec un handicap - Rapport de la Cour des comptes - juin 2003.

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