2. L'effet dévastateur de la querelle en légitimité des acteurs de la négociation collective
Notre
droit de la négociation collective repose, pour son élaboration,
sur une double spécificité. En premier lieu, la capacité
de négocier et conclure des accords collectifs de travail reste
réservée aux seuls représentants des organisations
syndicales reconnues représentatives. En second lieu, la signature d'une
seule organisation syndicale rend l'accord valide et suffit alors à
engager l'ensemble des salariés dans son champ d'application.
Cette logique s'était légitimement imposée, en 1936 et
1950, à l'époque où le taux de syndicalisation
était élevé et le mouvement syndical unifié et dans
un contexte où la légitimité des signataires à
représenter la collectivité des salariés ne se posait
finalement pas dans la mesure où l'objet de la négociation ne
visait qu'à créer des avantages supplémentaires.
Pour autant, et dès lors que la négociation peut se traduire par
des accords dérogatoires, il importe de s'assurer que les signataires de
l'accord ont vocation à représenter effectivement l'ensemble, ou
du moins la majorité, des salariés.
Or, sur ce point, force est de constater que les conditions qui
légitimaient jadis le mode de conclusion des accords ont
désormais disparu avec la faiblesse de l'audience et
l'éparpillement du mouvement syndical.
a) Un syndicalisme éclaté
Il
n'appartient pas à votre rapporteur d'analyser les causes de
l'éparpillement progressif du mouvement syndical. Tout juste se
contentera-t-il d'observer que la possibilité juridique offerte à
un seul syndicat, même minoritaire, de conclure un accord a sans doute
participé à l'éclatement du paysage syndical depuis la
Seconde guerre mondiale.
Les résultats des dernières élections professionnelles
témoignent de cet éclatement.
Résultats des organisations syndicales
aux
dernières élections professionnelles
|
Résultats comité d'entreprise
|
Résultats élections
prud'homales
|
CFDT |
22,8 % |
25,23 % |
CGT |
22,6 % |
32,13 % |
CGT-FO |
13,1 % |
18,28 % |
CFTC |
6,0 % |
9,65 % |
CFE-CGC |
6,1 % |
7,01 % |
UNSA |
|
4,99 % |
Groupe des dix |
|
1,51 % |
« autres syndicats » |
6,5 % |
|
Source : DRT
Il reste
que l'éclatement du mouvement syndical, s'il conduit sans doute à
biaiser quelque peu la négociation collective en ne valorisant pas
suffisamment l'association des syndicats à la conclusion des accords, a
le mérite de témoigner de sa diversité et de son
pluralisme qui constitue également une source de richesse pour le
dialogue social.
Pour autant, l'évolution de la structuration du paysage syndical avec
l'émergence de nouvelles organisations conduit à rendre plus
incertaine la faculté prioritaire reconnue aux organisations les plus
anciennes à agir au nom de l'ensemble des salariés dans la mesure
où elles continuent de bénéficier seules des avantages
liés à la présomption de représentativité.
Or, cette présomption de représentativité joue un
rôle considérable à un double titre :
- seules les organisations reconnues représentatives peuvent
présenter des candidats au premier tour des élections
professionnelles ;
- seules les organisations syndicales représentatives dans le champ
d'application de l'accord ont la capacité de le négocier et de le
signer.
La
représentativité des organisations syndicales
A
l'heure actuelle, le système français fait coexister des
organisations syndicales bénéficiant, au niveau national, d'une
présomption de représentativité et des organisations
devant au contraire faire la preuve de cette représentativité
devant un juge.
En vertu d'un arrêté du ministre du travail en date du 31 mars
1966, cinq organisations syndicales sont reconnues comme représentatives
au plan national. Les syndicats affiliés à l'une de ces cinq
centrales bénéficient dans les branches et dans les entreprises
d'une présomption irréfragable de représentativité.
Un syndicat qui n'est pas affilié à l'une de ces cinq
confédérations doit prouver sa représentativité
à la lumière des critères fixés par
l'article L. 133-2 du code du travail qui est issu de la loi du 11
février 1950. Ces critères sont : les effectifs,
l'indépendance (par rapport à l'employeur), les cotisations,
l'expérience et l'ancienneté du syndicat, l'attitude patriotique
pendant l'occupation.
Parmi ces six critères, tous n'ont évidemment pas le même
poids. Les juges s'attachent surtout à mesurer l'indépendance et
l'influence des organisations syndicales, en tenant compte notamment de
l'audience obtenue dans les différents scrutins (Cass soc, 3
décembre 2002, RJS 2003, n° 212).
Source : rapport de la commission « Virville »
Outre
qu'elles tendent à figer le paysage syndical dans son état de
1966, les conditions actuelles de reconnaissance de la
représentativité conduisent alors, dans certains cas, à
affaiblir la légitimité des accords collectifs car un accord peut
être conclu par une organisation syndicale bénéficiant au
niveau national de la présomption irréfragable de
représentativité alors même que sa
représentativité réelle peut être
« douteuse » dans la branche ou l'entreprise, et que sa
signature engage pourtant la totalité des salariés.
Dès lors, la conjonction de l'éparpillement croissant du
syndicalisme, de la validité d'un accord conclu par une organisation
syndicale même minoritaire et de la difficulté pour un syndicat de
faire la preuve de sa représentativité, tant légale que
réelle, aboutit en définitive à fragiliser la
légitimité des accords conclus, alors même que la
capacité pour la négociation collective à occuper une
place centrale dans l'élaboration de la norme sociale exige pourtant que
ses acteurs bénéficient d'une légitimité
incontestable.