Rapport n° 179 (2003-2004) de M. Jean CHÉRIOUX , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 28 janvier 2004
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- RAPPORT
- FAIT
- AVANT-PROPOS
- I. LA NÉCESSITÉ DE DONNER UN NOUVEL ÉLAN À LA NÉGOCIATION COLLECTIVE EST AUJOURD'HUI ÉVIDENTE
- A. UNE LENTE ÉVOLUTION DU DROIT ET DE LA PRATIQUE DE LA NÉGOCIATION COLLECTIVE
- 1. La construction progressive, mais néanmoins mouvementée, d'un droit de la négociation collective toujours plus approfondi et décentralisé
- a) Une émergence difficile
- b) La loi du 19 mars 1919
- c) La loi du 24 juin 1936
- d) La loi du 23 décembre 1946
- e) La loi du 11 février 1950
- f) La loi du 13 juillet 1971
- g) La loi du 13 novembre 1982
- 2. Une dynamique contractuelle incontestable, mais inégale
- B. UN DIALOGUE SOCIAL POURTANT FRAGILISÉ
- 1. Le bouleversement de l'environnement du dialogue social
- a) Les conséquences des mutations économiques et sociales
- b) Un dialogue social mis à mal par l'emprise croissante du législateur
- 2. L'effet dévastateur de la querelle en légitimité des acteurs de la négociation collective
- 3. Les failles de la couverture conventionnelle
- II. FRUIT DU DIALOGUE SOCIAL, LE PROJET DE LOI VISE À MODERNISER LES RELATIONS DU TRAVAIL PAR UNE PROFONDE RÉFORME DES RÈGLES DE LA NÉGOCIATION COLLECTIVE
- A. UNE RÉPONSE AUX ATTENTES DES PARTENAIRES SOCIAUX
- 1. Une demande ancienne et renouvelée, mais restée jusqu'ici lettre morte
- a) L'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995
- b) La Position commune du 16 juillet 2001
- 2. Un récent changement de logique
- B. LES AXES DU PROJET DE LOI
- 1. Modifier les règles de conclusion des accords collectifs pour renforcer leur légitimité
- 2. Revoir l'articulation des sources du droit du travail
- a) L'articulation entre la loi et la négociation collective
- b) L'articulation entre les différents niveaux de négociation collective
- 3. Favoriser le développement du dialogue social à tous les niveaux
- C. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION
- EXAMEN DES ARTICLES
-
Article 34
(art. L. 132-2-2 du code du travail)
Règles de conclusion des accords collectifs -
Article 34 bis
(nouveau)
(art. L. 132-5-1 nouveau du code du travail)
Détermination de la convention collective applicable
en cas d'activités multiples -
Article 34 ter (nouveau)
(art. L. 132-11 du code du travail)
Suppression de l'obligation d'incorporation
des accords professionnels dans la convention de branche -
Article 35
(art. L. 132-7 du code du travail)
Renouvellement et révision des conventions
et accords collectifs du travail -
Article 36
(art. L. 132-13 du code du travail)
Articulation entre les accords interprofessionnels
et les conventions de branche -
Article 37
(art. L. 132-23 du code du travail)
Articulation entre les accords d'entreprise ou d'établissement
et les accords interprofessionnels, professionnels
et conventions de branche -
Article 38
Extension du domaine des accords d'entreprise ou d'établissement
à celui des conventions ou accords de branche -
Article 38 bis (nouveau)
(art. L. 132-17-1 nouveau du code du travail)
Observatoires paritaires de branche de la négociation collective -
Article 39
Maintien de la valeur hiérarchique des conventions
et accords antérieurs -
Article 40
(art. L. 132-18 et L. 132-19-1 (nouveau) du code du travail)
Conventions et accords de groupe -
Article 41
(art. L. 132-26 du code du travail)
Négociation dans les entreprises dépourvues de délégué syndical -
Article 42
(art. L. 132-30 du code du travail)
Commissions paritaires et dialogue social territorial -
Article 43
(art. L. 135-7 du code du travail)
Information sur le droit conventionnel applicable dans l'entreprise -
Article 43 bis (nouveau)
(article 5 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000
relative à la réduction négociée du temps de travail)
Report de deux années du régime transitoire d'imputation
des heures supplémentaires sur le contingent annuel
pour les entreprises de vingt salariés au plus -
Article 44
(art. L. 132-5-1 du code du travail)
Droit de saisine des organisations syndicales de salariés
sur des thèmes de négociation -
Article 45
(art. L. 412-8 du code du travail)
Modalités d'accès et d'utilisation des nouvelles technologies
de l'information et de la communication par les organisations syndicales de salariés dans les entreprises -
Article 46
(art. L. 133-5 du code du travail)
Dispositions tendant à améliorer l'exercice du droit syndical -
Article 47
(art. L. 123-4, L. 132-30, L. 212-4-6, L. 121-4-12, L. 212-10, L. 212-15-3
et L. 227-1 du code du travail, art. L. 713-18 du code rural
et article 2-1 de l'ordonnance n° 82-283 du 26 mars 1982
portant création des chèques vacances)
Dispositions de coordination -
Article 48
Application des dispositions du titre II de la loi à Mayotte -
Article 49
Rapport sur l'application de la loi -
TITRE III
-
DISPOSITIONS DIVERSES -
Article 50
(art. L. 143-11-3 du code du travail)
Garantie de certaines créances salariales -
Article 50 bis (nouveau)
(art. L. 129-1 du code du travail)
Condition d'agrément des associations d'aide à domicile -
Article additionnel après
l'article 50 bis
(art. L. 443-1 du code du travail)
Modalités de mise en place des plans d'épargne d'entreprise -
Article additionnel après
l'article 50 bis
(art. 199 terdecies A du code général des impôts)
Rétablissement de la reprise de l'entreprise par ses salariés -
Article additionnel après
l'article 50 bis
(art. L. 441-8 nouveau du code du travail)
Ouverture de l'intéressement aux chefs d'entreprises
de moins de cent salariés -
Article additionnel après
l'article 50 bis
(art. L. 444-8 nouveau du code du travail)
Examen triennal des conditions de mise en place
d'un dispositif d'épargne salariale dans les petites entreprises -
Article additionnel après
l'article 50 bis
(art. L. 441-2 du code du travail)
Intéressement européen -
Article additionnel après
l'article 50 bis
(art. L. 442-1 du code du travail)
Conditions de mise en place de la participation
pour les petites entreprises ayant conclu un accord d'intéressement -
Article additionnel après
l'article 50 bis
(art. L. 442-1 du code du travail)
Assujettissement à la participation des entreprises
situées dans les zones franches - TRAVAUX DE LA COMMISSION
-
COMPTE RENDU INTÉGRAL DES AUDITIONS DES
MARDI 20, MERCREDI 21 ET JEUDI 22 JANVIER 2004 -
Audition de M. Michel
JALMAIN
Secrétaire national de la Confédération française
démocratique du travail (CFDT)
(mardi 20 janvier 2004) -
Audition de Mme Christine
DUPUIS
Secrétaire nationale chargée du dossier de l'emploi et de l'économie
à l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA)
et M. Luc MARTIN-CHAUFFIER
Secrétaire général de la Fédération nationale des banques, assurances et sociétés financières à l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA)
(mardi 20 janvier 2004) -
Audition de M. Marc BLONDEL
Secrétaire général
et Mme Michèle BIAGGI
Secrétaire confédérale chargée de la négociation sociale
de la Confédération générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO)
(mardi 20 janvier 2004) -
Audition de M. Robert BUGUET
Président de l'Union professionnelle artisanale (UPA),
M. Pierre PERRIN
Premier Vice-Président,
M. Pierre BURBAN
Secrétaire général
et M. Guillaume TABOURDEAU
de l'Union professionnelle artisanale (UPA)
(mardi 20 janvier 2004) -
Audition de Michel
COQUILLION
Secrétaire général adjoint de la Confédération française
des travailleurs chrétiens (CFTC)
(mercredi 21 janvier 2004) -
Audition de M. Pierre-Jean ROZET
Membre de la Commission exécutive confédérale,
chargé de la démocratie sociale de la Conférence générale du travail (CGT)
(mercredi 21 janvier 2004) -
Audition de M. Jacques
BARTHÉLÉMY
Avocat
(mercredi 21 janvier 2004) -
Audition de M. Georges TISSIÉ
Directeur des Affaires sociales
Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)
(mercredi 21 janvier 2004) -
Audition de M. Guy ROBERT
Secrétaire général
et Mme Valérie RAMAGE
chargée d'études
de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL)
(mercredi 21 janvier 2004) -
Audition de M. Gilles
BÉLIER,
Avocat
(mercredi 21 janvier 2004) -
Audition de M. Denis
GAUTIER-SAUVAGNAC
Président du groupe de propositions et d'actions relatives au travail du MEDEF
(jeudi 22 janvier 2004) -
ANNEXE I
-
AUDITIONS DU RAPPORTEUR -
ANNEXE II
-
POSITION COMMUNE DU 16 JUILLET 2001
SUR LES VOIES ET MOYENS DE L'APPROFONDISSEMENT
DE LA NÉGOCIATION COLLECTIVE -
ANNEXE III
-
LA NÉGOCIATION COLLECTIVE :
ÉTUDE DE LÉGISLATION COMPARÉE
RÉALISÉE EN MARS 2001
PAR LE SERVICE DES AFFAIRES EUROPÉENNES
DU SÉNAT - TABLEAU COMPARATIF
N° 179
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004
Annexe au procès-verbal de la séance du 28 janvier 2004
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social ,
Par M.
Jean CHÉRIOUX,
Sénateur.
Tome II : Dialogue social et mesures diverses
(Titres II et III)
(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gilbert Chabroux, Jean-Louis Lorrain, Roland Muzeau, Georges Mouly, vice-présidents ; M. Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Claire-Lise Campion, M. Jean-Marc Juilhard, secrétaires ; MM. Henri d'Attilio, Gilbert Barbier, Joël Billard, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Jean Chérioux, Mme Michelle Demessine, M. Gérard Dériot, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Claude Domeizel, Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jean-Pierre Fourcade, Serge Franchis, André Geoffroy, Francis Giraud, Jean-Pierre Godefroy, Mme Françoise Henneron, MM. Yves Krattinger, Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, André Lardeux, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mmes Valérie Létard, Nelly Olin, Anne-Marie Payet, M. André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente, MM. Bernard Seillier, André Vantomme, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.
Voir les
numéros
:
Assemblée nationale
(
12
e
législ.) :
1233
,
1273
,
et T.A.
223
Sénat
:
133
(2003-2004)
Travail. |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
« C'est la transformation de notre pays que nous recherchons,
c'est la construction d'une nouvelle société, fondée sur
la générosité et la liberté ».
Voici les mots par lesquels Jacques Chaban-Delmas concluait sa
déclaration de politique générale le 16 septembre
1969. L'expérience a prouvé que ce n'était pas seulement
l'exposé d'un programme de gouvernement, mais au-delà, une
orientation générale pour l'action politique qui conserve,
près de trente-cinq ans après, toute sa modernité.
Le titre II du présent projet de loi consacré au dialogue
social s'inscrit pleinement dans cette perspective, tant il est vrai que
l'émergence et la consolidation de cette
« nouvelle
société »
exigent une modernisation des relations
du travail.
Là encore, le discours de 1969 dressait un constat d'une
étonnante actualité :
« Le malaise que notre mutation accélérée
suscite tient, pour une large part, au fait multiple que nous vivons dans une
société bloquée (...). Ce conservatisme des structures
sociales entretient l'extrémisme des idéologies. On
préfère trop souvent se battre pour des mots, même s'ils
recouvrent des échecs dramatiques, plutôt que pour des
réalités (...).
« Les groupes sociaux et les groupes professionnels sont, par rapport
à l'étranger, peu organisés et insuffisamment
représentés. Ceci ne vise aucune organisation en particulier mais
les concerne toutes, qu'il s'agisse des salariés, des agriculteurs, des
travailleurs indépendants, des employeurs : le pourcentage des
travailleurs syndiqués est particulièrement faible (...).
« La conséquence de cet état de choses est que chaque
catégorie sociale ou professionnelle, ou plutôt ses
représentants, faute de se sentir assez assurés pour pouvoir
négocier directement de façon responsable, se réfugient
dans la revendication vis-à-vis de l'État, en la compliquant
souvent d'une surenchère plus ou moins voilée.
A un dialogue
social véritable se substitue ainsi, trop souvent, un appel à la
providence de l'État, qui ne fait que renforcer encore son emprise sur
la vie collective, tout en faisant peser un poids trop lourd sur
l'économie toute entière.
»
En fait, et heureusement, le dialogue social s'est progressivement
étendu et approfondi depuis lors.
L'évolution des mentalités, la montée en puissance d'une
civilisation du savoir, la diffusion de l'esprit de participation ont peu
à peu sapé l'emprise de comportements marqués, pour
beaucoup, par l'horizon indépassable de la lutte des classes et ont
montré que le dialogue social pouvait concilier efficacement les
exigences de progrès social et de compétitivité
économique dans le respect de l'intérêt
général.
Ces mutations ont bien souvent anticipé l'adaptation de notre droit de
la négociation collective. Mais celui-ci a aussi permis de les
accompagner et les conforter, au travers notamment de l'importante loi du
13 juillet 1971 et aussi de celle du 13 novembre 1982 - dite
« loi Auroux » - qui ont favorisé le
développement des accords d'entreprise.
Mais cette évolution du dialogue social reste encore inachevée en
ne lui accordant pas toute la place qui devrait lui revenir.
Cela tient pour beaucoup à la frilosité, voire à la
défiance qu'ont pu entretenir certains gouvernements vis-à-vis
des partenaires sociaux et de leur sens des responsabilités, mais aussi
à l'attitude de certains dirigeants patronaux, dont l'arrogance hautaine
témoigne sans doute d'une nostalgie pour un ordre révolu, et de
certains responsables syndicaux, dont le discours demeure encore
imprégné d'une idéologie dépassée.
Cela tient aussi à une inadaptation croissante de notre droit de la
négociation collective, qui reste aujourd'hui figé dans un
équilibre datant de plus de vingt ans et qui a, alors,
ignoré l'évolution des pratiques et des comportements
désormais plus empreints de réformisme, sous l'influence de
personnalités comme les regrettés François Ceyrac, Yvon
Chotard, André Bergeron ou Jean Bornard.
De fait, les partenaires sociaux ont insisté à deux reprises, ces
dernières années, sur la nécessité de moderniser
notre droit de la négociation collective pour donner un nouvel
élan au dialogue social.
Ainsi, l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 relatif aux
négociations collectives traduisait la volonté des parties
signataires de
« renforcer le dialogue social et la pratique
contractuelle et de se réapproprier la conduite de la politique sociale
en faisant prévaloir la négociation collective sur le recours au
législateur ».
Surtout, la Position commune du 16 juillet 2001 sur les voies et moyens
d'approfondissement de la négociation collective illustrait le souhait
des parties signataires de
« donner un nouvel élan à
la négociation collective au sein d'un système performant de
relations sociales, respectueux des personnes, des prérogatives du
législateur et de l'ordre public social, et adapté à une
économie diversifiée et ouverte sur le monde »
.
C'est justement cette Position commune qui constitue la base du titre II
du présent projet de loi, lequel en reprend l'essentiel des
préconisations, dans le même esprit que le titre premier qui
transpose l'accord national interprofessionnel du 20 septembre 2003 relatif
à l'accès des salariés à la formation
professionnelle tout au long de la vie.
En ce sens, en s'inscrivant dans une logique concertée et
réformiste d'adaptation de notre droit de la négociation
collective, le présent texte constitue une nouvelle étape dans la
construction d'une société plus participative et plus
décentralisée, empreinte de progrès et de justice.
Certes, comme le soulignait le discours du 16 septembre 1969,
« cette nouvelle société à laquelle nous
aspirons, il serait vain de prétendre en fixer à l'avance tous
les contours. Il faut laisser à l'avenir ce qui n'appartient qu'à
lui et c'est la spontanéité du corps social qui en
décidera ».
Mais, en faisant le choix du réformisme et le pari de la
responsabilité des acteurs sociaux et en abandonnant ainsi les conflits
idéologiques stériles, ce projet de loi ouvre le champ des
possibles et répond, en définitive, à l'exigence
posée par le Général de Gaulle :
« En notre temps, la seule querelle qui vaille est celle de
l'homme. »
Et, dans le cas présent, celle de l'homme au
travail.
I. LA NÉCESSITÉ DE DONNER UN NOUVEL ÉLAN À LA NÉGOCIATION COLLECTIVE EST AUJOURD'HUI ÉVIDENTE
A ce
stade, votre rapporteur n'a souhaité revenir que très
brièvement sur l'intérêt - désormais bien
compris - de la négociation collective. Il tient toutefois
à insister sur la double vertu qu'elle présente.
D'abord, en réservant un espace de dialogue entre salariés et
patronat, la négociation collective tend à faire primer une
culture de débat et de compromis sur une tradition d'opposition et
permet alors d'organiser, dans un climat apaisé, des relations du
travail restées trop longtemps placées sous le signe du conflit.
A la stérilité de la confrontation, elle privilégie donc
le pragmatisme de l'échange.
Ensuite, par leur portée normative, les conventions et accords
collectifs de travail, fruits de la négociation collective, apparaissent
comme la meilleure méthode de détermination des conditions de
travail en évitant tout à la fois l'uniformité d'une
intervention étatique et l'arbitraire de la détermination
unilatérale par l'employeur des conditions de travail. En ce sens, ils
constituent la source du droit du travail la plus adaptée pour prendre
en compte les spécificités tant économiques que sociales
de chaque secteur et de chaque entreprise, dans le respect d'un ordre public
social fixé par le législateur.
Pourtant, malgré cet intérêt évident, le
développement de la négociation collective a été
lent et difficile dans notre pays, témoignant longtemps d'une certaine
méfiance du législateur et d'une non moins certaine
hésitation des partenaires sociaux à lui reconnaître toute
sa place.
Si, aujourd'hui, la négociation collective est mieux reconnue par le
droit et davantage pratiquée dans les faits, son développement
reste encore fragile et entravé.
A. UNE LENTE ÉVOLUTION DU DROIT ET DE LA PRATIQUE DE LA NÉGOCIATION COLLECTIVE
1. La construction progressive, mais néanmoins mouvementée, d'un droit de la négociation collective toujours plus approfondi et décentralisé
Le droit
actuel de la négociation collective est le résultat d'une
évolution lente et accidentée de notre réglementation. La
succession de textes législatifs depuis plus d'un siècle marque
toutefois une tendance nette vers la reconnaissance et le développement
de la place et du rôle de la négociation collective dans notre
droit du travail.
De fait, par sa nature juridique particulière, l'accord collectif de
travail trouvait difficilement sa place dans notre tradition juridique. Il est
vrai qu'il s'agit d'un acte juridique hybride ayant
« le corps
d'un contrat et l'âme d'une loi »
1
(
*
)
: c'est un acte d'essence contractuelle dont
les effets sont de nature réglementaire.
Dès lors, l'histoire du droit de la négociation collective, au
travers des différentes lois visant à le régir, illustre
les différentes étapes de la lutte entre interventionnisme
étatique et liberté contractuelle.
Les conventions collectives sont nées en France avec le
développement de l'industrialisation, au cours de la seconde
moitié du XIX
e
siècle.
Dès l'origine elles présentent deux caractères
originaux :
- elles sont, au départ, une construction coutumière de
règles juridiques nouvelles au sein d'un système de droit
écrit ;
- elles tendent à régler contractuellement des relations
collectives entre agents économiques dans un pays où, depuis
1789, l'individualisme est la règle en la matière.
Leur histoire, de ce fait, présente trois caractères
essentiels :
- la lente extension de leur contenu ;
- les hésitations du législateur pour définir leurs
structures et leur place dans l'ordre juridique ;
- la volonté, souvent contraignante, de l'État pour
contrôler leur formation, leur développement et leur
application.
a) Une émergence difficile
Jusqu'en
1919, les conventions collectives ne se développent que lentement et
restent marquées par leur extrême fragilité juridique hors
de tout cadre législatif.
Nées spontanément de la vie sociale comme réponse ou
alternative aux conflits collectifs, les conventions collectives sont
demeurées longtemps ignorées des pouvoirs publics et niées
par la jurisprudence. Certes, dès 1869, les canuts de Lyon
établirent avec les donneurs d'ouvrage un tarif conventionnel, inspirant
ainsi les rubaniers de Saint-Etienne qui, le 10 mai 1875,
réglementèrent à leur tour leurs tarifs par un
« accord collectif ». Mais le tribunal de Saint-Etienne
refusa, dans un jugement du 29 juin 1876, de prendre en compte ce dernier
accord, au motif qu'il portait atteinte à l'autonomie contractuelle, en
interdisant aux individus de régler leurs conditions de travail en
dehors de la convention.
Cette expression du libéralisme, dominant à cette époque,
s'effaça progressivement et la jurisprudence accueillit plus
favorablement les accords collectifs, qu'elle dut cependant, en l'absence de
texte, soumettre au droit commun des contrats. Dès lors, les conventions
ne liaient que les membres des groupements signataires, tant qu'ils en
faisaient partie ; leur inexécution n'était
sanctionnée que par une action en responsabilité et les contrats
individuels de travail pouvaient déroger aux dispositions qu'elles
contenaient.
Relevant du seul droit civil, leur régime juridique les rendait alors
inadaptées à leur objectif même : régir les
conditions collectives de travail, d'emploi et de rémunération.
Dans un tel cadre juridique, les conventions collectives ne se
développaient pas : en 1913, seules soixante-sept conventions
avaient été conclues.
b) La loi du 19 mars 1919
Remède aux errements jurisprudentiels antérieurs, la
loi du 19 mars 1919 apporte un premier cadre institutionnel aux
conventions collectives et constitue alors une étape décisive
dans la construction du droit de la négociation collective.
S'inscrivant toujours dans une logique contractuelle fondée sur la libre
conclusion, le libre contenu et l'effet relatif des contrats, cette loi pose
néanmoins les premières règles de limitation de ce
principe contractuel et commence à reconnaître la nature
sui
generis
de la convention collective parmi les différents actes
juridiques. Ainsi, les clauses des conventions s'appliquent comme usage de la
profession dès lors qu'une des parties du contrat de travail est soumise
à la convention. De même, pour ces parties, les clauses du contrat
de travail contraires à celles de la convention sont
réputées non écrites et remplacées de plein droit
par les dispositions correspondantes de la convention collective. Enfin, la loi
reconnaît aux syndicats le droit d'agir en justice sans mandat pour faire
prévaloir les stipulations de la convention.
Cependant, la loi comportait une lacune importante : l'absence de
caractère obligatoire de la convention. Elle ne lie en effet que les
groupements qui l'ont signée et leurs membres. Dès lors, les
non-syndiqués n'y sont pas soumis et les membres d'un groupement
signataire peuvent se dégager de leurs obligations conventionnelles en
démissionnant. Les conditions d'une diffusion des conventions
collectives n'étaient alors pas encore réunies.
Aussi, après que 557 conventions eurent été signées
en 1919, ce nombre fléchit rapidement pour tomber à vingt en
1933.
c) La loi du 24 juin 1936
Tirant
les conséquences de l'échec de la loi de 1919, la loi du
24 juin 1936, tout en maintenant le principe contractuel de la convention
collective, la transforme en véritable « loi
professionnelle » de portée plus contraignante.
Elle introduit notamment quatre types de dispositions nouvelles qui restent
aujourd'hui encore au centre du droit à la négociation
collective :
- la procédure d'extension permet de rendre applicables à
l'ensemble d'une profession les conventions conclues par les organisations
syndicales les plus représentatives ;
- les parties signataires se limitent aux seules organisations syndicales
les plus représentatives ;
- la procédure de négociation est encadrée, la loi
prévoyant en particulier la possibilité de constitution de
commissions mixtes se substituant aux parties et créées à
l'initiative des parties intéressées ou du ministre du
travail ;
- le contenu, tout en étant librement négocié par les
parties, devient réglementé, la convention devant comporter un
certain nombre de clauses obligatoires relatives à l'essentiel des
rapports de travail. Pour autant, les conventions peuvent librement traiter de
questions non prévues à titre obligatoire, mais ne peuvent alors
que comporter des dispositions plus favorables que celles des lois et
règlements en vigueur. C'est l'origine du principe dit « de
faveur ».
Ces innovations demeuraient toutefois inachevées. La loi du 24 juin
1936 ne remettait en effet pas totalement en cause la nature contractuelle de
la convention, la convention collective telle que régie par la loi de
1919 restant la convention de droit commun, et interdisait encore la convention
d'entreprise.
La loi du 24 juin 1936 a néanmoins constitué le point de
départ d'une nouvelle expansion des conventions collectives :
près de 6.000 conventions furent ainsi conclues jusqu'en janvier
1940.
d) La loi du 23 décembre 1946
Après la parenthèse de Vichy
2
(
*
)
, la loi du 23 décembre
1946 ne constitue pas un retour à la législation d'avant-guerre
et, dans un contexte économique et social il est vrai particulier, place
les conventions sous le signe du dirigisme en consacrant pour l'essentiel leur
nature réglementaire.
Tout en maintenant le monopole de négociation des organisations
syndicales les plus représentatives, elle soumet à un
contrôle de l'État la négociation, le contenu, le champ
d'application et la structure des conventions collectives.
De ce fait, les conventions étaient subordonnées à une
homologation préalable des pouvoirs publics et, strictement
hiérarchisées, elles imposaient que les accords locaux soient mis
en harmonie avec les accords nationaux. En outre, en cas de conflit survenant
au cours de l'élaboration de la convention, l'État était
en droit de se substituer aux parties en déterminant, par décret,
les conditions de travail de la branche intéressée. Enfin, les
conventions, qui ne pouvaient contenir de dispositions salariales, s'imposaient
immédiatement à tous les membres d'une profession.
Cette loi très dirigiste n'obtint qu'une application très
limitée : seule une dizaine de conventions furent conclues dans ce
cadre.
e) La loi du 11 février 1950
Elaborée dans un contexte économique assaini et dans
un climat social apaisé, la loi du 11 février 1950
rétablit, dans une logique proche de celle de la loi de 1936, le droit
de la négociation collective dans son équilibre antérieur
tout en l'approfondissant encore sur quelques points
3
(
*
)
et constitue, aujourd'hui
encore, le socle du droit français de la convention collective tel
qu'actuellement codifié dans le code du travail.
Mais elle a également marqué une première étape
dans la décentralisation de la négociation collective - en
reconnaissant pour la première fois les accords
d'établissement - et dans sa généralisation
territoriale et professionnelle - en l'ouvrant au-delà des seuls
secteurs du commerce et de l'industrie.
Sous ce régime, la pratique de la négociation collective s'est
développée : en vingt ans, ce sont 261 conventions
collectives nationales, 184 conventions régionales,
495 conventions locales et 737 accords d'établissements qui
ont été conclus.
f) La loi du 13 juillet 1971
La loi
du 13 juillet 1971 a profondément enrichi le droit issu de la loi du 11
février 1950.
Elle a ainsi reconnu l'existence d'un «
droit des travailleurs
à la négociation collective
», marquant en cela la
transformation d'un droit des conventions collectives en droit de la
négociation collective.
Elle a aussi considérablement accru le champ de la négociation
collective en instituant les accords d'entreprise et d'établissement
sous un régime identique à celui de la convention de branche, en
étendant l'objet des conventions collectives aux « garanties
sociales », en facilitant la procédure d'extension et en
organisant celle d'élargissement.
Cette loi, dont il convient de souligner l'importance, a largement
favorisé la diffusion de la négociation collective et
renforcé la couverture conventionnelle : entre 1972 et 1982, la
part des travailleurs des entreprises de plus de dix salariés couvert
par une convention collective est passé de 75 % à
90,4 %.
g) La loi du 13 novembre 1982
Partant
du constat d'un certain essoufflement de la négociation collective, la
loi du 13 novembre 1982 - dite « loi Auroux » - a
cherché à apporter une réponse volontariste.
A cette fin, elle a notamment introduit une obligation de négocier tant
au niveau de la branche que de l'entreprise dans certains domaines et selon une
périodicité définie par la loi.
Elle a surtout institutionnalisé la possibilité de conclure, dans
certains domaines et dans des conditions définies par la loi, des
conventions et accords collectifs de travail dérogeant à des
dispositions législatives et réglementaires. La
possibilité de conclure de tels accords dérogatoires est
toutefois encadrée, lorsqu'ils sont conclus dans l'entreprise ou
l'établissement, par le droit d'opposition éventuel des
organisations syndicales non signataires.
2. Une dynamique contractuelle incontestable, mais inégale
La
construction progressive et discontinue du droit de la négociation
collective témoigne certes des hésitations qui ont entouré
la place que devait occuper l'accord collectif dans notre droit du travail,
mais elle illustre aussi la tendance à l'extension du champ de la
négociation collective et à sa décentralisation. Elle a
alors permis et accompagné, même si ce fut parfois avec retard, le
développement, lui aussi progressif et heurté, de la pratique
contractuelle.
De fait, la place acquise par les normes conventionnelles peut
s'apprécier aujourd'hui à deux niveaux :
- l'évolution de la couverture conventionnelle des
salariés ;
- l'évolution du nombre d'accords collectifs de travail conclus
chaque année.
a) Une couverture conventionnelle de plus en plus large
La place
du droit conventionnel, dans le droit du travail, n'a cessé de
s'étendre pour concerner désormais la quasi-totalité des
salariés.
Ainsi, alors qu'en 1972, seuls 75 % des salariés employés
dans des établissements de plus de dix salariés étaient
couverts par une convention collective, ce taux est passé à
90,4 % en 1982, puis à 96,7 % en 1997.
Pour s'en tenir aux seules conventions collectives et en l'absence de
statistiques actualisées postérieures à 1997
4
(
*
)
, c'est notamment la couverture
conventionnelle de branche qui s'est fortement améliorée entre
1985 et 1997, passant de 86,4 % à 93,4 % dans les
établissements de dix salariés et plus (hors
établissements publics à statut).
Evolution de la couverture conventionnelle de branche entre 1985
et 1997
dans les établissements de dix salariés et plus
(1)
(en pourcentage)
Activités économiques |
Etablissements |
Salariés |
||
|
1985 |
1997 |
1985 |
1997 |
Industrie |
88,4 |
98,4 |
92,5 |
98,1 |
Construction |
74,8 |
99,4 |
61,8 |
99,4 |
Tertiaire |
81,9 |
92,6 |
85,2 |
89,7 |
Ensemble |
82,9 |
94,5 |
86,4 |
93,4 |
(1) Etablissements publics à statut exclus.
Source : Enquêtes ACEMO sur les conventions collectives de 1985 et 1997.
De fait,
il existe aujourd'hui 698 textes conventionnels de base applicables au
niveau des branches (de niveau national ou local). Parmi ceux-ci, 389 sont des
accords étendus (dont 211 de niveau national). Et quand bien même
la couverture conventionnelle de branche pourrait, dans certains secteurs,
être encore lacunaire, la couverture d'entreprise peut la
suppléer. Ainsi, en 1997, 2,7 % de salariés des entreprises
de dix salariés et plus étaient couverts, à titre
exclusif, par une convention collective d'entreprise.
Il reste que, malgré ces améliorations, la couverture
conventionnelle demeure encore inégale selon le secteur et la taille de
l'établissement.
Ainsi, si la couverture conventionnelle est presque totale dans les secteurs de
la construction et de l'industrie, elle reste perfectible dans le tertiaire (et
notamment dans le secteur associatif).
De même, la couverture conventionnelle diffère selon la taille de
l'établissement. Si elle atteint 93,7 % pour l'ensemble des
entreprises, elle monte à 96,7 % dans les établissements de
dix salariés et plus, mais plafonne à 83,9 % dans les
établissements de moins de dix salariés.
b) Une pratique contractuelle toujours très soutenue
La
vitalité de la pratique contractuelle doit s'apprécier,
au-delà de la seule couverture conventionnelle, au regard du nombre et
de la nature des conventions et accords collectifs de travail conclus chaque
année. Un bilan annuel de la négociation est d'ailleurs
présenté tous les ans à la commission nationale de la
négociation collective.
A cet égard, votre rapporteur tient à souligner le fort
développement de la négociation collective depuis la loi de 1982.
Si on constate un essoufflement de la négociation interprofessionnelle,
la négociation de branche continue d'occuper une place significative et
la négociation d'entreprise a connu un essor considérable.
Evolution annuelle du nombre de textes
conventionnels
(1)
signés de 1995 à 2002 selon le
niveau de négociation
Niveau |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
Interprofessionnel |
41 |
57 |
45 |
32 |
30 |
25 |
39 |
43 |
Branche |
969 |
1.030 |
877 |
741 |
761 |
870 |
897 |
892 |
Entreprise |
8.615 |
9.274 |
11.797 |
13.328 |
35.469 |
36.620 |
35.000 |
28.058 |
(1) Ce tableau recense l'ensemble des textes conclus (conventions, accords et avenants) quel que soit leur champ territorial. Compte tenu de la modification du système de collecte de l'information intervenue en 2002, la rupture des séries statistiques pour les accords d'entreprise impose une extrême prudence dans les comparaisons entre 2001 et 2002.
Source : Bilans annuels de la négociation collective
Les
données de ce bilan pour l'année 2002 témoignent du
dynamisme de la pratique contractuelle :
la négociation
collective s'est maintenue à un niveau élevé
, en
dépit d'un contexte économique difficile et d'une moindre
fréquence des négociations sur le temps de travail. Ce dynamisme
se vérifie d'ailleurs à tous les niveaux.
Au niveau interprofessionnel, la négociation est restée stable
par rapport aux années passées : quarante-trois textes et
avenants ont été conclus, soit un niveau globalement comparable
à celui de 2001 (trente-neuf accords).
Au niveau des branches, l'activité conventionnelle est également
restée stable avec la conclusion de 892 accords (contre 897 en
2001). Ces 892 accords se répartissent entre onze conventions
collectives (dont deux dans des secteurs encore non couverts), trente-deux
accords professionnels et 849 avenants. L'année 2002 marque
toutefois une rupture dans la structuration de la négociation de branche
avec une diminution importante du nombre d'accords de niveau infranational.
Au niveau de l'entreprise, environ 28.000 accords ont été
conclus en 2002 dans plus de 20.000 entreprises et ont concerné
près de quatre millions de salariés. On observera que la
moitié des accords ont été signés dans les
entreprises de moins de cinquante salariés. La forte croissance de la
négociation d'entreprise liée à la mise en oeuvre de la
réduction du temps de travail - qui a fait passer le nombre
d'accords d'entreprise d'environ 5.000 par an au début des années
1990 à plus de 30.000 en 1999 et 2000 -, semble à
présent se stabiliser.
Au-delà de cette seule analyse quantitative, il importe d'examiner les
thèmes de la négociation collective
pour apprécier
la réalité du dialogue social dans toute sa diversité.
Ainsi, pour les accords de branche, les principaux thèmes de
négociation ont porté sur les salaires, mais aussi sur la
retraite et la prévoyance, le travail de nuit, les
rémunérations et classifications.
Les principaux thèmes de la négociation de branche en 2002
Thèmes négociés |
Nombre de textes (1) |
Salaires |
366 |
Formation professionnelle |
86 |
Temps de travail |
98 |
Primes |
139 |
Retraite prévoyance |
79 |
Classifications |
44 |
Emploi |
21 |
Congés |
17 |
(1) Conventions collectives, accords professionnels ou avenants .
Source : DRT
Au niveau de l'entreprise, alors que la négociation avait été marquée ces dernières années par la prédominance d'accords sur le temps de travail, l'année 2002 permet de retrouver une négociation moins focalisée sur ce sujet et déconnectée des obligations de fait posées par le législateur. C'est ainsi le thème de la participation et de l'épargne salariale qui a été l'objet principal des négociations.
Les principaux thèmes de la négociation d'entreprise en 2002 (1)
Thèmes négociés |
En nombre de textes |
En % |
Ensemble |
28.058 |
|
Temps de travail |
8.392 |
29,9 |
Salaires et primes |
2.821 |
10,1 |
Participation, intéressement, épargne salariale |
10.145 |
36,2 |
Autres |
9.487 |
33,8 |
(1) Un même texte peut aborder plusieurs thèmes.
Source : bilan 2002 de la négociation collective
Ce dynamisme de la négociation collective repose largement sur l'implication des organisations syndicales si on en juge par leur propension à signer les accords. Si elle demeure très variable dans les branches selon chaque organisation syndicale, elle est d'environ 90 % pour l'ensemble d'entre elles dans le cadre des accords d'entreprise.
Propension à signer les différentes
organisations
organisations syndicales dans l'entreprise
(1)
|
CGT |
CFDT |
CGT-FO |
CFTC |
CGC |
Accords de branche |
37,1 % |
77,4 % |
69,1 % |
63,0 % |
59,2 % |
Accords d'entreprise |
85,5 % |
93,3 % |
89,6 % |
92,0 % |
93,2 % |
(1) La propension à signer mesure la part des accords signés par une organisation syndicale parmi l'ensemble des accords conclus dans une entreprise ou dans une branche si elle y est présente.
Source : bilan 2002 de la négociation collective
B. UN DIALOGUE SOCIAL POURTANT FRAGILISÉ
Malgré ce dynamisme de la pratique contractuelle,
M. François Fillon, lors de la présentation du
présent projet de loi à l'Assemblée nationale, a
dressé un
« constat inquiétant »
de
l'état du dialogue social dans notre pays :
« celui
d'un système de relations sociales proche de
l'essoufflement »
.
Le paradoxe n'est pourtant qu'apparent. Quand bien même le rôle et
la place de la négociation collective se sont incontestablement
renforcés, celle-ci n'a encore joué jusqu'ici que les
« seconds rôles »
5
(
*
)
dans l'élaboration de la norme en droit du
travail, l'importance de la loi et du règlement restant
déterminante.
Or, cette situation ne répond ni à nos principes constitutionnels
- l'article 34 de la Constitution n'attribue au législateur que la
fonction de déterminer les principes fondamentaux du droit du travail et
le préambule de la Constitution de 1946 affirme que tout salarié
« participe, par l'intermédiaire de ses
délégués, à la détermination collective des
conditions de travail »
-, ni aux exigences nouvelles de la
vie économique et sociale de la Nation.
De fait, le développement de la négociation collective demeure
aujourd'hui entravé par une série de facteurs qui conduisent
à affaiblir progressivement le dialogue social et qui justifient
désormais la mise en oeuvre d'une profonde réforme du droit de la
négociation collective.
1. Le bouleversement de l'environnement du dialogue social
Le système français de négociation collective repose sur une architecture complexe et fragile, largement issue des lois de 1950, 1971 et 1982, qui s'est progressivement trouvée de plus en plus inadaptée tant aux évolutions économiques et sociales réalisées depuis lors qu'à celles de l'intervention de l'État.
a) Les conséquences des mutations économiques et sociales
Notre
système de négociation collective, dont la construction s'est
finalisée durant les « trente glorieuses », se fonde
encore très largement sur le contexte économique et social qui
prévalait lors de son élaboration.
Il repose sur une imbrication des normes conventionnelles qui organise tout
à la fois leur indépendance et leur hiérarchie.
Indépendance dès lors que la négociation peut être
menée à l'un ou l'autre niveau, les autres niveaux pouvant
ensuite reprendre, adapter ou approfondir les thèmes traités au
niveau initial
6
(
*
)
.
Hiérachie dans la mesure où l'accord conclu dans le champ
géographique ou professionnel le plus étroit ne peut comporter,
sauf exceptions prévues par la loi, de dispositions moins favorables
à celles prévues par l'accord dont le champ géographique
ou professionnel est plus large.
Ce système est cependant devenu inadapté aux évolutions de
l'environnement économique et social depuis la fin des années
1970, même si la « loi Auroux » de 1982 avait, dans
une certaine mesure, déjà cherché à renforcer son
adéquation à la nouvelle donne économique et sociale. De
la sorte, il a rendu plus difficile la possibilité pour les partenaires
sociaux d'engager et de conclure des négociations.
Ce constat d'inadaptation croissante a sans doute été
formulé avec le plus d'acuité par les partenaires sociaux
eux-mêmes dans l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995
relatif aux négociations collectives :
« Jusqu'à la fin des années 1970, notre
système de négociation collective fonctionne de façon
globalement satisfaisante et productive dans un contexte de croissance
économique et de plein emploi.
« La branche professionnelle constitue le lieu principal de la
négociation collective. La négociation de branche consiste
essentiellement à développer un système de droits et de
garanties collectives qui se stratifient progressivement. Elle est un facteur
de progrès social et d'égalité entre les salariés
et évite des distorsions anormales de concurrence entre les entreprises.
« Parallèlement, la négociation d'entreprise est peu
développée même si elle produit quelques accords innovants
qui précèdent, pour certains d'entre eux, la négociation
de branche, voire la loi.
« Dans ce contexte, la loi fait souvent figure de
« voiture-balai » de la négociation.
« A partir des années 1980, des facteurs nouveaux
apparaissent :
« - une mondialisation progressive et aujourd'hui
généralisée des échanges économiques qui,
suivant la nature de leur activité, différencie fortement les
entreprises en fonction de leur degré d'exposition à la
concurrence internationale ;
- une crise internationale durable qui s'accompagne d'une montée
importante du chômage en Europe, notamment dans notre pays, et qui laisse
peu de place, compte tenu des niveaux déjà atteints et du
coût collectif du chômage, à la création d'avantages
supplémentaires, les avantages nouveaux trouvant fréquemment leur
origine dans des processus de substitution ;
« - une évolution de plus en plus rapide et permanente
des produits et des services ainsi que des technologies nécessaires
à leur mise en oeuvre ;
« - la nécessité pour les entreprises dans ce
contexte de se restructurer pour faire face à la situation, de
rechercher de nouveaux modes d'organisation du travail et de disposer d'une
capacité de réactivité leur permettant de s'adapter et de
répondre en temps réel aux évolutions auxquelles elles
sont confrontées ;
« - l'institution d'un droit spécifique de la
négociation collective d'entreprise et d'une obligation annuelle de
négocier dans l'entreprise ;
« - le développement de la négociation collective
d'entreprise résultant à la fois de cette obligation et du souci
des entreprises de mener des politiques sociales mieux adaptées à
leurs caractéristiques et aux contraintes propres à chacune
d'elles compte tenu des éléments rappelés ci-dessus ;
« - une intervention croissante du législateur dans le
domaine social réduisant la part d'initiative des partenaires sociaux,
conjuguée avec la nécessité de permettre aux entreprises
de tenir compte, par la voie de la négociation d'entreprise, de leur
spécificité dans la mise en oeuvre de certains dispositifs
légaux ;
« - la difficulté, voire l'impossibilité, dans ce
contexte, d'aboutir à une amélioration des avantages
négociés à un niveau de négociation à
l'occasion d'une négociation sur le même thème à un
autre niveau.
« La combinaison de l'ensemble de ces facteurs, dont l'importance
relative dépend des caractéristiques propres à chaque
branche professionnelle et aux entreprises qui la composent, explique les
difficultés rencontrées par les partenaires sociaux de nombreuses
branches pour s'engager dans des négociations à leur niveau ou
pour les mener à bien. »
b) Un dialogue social mis à mal par l'emprise croissante du législateur
A ces
mutations économiques et sociales s'ajoute une attitude nouvelle du
législateur.
Jusqu'à la fin des années 1970, le partage effectif des
responsabilités entre le législateur et les partenaires sociaux
témoignait d'une certaine harmonie laissant une large place à la
négociation collective principalement au niveau interprofessionnel ou au
niveau de la branche.
D'une part, la négociation précédait le plus souvent la
loi, celle-ci se contentant alors de reprendre et de transposer les accords
collectifs et notamment les accords interprofessionnels ou d'intervenir en
l'absence d'accord.
Le rapport de la « commission Virville » esquisse à
cet égard un bilan de cette pratique :
« Les accords de Grenelle, conclus à la suite des
événements de mai 68, ont débouché sur
l'adoption, dans la loi du [27] décembre 1968, des dispositions
relatives à la section syndicale dans l'entreprise. De même, la
loi du 19 janvier 1978 sur la mensualisation a repris et
généralisé l'accord national interprofessionnel du
10 décembre 1977. L'abaissement à 39 heures de la
durée légale hebdomadaire du travail par l'ordonnance du
16 janvier 1982 est directement issu du protocole d'accord du
17 juillet 1981.
« Les dispositions législatives relatives à la
formation professionnelle sont, pour la plupart, issues des accords
interprofessionnels de 1971, 1991 et 2003. De même, le régime de
la procédure de licenciement pour motif économique constitue la
transcription de l'accord du 20 octobre 1986 et de son avenant du 22 juin 1989
modifiant l'accord interprofessionnel du 10 février 1969. On peut encore
citer le régime des CDD et de l'intérim, issu de l'accord du 24
mars 1990, ou les règles régissant la négociation dans les
entreprises dépourvues de délégués syndicaux,
définies par l'accord du 31 octobre 1995 puis reprises par la loi du 12
novembre 1996. »
D'autre part, la loi sociale, et cela en stricte conformité avec les
dispositions de l'article 34 de la Constitution, se limitait le plus souvent
à fixer les principes généraux du droit du travail, sans
entrer par trop dans le détail, laissant alors une place significative
à la négociation collective pour fixer les modalités
d'application de ces principes généraux aux
spécificités de chaque branche, de chaque territoire ou de chaque
entreprise.
Ce partage harmonieux des rôles entre le législatif et le
contractuel a vécu.
D'une part, la loi sociale est progressivement intervenue dans des domaines
sans cesse plus larges et est parallèlement devenue plus précise,
plus pointilleuse, réglant jusque dans le détail les relations du
travail et réduisant alors souvent à la portion congrue la place
de la négociation collective.
Face à l'emprise croissante du législateur, et bridée par
le principe dit « de faveur », la négociation
collective n'a désormais plus d'espace pour se développer, hormis
les cas où la loi renvoie expressément à l'accord le soin
de préciser ses modalités de mise en oeuvre, dans un cadre
toutefois le plus souvent très strict.
D'autre part, la pratique traditionnelle liant toute réforme
substantielle du droit du travail à la conduite d'une négociation
préalable n'a plus été respectée.
A cet égard, le précédent gouvernement porte une lourde
responsabilité en ayant réformé en profondeur deux des
domaines les plus importants du droit du travail sans avoir permis l'engagement
préalable d'une négociation, ni même avoir mené une
réelle consultation des partenaires sociaux. Votre rapporteur fait ici
bien évidemment référence au droit du temps de travail
- au travers des lois du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000 - et au
droit du licenciement économique - par la loi dite de
« modernisation sociale » du 17 janvier 2002.
2. L'effet dévastateur de la querelle en légitimité des acteurs de la négociation collective
Notre
droit de la négociation collective repose, pour son élaboration,
sur une double spécificité. En premier lieu, la capacité
de négocier et conclure des accords collectifs de travail reste
réservée aux seuls représentants des organisations
syndicales reconnues représentatives. En second lieu, la signature d'une
seule organisation syndicale rend l'accord valide et suffit alors à
engager l'ensemble des salariés dans son champ d'application.
Cette logique s'était légitimement imposée, en 1936 et
1950, à l'époque où le taux de syndicalisation
était élevé et le mouvement syndical unifié et dans
un contexte où la légitimité des signataires à
représenter la collectivité des salariés ne se posait
finalement pas dans la mesure où l'objet de la négociation ne
visait qu'à créer des avantages supplémentaires.
Pour autant, et dès lors que la négociation peut se traduire par
des accords dérogatoires, il importe de s'assurer que les signataires de
l'accord ont vocation à représenter effectivement l'ensemble, ou
du moins la majorité, des salariés.
Or, sur ce point, force est de constater que les conditions qui
légitimaient jadis le mode de conclusion des accords ont
désormais disparu avec la faiblesse de l'audience et
l'éparpillement du mouvement syndical.
a) Un syndicalisme éclaté
Il
n'appartient pas à votre rapporteur d'analyser les causes de
l'éparpillement progressif du mouvement syndical. Tout juste se
contentera-t-il d'observer que la possibilité juridique offerte à
un seul syndicat, même minoritaire, de conclure un accord a sans doute
participé à l'éclatement du paysage syndical depuis la
Seconde guerre mondiale.
Les résultats des dernières élections professionnelles
témoignent de cet éclatement.
Résultats des organisations syndicales
aux
dernières élections professionnelles
|
Résultats comité d'entreprise
|
Résultats élections
prud'homales
|
CFDT |
22,8 % |
25,23 % |
CGT |
22,6 % |
32,13 % |
CGT-FO |
13,1 % |
18,28 % |
CFTC |
6,0 % |
9,65 % |
CFE-CGC |
6,1 % |
7,01 % |
UNSA |
|
4,99 % |
Groupe des dix |
|
1,51 % |
« autres syndicats » |
6,5 % |
|
Source : DRT
Il reste
que l'éclatement du mouvement syndical, s'il conduit sans doute à
biaiser quelque peu la négociation collective en ne valorisant pas
suffisamment l'association des syndicats à la conclusion des accords, a
le mérite de témoigner de sa diversité et de son
pluralisme qui constitue également une source de richesse pour le
dialogue social.
Pour autant, l'évolution de la structuration du paysage syndical avec
l'émergence de nouvelles organisations conduit à rendre plus
incertaine la faculté prioritaire reconnue aux organisations les plus
anciennes à agir au nom de l'ensemble des salariés dans la mesure
où elles continuent de bénéficier seules des avantages
liés à la présomption de représentativité.
Or, cette présomption de représentativité joue un
rôle considérable à un double titre :
- seules les organisations reconnues représentatives peuvent
présenter des candidats au premier tour des élections
professionnelles ;
- seules les organisations syndicales représentatives dans le champ
d'application de l'accord ont la capacité de le négocier et de le
signer.
La
représentativité des organisations syndicales
A
l'heure actuelle, le système français fait coexister des
organisations syndicales bénéficiant, au niveau national, d'une
présomption de représentativité et des organisations
devant au contraire faire la preuve de cette représentativité
devant un juge.
En vertu d'un arrêté du ministre du travail en date du 31 mars
1966, cinq organisations syndicales sont reconnues comme représentatives
au plan national. Les syndicats affiliés à l'une de ces cinq
centrales bénéficient dans les branches et dans les entreprises
d'une présomption irréfragable de représentativité.
Un syndicat qui n'est pas affilié à l'une de ces cinq
confédérations doit prouver sa représentativité
à la lumière des critères fixés par
l'article L. 133-2 du code du travail qui est issu de la loi du 11
février 1950. Ces critères sont : les effectifs,
l'indépendance (par rapport à l'employeur), les cotisations,
l'expérience et l'ancienneté du syndicat, l'attitude patriotique
pendant l'occupation.
Parmi ces six critères, tous n'ont évidemment pas le même
poids. Les juges s'attachent surtout à mesurer l'indépendance et
l'influence des organisations syndicales, en tenant compte notamment de
l'audience obtenue dans les différents scrutins (Cass soc, 3
décembre 2002, RJS 2003, n° 212).
Source : rapport de la commission « Virville »
Outre
qu'elles tendent à figer le paysage syndical dans son état de
1966, les conditions actuelles de reconnaissance de la
représentativité conduisent alors, dans certains cas, à
affaiblir la légitimité des accords collectifs car un accord peut
être conclu par une organisation syndicale bénéficiant au
niveau national de la présomption irréfragable de
représentativité alors même que sa
représentativité réelle peut être
« douteuse » dans la branche ou l'entreprise, et que sa
signature engage pourtant la totalité des salariés.
Dès lors, la conjonction de l'éparpillement croissant du
syndicalisme, de la validité d'un accord conclu par une organisation
syndicale même minoritaire et de la difficulté pour un syndicat de
faire la preuve de sa représentativité, tant légale que
réelle, aboutit en définitive à fragiliser la
légitimité des accords conclus, alors même que la
capacité pour la négociation collective à occuper une
place centrale dans l'élaboration de la norme sociale exige pourtant que
ses acteurs bénéficient d'une légitimité
incontestable.
b) Une audience incertaine
A cet
éparpillement s'ajoute encore l'extrême faiblesse des
organisations syndicales.
La France est le pays non seulement de l'Union européenne, mais aussi de
l'OCDE, qui a le plus faible taux de syndicalisation. Alors qu'il atteignait
encore 25 % dans les années 1970, il ne serait actuellement plus
que de 8 % dans l'ensemble, et de 5 à 7 % seulement dans le
secteur privé.
Taux de syndicalisation dans l'Union européenne
Suède |
Finlande |
Danemark |
Belgique |
Italie |
Luxembourg |
Autriche |
Irlande |
Royaume-Uni |
Allemagne |
Portugal |
Pays-Bas |
Grèce |
Espagne |
France |
Moyenne UE-15 |
88 % |
85 % |
75 % |
68 % |
62 % |
42 % |
40 % |
31 % |
25 % |
22 % |
22 % |
21 % |
15 % |
9 % |
8 % |
30 % |
Source : DRT
Si le
taux de syndicalisation n'est bien entendu pas le seul critère
permettant de mesurer l'audience réelle des syndicats et leur
capacité à représenter les salariés, les autres
indicateurs ne font pourtant que confirmer cette faiblesse structurelle.
Ainsi, le taux de participation aux élections prud'homales continue de
diminuer pour se situer à un niveau extrêmement bas. Il n'a
été que de 32,7 % pour le dernier scrutin en 2002.
Surtout, dans les élections au comité d'entreprise, la part des
non-syndiqués apparaît considérable alors même qu'ils
ne peuvent présenter de candidats au premier tour : en 2001, les
non-syndiqués ont ainsi recueilli 23 % des suffrages
exprimés
7
(
*
)
.
Aussi, quand bien même les syndicats ont une vocation naturelle à
représenter les salariés et donc à conclure en leur nom
des accords collectifs, les incertitudes entourant leur audience réelle
ne peuvent que fragiliser les accords ainsi conclus surtout s'ils ne sont
signés que par une ou plusieurs organisations minoritaires.
3. Les failles de la couverture conventionnelle
Notre
droit de la négociation collective apparaît enfin daté car
il n'a pas intégré l'évolution de la structure de nos
entreprises.
Fondé sur une logique calquée sur la société
largement industrielle qui existait au moment de sa construction, il s'articule
autour d'un paradigme aujourd'hui désuet. Censé s'appliquer dans
un environnement constitué de branches structurées et
d'entreprises de taille significative, il est désormais appelé
à être mis en oeuvre dans un tissu économique marqué
par des branches professionnelles ne reflétant plus qu'imparfaitement la
réalité des métiers, l'émergence du niveau du
groupe et la place considérable acquise par les petites
entreprises.
a) La structuration inadaptée des branches professionnelles
Alors
même que la branche a vocation à constituer le niveau structurant
de la négociation collective, il est aujourd'hui pratiquement impossible
de déterminer avec précision le nombre - il est vrai
fluctuant - de branches existant en France.
De fait, la notion de branche professionnelle n'est pas légalement
définie, ni
a fortiori
organisée par la loi. Elle
relève de l'autonomie des partenaires sociaux et dépend, en
pratique, essentiellement de la structuration patronale.
Historiquement, les métiers se sont organisés en branches et en
fédérations, tant du côté des employeurs que des
salariés. Dans ces conditions, la branche apparaissait comme le niveau
approprié pour organiser les relations du travail communes à des
entreprises exerçant leur activité dans des situations
comparables.
Mais la structuration des branches a vieilli. Elles ne fédèrent
plus nécessairement des entreprises de taille ou de métiers
comparables. Dès lors, la capacité pour les conventions de
branche de régir globalement et de manière prioritaire les
relations du travail s'estompe du fait de la diversité de tailles et de
métiers des entreprises auxquelles elles ont vocation à
s'appliquer.
Certes, les branches ont cherché à s'adapter. Mais ces
tentatives, qui ont d'ailleurs pris des formes contradictoires, n'ont
qu'imparfaitement permis de leur redonner une cohérence.
D'une part, on a assisté à un mouvement de regroupement des
branches. Certaines branches en déclin, qui ne pouvaient plus
valablement exercer le rôle qui leur était assigné, sont
venues fusionner avec les branches existantes. Mais alors, la cohérence
de la branche ainsi fusionnée était réduite d'autant,
surtout si la convention collective n'était pas adaptée en
conséquence.
A l'inverse, on a également pu observer, parallèlement à
l'apparition de nouveaux métiers, l'éclatement de certaines
branches existantes de façon à permettre la constitution de
nouvelles branches plus homogènes. C'est d'ailleurs aujourd'hui la
tendance dominante. Cela permet certes d'assurer une certaine cohérence
des entreprises qui les composent. Mais, dans ce cas, les branches n'atteignent
souvent pas une taille suffisante leur permettant de jouer pleinement et
efficacement le rôle conventionnel qui leur incombe. A titre d'exemple,
on a pu récemment observer la création
ex nihilo
d'une
branche constituée en tout et pour tout d'environ
400 salariés...
Ces mouvements somme toute contradictoires conduisent paradoxalement à
un résultat similaire en matière de négociation
collective : celui d'une homogénéisation du contenu de leur
convention collective. En cela, ce résultat témoigne en
définitive de leur inadaptation persistante.
b) L'émergence des groupes
Notre
droit de la négociation collective ignore encore l'existence des
groupes
8
(
*
)
.
Or ceux-ci occupent une place considérable dans notre économie.
Au 1
er
janvier 2002, selon l'INSEE
9
(
*
)
, les groupes d'entreprises
employaient 8 millions de salariés, soit 55 % des effectifs de
l'ensemble des entreprises, et regroupaient quelque 94.000 entreprises.
Parmi eux, 84 groupes employaient près de 3,5 millions de
salariés.
Dans ces conditions, le groupe apparaît bien souvent pour les entreprises
et pour les salariés comme une réalité bien plus tangible
que la branche,
a fortiori
si le groupe relève de plusieurs
branches.
La négociation de groupe est donc appelée à prendre une
place de plus en plus importante pour régir les sujets
d'intérêt commun aux entreprises qui les composent, alors que le
droit de la négociation de groupe n'en est encore qu'à ses
premiers balbutiements.
c) La carence du dialogue social dans les petites entreprises
A
l'heure actuelle, l'exercice de la négociation collective relève
de la seule responsabilité des organisations syndicales, hormis certains
cas particuliers
10
(
*
)
.
Les délégués syndicaux sont donc en principe les
interlocuteurs obligatoires de l'employeur dans la négociation
d'entreprise.
Or, l'implantation des délégués syndicaux dans les petites
entreprises reste très faible. En moyenne, seuls 20 % des
établissements de dix salariés et plus sont effectivement
couverts par un délégué syndical.
Part des établissements couverts par un délégué syndical selon la taille de l'établissement dans les établissements de dix salariés et plus
(en %)
10 à 19 salariés |
20 à 49 salariés |
50 à 99 salariés |
100 à 249 salariés |
250 à 499 salariés |
500 salariés et plus |
Toutes tailles |
10 à 49 salariés |
50 salariés et plus |
5,6 |
18,0 |
55,1 |
74,0 |
89,1 |
95,5 |
20,2 |
10,5 |
67,0 |
Source : Enquête Acemo-IRP 1999
Cette
situation entrave alors le développement de la négociation
collective dans les petites entreprises.
Or, autant l'existence même et l'utilité d'un accord collectif
peut apparaître illusoire dans une entreprise de quatre ou cinq
salariés, autant elle apparaît légitime et souhaitable dans
une entreprise d'une cinquantaine de salariés.
Cette faible possibilité de conclure des accords collectifs dans les
petites entreprises est d'autant plus préoccupante que celles-ci
constituent la cellule de base de notre tissu économique et que la
tendance actuelle favorise plutôt l'essor des petites entreprises sous
l'effet notamment de la place croissante du secteur tertiaire et du
développement de l'externalisation.
Certes, pour remédier à cette carence, des dispositifs visant
à développer le dialogue social dans les petites entreprises ont
été mis en place.
Ainsi, la loi du 12 novembre 1996, transposant l'accord national
interprofessionnel du 31 octobre 1995, a institué, à titre
expérimental, la possibilité pour des accords de branche
d'organiser, en l'absence de délégués syndicaux, des
procédures de négociation dérogatoires au droit commun
impliquant des représentants élus des salariés ou un
salarié mandaté par une organisation syndicale
représentative.
De même, les lois du 13 juin 1998 et du 17 janvier 2000 ont
repris la procédure de mandatement ou de négociation avec les
représentants du personnel pour conclure des accords de réduction
du temps de travail. Une telle procédure était d'ailleurs
inévitable dans la mesure où ces lois subordonnaient le
bénéfice des aides liées à la réduction du
temps de travail à la conclusion d'un accord collectif.
Mais ces deux dispositifs ne sont aujourd'hui plus applicables, empêchant
alors le développement de la négociation collective dans les
petites entreprises.
*
* *
Toutes
ces évolutions soulignent, si besoin était, la
nécessité de donner aujourd'hui un nouvel élan au dialogue
social dans notre pays et de réformer en profondeur notre droit de la
négociation collective.
Votre rapporteur souligne à ce propos que nos principaux partenaires
européens, confrontés peu ou prou à des mutations
comparables de l'environnement de leur négociation collective, ont pour
la plupart d'ores et déjà engagé une réforme de
leur droit de la négociation collective, la tendance étant
partout - comme le montre l'étude de législation
comparée annexée au présent rapport - à la
décentralisation de la négociation collective au niveau de
l'entreprise.
II. FRUIT DU DIALOGUE SOCIAL, LE PROJET DE LOI VISE À MODERNISER LES RELATIONS DU TRAVAIL PAR UNE PROFONDE RÉFORME DES RÈGLES DE LA NÉGOCIATION COLLECTIVE
Présentant son projet de loi à l'Assemblée
nationale, M. François Fillon a insisté sur la portée
de ce texte :
« Chacun doit bien mesurer la portée de ce projet. Il
s'agit de repenser un système inchangé depuis des
décennies en modifiant les règles posées par la loi de
1950 sur les conventions collectives. Derrière son caractère
technique, c'est bien la modernisation de notre démocratie sociale qui
est en jeu. Parler des règles de la négociation collective, c'est
traiter des modalités de conclusion des accords, c'est aborder la
légitimité de ces accords, c'est redéfinir les champs de
négociation et les niveaux de compétence pour les
négocier. C'est repenser l'articulation entre la loi et le contrat. En
somme, c'est provoquer une nouvelle donne susceptible de modifier la nature des
relations sociales. »
Cette
« nouvelle donne »
n'est néanmoins
possible qu'à une double condition :
- que la réforme en cours s'appuie sur une initiative ou recueille
l'assentiment des partenaires sociaux qui seront à l'avenir
chargés de la faire vivre ;
- que le projet de loi s'attaque effectivement aux blocages juridiques qui
ont progressivement conduit à figer le dialogue social dans notre pays.
Votre rapporteur a la conviction que ces deux exigences sont aujourd'hui
réunies.
D'abord, le présent texte est lui-même le fruit du dialogue social
puisqu'il reprend pour l'essentiel la Position commune du 16 juillet 2001 sur
les voies et moyens de l'approfondissement de la négociation collective
signée par les trois organisations patronales et par quatre des cinq
organisations syndicales représentatives au niveau national
interprofessionnel.
Ensuite, il s'attaque directement aux trois principaux points de blocage au
développement de la négociation collective : la
légitimité incertaine des accords, l'articulation trop
contraignante des différents niveaux de négociation et les
failles de la couverture conventionnelle.
A. UNE RÉPONSE AUX ATTENTES DES PARTENAIRES SOCIAUX
1. Une demande ancienne et renouvelée, mais restée jusqu'ici lettre morte
Voilà plus de vingt ans que les diagnostics sur les
crispations du dialogue social, établis le plus souvent d'ailleurs
à l'initiative des partenaires sociaux eux-mêmes, se sont
multipliés. Mais ces diagnostics sont la plupart du temps restés
lettre morte tant il est vrai que l'engagement d'une réforme du dialogue
social, même limitée à quelques points techniques, risquait
immanquablement d'aboutir à une remise en cause fondamentale du
système actuel.
Pourtant, les partenaires sociaux ont su prendre leurs responsabilités
en proposant, à deux reprises, les voies et moyens d'une relance de la
négociation collective.
a) L'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995
Le 31
octobre 1995 était conclu l'accord national interprofessionnel relatif
aux négociations collectives
11
(
*
)
.
Cet accord avait un double objet :
- d'une part, il s'agissait de favoriser la négociation collective
dans les petites entreprises ne disposant pas de représentation
syndicale ;
- d'autre part, il visait à revoir
« les articulations
entre les trois niveaux de négociation en clarifiant notamment la place
et le rôle de chacun et en les inscrivant dans une dynamique
d'ensemble. »
12
(
*
)
Cet accord n'a toutefois pas pu fonder durablement une réforme de notre
droit de la négociation collective.
Certes, la loi du 16 novembre 1996 a introduit les modifications
législatives nécessaires à l'application des orientations
de l'accord pour le développement de la négociation collective
dans les petites entreprises. Mais cette loi n'était
qu'expérimentale pour une durée de trois ans. Or, à son
échéance, le précédent gouvernement, exclusivement
focalisé sur la question du temps de travail, n'a ni cherché
à les pérenniser, ni même engagé la moindre
concertation visant à en tirer les conséquences.
Surtout, le second volet de l'accord, qui exigeait lui aussi des modifications
législatives, n'a jamais été mis en oeuvre. Si le
gouvernement d'Alain Juppé a certes commandé un rapport sur les
perspectives d'une réforme des rapports entre la loi et la
négociation collective
13
(
*
)
, le précédent gouvernement n'a pas,
là encore, jugé bon d'aller plus loin.
b) La Position commune du 16 juillet 2001
Face
à la nouvelle situation de blocage du dialogue social issue notamment de
l'application imposée de la réduction du temps de travail, les
partenaires sociaux ont engagé, à partir de février 2000
et dans le cadre de la « refondation sociale », une
nouvelle réflexion sur les voies et moyens de l'approfondissement de la
négociation collective.
Cette négociation a abouti à la Position commune du 16 juillet
2001, dans laquelle les partenaires sociaux ont fait part de leur souhait de
« donner un nouvel élan à la négociation
collective au sein d'un système performant de relations sociales,
respectueux des personnes, des prérogatives du législateur et de
l'ordre public social, et adapté à une économie
diversifiée et ouverte sur le monde. »
Pour cela, ils ont formulé plusieurs propositions de réforme de
notre droit de la négociation collective articulées autour de
trois axes :
- développer la négociation collective notamment par une
« articulation dynamique et maîtrisée des niveaux de
négociation »
, par un
« mode adapté de
conclusion des accords »
et par une
« généralisation de la représentation
collective et de la possibilité de négocier »
;
- renforcer les moyens du dialogue social ;
- créer une dynamique de complémentarité entre le
rôle de la loi et celui de négociation collective.
Certes, à la différence de l'accord national interprofessionnel
de 1995 et même si son esprit est similaire, la Position commune ne
constitue pas
stricto sensu
un accord. Il s'agit plutôt d'un
relevé de conclusions, voire d'une adresse au législateur et au
Gouvernement.
Mais, là encore, le précédent gouvernement choisit de ne
pas donner suite à ces propositions, le Premier ministre de
l'époque se contentant d'adresser, dès le 6 juillet 2001, -
soit avant même la fin des négociations -, une fin manifeste de
non recevoir aux demandes des partenaires sociaux :
« Notre système de relations professionnelles doit
être renforcé. Même si l'analyse et les conclusions qui en
sont tirées peuvent être différentes, ce constat est
aujourd'hui très largement partagé ; il fait d'ailleurs
l'objet d'une négociation entre partenaires sociaux sur les
« voies et moyens de la négociation », dont les
acquis seront certainement pris en compte dans nos réflexions.
« Ce thème renvoie à de nombreuses questions. Parmi
celles-ci apparaissent notamment trois chantiers concrets, que nous pourrions
engager rapidement : les moyens des organisations syndicales et
professionnelles, l'insuffisante représentation du personnel dans les
entreprises, en particulier les plus petites d'entre elles et, enfin, la place
des salariés dans les processus de décision économique. Je
suis, bien entendu, ouvert aux autres propositions que vous pourriez faire
à ce sujet. »
2. Un récent changement de logique
Dès son entrée en fonction, le Gouvernement,
conformément aux engagements du Président de la
République, s'est non seulement engagé à rompre avec la
logique précédente en accordant une attention toute
particulière au dialogue social, mais plus généralement
à mettre en oeuvre les préceptes de la Position commune.
Ainsi, dès le 3 juillet 2002, le Premier ministre précisait dans
sa déclaration de politique générale :
« Le dialogue social sera au coeur de l'action du Gouvernement et
les partenaires sociaux seront consultés avant toute initiative majeure
de l'État. Ils se verront reconnaître une autonomie pour
définir par voie d'accord, et dans le respect des principes fondamentaux
de notre droit, les règles qui déterminent les relations du
travail.
« Le Gouvernement souhaite conforter la légitimité des
partenaires sociaux à agir. C'est pourquoi je regarde avec beaucoup
d'intérêt les initiatives prises par ces derniers pour vivifier et
améliorer la démocratie sociale. »
De fait, cette démarche a effectivement été mise en
pratique au travers notamment de deux lois qui préfigurent largement
l'orientation du présent projet de loi.
En premier lieu, la loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 relative aux
salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi a
considérablement élargi la place revenant à la
négociation collective en matière de temps de travail. C'est
désormais prioritairement à l'accord collectif qu'il revient de
fixer le contingent annuel d'heures supplémentaires, leur taux de
rémunération ou le régime applicable aux cadres.
En second lieu, la loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003 portant relance de
la négociation collective en matière de licenciement
économique illustre plus encore cette démarche. D'une part, elle
renvoie expressément à la négociation interprofessionnelle
la tâche de redéfinir les règles applicables au
licenciement économique. Cette négociation est d'ailleurs en
cours. D'autre part, en instituant les « accords de
méthode » sur les modalités d'information et de
consultation du comité d'entreprise en cas de licenciement collectif,
elle introduit pour la première fois le principe de l'accord majoritaire
et modifie, en la matière, la place respective de la loi et de l'accord.
S'inscrivant largement dans la continuité de ces deux textes, le
présent projet approfondit encore cette démarche et la conduit en
définitive à son terme puisqu'il vise à mettre en oeuvre
les préconisations de la Position commune en réformant les
règles de la négociation collective.
Chronologie de la réforme
16 juillet 2001 : Signature de la Position commune
sur les voies et moyens de l'approfondissement de la négociation
collective.
3 janvier 2003 : Publication de la loi portant relance de la
négociation collective en matière de licenciements
économiques instituant les « accords de
méthode ».
24 janvier 2003 : Début de la première consultation
des partenaires sociaux sur la base d'un «
document de travail sur
l'approfondissement de la négociation collective
».
25 septembre 2003 : Début de la deuxième consultation
des partenaires sociaux sur la base d'un deuxième
«
document de travail sur la démocratie
sociale
».
14 octobre 2003 : Présentation à la Commission
nationale de la négociation collective (CNNC) de l'avant-projet de loi.
24 octobre 2003 : Transmission de l'avant-projet de loi au
Conseil d'État.
4 novembre 2003 : Transmission au Conseil d'État d'une
nouvelle version de l'avant-projet de loi.
19 novembre 2003 : Présentation du projet de loi en
Conseil des ministres.
11 décembre 2003 : Début de l'examen du projet de
loi à l'Assemblée nationale.
C'est en ce sens que le présent projet de loi est lui-même le
fruit du dialogue social. Outre le fait qu'il vise à transcrire dans la
loi les propositions de la Position commune, votre rapporteur observe que son
élaboration a fait l'objet d'une triple consultation des partenaires
sociaux : les deux premières en janvier et septembre 2003 sur la
base de deux documents de travail successifs, puis en octobre 2003, devant la
Commission nationale de la négociation collective, sur la base d'un
avant-projet de loi.
B. LES AXES DU PROJET DE LOI
S'appuyant sur la base de la Position commune, le présent projet de loi s'articule autour de trois axes complémentaires :
1. Modifier les règles de conclusion des accords collectifs pour renforcer leur légitimité
A
l'heure actuelle, les modalités de conclusion d'un accord collectif de
travail sont régies par l'article L. 132-2 du code du travail et
reposent sur la faculté reconnue à une ou plusieurs organisations
syndicales même minoritaires de conclure un accord s'appliquant à
la collectivité de travail.
Ainsi, peuvent conclure, au nom des salariés, une ou plusieurs
organisations syndicales de salariés reconnues représentatives
sur le plan national ou qui sont affiliées auxdites organisations ou qui
ont fait la preuve de leur représentativité dans le champ
d'application de l'accord.
Cette règle conduit, en pratique, à fragiliser doublement la
légitimité de l'accord dans la mesure où elle ne prend pas
en compte la représentativité des signataires par rapport
à l'ensemble des salariés et où elle ne repose sur aucune
exigence de majorité.
Jusqu'à présent, on pouvait considérer que cette faiblesse
n'avait en définitive qu'une importance secondaire : tant que
l'accord n'avait vocation qu'à procurer un nouvel avantage aux
salariés, peu importait en définitive la
représentativité réelle des signataires.
Toutefois, la question de la légitimité des signataires se posait
déjà compte tenu des modalités actuelles - qui sont
souvent ambiguës - d'application du principe de faveur et elle se
posera avec plus d'acuité à l'avenir si, comme le texte le
propose, l'accord peut déroger à une norme conventionnelle de
niveau supérieur.
Certes, le code du travail a d'ores et déjà cherché
à prévenir cette difficulté en tempérant cette
règle par la possibilité d'exercice, dans certains cas, d'un
droit d'opposition des organisations syndicales majoritaires. Ce droit
d'opposition existe ainsi à un triple niveau :
- un droit d'opposition à la conclusion d'un accord d'entreprise
dérogatoire à la loi, le champ de ces accords dérogatoires
concernant pour l'essentiel la durée et l'aménagement du temps de
travail (introduit par l'ordonnance du 16 janvier 1982) ;
- un droit d'opposition, au niveau interprofessionnel, des branches et des
entreprises, à la réduction ou à la suppression d'un
avantage lors de la révision d'un accord collectif (introduit par la loi
du 31 décembre 1992) ;
- un droit d'opposition - seulement suspensif - à
l'extension d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou
interprofessionnel.
Mais les conditions très restrictives de l'exercice de ce droit
d'opposition font qu'il est de faible portée.
Aussi, la Position commune traduisait-elle, à son point I-2, le
souci des partenaires sociaux de faire évoluer les règles de
conclusion des accords :
«
La volonté d'élargir les attributions
conférées à la négociation collective et d'assurer
son développement nécessite la définition d'un mode de
conclusion des accords qui, sans remettre en cause la capacité de chaque
organisation syndicale représentative d'engager l'ensemble des
salariés, renforce la légitimité des accords et garantisse
l'équilibre de la négociation.
»
L'article 34
du projet de loi vise alors à modifier
substantiellement les modalités de conclusion des accords collectifs.
S'il ne revient ni sur les règles de représentativité des
organisations syndicales, ni sur le principe du monopole syndical (sauf, dans
une certaine mesure, pour le cas particulier des petites entreprises à
son article 41), il introduit en revanche à tous les niveaux le
« principe majoritaire » sous la forme soit de la
« majorité d'engagement », soit du « droit
d'opposition », selon des modalités spécifiques pour
chaque niveau de négociation.
Dès lors, l'accord n'est valide que :
- dans le cas de la majorité d'engagement ou de l'accord
majoritaire, s'il a été signé par une ou plusieurs
organisations syndicales représentant la majorité des
salariés ;
- dans le cas du droit d'opposition, s'il n'a pas fait l'objet d'une
opposition de la majorité des organisations syndicales de
salariés représentatives dans le champ de l'accord ou
d'organisations syndicales représentant la majorité des
salariés.
Les nouvelles règles de conclusion des accords sont
résumées dans le tableau ci-dessous :
Niveau de négociation |
Principe majoritaire |
Modalités de calcul de la majorité |
Interprofessionnel |
Droit d'opposition |
Majorité des organisations syndicales |
Branche |
|
|
1. Accord de méthode étendu |
Droit d'opposition |
Majorité des organisations syndicales |
2. Accords
|
Majorité d'engagement |
|
|
|
- soit au vu d'une consultation dans la branche |
|
|
- soit au vu des résultats des dernières élections du personnel |
b) s'il n'y a pas accord de méthode |
Droit d'opposition |
Majorité des organisations syndicales |
Entreprise ou établissement |
|
|
1. Si la branche le prévoit |
Majorité d'engagement
|
Organisations syndicales représentant la majorité des salariés au vu des dernières élections du personnel. A défaut, approbation des salariés |
Droit d'opposition |
Organisations syndicales ayant recueilli la majorité aux dernières élections du personnel |
|
2. Si la branche ne prévoit rien |
Droit d'opposition |
Organisations syndicales ayant recueilli la majorité aux dernières élections du personnel |
Source : annexe au rapport n° 1273 de M. Jean-Paul Anciaux - Assemblée nationale, 12 e législature.
Il convient d'observer que les nouvelles règles accordent un rôle très important au dialogue social puisqu'il lui revient, sauf au niveau interprofessionnel, d'organiser la mise en oeuvre du principe majoritaire par accord. A défaut d'accord, c'est le droit d'opposition qui s'applique.
2. Revoir l'articulation des sources du droit du travail
a) L'articulation entre la loi et la négociation collective
Notre
droit du travail est régi par le principe de l'ordre public
social : sauf pour quelques rares matières régies par
l'ordre public absolu
14
(
*
)
et auxquelles les accords collectifs ne peuvent déroger ni dans un sens,
ni dans l'autre, l'accord collectif ne peut que comporter des dispositions plus
favorables aux salariés que celles des lois et règlements en
vigueur, sauf si la loi l'autorise expressément : on parle alors
d'« accords dérogatoires ».
Ce principe fondamental, codifié à l'article L. 132-4 du code du
travail, n'est bien entendu pas remis en cause par le projet de loi.
En revanche, celui-ci aborde, au moins dans son exposé des motifs, la
question de l'articulation entre la loi et la négociation collective non
pas sous l'angle de leur hiérarchie, mais de leur place respective, dans
le prolongement des propositions de la Position commune.
Il ne s'agit donc pas ici de revoir les domaines respectifs de la loi et de
l'accord, ce partage relevant en droit de la Constitution, mais de mieux en
organiser les conditions de mise en oeuvre d'une double manière.
favoriser l'application de la loi par accord collectif au niveau le
plus approprié
La Position commune précise, à son point III-1, son souci,
concernant le « domaine partagé » entre le
législateur et les interlocuteurs sociaux que
« les
modalités d'application des principes généraux
fixés par la loi [soient] négociés, au niveau
approprié, par les interlocuteurs sociaux. »
A ce titre,
l'article 38
du projet de loi prévoit que, dès
lors que le code du travail renvoie à un accord de branche la
tâche de mettre en oeuvre une disposition législative, cette mise
en oeuvre puisse en principe également se faire par accord d'entreprise.
définir une charte de méthode pour l'élaboration
des lois réformant le droit du travail
Dans le souci de laisser suffisamment d'espace à la négociation
collective, notamment au niveau interprofessionnel, et de créer une
complémentarité dynamique entre la loi et l'accord, la Position
commune exprime le souhait, à son point III-3, que le
législateur, tout en gardant naturellement son pouvoir d'initiative,
puisse fonder, dans la mesure du possible, son intervention sur les fruits du
dialogue social :
« Il conviendrait de prévoir que :
« - les interlocuteurs sociaux puissent au niveau national
interprofessionnel, prendre, s'ils le souhaitent, le relais d'une initiative
des pouvoirs publics dans leur champ de compétence,
« - les accords auxquels ils parviendraient dans une telle
hypothèse, ou encore à leur propre initiative dans un domaine qui
requiert des modifications législatives, puissent entrer en vigueur dans
le respect de leur équilibre.
« En pratique, la mise en oeuvre de ces principes est susceptible
d'être organisée sous plusieurs formes. A titre d'exemple, on
pourrait concevoir que préalablement à toute initiative
législative dans le domaine social, les interlocuteurs sociaux doivent
être officiellement saisis par les pouvoirs publics d'une demande d'avis
sur son opportunité. A l'issue de cette consultation, si l'initiative
était maintenue, la faculté devrait leur être offerte de
traiter le thème faisant l'objet de ladite initiative par voie
conventionnelle dans un délai à déterminer. En cas de
refus des interlocuteurs sociaux de traiter la question par la
négociation collective ou en l'absence d'accord à l'issue du
délai fixé pour la négociation, l'initiative
législative reprendrait son cours. A l'inverse, si la négociation
aboutissait à un accord, celui-ci devrait être repris par le
législateur dans le respect de son équilibre. »
Ce souci d'organiser la collaboration entre le législateur et les
partenaires sociaux ne relève à l'évidence pas du cadre
d'une loi ordinaire, même si le rapport de la commission
précitée par M. Michel de Virville formule une proposition
en ce sens. Dans la mesure où les règles relatives à
l'initiative des lois sont fixées par la Constitution et puisque le
législateur ne peut s'autodessaisir de sa capacité à
modifier la loi, ce sujet ne peut alors être valablement abordé,
de manière normative, par le présent texte.
Mais le projet de loi n'est pourtant pas muet sur ce point puisque son
exposé des motifs pose le principe d'une concertation effective avec les
partenaires sociaux et, le cas échéant, d'une négociation
préalable à toute réforme substantielle modifiant
l'équilibre des relations sociales et évoque l'adoption à
venir d'une «
charte de méthode
» en la
matière :
« Sans affecter les responsabilités du Gouvernement et du
Parlement, telles qu'elles sont définies par la Constitution, la
présente loi doit être l'occasion tout à la fois d'affirmer
et de montrer l'application concrète du principe, déjà
institué au sein de l'Union européenne, selon lequel toute
réforme substantielle modifiant l'équilibre des relations
sociales doit être précédée d'une concertation
effective avec les partenaires sociaux et, le cas échéant, d'une
négociation entre ceux-ci.
« A cet égard, le Gouvernement prend l'engagement solennel de
renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle toute
réforme de nature législative relative au droit du travail. Par
conséquent, il saisira officiellement les partenaires sociaux, avant
l'élaboration de tout projet de loi portant réforme du droit du
travail, afin de savoir s'ils souhaitent engager un processus de
négociation sur le sujet évoqué par le Gouvernement.
« Le Gouvernement proposera à la Commission nationale de la
négociation collective d'adopter une charte de méthode fixant les
modalités pratiques de ce renvoi à la négociation
collective interprofessionnelle, et notamment les délais de
réponse des partenaires sociaux. »
En ce sens, la mise en oeuvre d'une telle règle de conduite ne pourra
que modifier en profondeur les conditions d'élaboration du droit du
travail en ouvrant, dans le respect des principes constitutionnels, un champ
plus large à la négociation collective. Sans dessaisir le
législateur ou reconnaître une quelconque « loi
négociée », elle permettra alors de formaliser une
coopération constructive entre législateur et partenaires
sociaux, qui ne pourra qu'améliorer la qualité et surtout la
stabilité de la règle de droit.
b) L'articulation entre les différents niveaux de négociation collective
Les
partenaires sociaux ont souhaité, dans la Position commune, clarifier
l'articulation entre les différentes normes conventionnelles de
façon à garantir une adéquation optimale entre la
spécificité de chaque niveau de négociation et la
nécessité d'une décentralisation maîtrisée de
la négociation collective.
En cela, la Position commune indique d'abord, en son point I-1, le
rôle appelé à jouer par chaque niveau de
négociation :
«
Chaque niveau de négociation, national
interprofessionnel, de branche et d'entreprise, assure des fonctions
différentes dans le cadre d'un système organisé,
destiné à conférer une pertinence optimale à la
norme négociée tant dans ses effets que dans sa capacité
à couvrir l'ensemble des salariés et des entreprises.
« Garant du système, le niveau national interprofessionnel
doit assurer une cohérence d'ensemble.
« La branche joue un rôle structurant de solidarité,
d'encadrement et d'impulsion de la négociation d'entreprise à
travers l'existence de règles communes à la profession.
« La négociation d'entreprise permet de trouver et de mettre
en oeuvre des solutions prenant directement en compte les
caractéristiques et les besoins de chaque entreprise et de ses
salariés
. »
Ceci étant posé, la Position commune précise alors
l'articulation entre les différents niveaux de négociation devant
résulter de leur positionnement respectif :
«
Dans ce cadre, pour faciliter le développement de la
négociation collective à tous les niveaux, chaque niveau de
négociation, national interprofessionnel, de branche, et d'entreprise,
doit pouvoir négocier de telle sorte que les dispositions conclues
à un niveau plus ou moins centralisé (interprofessionnel ou de
branche) s'imposent aux niveaux décentralisés (entreprise) en
l'absence d'accord portant sur le même objet. Mais chaque niveau doit
respecter les dispositions d'ordre public social définies par la loi et
les dispositions des accords interprofessionnels ou de branche auxquels leurs
signataires ont entendu conférer un caractère normatif et
impératif qui peuvent être constitutives de garanties minimales.
Cette disposition ne remet pas en cause la valeur hiérarchique
accordée par leurs signataires aux accords conclus avant son
entrée en vigueur.
« En outre un certain nombre de limites peuvent tenir à
l'objet de la négociation, comme c'est le cas des mécanismes de
mutualisation interentreprises, des classifications et des minima de branche
par exemple, au degré d'homogénéité des entreprises
comprises dans le champ de la négociation ou au souci des signataires de
garantir l'équilibre des parties à la négociation. Selon
les cas, à déterminer par les négociateurs, l'accord
national interprofessionnel ou l'accord de branche peut ainsi avoir, en tout ou
partie, un rôle supplétif, d'encadrement pour les niveaux
décentralisés, ou encore être un accord d'application
directe dont les dispositions s'imposent aux entreprises et à leurs
salariés de façon impérative ou optionnelle.
« Cette articulation encourage le développement de la
négociation collective à tous les niveaux, tout en valorisant le
rôle d'impulsion et d'encadrement des niveaux centralisés qui
reste primordial.
»
Ce faisant, la Position commune s'inscrivait pleinement dans le mouvement de
décentralisation de la négociation collective, commun à la
plupart des pays européens, tout en l'encadrant de manière
significative.
Une telle évolution n'en implique pas moins une réforme profonde
de notre droit de la négociation collective qui reste régi, en
matière de hiérarchie et d'articulation des différentes
sources du droit du travail, par le principe dit « de
faveur ».
L'articulation des normes du droit du travail reste un sujet extrêmement
difficile, divisant encore largement la doctrine et la jurisprudence
15
(
*
)
. Il est vrai que le droit
actuel cherche à concilier deux principes quelque peu antinomiques :
- celui de l'autonomie des différents niveaux de négociation
puisqu'il est possible de négocier de tout (hormis des matières
relevant de l'ordre public absolu) à tous les niveaux ;
- celui d'une hiérarchisation des normes assurant la
cohérence de l'ordre juridique.
C'est alors au « principe de faveur », dit aussi
« principe du plus favorable », qu'il revient d'organiser
la conciliation entre ces deux principes. Il permet de régler les
conflits de normes au profit de la disposition la plus avantageuse pour le
salarié. Ainsi, la Cour de cassation a estimé, dans son
arrêt EDF du 17 juillet 1996 que le principe de faveur constituait
un «
principe fondamental en droit du travail selon lequel en cas
de conflit de normes c'est la plus favorable aux salariés qui doit
recevoir application.
»
Principe fondamental du droit du travail, le principe de faveur n'en est pas
moins organisé par la loi :
- l'
article L. 132-4 du code du travail
règle le cas
général des rapports entre la loi et les normes
conventionnelles ;
- l'
article L. 132-13
régit les relations entre le
niveau interprofessionnel et le niveau de la branche, mais aussi entre les
normes de différents champs territoriaux : l'accord de niveau
inférieur ne peut comporter de clauses moins favorables que celles d'un
accord de niveau supérieur et, si un accord de niveau supérieur
est conclu, l'accord de niveau inférieur doit adapter ses clauses
devenues moins favorables ;
- l'
article L. 132-23
précise l'articulation entre
l'accord d'entreprise et d'établissement et les normes conventionnelles
supérieures : l'accord d'entreprise a vocation à adapter les
normes conventionnelles de niveau supérieur aux conditions
particulières de l'entreprise, à traiter de questions non
abordées par les conventions de niveau supérieur ou à
introduire des clauses plus favorables aux salariés ;
- l'
article L. 135-2
précise les relations entre
l'accord collectif et le contrat de travail en posant l'effet impératif
de l'accord collectif sur le contrat de travail sauf clause plus favorable.
Cette organisation du principe de faveur par la loi correspond d'ailleurs,
même si elle lui préexistait, à la jurisprudence du Conseil
constitutionnel qui, dans sa décision n° 89-257 DC du
25 juillet 1989, l'a reconnu comme « principe fondamental du
droit du travail » au sens de l'article 34 de la Constitution.
Mais, saisi à plusieurs reprises de griefs visant à donner valeur
constitutionnelle au principe de faveur
16
(
*
)
, le Conseil s'y est toujours refusé
jusqu'à reconnaître expressément qu'il ne constituait pas
un «
principe fondamental reconnu par les lois de la
République
» dans sa récente décision
n° 2002-465 DC du 13 janvier 2003.
La
valeur du « principe de faveur » pour le Conseil
constitutionnel
(Décision du 13 janvier 2003)
En
matière de relations du travail, le principe dit « de
faveur » veut qu'un accord collectif de travail ne peut
qu'améliorer la situation des travailleurs par rapport aux dispositions
prévues par la loi et les règlements ou par rapport aux
stipulations de portée plus large (convention interprofessionnelle,
accord de branche étendu...).
Pour les requérants, le « principe de faveur » avait
valeur de norme constitutionnelle car il constituerait un « principe
fondamental reconnu par les lois de la République ».
Toutefois, le Conseil a jugé en 1997 qu'il n'en était rien.
Le grief tiré de la violation d'un « principe fondamental
reconnu par les lois de la République » ne peut être
utilement invoqué qu'autant que la législation
républicaine intervenue avant l'entrée en vigueur du
Préambule de la Constitution de 1946 a donné naissance à
une règle de portée générale, intéressant
les libertés fondamentales, les droits constitutionnellement garantis ou
le fonctionnement des pouvoirs publics, et que cette règle n'a jamais
été contredite par ladite législation.
Or, la seule disposition, introduite par la loi du 24 juin 1936 sous la forme
d'un article 31vc du code du travail, selon laquelle
« Les
conventions collectives ne doivent pas contenir de dispositions contraires aux
lois et règlements en vigueur, mais peuvent stipuler des dispositions
plus favorables »
n'a trait qu'à la faculté ouverte
à des accords collectifs de comporter des stipulations plus favorables
que les lois et règlements en vigueur. Dès lors, le moyen
tiré de la violation d'un principe fondamental reconnu par les lois de
la République, dit « principe de faveur », ne peut
être utilement invoqué.
Le principe dit « de faveur » constitue une règle
importante du droit du travail, mais une règle de niveau
législatif et non constitutionnel. C'est, au sens de l'article 34 de la
Constitution, un « principe fondamental du droit du
travail ». Comme l'exposait justement le Gouvernement dans ses
observations, on ne saurait confondre les principes qui fondent la
compétence du législateur et ceux qui limitent l'exercice de
cette compétence.
Source : Commentaires de la décision du
13 janvier 2003
aux Cahiers du Conseil constitutionnel
(n° 14)
C'est
donc bien à la loi qu'il revient d'organiser l'articulation des normes
conventionnelles et de mettre en oeuvre le principe de faveur.
De fait, le législateur a déjà largement
aménagé ce principe, réduisant fortement sa portée
générale. Ainsi, l'ordonnance du 16 janvier 1982 a introduit
la possibilité de conclure des accords dérogatoires - et
donc, le cas échéant, moins favorables - à la loi.
Mais la réalité du principe de faveur était
déjà considérablement mise à mal par ses
difficultés d'application. Il s'avère, en effet, souvent
difficile d'apprécier en pratique le caractère plus ou moins
favorable d'un accord collectif par rapport à la loi ou à une
autre norme conventionnelle. Ainsi, la Cour de cassation a décidé
que le caractère plus favorable d'une norme doit s'apprécier
globalement pour l'ensemble des salariés et, dans un arrêt du
15 mars 2001, elle a statué sur le pourvoi d'un salarié en
approuvant, au nom du principe de faveur, une solution qui lui était
individuellement défavorable. De même, le caractère plus
favorable doit s'apprécier globalement au vu de l'ensemble de l'accord,
et non clause par clause.
Ces aménagements législatifs et jurisprudentiels illustrent en
définitive l'incapacité croissante pour le principe de faveur
à régir efficacement le droit de la négociation collective.
Dans ces conditions, il est non seulement loisible au législateur
d'organiser l'articulation des normes conventionnelles, mais il apparaît
même nécessaire de le faire compte tenu de l'inadaptation des
règles actuelles.
Pour autant, le projet de loi - qui ne touche en rien à la
hiérarchie des normes du droit du travail - ne remet pas en
cause les éléments essentiels de leur articulation actuelle et se
borne, dans la continuité d'ailleurs de la Position commune, à
aménager pour l'avenir l'articulation entre les seules normes d'origine
conventionnelle.
A ce titre, l'aménagement ne porte pas :
- sur la hiérarchie entre la loi et les règlements d'une
part, et les normes conventionnelles, d'autre part,
l'article L. 132-4 du code du travail demeurant inchangé ;
- sur la hiérarchie entre les accords collectifs et le contrat de
travail, l'article L. 135-2 du code du travail demeurant
également inchangé.
De même, dans un souci de sécurité juridique,
l'aménagement ne vaudra que pour l'avenir en application de
l'article 39
du projet de loi. Dès lors, dans la mesure
où les signataires d'un accord conclu avant l'entrée en vigueur
de la loi ont entendu lui donner une valeur impérative dans le cadre de
l'actuelle hiérarchie des normes, un accord de niveau inférieur
ne pourra y déroger.
L'aménagement réalisé par les
articles 36 et 37
du
projet de loi s'inscrit largement dans une logique de subsidiarité
tendant à la décentralisation de la négociation collective
et à l'adaptation des normes à la diversité des situations.
Sans remettre en cause le principe de faveur régissant l'articulation
entre les différents niveaux de négociation, les dispositions des
articles 36 et 37 confient aux partenaires sociaux le soin d'en
aménager, le cas échéant, la portée en
prévoyant des possibilités de dérogation afin de garantir
une plus grande autonomie de la négociation au niveau inférieur.
Ainsi, l'article 36 concerne pour l'essentiel l'articulation entre
négociation interprofessionnelle et négociation de branche. Il
prévoit que les accords issus de la première ne s'imposeront
à ceux de la seconde que si les signataires du niveau supérieur
l'ont expressément prévu.
De même, l'article 37 procède à un aménagement
similaire pour l'articulation entre négociation de branche et
négociation d'entreprise. La possibilité pour un accord
d'entreprise de déroger à un accord de branche n'est ouverte que
si l'accord de branche ne l'interdit pas ou ne l'encadre pas. Mais l'accord de
branche reste toutefois impératif dans quatre domaines - les
salaires minima, les classifications, la protection sociale
complémentaire et la mutualisation des fonds de la formation
professionnelle - pour lesquels l'accord de branche doit conserver sa
fonction de « loi professionnelle ».
Un tel aménagement pourrait alors, en théorie, prendre deux
formes : soit la possibilité de dérogation est la
règle et devient alors possible sauf si l'accord de niveau
supérieur en dispose autrement, soit la possibilité de
dérogation est l'exception et doit alors être expressément
autorisée et encadrée par l'accord de niveau supérieur.
Le projet de loi, s'inscrivant en cela dans la continuité de la Position
commune, retient la première solution. Et c'est d'ailleurs fort logique
puisque, dans la mesure où l'autonomie est rendue possible tout en
étant régulée par les partenaires sociaux, le principe
doit l'emporter sur l'exception.
Ainsi, comme l'observe M. Jacques Barthélémy dans un
récent article
17
(
*
)
: «
L'aspect affectif ou culturel
des choses ne doit pas l'emporter sur la rigueur juridique : ou bien il y
a suspicion sur la capacité de l'accord d'entreprise à faire
réellement la loi des parties en raison de l'incertitude sur
l'équilibre contractuel et il faut proscrire toute
dérogation ; ou bien la dérogation doit être la
règle, simplement remise en cause exceptionnellement pour une raison
objectivement justifiée.
»
Au total, on passe donc d'une autonomie de l'accord strictement et
uniformément encadrée par la loi - sous la forme du plus
favorable - et difficile à mettre en oeuvre, à une autonomie
régulée par les partenaires sociaux eux-mêmes et donc
davantage adaptée à la nécessité, pour la
négociation collective, de prendre en considération les
spécificités du champ dans lequel elle aura à s'appliquer.
Dans ces conditions, que l'autonomie du niveau inférieur soit la
règle ou l'exception n'a finalement que peu d'importance puisque, dans
les deux cas, il reviendra aux partenaires sociaux de statuer sur le
caractère impératif ou non de l'accord de niveau supérieur
et sur la possibilité de dérogation au niveau inférieur.
Dès lors, c'est donc aux partenaires sociaux qu'il incombe de
définir, aux deux niveaux, les possibilités de dérogation.
Or, l'équilibre contractuel de telles possibilités de
dérogation sera à l'avenir mieux garanti par l'introduction du
principe majoritaire tant au niveau supérieur - pour statuer sur le
principe de la dérogation, mais aussi sur son champ et son
degré -, qu'au niveau inférieur pour organiser les
conditions de sa mise en oeuvre.
Il est bien entendu prématuré d'apprécier dès
maintenant les conséquences que pourrait avoir la nouvelle articulation
entre normes conventionnelles ici proposée. Mais les expériences
de décentralisation de la négociation collective
réalisées dans les autres pays européens montrent que
celle-ci n'entraîne pas de bouleversement de la hiérarchie des
normes et conduit à un développement maîtrisé des
accords collectifs à tous les niveaux.
C'est en tout cas l'analyse faite par l'Inspection générale des
affaires sociales (IGAS) dans un récent rapport
18
(
*
)
:
«
La décentralisation n'a pas entraîné la
disparition de la négociation collective. Elle a conduit les partenaires
sociaux de branche à se dessaisir volontairement, dans certains
domaines, de thèmes de négociation au profit du niveau de
l'entreprise. Les conventions de branche, jusqu'alors très
détaillées dans leurs stipulations, sont aujourd'hui devenues des
conventions-cadres, avec de larges ouvertures pour que les entreprises puissent
adapter ces stipulations à la situation locale dans les domaines des
salaires et du temps de travail principalement.
»
3. Favoriser le développement du dialogue social à tous les niveaux
Ces deux
réformes du droit à la négociation collective
- introduction du principe majoritaire et révision de
l'articulation des normes conventionnelles - n'auront toutefois de sens et
ne permettront le développement de la négociation collective que
si elles s'accompagnent d'une démarche parallèle visant à
lever les obstacles qui freinent encore l'exercice du dialogue social à
tous les niveaux.
A ce titre, le projet de loi, se fondant là encore sur la Position
commune du 16 juillet 2001, cherche à élargir le champ de la
négociation collective de diverses façons.
a) La prise en compte de la spécificité des petites entreprises
La
Position commune observait, à son point I-2, la faiblesse de la
négociation collective dans les petites entreprises :
«
Les conditions de fonctionnement du dialogue social peuvent
encore être améliorées tant les règles qui le
régissent présentent encore des insuffisances et des
éléments inadaptés aux PME, TPE et entreprises
artisanales.
(...)
« Le développement de la négociation collective ne
devrait pas être limité, au moins dans l'immédiat, par
l'absence d'une section syndicale dans l'entreprise
. »
L'
article 41
, reprenant à son compte les propositions de la
Position commune, introduit alors de nouvelles modalités de
négociation et de conclusion d'accords collectifs dans les entreprises
dépourvues de représentants syndicaux.
S'inspirant fortement de l'accord national interprofessionnel qui avait
été transposé par la loi du 12 novembre 1996, le
dispositif prévoit qu'un accord pourra être conclu, en l'absence
de délégués syndicaux, par le comité d'entreprise
ou les délégués du personnel ou, à défaut,
par un salarié mandaté à ce titre par une organisation
syndicale. Mais la mise en oeuvre de ces nouvelles possibilités de
négociation reste subordonnée à la conclusion
préalable d'un accord de branche qui en précise les
modalités.
b) La reconnaissance de l'accord de groupe
Alors
même que les groupes emploient aujourd'hui plus de la moitié des
salariés et peuvent constituer le lieu de négociation
approprié pour les questions d'intérêt commun, la
négociation de groupe n'est pas encore reconnue par le code du travail,
même si la jurisprudence la prend déjà en compte.
L'
article 40
consacre en droit le niveau du groupe pour la
négociation collective et précise le régime applicable
à ce niveau de négociation, en indiquant que la convention ou
l'accord de groupe suit, pour l'essentiel, le régime applicable à
la convention ou l'accord d'entreprise, tant pour ses effets que pour ses
règles de validité.
c) L'incitation au développement du dialogue social territorial
Le bilan
2002 de la négociation collective a souligné l'effacement
progressif de la négociation infranationale tant au niveau
interprofessionnel que professionnel.
Or, celui-ci peut constituer, dans certains cas, le niveau pertinent de
négociation notamment pour adapter les dispositions d'accords de
portée plus large aux spécificités d'un bassin d'emploi ou
pour traiter des questions d'emploi ou de formation, en particulier dans
certains bassins frappés par d'importantes restructurations.
La Position commune, à son point II-2, suggérait d'ailleurs des
solutions pour développer le dialogue social territorial :
«
La volonté des interlocuteurs sociaux d'élargir le
dialogue social doit également trouver une traduction concrète au
niveau territorial interprofessionnel. Ce dialogue social interprofessionnel
territorial, qui ne saurait avoir de capacité normative, doit être
l'occasion, à l'initiative des interlocuteurs concernés,
d'échanges et de débats réguliers sur le
développement local dans sa dimension sociale et économique. Les
commissions paritaires interprofessionnelles régionales de l'emploi
(COPIRE)
constituent, dans leur champ de compétence, un lieu
de développement de ce dialogue social
. »
L'
article 42
du projet de loi prévoit donc d'organiser ce
dialogue social territorial en permettant, par voie d'accord, la mise en place
de commissions paritaires territoriales professionnelles ou
interprofessionnelles.
Ce faisant, il modifie le champ et les missions des commissions paritaires
déjà prévues par l'article L. 132-30 du code du
travail pour renforcer leur rôle.
d) L'instauration d'un droit de saisine des organisations syndicales
L'exercice effectif de la négociation suppose à
l'évidence l'existence d'un réel équilibre des parties
garantissant notamment leur capacité d'initiative à l'engagement
d'une négociation.
A ce titre, la Position commune a souhaité, à son point II-3,
l'instauration d'un droit de saisine des organisations syndicales :
«
Ce droit a pour objet d'éviter que des demandes
adressées par les organisations syndicales de salariés restent
sans réponse et que l'équilibre des parties soit assuré y
compris en matière de droit d'initiative.
« La négociation de branche fixera les modalités de la
saisine tant au niveau de la branche que de l'entreprise, en fonction des
pratiques de la profession et des caractéristiques des entreprises qui
la composent telle que, par exemple, l'inscription à l'ordre du jour
d'une réunion paritaire annuelle des demandes adressées par les
organisations syndicales depuis la dernière réunion et qui
n'auraient pas reçu de réponse de la partie patronale dans
l'intervalle.
« Au niveau national interprofessionnel, l'engagement sera pris de
donner une réponse à toute demande émanant d'une
organisation syndicale représentative.
« Cette nouvelle obligation de réponse patronale à une
saisine syndicale constitue la réponse à d'éventuelles
nouvelles obligations légales de négocier sur des thèmes
facultatifs.
»
L'
article 44
constitue la traduction de cette demande. Ce droit de
saisine s'appliquera tant au niveau de la branche que de l'entreprise et ses
modalités de mise en oeuvre sont, conformément à la
Position commune, définies par accord de branche.
e) Le renforcement des moyens du dialogue social
Au-delà de l'introduction d'un droit de saisine,
l'équilibre contractuel suppose également que les parties, et
notamment la partie syndicale, disposent des moyens leur permettant d'exercer
leurs missions dans les meilleures conditions.
A ce titre, la Position commune formulait deux suggestions.
La première a trait aux conditions d'accès et d'utilisation des
nouvelles technologies de l'information et de la communication par les
organisations syndicales.
La Position commune précisait ainsi, à son point II-4 :
«
Les branches s'emploieront paritairement à définir
des orientations pour un code de bonne conduite relatif aux modalités
d'accès et d'utilisation des NTIC par les organisations syndicales de
salariés dans les entreprises, à partir d'un seuil d'effectifs
fixé par la branche.
»
La seconde concerne la reconnaissance des interlocuteurs syndicaux et les
conditions d'exercice du dialogue social, sujets abordés au point II-1
de la Position commune :
«
La négociation de branche devra rechercher des
dispositions facilitant le déroulement de carrière et l'exercice
de leurs fonctions des salariés exerçant des
responsabilités syndicales ainsi que des mesures destinées
à renforcer l'effectivité de la représentation collective
dans les entreprises.
« Une telle démarche participe de la cohérence
d'ensemble du dispositif. Elle passe en priorité par la mobilisation des
dispositifs légaux et conventionnels existants. Ainsi, la reconnaissance
réciproque des interlocuteurs syndicaux et patronaux dans leur
identité et leurs responsabilités respectives constituent, par
définition, une condition de l'existence d'un véritable dialogue
social. Elle se doit d'être actée paritairement et de trouver en
outre une traduction concrète dans le renvoi aux branches
professionnelles de négociations sur le déroulement de
carrière des salariés exerçant des responsabilités
syndicales de façon à s'assurer que l'exercice normal de telles
responsabilités ne pénalise pas l'évolution
professionnelle des intéressés.
« L'objectif de telles négociations est de définir un
certain nombre « d'actions positives » destinées
à donner une traduction concrète au principe, posé par le
code du travail, de non-discrimination en raison de l'exercice
d'activités syndicales. Dans cette perspective, les négociateurs
de branche organiseront dans les meilleurs délais leurs
réflexions autour de plusieurs thèmes tels que :
«
-
conciliation de l'activité
professionnelle et de l'exercice de mandats représentatifs,
«
-
mise en oeuvre de l'égalité de
traitement (en matière de rémunération, d'accès
à la formation, de déroulement de carrière...) entre les
détenteurs d'un mandat représentatif et les autres
salariés de l'entreprise,
«
-
droit, garanties et conditions d'exercice d'un
mandat syndical extérieur à l'entreprise au regard du contrat de
travail,
«
-
prise en compte de l'expérience acquise
dans l'exercice d'un mandat dans le déroulement de carrière de
l'intéressé,
«
-
optimisation des conditions d'accès au
congé de formation économique, sociale et syndicale en vue de
faciliter la formation des négociateurs salariés.
»
Le projet de loi reprend à son tour ces deux propositions en les
organisant.
L'
article 45
reconnaît ainsi, tout en l'encadrant, la
possibilité pour les organisations syndicales de diffuser des
informations de nature syndicale soit par messagerie électronique, soit
sur le site intranet de l'entreprise dans des conditions fixées par
accord d'entreprise.
L'
article 46
améliore les conditions d'exercice du droit
syndical en exigeant que l'accord de branche organise effectivement le
déroulement de carrière et d'exercice des fonctions des
salariés assurant des responsabilités syndicales, et qu'il
précise aussi les conditions d'exercice, au niveau de la branche, des
mandats de négociation et de représentation pour ces
salariés.
*
* *
L'Assemblée nationale, lors de l'examen du texte en
première lecture, n'a que peu modifié les dispositions des titres
II et III du présent projet de loi. Il est vrai qu'il repose sur un
équilibre fragile en étant le fruit d'une négociation
aménagée, sur certains points, après une large
consultation des partenaires sociaux.
Elle n'en a pas moins apporté
trois types de modifications
d'une
portée non négligeable.
Les premières visent à apporter des
précisions
techniques
, souvent d'importance significative.
A cet égard, elles tendent d'abord à mieux préciser ou
à mieux encadrer les dispositions prévues de manière
à garantir leur portée et leur effectivité. A titre
d'exemple, on peut notamment citer les modifications apportées à
l'article 34 précisant les conditions d'application du principe
majoritaire en cas de carence d'élections professionnelles, à
l'article 38 dont la nouvelle rédaction redéfinit les
conditions dans lesquelles une disposition législative pourra être
mise en oeuvre par accord d'entreprise ou, à l'article 41,
relatives aux conditions de mise en oeuvre du mandatement. Ces modifications
seront abordées à l'occasion de l'examen des articles.
Mais elles peuvent aussi tirer, plus généralement, les
conséquences des dispositions du projet de loi sur d'autres
règles de la négociation collective. Ainsi, le nouvel article 34
ter
relatif à l'incorporation des accords de branche dans les
conventions de branche résulte largement de l'article 39 sur la
sécurisation.
Les deuxièmes modifications apportées par l'Assemblée
nationale visent à
transposer au plus près dans la loi des
dispositions de la Position commune qui n'étaient pas
intégrées dans le projet de loi initial
. Ainsi, le nouvel
article 38
bis
instituant des observatoires paritaires de la
négociation collective reprend une proposition similaire des partenaires
sociaux formulée au point I-1 de la Position commune.
Les dernières modifications tendent à
compléter le
texte par de nouvelles dispositions
.
Celles-ci peuvent alors avoir pour objet de résoudre certaines
difficultés d'application du droit de la négociation collective,
non abordées par les partenaires sociaux dans la Position commune. C'est
le cas par exemple du nouvel article 34
bis
qui précise les
conditions du rattachement conventionnel d'une entreprise exerçant
plusieurs activités économiques.
Mais elles peuvent également avoir pour objet d'aborder d'autres
questions certes importantes et urgentes, mais dont le lien avec le droit de la
négociation collective est plus ténu. Ainsi, le nouvel article 43
bis
concerne la période transitoire pour l'imputation des heures
supplémentaires dans les entreprises de moins de vingt salariés
et l'article 51 est relatif aux missions des services d'aide à
domicile.
C. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION
Votre
rapporteur a déjà insisté sur l'équilibre fragile
du projet de loi qui reprend pour l'essentiel la Position commune du 16 juillet
2001, enrichie sur certains points par le fruit des consultations conduites
ultérieurement par le Gouvernement.
Aussi, votre commission n'a-t-elle pas souhaité revenir sur
l'équilibre du texte soumis au Sénat. Elle a cherché, en
priorité, à s'assurer que ce texte « colle »
au plus près à la Position commune. En ce sens, elle a tenu
à faire droit à la demande expressément formulée
par les partenaires sociaux en conclusion de la Position commune :
«
Les mesures proposées dans le présent document
correspondent à un équilibre d'ensemble. Les parties signataires
engageront les démarches nécessaires auprès des pouvoirs
publics pour leur demander de prendre en compte les éléments de
la présente position et d'adopter les dispositions relevant de leur
compétence nécessaires à sa mise en oeuvre dans le respect
de l'équilibre auquel elles sont parvenues
. »
Dans ces conditions, elle n'a pas voulu modifier certains aspects de notre
droit de la négociation collective qui mériteraient pourtant,
à l'évidence, d'être aménagés. Ainsi, il ne
lui a pas semblé souhaitable de modifier dès à
présent les règles de représentativité syndicale,
qui nécessitent un sérieux toilettage, ni les règles de
conduite des négociations. De la même manière, elle n'a pas
cherché à explorer certaines autres pistes de réforme,
esquissées notamment dans le rapport présenté par la
commission présidée par M. Michel de Virville, comme
l'institution d'un conseil d'entreprise, la mise en place de commissions
paritaires d'interprétation des accords collectifs de travail ou
l'instauration d'un délai de forclusion pour tout recours en annulation
d'un texte conventionnel. Si ces pistes méritent certes d'être
explorées plus avant, cela semble d'autant plus prématuré
dans le cadre du présent projet de loi que le Gouvernement a
annoncé son intention d'engager une consultation des partenaires sociaux
sur ces propositions qui pourraient alors être plus utilement
examinées dans le cadre de la future loi de mobilisation pour l'emploi
annoncée par le Président de la République.
Pour autant, et dans la continuité de la démarche engagée
à l'Assemblée nationale, il a semblé nécessaire
à votre commission de préciser et de compléter le projet
de loi afin de permettre la mise en application de la future loi dans les
meilleures conditions en l'entourant des garanties nécessaires,
notamment en termes de sécurité juridique.
Mais, au-delà, votre commission a également choisi d'enrichir le
projet de loi par un certain nombre de dispositions relatives à la
participation, compte tenu du rôle que celle-ci a joué, et joue
encore, dans le développement du dialogue social.
1. Apporter certains aménagements techniques
Votre
commission a tout d'abord souhaité
garantir la portée de la
loi
en s'assurant de son effectivité.
Elle a ainsi souhaité que certains accords de branche soient des accords
de branche étendus afin qu'ils puissent s'appliquer à l'ensemble
des entreprises. C'est par exemple le cas à l'article 34, pour
l'accord instituant les règles de validité applicables aux
accords d'entreprise, ou à l'article 41, pour l'accord permettant
la mise en oeuvre de nouvelles modalités de conclusion des accords dans
les petites entreprises.
Elle a de même jugé nécessaire de faire figurer, parmi les
clauses obligatoires de la convention de branche, certaines dispositions
structurantes. C'est le cas notamment pour le « droit de
saisine » prévu à l'article 44.
Votre commission a également cherché à
compléter
le texte
, parfois excessivement bref, en lui apportant les
précisions qui lui ont paru indispensables.
Ainsi, à l'article 40, elle a estimé nécessaire de
préciser le régime applicable à l'accord de groupe en
indiquant les parties prenantes à la négociation - et en
créant par là même un « coordonnateur syndical de
groupe » - et en spécifiant ses conditions de
validité.
De la même manière, elle a souhaité préciser les
conditions de validité des accords conclus avec les représentants
élus du personnel dans le cadre de l'article 41.
Elle a aussi cherché à mieux définir le statut des
négociateurs représentant les salariés et a apporté
plusieurs modifications en ce sens aux articles 41, 42 et 43.
Votre commission a enfin tenu à
s'assurer de la
sécurité juridique
du dispositif.
A ce titre, elle vous proposera notamment une nouvelle rédaction de
l'article 38 relatif à la mise en oeuvre de dispositions
législatives par accord d'entreprise.
Elle vous présentera en outre un amendement à l'article 41
précisant les conditions de mise en oeuvre des nouvelles
modalités de conclusion des accords dans les petites
entreprises.
2. Introduire un nouveau volet relatif à la participation
Au-delà de ces aménagements techniques, votre
commission a souhaité enrichir le texte par un nouveau volet relatif
à la participation. Elle est en effet convaincue que la diffusion de la
participation constitue l'un des éléments qui, par ses vertus
pédagogiques, a favorisé le développement du dialogue
social dans notre pays. Son rôle en la matière reste d'ailleurs
moteur : en 2002, ce sont ainsi plus de 10.000 accords d'entreprise,
sur les 28.000 signés, qui traitaient de la participation, de
l'intéressement ou de l'épargne salariale.
Certes, il ne s'agit pas pour elle, loin s'en faut, d'engager, dans le cadre du
présent projet de loi, une réforme d'ensemble de nos dispositifs
de participation. Il est d'ailleurs encore trop tôt pour pouvoir dresser
un premier bilan de la loi du 19 février 2001 sur l'épargne
salariale qui semble avoir largement contribué à relancer la
négociation collective en ce domaine. Et votre commission observe
à cet égard que cette loi a d'ores et déjà repris
l'essentiel des propositions qu'elle avait formulées dès
1999
19
(
*
)
.
Aussi, les propositions de votre commission visent, plus modestement et dans
une approche pragmatique, à lever certains obstacles législatifs
qui entravent encore le développement de la participation, en
particulier dans les petites entreprises, et à encourager la
négociation collective en la matière.
Ses propositions sont les suivantes :
- favoriser la mise en place des plans d'épargne d'entreprise (PEE)
par accord avec le personnel en mettant fin à la possibilité de
l'octroyer dans les entreprises où la conclusion de tels accords est
envisageable ;
- introduire, dans les petites entreprises, un
« rendez-vous » triennal pour examiner les conditions de
mise en place de l'intéressement, de la participation ou d'un dispositif
d'épargne salariale ;
- rétablir le régime fiscal applicable à la reprise
de l'entreprise par ses salariés (RES) pour les salariés
adhérents à un PEE ;
- faciliter l'essor de l'intéressement dans les entreprises de
moins de cent salariés en autorisant, sous conditions, le chef
d'entreprise à en bénéficier ;
- adapter l'intéressement à la dimension européenne
des entreprises françaises en reconnaissant l'existence d'accords
d'intéressement européens ;
- faciliter le franchissement du seuil de cinquante salariés
pour les entreprises ayant conclu un accord d'intéressement, en ne
rendant obligatoire la mise en place de la participation qu'à
l'expiration de l'accord d'intéressement ;
- assujettir à la participation les entreprises
exonérées d'impôt, notamment dans les zones franches.
*
* *
Sous réserve de ces observations et de l'adoption des amendements présentés ci-après, votre commission vous demande d'adopter les titres II et III du présent projet de loi.
EXAMEN DES ARTICLES
TITRE II
-
DU DIALOGUE SOCIAL
Article 34
(art. L. 132-2-2 du
code du travail)
Règles de conclusion des accords
collectifs
Objet : Cet article vise à modifier les
règles actuelles de conclusion des accords collectifs de travail afin de
renforcer leur légitimité. Il introduit le principe majoritaire
en vertu duquel un accord n'est valide que s'il recueille la signature d'une ou
plusieurs organisations syndicales majoritaires ou, à défaut, ne
fait pas l'objet d'une opposition de leur part. Ce principe est toutefois
décliné de manière différente selon le niveau de
négociation et organisé par les partenaires sociaux
eux-mêmes dans le cadre d'accords de branche.
I - Le dispositif proposé
A l'heure actuelle, les modalités de conclusion d'une convention ou d'un
accord collectif de travail sont régies par les dispositions de
l'article L. 132-2 du code du travail.
En application de cet article, la convention ou l'accord collectif de travail
est conclu entre :
- d'une part, une ou plusieurs organisations syndicales d'employeurs, un
groupement d'employeurs ou un ou plusieurs employeurs pris
individuellement ;
- d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de
salariés reconnues représentatives sur le plan national,
affiliées à l'une de ces organisations ou ayant fait la preuve de
sa représentativité dans le champ de l'accord.
Il en résulte qu'un accord peut être valablement conclu, et
s'appliquer alors à la totalité des salariés couverts par
son champ d'application, dès lors qu'une seule organisation syndicale en
est signataire, quelle que soit son audience réelle, du moment qu'elle a
fait la preuve de sa représentativité ou qu'elle
bénéficie d'une présomption irréfragable de
représentativité
20
(
*
)
.
Le présent article, qui ne concerne que les organisations syndicales de
salariés, ne modifie pas la rédaction actuelle de l'article
L. 132-2 du code du travail et ne revient donc ni sur le monopole syndical
pour la négociation et la conclusion des accords, ni sur l'exigence de
représentativité.
En revanche, en introduisant un nouvel article L. 132-2-2 dans le code du
travail, il ajoute une exigence supplémentaire pour la validité
de conclusion des accords : celle du
principe majoritaire
. Dans ce
cadre, l'accord ne sera désormais valide que s'il est conclu par une ou
plusieurs organisations syndicales majoritaires ou, à défaut,
s'il ne fait pas l'objet d'une opposition de la part de celles-ci. Mais c'est,
pour l'essentiel, à l'accord de branche qu'il revient de
déterminer les modalités d'application de ce principe majoritaire.
Ce nouvel article décline alors le principe majoritaire selon des
modalités propres à chaque niveau de négociation :
niveau interprofessionnel (paragraphe I), niveau de la branche (paragraphe II),
niveau de l'entreprise (paragraphe III). Les paragraphes IV et V
précisent ses conditions de notification et d'exercice, ainsi que les
effets du droit d'opposition.
Le
paragraphe I
traite des conditions de validité des accords
interprofessionnels, qu'ils soient nationaux ou territoriaux. Leur
validité est subordonnée à l'absence d'opposition de la
majorité des organisations syndicales représentatives dans le
champ de l'application de l'accord, celles-ci disposant alors d'un délai
de quinze jours à compter de la date de notification de l'accord pour
exercer leur droit d'opposition.
Cette disposition a vocation à s'appliquer à l'ensemble des
accords collectifs interprofessionnels, quelle que soit leur
spécificité par ailleurs. Elle semble ainsi devoir s'appliquer
aux accords visés à l'article L. 352-1 du code du travail relatif
au régime d'assurance chômage.
En pratique, et compte tenu des règles actuelles de
représentativité, un accord interprofessionnel sera valide,
même s'il n'est signé que par une seule organisation syndicale,
sauf si trois organisations syndicales représentatives (sur les quatre
ou cinq reconnues comme telles)
21
(
*
)
s'y opposent.
Le
paragraphe II
détermine les règles de conclusion des
conventions de branche et des accords professionnels, qu'ils soient là
encore nationaux ou infranationaux. Il renvoie à la négociation
de branche le soin de déterminer les conditions de validité des
accords conclus dans son champ professionnel. Si un
« accord-cadre » ou un « accord de
méthode » est conclu sur ce sujet, la majorité
d'engagement devient, à l'avenir, la règle. A défaut,
c'est le droit d'opposition qui s'applique.
Au niveau professionnel, la majorité d'engagement est donc
théoriquement la règle. Mais encore faut-il qu'un
« accord-cadre » le prévoie et en organise les
modalités.
Pour ce faire, il est prévu que
l'« accord-cadre »
22
(
*
)
respecte deux conditions :
- avoir été étendu préalablement par le
ministre chargé du travail ;
- avoir été conclu dans les mêmes conditions que
celles prévues au I (soit l'absence d'opposition de la majorité
des organisations syndicales représentatives).
Cet « accord de méthode » doit alors
déterminer les conditions d'appréciation à venir de la
majorité d'engagement applicable aux accords ultérieurs. Deux
options sont ici ouvertes :
- soit elle sera appréciée au vu d'une consultation
spécifique et périodique des salariés visant à
mesurer la représentativité des organisations syndicales de la
branche
23
(
*
)
. Dans ce cas,
c'est à l'« accord de méthode » qu'il revient
de fixer les modalités et la périodicité de cette
consultation. Le présent article ne laisse pourtant pas toute latitude
à cet accord puisqu'il apporte trois précisions d'importance sur
cette consultation. Le corps électoral est composé des
salariés pouvant être électeurs pour les élections
du comité d'entreprise ou des délégués du
personnel
24
(
*
)
. La
consultation doit respecter les principes généraux du droit
électoral (liberté de vote, secret du suffrage,
égalité devant le suffrage...). Le contentieux relève du
juge judiciaire ;
- soit elle sera appréciée au vu des résultats des
dernières élections au comité d'entreprise, ou à
défaut, des délégués du personnel. Dans ce cas,
l'« accord de méthode » doit fixer les
modalités de décompte des résultats de ces
élections.
A défaut d'un tel « accord de méthode »,
c'est le droit d'opposition prévu au I (soit l'opposition de la
majorité des organisations représentatives) qui s'applique. On
notera qu'au niveau des branches le nombre d'organisations
représentatives peut dépasser les cinq bénéficiant
de la présomption irréfragable dans la mesure où le
ministre du travail a pu reconnaître la représentativité
d'autres organisations.
Le
paragraphe III
précise les conditions de validité des
conventions et accords d'entreprise ou d'établissement. Là
encore, il renvoie à la négociation de branche le soin de
déterminer les conditions de validité de ces accords. Il
appartiendra en effet à une convention ou un accord de branche de mettre
en oeuvre le principe majoritaire soit sous forme de majorité
d'engagement, soit sous forme d'absence d'opposition. A défaut d'un tel
« accord de méthode », c'est le droit d'opposition
qui s'applique.
A la différence du niveau de la branche, la majorité d'engagement
n'est donc pas théoriquement la règle. Deux solutions
alternatives (majorité d'engagement ou absence d'opposition) sont en
effet mises sur un pied d'égalité, l'« accord de
méthode » devant alors opter pour l'une ou l'autre de ces
solutions.
On observera qu'un tel « accord de méthode »,
même s'il est également conclu au niveau de la branche, n'est pas
forcément le même que celui qui détermine les conditions de
validité des accords de branche. D'une part, cet accord ne doit pas
être nécessairement étendu. D'autre part, il peut
être conclu soit sous la forme de la majorité d'engagement, soit
sous la forme d'absence d'opposition.
La première solution (1°) est celle de
l'accord majoritaire
.
Dans ce cas, l'accord n'est valide que si les organisations signataires ont
recueilli au moins la moitié des suffrages exprimés lors des
dernières élections au comité d'entreprise ou, à
défaut, des délégués du personnel. Toutefois, si
cette condition n'est pas réunie, l'accord peut néanmoins
être valide s'il est soumis à l'approbation des salariés de
l'entreprise. Un décret précisera les modalités de cette
consultation. Il appartiendra notamment au décret de déterminer,
dans le respect des principes généraux du droit électoral,
les salariés appelés à participer à cette
consultation, les informations dont ils doivent disposer pour pouvoir exercer
leur vote de manière éclairée et les modalités
pratiques d'organisation et de déroulement du vote (et en particulier
les délais dans lesquels la consultation est organisée). Mais il
est néanmoins prévu que l'initiative de cette consultation
relève de la seule responsabilité des organisations syndicales
signataires (et non pas des organisations patronales), les organisations non
signataires pouvant toutefois s'y associer.
La seconde solution (2°) est celle de
l'absence d'opposition
de la
part des organisations syndicales ayant recueilli la majorité des
suffrages exprimés lors des dernières élections
professionnelles, cette opposition pouvant alors être exprimée
dans un délai de huit jours à compter de la date de notification
de l'accord
25
(
*
)
. A cet
égard, il conviendra notamment, même si ce n'est pas
précisé, que l'« accord de méthode »
détermine les règles de calcul de la majorité lorsque
plusieurs organisations syndicales ont formé des « listes
d'entente » lors des élections professionnelles.
On observera toutefois que le mode de calcul de la condition de majorité
est, dans les deux cas, adapté pour les accords visant une
catégorie professionnelle constituant un collège
particulier
26
(
*
)
. Dans ce
cas, la condition de majorité est appréciée au regard des
résultats obtenus dans le collège en question.
A défaut d'« accord de méthode », c'est
automatiquement la seconde solution (soit le droit d'opposition
mentionné au 2°) qui s'applique.
Le
paragraphe IV
précise les conditions de notification de
l'accord, conditions qui revêtent une importance toute
particulière dans la mesure où la notification déclenche
l'ouverture du délai pour l'exercice du droit d'opposition. Il
appartient, conformément aux principes traditionnels de
dépôt des accords, à la partie la plus diligente des
organisations signataires (patronales ou salariées) de notifier le texte
de l'accord à l'ensemble des organisations représentatives.
Il va de soi, même si ce n'est pas expressément
précisé, que cette notification doit prendre la forme de la
transmission de l'accord signé afin que les organisations syndicales non
signataires bénéficient d'une information suffisante pour exercer
valablement, le cas échéant, leur droit d'opposition.
Le
paragraphe V
détermine enfin les conditions d'exercice du
droit d'opposition et ses conséquences.
Les conditions de l'exercice du droit d'opposition sont classiques :
l'opposition est écrite et motivée, elle fait état des
points de désaccord et elle est notifiée aux signataires.
Ses conséquences - ainsi que celles des accords n'ayant pas obtenu
l'approbation de la majorité des salariés - sont
radicales : les textes frappés d'opposition sont
réputés non écrits et donc privés de toute valeur
juridique.
On observera toutefois qu'en cas d'opposition, la mise en oeuvre d'une
disposition prévue par l'accord invalidé, mais qui n'est pas
subordonnée à la conclusion d'un accord collectif, peut faire
l'objet d'une mesure unilatérale de l'employeur, dans le respect bien
entendu du principe de faveur.
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale a adopté, à l'initiative de sa
commission et avec l'avis favorable du Gouvernement, plusieurs amendements de
précision dont certains revêtent une importance
significative :
- un amendement visant à préciser que le juge
compétent pour apprécier des litiges relatifs aux
« élections de représentativité » de
branche est le tribunal de grande instance, traditionnellement compétent
pour les litiges ayant trait à la négociation collective ;
- un amendement tendant à supprimer une disposition inutile du
texte initial relatif aux conditions de renouvellement, de révision ou
de dénonciation de l'« accord de méthode »
organisant les conditions de validité des accords de branche, dans la
mesure où les conditions applicables sont celles du droit commun ;
- un amendement précisant les modes de calcul de la majorité
aux élections professionnelles pour apprécier la validité
d'un accord d'entreprise. Il prévoit que cette majorité
s'évalue au vu des résultats du premier tour de ces
élections, celles-ci pouvant en comporter deux si le nombre de votants
au premier tour est inférieur à la moitié des
électeurs inscrits ;
- un amendement indiquant que l'« accord de
méthode » conclu au niveau des branches pour déterminer
les conditions de validité des accords d'entreprise doit être
étendu ;
- un amendement précisant les conditions de dépôt des
accords, les accords ayant été conclus selon le principe de la
majorité d'engagement pouvant alors être déposés
avant l'expiration du délai d'opposition puisque celui-ci ne leur est
pas applicable.
En outre, l'Assemblée nationale a adopté, au cours d'une seconde
délibération, un amendement du Gouvernement visant à
combler un vide juridique. S'agissant des modalités de validité
des accords d'entreprise qui reposent, dans les deux solutions envisageables
(majorité d'engagement ou absence d'opposition), sur une condition de
majorité appréciée au vu des résultats des
dernières élections professionnelles, le texte initial ne
prévoyait en effet rien en cas de carence d'élections
professionnelles. Cela était source d'incertitude pour la
validité des accords conclus dans les entreprises ayant au moins un
délégué syndical, mais pas d'institution
représentative du personnel. Dans ce cas, l'amendement prévoit
que la validité d'un accord signé par le
délégué du personnel est subordonnée à
l'approbation par la majorité des salariés.
III - La position de votre commission
Votre commission ne peut que faire sien le souci exprimé par la Position
commune du 16 juillet 2001 de revoir le mode de conclusion des accords pour en
renforcer la légitimité :
« La volonté d'élargir les attributions
conférées à la négociation collective et d'assurer
son développement nécessite la définition d'un mode de
conclusion des accords qui, sans remettre en cause la capacité de chaque
organisation syndicale représentative d'engager l'ensemble des
salariés, renforce la légitimité des accords et garantisse
l'équilibre de la négociation. »
Elle ne reviendra pas ici sur l'analyse des imperfections du mode actuel de
conclusion des accords, mais s'attardera, en revanche, sur le dispositif
proposé.
Elle observe à ce propos que l'exigence d'une condition renforcée
de légitimité n'est pas inédite. Outre les droits
d'opposition introduits par la loi du 13 novembre 1982 à la
conclusion d'« accords dérogatoires » et par la loi
du 31 décembre 1992 à la révision
« à la baisse » d'un accord, deux dispositifs
récents ont introduit une telle exigence :
- l'article 19 de la loi du 19 janvier 2000 relative à la
réduction négociée du temps de travail subordonnait
l'octroi des aides liées à cette réduction à la
conclusion d'un accord d'entreprise
« signé par une ou des
organisations syndicales représentatives dans l'entreprise ayant
recueilli la majorité des suffrages exprimés lors des
dernières élections au comité d'entreprise ou, à
défaut, des délégués du personnel »
.
Si cette condition n'était pas satisfaite, une consultation du personnel
pouvait alors être organisée à la demande d'une ou de
plusieurs organisations signataires ;
- l'article 2 de la loi du 3 janvier 2003 portant relance de la
négociation collective en matière de licenciements
économiques a, pour sa part, prévu que la validité des
« accords de méthode » prévoyant un
aménagement des conditions d'information et de consultation du
comité d'entreprise en cas de licenciements collectifs est
subordonnée
« à leur signature par une ou plusieurs
organisations syndicales représentatives dans l'entreprise ayant
recueilli la majorité des suffrages exprimés lors du premier tour
des dernières élections au comité
d'entreprise »
.
Le présent article a bien évidemment une portée plus
générale, conformément en cela à la Position
commune.
Mais, s'il s'en inspire très fortement, il ne s'en écarte
toutefois pas moins sur plusieurs points.
Ainsi, elle ne prévoyait qu'un système
« transitoire », c'est-à-dire expérimental,
alors que le projet de loi pérennise le nouveau dispositif en le
codifiant dans le code du travail. On observera toutefois que l'article 49
du projet de loi prévoit une évaluation du présent titre,
au plus tard au 31 décembre 2007, qui pourrait servir de fondement
à une adaptation de ces nouvelles règles.
Pour les accords interprofessionnels, la Position commune ne proposait
l'introduction du droit d'opposition que pour les accords nationaux, alors que
le présent article l'applique également, par cohérence,
aux accords infranationaux.
Pour les accords de branche, elle ne retenait pas l'idée
d'« accords de méthode » définissant les
règles de conclusion des accords tant au niveau de la branche que de
l'entreprise et se bornait au seul principe de l'absence d'opposition
majoritaire, en ignorant notamment toute élection de
représentativité de branche.
Pour les accords d'entreprise, elle subordonnait leur entrée en vigueur
à l'une ou l'autre des modalités retenues par le présent
article sans qu'il revienne à l'accord de branche de statuer sur la
solution à retenir. Mais il est vrai qu'il est difficile pour un accord
d'entreprise de statuer sur ses propres conditions de validité. Par
ailleurs, la condition de majorité s'appréciait au regard des
« votants » et non des suffrages exprimés.
Mode de conclusion des accords collectifs
|
Droit actuel |
Position commune du 16 juillet 2001 |
Projet de loi |
Accord interprofessionnel |
Signature d'une organisation syndicale
|
Droit d'opposition de la majorité des organisations syndicales représentatives |
|
Accord de branche |
Signature d'une organisation syndicale
|
Droit d'opposition de la majorité des organisations syndicales représentatives |
1/ Si accord de méthode : |
Majorité d'engagement
par les organisations syndicales
représentant une majorité de salariés de la
branche
|
|||
2/ S'il n'y pas accord de méthode :
|
|||
Accord d'entreprise |
Signature d'une organisation syndicale |
1/ Si la branche le
prévoit :
|
1/ Si la branche le
prévoit :
|
Droit
d'opposition limité :
|
2/ Si la branche ne prévoit
rien :
|
2/ Si la branche ne prévoit rien :
|
|
- à la révision d'un accord supprimant un avantage d'une ou plusieurs organisations syndicales non signataires ayant recueilli les voix de plus de 50 % des inscrits aux dernières élections professionnelles ( art. L. 132-7 ) |
|
|
Pour
autant, au-delà de ces divergences, le présent article reprend
très largement l'esprit de la Position commune en n'imposant pas
l'accord majoritaire à tous les niveaux et en permettant à la
négociation collective de statuer, dans le cadre des possibilités
offertes par la loi, sur les règles de validité applicables.
En ce sens, si le dispositif proposé apparaît complexe, c'est
avant tout parce qu'il cherche à prendre en compte les
spécificités de chaque niveau de négociation et à
accorder une réelle latitude aux partenaires sociaux pour assurer sa
mise en oeuvre. Il appartiendra en effet aux accords de branche d'organiser le
dispositif.
Dès lors, sa mise en application dépendra en définitive de
ce qu'en feront les partenaires sociaux. En l'état actuel, c'est certes
le droit d'opposition qui est favorisé, comme le prévoyait
d'ailleurs la Position commune. Mais il s'agit d'un droit d'opposition bien
plus large et bien plus effectif que ceux déjà prévus par
le code du travail en matière d'accords dérogatoires et de
révision des accords
27
(
*
)
, qui avaient en réalité
été construits pour ne pas s'appliquer et qui d'ailleurs n'ont
été que peu utilisés
28
(
*
)
.
En ce sens, les nouvelles règles de conclusion des accords sont
porteuses d'une profonde évolution même si, d'une certaine
manière, elles ménagent l'existant - il reste possible que
l'accord ne soit conclu que par une seule organisation si l'opposition n'est
pas exercée. Elles présentent l'intérêt majeur de
permettre aux partenaires sociaux d'expérimenter, branche par branche,
l'évolution vers l'accord majoritaire sans faire courir le risque d'un
blocage de la négociation collective qui aurait pu résulter d'une
généralisation immédiate de la majorité
d'engagement.
Mais, si le dispositif proposé lui paraît alors
équilibré et correspond largement à l'esprit de la
Position commune, votre commission vous proposera toutefois d'adopter un
certain nombre d'amendements de précision.
Elle vous proposera également d'adopter un
amendement
spécifiant la nature de l'« accord de
méthode » conclu au niveau de la branche pour décider
des conditions de validité des accords d'entreprise. En effet, la
rédaction actuelle est ambiguë : elle indique d'abord (au
premier alinéa du III) que l'accord de méthode n'est pas
étendu mais ensuite (au dernier alinéa du III) elle
précise qu'il l'est... Il importe pourtant que cet accord de
méthode soit étendu afin que les mêmes règles de
validité des accords d'entreprise s'appliquent à l'ensemble des
entreprises de la branche. Cela est conforme au rôle régulateur
qu'entend donner cet article à la branche. A défaut d'extension,
l'« accord de méthode » ne s'appliquerait qu'aux
seules entreprises adhérentes à une organisation patronale
signataire.
Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi
amendé.
Article 34 bis
(nouveau)
(art. L. 132-5-1 nouveau du code du
travail)
Détermination de la convention collective applicable
en
cas d'activités multiples
Objet : Cet article vise à préciser les
règles de rattachement de l'entreprise aux conventions collectives et
à organiser ce rattachement pour les entreprises à
activités multiples en introduisant, sous conditions, un droit
d'option.
I - Le dispositif proposé
Cet article a été introduit à l'Assemblée
nationale, à l'initiative de la commission et avec avis favorable du
Gouvernement.
Le champ d'application des conventions collectives relève
traditionnellement de la seule responsabilité des partenaires sociaux.
Il leur appartient de définir le domaine territorial et professionnel de
leur accord. Cette règle, qui n'est qu'une manifestation parmi d'autres
de la liberté conventionnelle que la loi reconnaît aux partenaires
sociaux, figure, depuis la loi du 13 novembre 1982, à
l'article L. 132-5 du code du travail aux termes duquel
« l
es conventions et accords collectifs de travail
déterminent leur champ d'application territorial et
professionnel
».
Cette liberté est toutefois encadrée.
L'article L. 132-5 précise ainsi que «
le champ
d'application professionnel est défini en termes d'activité
économique
». Dès lors, le rattachement d'une
entreprise à une convention de branche ou à un accord
professionnel dépend en principe de son activité
économique principale.
Il reste que la détermination du texte conventionnel applicable peut se
trouver compliquée dans les faits lorsque l'entreprise exerce plusieurs
activités économiques susceptibles de relever de champs
conventionnels différents. Or, la fluctuation du chiffre d'affaires de
l'entreprise ou du nombre de salariés liés à l'une ou
l'autre des activités, critères éminemment variables
retenus par la jurisprudence pour déterminer l'activité
principale exercée, ne permet pas toujours de déterminer avec
certitude le régime conventionnel applicable.
Aussi les partenaires sociaux ne se sont pas toujours contentés de
délimiter les activités couvertes par leur convention et ont
parfois prévu une clause d'option. Cette clause, que l'on trouve dans
les conventions de branche, peut avoir deux finalités :
- tantôt la clause, insérée dans une convention
collective nouvellement conclue, permet aux entreprises qui appliquent
déjà une convention de branche, de continuer de l'appliquer. On
parle alors de clause de
statu quo
conventionnel ;
- tantôt la clause permet aux entreprises dont l'activité se
situe aux frontières de deux conventions collectives de branche, de
choisir d'appliquer l'une des deux. Il s'agit alors d'une clause d'option pure
et simple.
Or, dans un arrêt du 26 novembre 2002, la Chambre sociale de la Cour
de cassation a condamné ces clauses d'option, en précisant dans
un attendu de principe général que la règle
jurisprudentielle de rattachement à l'activité principale
interdisait toute dérogation conventionnelle.
Cet arrêt n'est pas sans soulever certaines difficultés pour les
entreprises à activités multiples. D'une part, par son
caractère automatique, il ne prend pas en compte la situation des
entreprises dont l'activité principale varierait dans le temps, qui
seraient alors dans l'obligation de changer de conventions collectives de
rattachement au risque de bouleverser l'équilibre du paysage
conventionnel. D'autre part, il place dans un imbroglio juridique toutes les
entreprises qui ont choisi d'exercer la faculté d'option qu'une
convention de branche leur offrait et ouvre alors un risque non
négligeable de contentieux.
Le présent article, qui introduit un nouvel article L. 132-5-1
dans le code du travail, cherche à apporter une réponse
équilibrée et adaptée à ces difficultés.
D'abord, il confirme le principe jurisprudentiel suivant lequel la convention
collective applicable est bien celle dont relève l'activité
principale de l'employeur.
Ensuite, il introduit clairement la possibilité d'option en
l'assortissant d'une double condition. L'option n'est possible que si
l'entreprise exerce des activités multiples rendant l'application du
critère d'activité principale incertaine et que si les
différentes conventions collectives de rattachement envisageables
prévoient réciproquement et organisent une telle
possibilité d'option.
II - La position de votre commission
Votre commission observe que le présent article cherche à tirer
les conséquences d'un récent revirement de jurisprudence de la
Cour de cassation.
En cela, il contribue à la sécurité juridique en apportant
un fondement législatif au droit d'option tel qu'organisé
actuellement par certaines conventions collectives.
Parallèlement, il conforte le principe, jusqu'ici purement
jurisprudentiel, de rattachement au regard de l'activité principale et
encadre les conditions d'exercice du droit d'option.
En ce sens, le dispositif proposé apparaît donc
équilibré, d'autant plus qu'il ne remet pas en cause un autre
principe jurisprudentiel en matière d'application des conventions
collectives : la possibilité pour les salariés qui exercent
une activité nettement différenciée dans un centre
d'activité autonome de relever de la convention collective correspondant
à cette activité spécifique, par exception au reste du
personnel de l'entreprise
29
(
*
)
.
Il apparaît d'autant plus équilibré qu'il accorde une large
place au dialogue social puisqu'il reviendra à des accords de branche de
déterminer les modalités de rattachement en cas de concours
d'activités rendant incertain le rattachement à une convention.
Certes votre commission conçoit volontiers qu'il sera sans doute parfois
délicat pour des accords de branche différents de régler
de manière identique les difficultés naissant de surcroît
au niveau des entreprises. Mais la solution proposée par le
présent article lui paraît néanmoins praticable et
constitue probablement la réponse la plus appropriée en laissant
à la négociation collective le soin de mettre en oeuvre le
principe général visé par la loi.
Votre commission vous propose d'adopter cet article sans
modification.
Article 34 ter (nouveau)
(art.
L. 132-11 du code du travail)
Suppression de l'obligation
d'incorporation
des accords professionnels dans la convention de
branche
Objet : Cet article supprime l'obligation, actuellement
posée par le code du travail, d'incorporation d'office dans une
convention de branche des accords professionnels ayant le même champ
d'application.
I - Le dispositif proposé
Cet article est issu de deux amendements identiques présentés
respectivement par M. Francis Vercamer et par MM. Pierre Morange
et Bernard Depierre, adoptés avec l'avis favorable du Gouvernement.
L'article L. 132-11 du code du travail prévoit, à son second
alinéa
30
(
*
)
,
l'incorporation d'office à la convention de branche des avenants
à ladite convention, mais également des accords collectifs
conclus postérieurement à celle-ci, qui auraient le même
champ d'application professionnelle et territoriale.
Une telle disposition avait un double objet. D'une part, elle visait à
renforcer la lisibilité de notre droit social en regroupant, dans une
même source, les textes conventionnels de branche. D'autre part, elle se
fondait sur la conception classique de la convention de branche destinée
à constituer la « loi professionnelle » de la
branche et donc à traiter de l'ensemble des questions
négociées à ce niveau.
Pour autant, le maintien de cette disposition soulève aujourd'hui
trois types de difficultés.
En premier lieu, et c'est l'argumentation développée par les
auteurs de l'amendement, le principe d'incorporation d'office apparaît
difficilement conciliable avec les dispositions du présent projet de
loi. Ainsi, dans la mesure où le projet de loi introduit une nouvelle
autonomie des accords, il importe que chaque accord collectif ait bien une
« vie juridique » propre. A ce titre, les dispositions de
l'article 39 du projet de loi, qui posent le principe de non
rétroactivité, exigent de distinguer, sans aucune
ambiguïté, les normes conventionnelles antérieures à
l'entrée en vigueur de la loi de celles postérieures à
celle-ci, de façon à déterminer le régime juridique
qui leur est applicable. A défaut d'une telle disposition, si des
accords conclus ultérieurement à l'entrée en vigueur de la
loi étaient incorporés aux conventions antérieures, ils
pourraient acquérir le régime juridique et se voir alors
également appliquer le principe de non rétroactivité.
En deuxième lieu, et c'est l'argumentation développée par
le ministre à l'Assemblée nationale, l'incorporation est devenue
difficilement applicable. Depuis 1992 en effet, l'article L. 132-7 du
code du travail prévoit que seules les organisations syndicales
signataires d'une convention ou d'un accord sont habilitées à le
modifier. Or la convention peut avoir été signée par
trois organisations et un accord ultérieur par deux organisations
seulement. Si l'accord est incorporé à la convention, on peut
alors se demander qui sont les organisations en mesure de la réviser...
En dernier lieu, l'incorporation d'office soulève une lourde
difficulté en cas de dénonciation. Dans la mesure où la
dénonciation d'une convention collective doit être globale,
l'incorporation d'office conduit donc, en cas de dénonciation, à
dénoncer non seulement la convention elle-même, mais aussi
l'ensemble des accords particuliers qui lui ont été
ultérieurement incorporés alors même que les parties ayant
dénoncé la convention ne souhaitaient pas forcément les
remettre en cause.
Le présent article supprime, en conséquence, ce principe
d'incorporation d'office.
II - La position de votre commission
Votre commission observe que les problèmes posés par le principe
d'incorporation d'office sont effectivement difficiles et de nature à
justifier la suppression de ce principe.
Il reviendra donc, à l'avenir, aux négociateurs des accords
professionnels de décider eux-mêmes de l'opportunité
d'incorporer ou non l'accord qu'ils envisagent de conclure dans la convention
collective. En ce sens, le présent article apporte une plus grande
souplesse dans l'organisation conventionnelle, correspondant à la
demande des partenaires sociaux.
Votre commission observe toutefois que le principe d'incorporation d'office
n'est ici supprimé que pour les accords professionnels et non pas les
avenants de révision puisque l'article 35 du projet de loi
prévoit explicitement que l'avenant de révision se substitue de
plein droit aux stipulations de la convention ou de l'accord qu'il modifie.
Votre commission vous propose d'adopter cet article sans
modification.
Article 35
(art. L. 132-7 du
code du travail)
Renouvellement et révision des conventions
et
accords collectifs du travail
Objet : Cet article vise à adapter les
règles de renouvellement et de révision des conventions et
accords collectifs de travail aux nouvelles modalités de conclusion des
accords prévues à l'article 34 du projet de loi.
I - Le dispositif proposé
Les règles actuelles de renouvellement et de révision d'une
convention ou d'un accord collectif de travail sont régies par
l'article L. 132-7 du code du travail.
Jusqu'à une époque récente, le code du travail
n'organisait pas le régime juridique de la révision, se
contentant de renvoyer à la convention ou à l'accord le soin de
prévoir «
dans quelle forme et à quelle
époque ils pourront être renouvelés et
révisés
».
Toutefois, dans un célèbre arrêt Basirico du 20 mars
1992, la Cour de cassation avait décidé que la révision
d'un accord devait recueillir l'assentiment de l'ensemble des organisations
signataires et adhérentes à cet accord.
Cette jurisprudence avait provoqué l'intervention du législateur
qui, par la loi du 31 décembre 1992, a modifié le
régime de la révision.
L'article L. 132-7, dans sa rédaction actuelle issue de cette
loi, prévoit un mécanisme relativement complexe en ouvrant un
droit d'opposition pouvant être exercé par les organisations
syndicales de salariés représentatives majoritaires à la
conclusion d'un avenant réduisant ou supprimant un ou plusieurs
avantages individuels ou collectifs dont bénéficiaient les
salariés en application du texte antérieur.
Le présent article - qui prévoit une nouvelle
rédaction de cet article L. 132-7 - vise à
supprimer ce droit d'opposition et applique alors aux avenants de
révisions les mêmes règles de conclusion que celles
applicables lors de la conclusion de l'accord (c'est-à-dire soit
l'accord majoritaire, soit l'absence d'opposition en application de
l'article 34 du projet de loi).
Il simplifie de la sorte les règles de révision et de
renouvellement d'un accord. Celles-ci s'articuleront désormais autour de
trois principes :
- c'est à la convention ou à l'accord qu'il revient de
déterminer les conditions de son renouvellement ou de sa
révision ;
- seules les organisations syndicales de salariés signataires ou
adhérentes à la convention ou à l'accord sont
habilitées à le réviser, l'avenant devant être
signé dans les mêmes conditions que le texte initial ;
- l'avenant se substitue de plein droit aux obligations de la convention
ou de l'accord qu'il révise.
L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.
II - La position de votre commission
La solution législative retenue en 1992 avait consisté à
introduire une condition de légitimité renforcée pour les
avenants de révision supprimant ou réduisant certains avantages,
sous la forme d'un droit d'opposition spécifique à la
révision.
Une telle solution n'a désormais plus de raison d'être, compte
tenu des nouvelles règles de légitimité renforcée
pour la conclusion des accords collectifs de travail prévue à
l'article 34 du présent projet de loi qui s'applique aussi aux
avenants de révision.
Dès lors, le présent article apparaît de cohérence.
Votre commission vous propose d'adopter cet article sans
modification.
Article 36
(art. L. 132-13 du
code du travail)
Articulation entre les accords interprofessionnels
et
les conventions de branche
Objet : Cet article vise à aménager
l'articulation entre les différents accords collectifs et conventions
à l'échelon interprofessionnel et professionnel, en autorisant
les accords de niveau inférieur à comporter le cas
échéant des clauses moins favorables aux salariés que les
accords de niveau supérieur si ces derniers ne l'interdisent pas.
I - Le dispositif proposé
L'articulation entre la négociation interprofessionnelle et la
négociation de branche - mais aussi celle, pour ces deux niveaux de
négociations, entre accords nationaux et territoriaux - est régie
par l'article L. 132-13 du code du travail.
Il organise d'abord les
conditions de conclusion
d'un accord de niveau
inférieur : une convention ou un accord professionnel ou
interprofessionnel ne peut comporter de dispositions moins favorables aux
salariés que celles d'une convention ou d'un accord couvrant un champ
territorial ou professionnel plus large.
Il précise ensuite les
conditions d'adaptation
des accords de
rang inférieur à l'évolution des accords de rang
supérieur : dès lors qu'un accord de niveau supérieur
est conclu, les clauses de l'accord de niveau inférieur qui seraient
moins favorables aux salariés doivent être adaptées en
conséquence.
A cette articulation strictement définie par la loi, le présent
article substitue une nouvelle articulation organisée par les
partenaires sociaux, dans des conditions fixées par la loi.
Il prévoit d'abord (à son 1°) que, pour la conclusion d'une
convention ou d'un accord de rang inférieur, le principe du plus
favorable ne s'applique que si la convention ou l'accord de rang
supérieur l'a expressément stipulé en interdisant toute
dérogation à la règle du plus favorable.
Il précise en conséquence (à son 2°) que l'adaptation
des clauses devenues moins favorables de l'accord de rang inférieur
n'intervient que si l'accord de rang supérieur le prévoit
expressément.
De la sorte, le présent article modifie les conditions de mise en oeuvre
du principe de faveur à ce niveau. Alors que celui-ci était
jusqu'à présent la règle fixée par la loi, il
devient une faculté laissée aux partenaires sociaux qui doivent
en décider dans l'accord de rang supérieur. Dans ce cadre, la
possibilité de dérogation est de droit et ne nécessite
aucune habilitation conventionnelle expresse, sauf si l'accord de niveau
supérieur en dispose autrement.
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée
nationale
L'Assemblée nationale a adopté, avec l'avis favorable du
Gouvernement, un amendement de sa commission tendant à préciser
les conditions dans lesquelles un accord de niveau supérieur peut
interdire d'éventuelles dérogations à ses
stipulations : cette interdiction de dérogation peut s'appliquer
tant à l'ensemble de ses stipulations qu'à seulement une partie
d'entre elles.
Comme l'indiquait l'argumentaire, l'amendement,
« il est important
de préciser qu'un accord de rang supérieur peut être
impératif pour tout ou partie de ses dispositions. Il revient aux
négociateurs de déterminer quelles sont les dispositions
impératives de l'accord ».
III - La position de votre commission
Le présent article constitue, pour les négociations au niveau
interprofessionnel et professionnel et pour leur articulation, la traduction de
la Position commune en faveur d'une
« véritable dynamique
et maîtrise des niveaux de négociation ».
« Pour faciliter le développement de la négociation
collective à tous les niveaux, chaque niveau de négociation,
national interprofessionnel, de branche, et d'entreprise, doit pouvoir
négocier de telle sorte que les dispositions conclues à un niveau
plus ou moins centralisé (interprofessionnel ou de branche) s`imposent
aux niveaux décentralisés (entreprise) en l'absence d'accord
portant sur le même objet. Mais chaque niveau doit respecter les
dispositions d'ordre public social définies par la loi et les
dispositions des accords interprofessionnels ou de branche auxquels leurs
signataires ont entendu conférer un caractère normatif et
impératif qui peuvent être constitutives de garanties
minimales ».
Votre commission constate que le dispositif proposé répond aux
principes posés par la Position commune puisque les accords de niveau
inférieur doivent respecter
« les dispositions des accords
interprofessionnels ou de branche auxquels leurs signataires ont entendu
conférer un caractère normatif et
impératif ».
Ainsi, un accord de branche ne pourra être moins favorable aux
salariés qu'un accord interprofessionnel si ce dernier l'interdit. De
même, un accord professionnel territorial ne pourra être moins
favorable qu'une convention de branche ou qu'un accord professionnel national,
si ces dernières ne le permettent pas. A l'inverse, un accord de niveau
inférieur pourra déroger - et donc être moins
favorable aux salariés - à un accord professionnel ou
interprofessionnel, si ce dernier n'a rien prévu ou ne l'a pas interdit.
Dans tous les cas, il appartiendra donc aux partenaires sociaux de
déterminer l'effet qu'ils entendent donner à leur accord sur les
accords de niveau inférieur, même si la règle est que la
dérogation est de droit dans le silence de l'accord de niveau
supérieur.
Votre commission vous propose d'adopter cet article sans
modification.
Article 37
(art. L. 132-23 du
code du travail)
Articulation entre les accords d'entreprise ou
d'établissement
et les accords interprofessionnels,
professionnels
et conventions de
branche
Objet : Cet article vise à aménager
l'articulation entre la convention ou l'accord d'entreprise ou
d'établissement et les normes conventionnelles de niveau
supérieur, en autorisant les conventions ou accords d'entreprise ou
d'établissement à déroger aux normes conventionnelles de
niveau supérieur si ces dernières ne l'interdisent pas.
I - Le dispositif proposé
L'article L. 132-23 du code du travail régit à la fois
l'objet de la négociation d'entreprise et son articulation avec les
normes conventionnelles de niveau supérieur.
Il fixe un triple objet à la convention ou à l'accord
d'entreprise ou d'établissement :
- adapter les dispositions des normes conventionnelles de rang
supérieur aux conditions particulières de l'entreprise ou de
l'établissement ;
- comporter des dispositions nouvelles ;
- comporter des dispositions plus favorables aux salariés.
Mais il précise aussi son articulation avec les normes conventionnelles
de niveau supérieur. En principe, les clauses des accords d'entreprise
doivent être plus favorables aux salariés. En outre, si des normes
conventionnelles de niveau supérieur viennent à s'appliquer dans
l'entreprise, l'accord d'entreprise ou d'établissement doit être
adapté en conséquence.
Le présent article ne modifie pas la rédaction actuelle de
l'article L. 132-23 mais la complète par deux alinéas
supplémentaires visant à préciser les possibilités
pour une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement de
déroger à une norme conventionnelle de rang supérieur.
Il pose comme principe la possibilité d'une telle dérogation mais
l'encadre de deux manières.
D'une part, et comme c'est le cas à l'article 36 du projet de loi, la
dérogation n'est possible que si la norme conventionnelle de niveau
supérieur (et donc avant tout l'accord de branche) n'en dispose pas
autrement. La possibilité de dérogation est donc la règle
sauf si elle est interdite ou encadrée au niveau supérieur.
D'autre part, la possibilité de dérogation est
expressément interdite pour quatre matières
énumérées par le présent article : les
salaires minima, les classifications, les garanties collectives liées
à la protection sociale complémentaire et la mutualisation des
fonds de la formation professionnelle.
En conséquence, et à l'instar du dispositif prévu à
l'article 36
31
(
*
)
, le
présent article aménage la mise en oeuvre du principe de faveur
pour les accords d'entreprise ou d'établissement. Alors que
jusqu'à présent, l'accord d'entreprise ne pouvait déroger
à une norme conventionnelle de niveau supérieur que dans un sens
plus favorable aux salariés, cette possibilité de
dérogation pourra également se faire dans un sens moins favorable
à la condition que l'accord de niveau supérieur ne s'y oppose pas.
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée
nationale
En première lecture, l'Assemblée nationale a adopté trois
amendements, avec l'avis favorable du Gouvernement.
Le premier, présenté par MM. Bernard Depierre et Jacques
Barrot, concerne les garanties collectives de protection sociale
complémentaires pour lesquelles l'accord d'entreprise ne peut
déroger à un accord de niveau supérieur. Il vise à
limiter le champ de ces garanties collectives aux seuls cas où existe
une mutualisation des risques, à l'image de ce que prévoyait
déjà le présent article en matière de
dépenses de formation professionnelle.
Le deuxième, présenté par Mme Martine Billard et MM. Yves
Cochet et Noël Mamère, est de cohérence. S'il n'est pas
possible à un accord d'entreprise de déroger pour les quatre
matières visées précédemment, il est logique que
cela ne le soit pas non plus pour un accord d'établissement.
L'amendement le précise.
Le troisième, présenté par la commission, est similaire
à celui précédemment adopté à l'article
36 : la possibilité de déroger à un accord de niveau
supérieur peut concerner tant la totalité de ses stipulations que
seulement quelques-unes.
III - La position de votre commission
Là encore, comme à l'article 36, les dispositions du
présent article sont conformes aux propositions de la Position commune
en matière d'articulation des différents niveaux de
négociation.
A cet égard, votre commission observe que la rédaction
proposée a pris en compte les limites à cette nouvelle autonomie
qu'avaient eux-mêmes fixées les partenaires sociaux :
« En outre, un certain nombre de limites peuvent tenir à
l'objet de la négociation, comme c'est le cas des mécanismes de
mutualisation interentreprises, des classifications et des minima de branche
par exemple ».
Sur ce point, votre commission formulera d'ailleurs une double
observation :
- d'une part, il reste bien entendu possible à un accord
d'entreprise ou d'établissement de déroger, plus favorablement,
à des stipulations conventionnelles de niveau supérieur,
même pour les quatre matières pour lesquelles il est pourtant
prévu que la dérogation est impossible. Dans ces matières,
les stipulations conventionnelles ne peuvent avoir un effet impératif
absolu tant en droit - le deuxième alinéa de l'article
L. 132-33 autorise toujours l'accord d'entreprise à comporter des
clauses plus favorables -qu'en pratique : en effet, certaines
entreprises ont, par exemple, mis en place des classifications
particulières plus précises et plus avantageuses que celles des
branches. Cette pratique ne saurait alors être remise en question
à l'avenir ;
- d'autre part, votre commission observe que le champ des quatre
matières constituant en quelque sorte un « ordre public de
branche » n'est pas exactement identique à celui défini
par les partenaires sociaux. La Position commune faisait en effet
référence aux
« mécanismes de mutualisation
interentreprises »
. Le présent article le décline
alors en visant la protection sociale complémentaire et la mutualisation
des fonds de la formation professionnelle. A cet égard, votre commission
observe que les mécanismes de mutualisation interentreprises peuvent
excéder ces deux domaines en concernant par exemple le financement du
dialogue social
32
(
*
)
ou la
mise en place de plan d'épargne interentreprises (PEI)
33
(
*
)
. Mais, sur ces points, il
appartiendra bien évidemment aux partenaires sociaux de branche de
statuer sur leur caractère impératif.
Le présent article a suscité, ici ou là, certaines
craintes et parfois de vives critiques.
Celles-ci s'articulent principalement autour de deux argumentations.
Selon la première, il conduirait à vider de sa substance la
négociation de branche et aboutirait à faire de l'entreprise le
seul niveau effectif de régulation sociale.
Selon la seconde, il mettrait à mal le principe de faveur et
entraînerait
de facto
une systématisation de l'application
de la règle la moins favorable au niveau de l'entreprise.
Ces critiques s'appuient sur une lecture erronée du projet de loi qui a
prévu plusieurs verrous de nature à prévenir de telles
dérives :
- le premier verrou est constitué par l'accord de branche qui aura
vocation à délimiter le champ des dérogations ;
- le deuxième verrou est celui de l'accord d'entreprise, leurs
signataires restant bien entendu libres d'en déterminer le contenu ;
- le troisième verrou est posé à l'article 39 du
projet de loi qui prévoit sa non-rétroactivité :
c'est le dispositif de « sécurisation » des accords
conclus avant l'entrée en vigueur de la loi. A cet égard, le
risque de dénonciation des accords ainsi sécurisés
apparaît bien mince, selon l'avis même des partenaires sociaux et
des experts interrogés, tant la procédure de dénonciation
est lourde et aléatoire ;
- le quatrième verrou découle de l'article 34 du projet de
loi. Les accords de branche et les accords d'entreprise devront être
conclus selon le principe majoritaire ;
- le cinquième verrou réside dans la définition de
quatre domaines de négociation pour lesquels l'accord de branche restera
impératif.
Surtout, ces critiques se fondent sur une vision inexacte de la
réalité du dialogue social.
D'abord, dans un certain nombre de branches, on observe un appauvrissement
progressif de la négociation de branche au profit des accords
d'entreprise. La branche n'est donc plus aujourd'hui toujours valablement en
mesure de jouer son rôle régulateur.
Ensuite, votre rapporteur a déjà souligné les
difficultés d'application du principe de faveur. Dans les faits, il est
devenu possible pour un accord d'entreprise, par une ingénierie
juridique assez simple du fait de l'appréciation globale du plus
favorable, d'écarter certaines clauses ponctuelles plus favorables de la
convention de branche dès lors que l'accord d'entreprise demeure
globalement plus favorable.
Pour sa part, votre commission a la conviction que le présent article
apporte des réponses appropriées à ces deux
phénomènes.
D'une part, en conférant à la branche le soin de statuer sur la
portée des accords conclus à ce niveau, il redonne à la
branche son rôle structurant pour l'organisation du dialogue social dans
l'entreprise et lui accorde en définitive un rôle plus important
qu'aujourd'hui pour la régulation des accords d'entreprise, dans la
mesure où il aboutit à mettre un terme à la pratique de
l'appréciation globale du plus favorable.
D'autre part, en posant le principe de l'autonomie de l'accord d'entreprise, il
permet d'adapter l'accord au plus près des exigences du terrain sans
devoir forcément respecter des stipulations de l'accord de branche qui
ne peuvent apporter de solutions adaptées à la diversité
des situations.
En définitive, le présent article apporte une réponse
pragmatique aux difficultés actuelles d'articulation entre accord de
branche et accord d'entreprise en confiant aux partenaires sociaux
eux-mêmes la responsabilité d'organiser les conditions d'autonomie
de l'accord d'entreprise dans les limites fixées par la loi.
En pratique, le rôle des partenaires sociaux au niveau interprofessionnel
ou au niveau de la branche sera en effet fondamental dans la mesure où
une large palette de solutions s'offre à eux. Par exemple, ils pourront
décider que :
- l'accord de branche, pour tout ou partie de ses clauses, est
impératif, les accords de rang inférieur ne pouvant donc y
déroger (sauf s'ils sont plus favorables, bien sûr) ;
- l'accord de branche, pour tout ou partie de ses clauses, est
supplétif et ne s'applique donc qu'en absence d'accord de niveau
inférieur ;
- l'accord de branche ne s'applique qu'aux entreprises en
deçà d'une certaine taille ;
- l'accord de niveau inférieur ne peut déroger à tout
ou partie des clauses de l'accord que dans les conditions et les limites qu'ils
auront fixées.
Votre commission approuve donc ce dispositif auquel elle n'apportera qu'un
amendement
rédactionnel.
Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi
amendé.
Article 38
Extension du
domaine des accords d'entreprise ou d'établissement
à celui
des conventions ou accords de
branche
Objet : Cet article, qui tire les conséquences de
la plus grande autonomie de l'accord d'entreprise introduite à
l'article 37, prévoit que, si le code du travail renvoie à
un accord de branche le soin de mettre en oeuvre une disposition
législative, cette mise en oeuvre peut également se faire par
accord d'entreprise.
I - Le dispositif proposé
A l'heure actuelle, le code du travail renvoie régulièrement
à l'accord collectif - principalement à l'accord de branche
mais aussi régulièrement à l'accord d'entreprise - le
soin de définir les conditions dans lesquelles sont mises en oeuvre
certaines dispositions législatives.
Cette faculté répond à une double logique :
- soit il s'agit de favoriser l'adaptation des principes fixés par
la loi aux spécificités d'une profession. Dans ce cas, en
l'absence d'accord, c'est le décret qui définit - donc de
manière supplétive - les modalités d'application des
règles générales posées par la loi ;
- soit, et c'est le plus fréquent, il s'agit de mettre en oeuvre
des dérogations autorisées par la loi aux dispositions qu'elle
prescrit là encore pour prendre en compte les spécificités
de certaines professions ou entreprises. Mais, dans ce cas, en l'absence
d'accord, les prescriptions législatives s'appliquent directement. C'est
pourquoi ces possibilités existent avant tout dans le domaine de la
durée du travail qui reste le domaine privilégié des
accords dérogatoires.
Le présent article vise alors à généraliser le
renvoi à l'accord d'entreprise ou d'établissement à chaque
fois que le code du travail prévoit déjà le renvoi
à une convention ou un accord de branche pour la mise en oeuvre d'une
disposition législative.
On observera d'ailleurs que de telles dispositions sont déjà
prévues par le code du travail, notamment en matière de
durée du travail.
Ainsi, l'article L. 212-5 prévoit qu'un accord de branche ou un
accord d'entreprise ou d'établissement peut remplacer le paiement des
heures supplémentaires par un repos compensateur.
L'article L. 218-8 autorise la modulation de la durée annuelle du
travail par accord de branche ou d'entreprise dans la limite de
1.600 heures.
L'article L. 221-10 autorise, pour sa part, le travail en continu pour
raisons économiques par accord de branche ou d'entreprise.
Ce faisant, ce texte s'inspire directement de la Position commune, qui
suggérait que
« les modalités d'application des
principes généraux fixés par la loi (soient)
négociés, au niveau approprié, par les interlocuteurs
sociaux »
, et il consacre l'ouverture du champ de la
négociation collective dans l'entreprise à certains sujets
jusqu'ici réservés à la branche.
Il prévoit toutefois deux exceptions à ce principe :
- la mise en place d'horaires d'équivalence
(article L. 212-4). Il est vrai que, dans ce cas, la procédure
est spécifique car l'accord de branche doit être
« validé » par décret ultérieur ;
- la définition du travailleur de nuit
(article L. 213-2). La directive européenne du
23 novembre 1993 prévoit explicitement que la définition du
travailleur de nuit ne peut faire l'objet d'un accord entre partenaires sociaux
qu'au niveau national ou régional.
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale
Lors des débats à l'Assemblée nationale, M. Jean-Paul
Anciaux, rapporteur, avait souligné l'insuffisance de la
rédaction proposée, estimant qu'elle était
inopérante pour atteindre valablement l'objectif recherché et
qu'il convenait de
« procéder à une
réécriture de l'article »
.
De fait, le Gouvernement a présenté une nouvelle rédaction
de l'article qu'a adopté l'Assemblée nationale avec l'avis
favorable de la commission.
Cette nouvelle rédaction, qui ne modifie pas pour autant la
portée du présent article, a un double objet.
D'une part, et selon les mots du ministre, elle évite
« de
lier le champ d'application de la disposition à une terminologie qui, de
fait, peut varier d'un article à l'autre dans le code du
travail ».
D'autre part, elle ajoute une nouvelle exception aux deux déjà
posées par la rédaction initiale : la durée maximale
hebdomadaire de travail (article L. 212-7). On est ici dans une
logique comparable à celle de la mise en place des horaires
d'équivalence dans la mesure où il ne peut être
dérogé à cette durée maximale hebdomadaire de
travail que par un accord de branche « validé » par
décret ultérieur.
III - La position de votre commission
Votre commission considère que la généralisation de la
possibilité, pour un accord d'entreprise, de mettre en oeuvre une
disposition législative, dans des limites naturellement fixées
par la loi, est tout à la fois logique, souhaitable et possible.
Elle est logique dans la mesure où les nouvelles modalités
d'articulation entre accord de branche et accord d'entreprise, fixées
à l'article 37, impliquaient une telle évolution. Il aurait
été contradictoire d'autoriser les partenaires sociaux de branche
à renvoyer plus largement à la négociation d'entreprise
tout en leur conservant un « domaine
réservé ».
Elle est aussi souhaitable car l'expérience des « accords
dérogatoires », issu de l'ordonnance du 16 janvier 1982,
montre qu'en matière d'aménagement et d'organisation du temps de
travail, la négociation d'entreprise constitue souvent le niveau le plus
pertinent pour décliner concrètement les principes posés
par la loi.
Elle est enfin possible. A cet égard, on rappellera que, se fondant sur
le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de
1946, le Conseil Constitutionnel a considéré, dans sa
décision n° 89-257 DC du 25 juillet 1989, qu'il
était
« loisible au législateur, après avoir
défini les droits et obligations touchant aux conditions de travail ou
aux relations du travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou
à leurs organisations représentatives, le soin de préciser
après une concertation appropriée, les modalités
concrètes de mise en oeuvre des normes qu'il
édicte »
.
Il n'en reste pas moins que la rédaction proposée n'est pas
sans soulever encore de sérieuses difficultés.
Ainsi, dans son rapport pour l'Assemblée nationale, M. Jean-Paul
Anciaux a déjà souligné certaines difficultés
techniques liées à la rédaction initiale. Après
s'être essayé à un inventaire des dispositions du code du
travail qui pourraient, à l'avenir, être mises en oeuvre par
accord d'entreprise, il aboutit à une conclusion sans appel :
« Cet inventaire des dispositions concernées ne semble
malheureusement pas suffisant pour adopter l'article en l'état qui ne
permet quasiment aucune des insertions projetées, même au prix
d'une interprétation souple de l'article :
« - l'insertion ne vise que la mise en oeuvre des accords ou
conventions « de branche », dès lors il ne semble
pas possible de l'appliquer aux dispositions visant également les
accords interprofessionnels ;
« - la mention de la branche n'est pas pertinente puisque dans
près de la moitié des cas, le terme de branche ne figure pas et
le fait que la négociation ait lieu au niveau de la branche ne peut
qu'être déduit de l'existence d'une procédure
d'extension ;
« - certaines dispositions prévoient un recours au
décret : faut-il le prévoir dans le cas d'accords
d'entreprise ?
« - l'insertion pose parfois des problèmes de
cohérence avec d'autres dispositions textuelles (voir par exemple
l'article L. 322-7) et des questions de fond : ainsi, la
transférabilité du compte épargne temps d'une entreprise
à l'autre peut-elle relever de l'accord collectif d'entreprise ?
L'accord d'entreprise peut-il intervenir dans la mutualisation des fonds
régie par les articles L. 961-9 et L. 961-10 en dépit des
dispositions du premier alinéa de l'article 37 du projet de loi ?
Faut-il procéder à l'extension de la compétence de
l'accord d'entreprise aux contrats et périodes de
professionnalisation ?
« Enfin, on notera que la modification proposée du champ de la
négociation d'entreprise suppose l'adoption de mesures de coordination
dans le code rural et le code du travail maritime.
« Il convient donc de procéder à une
réécriture de l'article prévoyant la modification
pertinente de chacune des dispositions concernées dans ces
différents codes. »
Or, si la nouvelle rédaction règle certaines difficultés,
d'autres demeurent.
Ainsi, et quand bien même l'objet du présent article serait sans
ambiguïté, force est de reconnaître que la rédaction
ne répond qu'imparfaitement aux exigences de clarté et
d'intelligibilité de la loi.
D'une part, le champ des dispositions concernées n'est pas clairement
circonscrit. Or, il convient de pouvoir répertorier
précisément l'ensemble des dispositions législatives
visées, ne serait-ce que pour être en mesure d'apprécier en
toute connaissance de cause les effets du dispositif proposé.
D'autre part, en l'absence de codification de la modification apportée
à chaque disposition, la lecture du code du travail serait à
l'avenir passablement brouillée.
Aussi votre commission a-t-elle tenté, à son tour,
par voie
d'amendement
, de dresser l'inventaire des dispositions concernées
par le présent article, puis, sur cette base, elle s'est essayée
à une nouvelle rédaction déclinant, disposition par
disposition, tout au long du code du travail, du code rural et du code du
travail maritime, la modification de principe posée par le
présent article afin de permettre la codification des modifications
ainsi apportées.
Cet inventaire ne prétend pas à l'exhaustivité. Mais il
apparaît conforme à l'esprit du projet de loi et de la Position
commune en recensant les dispositions législatives pouvant le plus
valablement être mises en oeuvre par accord d'entreprise. Celles-ci
figurent dans le tableau ci-dessous pour les dispositions concernant le code du
travail
34
(
*
)
.
Articles |
Thème |
Objet de la négociation |
Niveau actuel de négociation |
L.
122-3-4
|
Contrat de travail |
Contrat
à durée déterminée
|
Branche étendu |
L. 124-4-1 |
Contrat de travail |
Travail
temporaire
|
Branche étendu |
L.
124-4-4
|
Contrat de travail |
Travail
temporaire
|
Branche étendu |
L. 124-21-1 |
Contrat de travail |
Travail
temporaire
|
Convention ou accord collectif étendu |
L. 212-4-4 |
Durée du travail :
|
Réduction du délai de prévenance et
contreparties à cette réduction
|
Branche étendu |
L. 212-4-6 4° et 8° |
Durée du travail :
|
Réduction du délai de prévenance à
minima 3 jours
|
Branche étendu |
L. 212-5
|
Durée du travail |
Réduction a minima (10 %) du
|
Branche étendu |
L. 212-5-2 |
Durée du travail |
Heures
supplémentaires
|
Branche étendu |
L. 212-6 |
Durée du travail |
Contingent d'heures supplémentaires |
Branche étendu |
L. 213-3 |
Travail de nuit |
Dérogations à la durée du travail quotidienne et hebdomadaire |
Branche étendu |
L. 220-1 |
Durée du travail |
Dérogation au repos quotidien de 11 heures |
Branche étendu |
L. 221-4 |
Durée du travail |
Dérogation au repos
|
Branche étendu |
L. 221-5-1 |
Durée du travail |
Equipes de suppléance - repos par roulement |
Branche étendu |
L.
236-10
|
Santé et sécurité au travail |
Hygiène, sécurité et conditions de travail - formation spécifique des membres du CHSCT, établissements de moins de 300 salariés |
Branche
ou,
|
Les
dispositions visées concernent donc principalement la durée du
travail, domaine privilégié des actuels accords
dérogatoires.
Cet amendement reprend naturellement les trois exceptions déjà
posées par la rédaction actuelle :
- la mise en place d'horaires d'équivalence ;
- la définition du travailleur de nuit ;
- la durée maximale hebdomadaire de travail.
Mais il introduit d'autres exceptions par rapport à l'inventaire
établi par l'Assemblée nationale à partir de la
rédaction initiale du présent article :
- il exclut, au nom du principe de mutualisation, le transfert du compte
épargne temps (article L. 227-1 du code du travail) ;
- il exclut également la détermination des cas de recours au
contrat à durée déterminée ou à
l'intérim dans les secteurs où ceux-ci sont d'usage (articles
L. 122-1-1 et L. 124-2-1 du code du travail)
.
En tout état de cause, il sera toujours possible aux branches de
réguler ces nouvelles facultés offertes aux accords d'entreprise
de mettre en oeuvre des dispositions législatives. Il ressort, en effet,
de l'article 37 du projet de loi que les branches peuvent interdire ou
encadrer cette possibilité et de l'article 39 que cette
faculté n'est ouverte que pour l'avenir et qu'elle ne sera praticable
que si les actuels accords de branche organisant la mise en oeuvre d'une
disposition législative sont revus en conséquence.
Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi
amendé.
Article 38 bis (nouveau)
(art.
L. 132-17-1 nouveau du code du travail)
Observatoires paritaires de
branche de la négociation
collective
Objet : Cet article, introduit en première lecture
à l'Assemblée nationale, vise à instituer, par accord de
branche, des observatoires paritaires de branche de la négociation
collective.
I - Le dispositif proposé
Le présent article a été introduit à
l'Assemblée nationale à l'initiative de sa commission et avec
l'avis favorable du Gouvernement.
Dans la Position commune, les partenaires sociaux avaient souhaité
assortir la nouvelle articulation des normes conventionnelles de la mise en
place parallèle d'observatoires paritaires de branche de la
négociation collective, destinés à assurer le suivi des
accords conclus dans la branche et à favoriser le développement
du dialogue social : «
La mise en place d'un tel mode
d'articulation des niveaux de négociation, suppose, d'une part, que les
branches mettent en place un observatoire paritaire de la négociation
collective destiné à en analyser les effets et à en garder
la maîtrise et, d'autre part, développent un dialogue
économique et social en vue d'intégrer tant les données
économiques et sociales propres à la branche que la
diversité des situations des entreprises qui la
composent
».
Le présent article, qui introduit un nouvel
article L. 132-17-1 dans le code du travail, met en oeuvre cette
préconisation.
Il pose d'abord le principe de l'instauration, dans chaque branche, d'un
observatoire paritaire de la négociation collective.
Il précise ensuite les conditions de mise en place de ces observatoires,
celle-ci étant renvoyée à un accord de branche.
Il détermine enfin les missions de ces observatoires. Si celles-ci
devront être logiquement définies par l'accord de branche
lui-même, il leur confie néanmoins une mission obligatoire :
suivre les accords d'entreprise conclus pour la mise en oeuvre d'une
disposition légale en application de l'article 38 du projet de loi.
A ce titre, l'accord de branche instituant l'observatoire devra fixer les
modalités dans lesquelles l'observatoire est destinataire de ces accords
d'entreprise.
II - La position de votre commission
Votre commission observe que le présent article reprend une proposition
importante de la Position commune et s'en félicite. Il lui paraît
en effet souhaitable que les partenaires sociaux puissent, au niveau de la
branche, suivre en détail les accords conclus dans les
différentes entreprises, notamment lorsqu'ils dérogent aux
accords de branche, de manière à assurer la cohérence de
la politique conventionnelle de branche.
Elle considère que ces observatoires, qui ont vocation à
être un lieu d'information et de débat, pourront permettre
à la négociation de branche de jouer son rôle
« structurant » dans les meilleures conditions.
Elle vous propose toutefois d'y adopter plusieurs
amendements de
précision.
Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi
amendé.
Article 39
Maintien de la
valeur hiérarchique des conventions
et accords
antérieurs
Objet : Cet article vise à
« sécuriser » les conventions et accords conclus
antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente
loi et prévoit en conséquence le maintien de la valeur
hiérarchique des accords de niveaux supérieurs que leur avait
accordée leurs signataires.
I - Le dispositif proposé
Dans la Position commune, les partenaires sociaux avaient expressément
spécifié la portée, sur les accords actuellement en
vigueur, qu'ils entendaient donner à la nouvelle articulation des normes
conventionnelles. Ils avaient ainsi précisé que
«
cette disposition ne remet pas en cause la valeur
hiérarchique accordée par leurs signataires aux accords conclus
avant son entrée en vigueur
».
Le présent article reprend, pratiquement dans les mêmes termes,
cette « clause de sécurisation » en prévoyant
que «
la valeur hiérarchique accordée par leurs
signataires aux conventions et accords conclus avant l'entrée en vigueur
de la présente loi demeure opposable aux accords de niveaux
inférieurs
».
A défaut d'une telle précision, un accord de niveau
inférieur - par exemple les accords d'entreprise - aurait pu
déroger, sur le fondement des articles 36 et 37 du projet de loi,
aux stipulations d'accords de niveau supérieur - par exemple des
accords de branche - conclus avant l'entrée en vigueur de la loi,
alors même que les signataires de ces derniers avaient entendu leur
donner une portée impérative sans préciser toutefois
à l'époque - car ce qui n'était pas légalement
nécessaire - qu'il était interdit d'y déroger.
Dans ces conditions, en posant le principe de non-rétroactivité
de la nouvelle articulation entre normes conventionnelles, le présent
article garantit que l'économie générale des accords
conclus avant l'entrée en vigueur sera préservée et que
l'intention des parties signataires sera respectée. Il évite
ainsi de leur donner une portée qu'ils n'avaient pas dans l'esprit de
leurs signataires.
L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.
II - La position de votre commission
Dans son récent rapport, la commission présidée par
M. Michel de Virville avait insisté sur la nécessité
d'assurer la pérennité des accords à travers les
changements de législation :
«
L'intervention de nouvelles dispositions législatives a
souvent pour effet de remettre en cause les accords négociés sous
l'empire des dispositions antérieures, soit que ces accords contiennent
des dispositions moins favorables aux salariés que le nouveau texte,
soit qu'ils lui soient simplement contraires.
« L'accord collectif peut se trouver ainsi privé de tout
effet. Il peut aussi - c'est une hypothèse fréquente -
subsister, tout en voyant son équilibre interne profondément
modifié, selon des modalités que n'avaient pas prévues les
signataires.
(...)
« Pourtant, le législateur dispose des moyens juridiques de
garantir les signataires d'accords contre de telles remises en cause a
posteriori de la portée de leurs engagements et l'on doit recommander au
législateur de veiller attentivement à cette sécurisation
chaque fois que celle-ci n'est pas incompatible avec l'objet de la nouvelle loi.
« Il peut en effet expressément prévoir, dans la
nouvelle loi, que les accords collectifs conclus sous l'empire des dispositions
anciennes continueront de s'appliquer.
« Il peut également mettre en place un régime
transitoire et laisser aux partenaires sociaux un délai raisonnable pour
tirer les conséquences de l'intervention d'une loi nouvelle et mettre
leurs accords en conformité avec les nouvelles dispositions.
« Il peut même, à l'inverse, décider de
légaliser des accords « précurseurs », qui,
illégaux sous l'empire de la loi ancienne, sont conformes aux
dispositions introduites par la loi nouvelle.
« Mais le législateur ne recourt pas systématiquement
à ces différentes techniques de stabilisation des accords
passés et il n'est pas rare qu'une loi nouvelle mette à bas,
volontairement ou non, le fruit des efforts des négociateurs. Or, on ne
saurait promouvoir un rôle nouveau pour la négociation collective
sans garantir aux partenaires sociaux un minimum de stabilité dans le
temps. »
Votre commission observe, pour sa part, que l'introduction de tels dispositifs
de sécurisation des accords antérieurs est désormais
pratique courante dans les lois relatives au droit du travail.
Ainsi, l'article 28 de la loi du 19 janvier 2000 relative à la
réduction négociée du temps de travail prévoyait
une double sécurisation :
- en application de son I, étaient sécurisés les
accords conclus en application de la loi du 13 juin 1998 dont les
stipulations étaient conformes à la loi du 19 janvier
2000 ;
- en application de son II, étaient validés les accords
conclus en application de la loi du 13 juin 1998, y compris ceux dont
certaines clauses étaient contraires à la loi du 19 janvier
2000, ceux-ci conduisant alors à produire leurs effets jusqu'à ce
qu'un nouvel accord s'y substitue.
De même, l'article 16 de la loi du 17 janvier 2003 relative aux
salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi
prévoyait une sécurisation identique à celle du I de
l'article 28 de la loi du 19 janvier 2000.
Le Conseil constitutionnel attache d'ailleurs une attention toute
particulière à ces sécurisations au nom de la
liberté contractuelle.
En effet, selon une jurisprudence de plus en plus nettement
affirmée
35
(
*
)
, il
considère que le législateur ne peut porter atteinte à
l'économie des conventions légalement conclues que pour un motif
d'intérêt général suffisant. Il estime ainsi que
«
si la liberté contractuelle ne constitue pas par
elle-même un principe constitutionnel, une remise en cause
injustifiée de contrats légalement conclus
méconnaîtrait en effet les exigences découlant de
l'article 4 (liberté) et 16 (garantie des droits) de la
Déclaration de 1789, ainsi que, dans le domaine particulier de la
participation des travailleurs à la détermination collective de
leurs conditions de travail, celles découlant du huitième
alinéa du Préambule de la Constitution de
1946.
»
36
(
*
)
Le présent article s'inscrit dans cette perspective. La
« sécurisation » qu'il introduit, similaire à
celles prévues au I de l'article 28 de la loi du 19 janvier
2000 et à l'article 16 de la loi du 17 janvier 2003, poursuit
un double objectif.
D'abord, elle vise à maintenir la valeur hiérarchique
accordée aux accords conclus avant l'entrée en vigueur de la
présente loi, de manière à éviter de leur
conférer une portée que n'avaient pas entendu leur donner leurs
signataires. C'est en ce sens que la sécurisation pose le principe de
non-rétroactivité.
Ensuite, elle permet de valider certaines clauses de ces accords
antérieurs qui prévoyaient déjà une nouvelle
articulation des normes conventionnelles et qui
« anticipaient » de la sorte les dispositions des articles
36 et 37 du présent texte. Il leur donne ainsi une base légale,
sous réserve naturellement qu'ils soient conformes à ces
nouvelles dispositions. Pourraient ainsi être validées, par
exemple, les clauses d'un accord de branche prévoyant que celui-ci peut
n'avoir pour tout ou partie qu'un caractère supplétif, en
l'absence d'accord d'entreprise portant sur le même thème.
La portée de cette sécurisation peut s'apprécier, à
titre d'illustration, au regard de l'exemple de la négociation sur le
temps de travail.
A l'heure actuelle, le contingent annuel d'heures supplémentaires est,
en application de l'article L. 212-6 du code du travail, fixé
par accord de branche étendu ou, à défaut, par
décret. A l'avenir, en application des articles 37 et 38 du projet de
loi, il sera possible de déterminer ce contingent par accord
d'entreprise. Mais, dans la mesure où les conventions collectives de
branche précisent déjà le contingent applicable
- soit en ayant fixé un contingent conventionnel, soit en renvoyant
au contingent réglementaire - et ont donc de la sorte entendu lui
donner une portée impérative, la possibilité de
déroger à ce contingent par accord d'entreprise ne sera ouverte
que si l'accord de branche est renégocié en ce sens.
Pour certains, cette sécurisation apparaît fragile, voire
illusoire. Ils estiment en effet qu'elle conduira à une remise en cause
généralisée des conventions collectives de branche soit
par leur révision, soit par leur dénonciation.
Votre commission ne partage pas cette opinion, loin s'en faut.
S'il est bien entendu conforme au principe de liberté contractuelle de
laisser aux partenaires sociaux la possibilité de s'adapter à la
nouvelle législation, elle considère que celle-ci
n'entraînera pas pour autant une remise en cause
généralisée des accords précédemment conclus
par leurs signataires. Leur dénonciation lui paraît improbable
compte tenu de la lourdeur de cette procédure et de son caractère
aléatoire. Quant à leur révision, elle suppose l'accord
des parties, de surcroît acquise désormais sur un mode majoritaire.
Votre commission vous propose d'adopter cet article sans
modification.
Article 40
(art. L. 132-18 et
L. 132-19-1 (nouveau) du code du travail)
Conventions et accords de
groupe
Objet : Cet article légalise la convention et
l'accord de groupe et en définit le régime.
I - Le dispositif proposé
Le code du travail reconnaît déjà l'existence d'accords
particuliers au sein d'un groupe de sociétés. Il s'agit notamment
de :
- la mise en place d'un comité de groupe (article L. 439-5) ;
- la mise en place de l'intéressement, de la participation ou d'un
plan d'épargne d'entreprise (articles L. 442-11 et L. 444-3).
Pour autant, hors de ces domaines spécifiques, il ne reconnaît pas
l'accord de groupe en tant qu'accord collectif de travail à part
entière. Ce silence paraît étonnant compte tenu du
rôle central qu'occupent désormais les groupes dans le paysage
économique et social et, surtout, du développement de la pratique
des accords de groupe.
La jurisprudence a toutefois reconnu la licéité des accords de
groupe. Le récent arrêt AXA France du 30 avril 2003 de la Chambre
sociale de la Cour de cassation a, à ce titre, apporté
d'importantes précisions sur le régime de l'accord de
groupe :
- il lui reconnaît une nature propre, tout en précisant qu'il
n'a pas vocation à «
faire obstacle à la
négociation d'accords d'entreprise
» et à s'y
substituer ;
- il précise que son objet est de traiter des «
sujets
d'intérêt commun au personnel des entreprises concernées du
groupe
» ;
- il admet qu'il peut être négocié et conclu selon des
modalités particulières.
Le présent article, qui introduit un nouvel article L. 132-19-1
dans le code du travail
37
(
*
)
, légalise la convention ou l'accord de groupe
et en précise le régime.
Il détermine d'abord les modalités de conclusion d'une convention
ou d'un accord de groupe : ceux-ci sont négociés et conclus
entre l'employeur de « l'entreprise dominante » et les
organisations syndicales de salariés représentatives dans le
groupe, et doivent respecter le principe majoritaire applicable à
l'accord d'entreprise.
Il définit les effets de l'accord de groupe en les assimilant à
ceux de l'accord d'entreprise.
Il spécifie enfin l'articulation entre accord de groupe et accord de
branche. A cet égard, il renverse le principe d'autonomie applicable
à l'articulation entre accord d'entreprise et accord de branche tel que
défini à l'article 37 du projet de loi : la convention ou
l'accord de groupe ne peut déroger à la convention ou l'accord de
branche que si ce dernier le permet.
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale
En première lecture, l'Assemblée nationale a adopté,
à l'initiative de sa commission et avec l'avis favorable du
Gouvernement, outre un amendement rectifiant une erreur matérielle, un
amendement visant à préciser le champ d'application de l'accord
de groupe. Celui-ci peut couvrir tout ou partie des entreprises constitutives,
en fixant lui-même son champ d'application conformément au droit
commun de la négociation collective
38
(
*
)
.
III - La position de votre commission
Votre commission se félicite de la reconnaissance législative de
la convention ou de l'accord de groupe
39
(
*
)
. Elle considère que le présent article
est de nature à apporter une première clarification au
régime applicable à la négociation de groupe.
A cet égard, elle observe qu'il ne consacre pas le groupe comme un
nouveau niveau de négociation situé entre la branche et
l'entreprise. En assimilant par ses effets l'accord de groupe à l'accord
d'entreprise, il tend à lui appliquer le même régime et
ainsi à ne pas en faire un niveau supplémentaire de
négociation. De la sorte, accords de groupe et accords d'entreprise
seraient complémentaires : les premiers ayant vocation à
traiter des sujets d'intérêt commun, les seconds devant aborder
les sujets propres à chaque entité du groupe.
Votre commission constate en outre qu'il a été choisi
d'opérer une articulation spécifique entre négociation de
groupe et négociation de branche, différente de celle existant
entre négociation d'entreprise et négociation de branche.
L'accord de groupe ne pourra déroger à l'accord ou aux accords de
branche que si ceux-ci l'y autorisent. Si la solution retenue n'est à
l'évidence pas la plus simple, elle vise avant tout à
éviter que l'accord de groupe ne se substitue à l'accord de
branche. L'exposé des motifs indique ainsi que
« permettre
une possibilité de dérogation aurait eu pour conséquence
une instabilité de la couverture conventionnelle des salariés et
une fragilisation des relations sociales au sein de cette
entité »
. A cet égard, votre commission observe que
le présent article ne fait en définitive que retranscrire la
jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui précise
que l'accord de groupe ne peut avoir pour conséquence de faire
échapper une entreprise du groupe à la convention collective de
branche qui lui est applicable compte tenu de l'activité qu'elle
exerce
40
(
*
)
.
Pour autant, votre commission estime que le régime de l'accord de groupe
reste encore inachevé.
Certes, il est prématuré de figer, dès le présent
projet de loi, le régime applicable aux accords de groupe. A ce titre,
les effets de l'accord de groupe devront sans doute être
précisés à l'avenir, d'autant qu'il est prévu
qu'ils sont identiques à ceux de l'accord d'entreprise. Ce point
pourrait alors poser une difficulté en cas de changement de
périmètre. L'article L. 132-8 du code du travail prévoit
en effet qu'un changement de périmètre emporte, pour une
entreprise, la mise en cause de l'accord d'entreprise. La logique juridique
voudrait alors que cela soit aussi le cas pour un accord de groupe. Or, dans la
mesure où les changements de périmètre sont bien plus
fréquents pour un groupe que pour une entreprise, cette assimilation
pourrait entraîner une instabilité de l'accord de groupe. Pour
autant, il ne faut pas non plus chercher à pérenniser à
l'extrême l'accord de groupe qui doit aussi s'adapter aux changements de
périmètre. Il conviendra sans doute, à l'avenir,
d'aménager cette disposition, à moins bien entendu qu'elle ne
soit interprétée de manière souple par le juge.
Votre commission a donc souhaité, par souci de sécurité
juridique, apporter dès à présent deux précisions
au régime de l'accord de groupe qui lui sont apparues indispensables.
Le
premier amendement
vise à déterminer les parties
prenantes à la négociation de groupe
41
(
*
)
.
Dans la mesure où l'Assemblée nationale a décidé
fort logiquement que l'accord de groupe pouvait ne couvrir qu'une partie des
entreprises de celui-ci, il convient de s'assurer que, dans ce cas, les parties
représentent effectivement tant les employeurs que les salariés
des entreprises concernées.
En outre, pour faciliter la négociation au niveau du groupe, il semble
utile de prévoir la possibilité, pour les organisations
syndicales, de désigner un « coordonnateur syndical de
groupe » choisi parmi les délégués syndicaux du
groupe et habilité à négocier et à signer des
accords à ce niveau. C'est d'ailleurs l'une des propositions du
récent rapport « Virville ».
Le
second amendement
a trait aux conditions de validité d'un
accord de groupe.
Il est prévu que les modalités de validité d'un accord de
groupe sont identiques à celles d'un accord d'entreprise. Mais, si le
groupe relève de branches différentes qui ont fixé des
modalités opposées (droit d'opposition dans l'une,
majorité d'engagement dans l'autre), il convient que soit
précisée la solution applicable, le présent article
étant muet sur ce point. Par cohérence avec ce que retient
l'article 34 du projet de loi en l'absence d'accord de branche,
l'amendement prévoit que ce sera le droit d'opposition qui s'applique.
Votre commission vous présente enfin une
amélioration
rédactionnelle
de ce dispositif.
Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi
amendé.
Article 41
(art. L. 132-26 du
code du travail)
Négociation dans les entreprises dépourvues
de délégué
syndical
Objet : Cet article vise à autoriser, dans des
conditions fixées par un accord de branche, de nouvelles
modalités de conclusion des accords collectifs dans les entreprises
dépourvues de délégué syndical, qui s'inspirent
très largement de celles prévues par la loi du 12 novembre
1996.
I - Le dispositif proposé
Votre commission a déjà insisté sur l'extrême
difficulté à conclure des accords dans les petites entreprises en
l'absence de délégué syndical. En 1999, seules 18 %
des entreprises de 20 à 49 salariés et 55 % de celles
de 50 à 99 salariés étaient couvertes par un
délégué syndical.
Or, comme le souligne la Position commune, «
le
développement de la négociation collective ne devrait pas
être limité, au moins dans l'immédiat, par l'absence d'une
section syndicale dans l'entreprise
.
»
Pour ce faire, elle suggère, à son point II-2, de mettre en place
le dispositif suivant :
«
Il conviendrait, dès lors, de donner aux branches
professionnelles qui le souhaitent, la possibilité de négocier
pour une période expérimentale de cinq ans la mise en oeuvre du
dispositif ci-après :
« a) dans les entreprises dépourvues de
délégués syndicaux, des accords collectifs pourront
être conclus avec les représentants élus du personnel (CE
ou à défaut DP). Toutefois, l'accord collectif signé dans
ces conditions ne serait opérationnel qu'après validation par une
commission paritaire de branche ;
« b) dans les entreprises où les élections de
représentants du personnel auront conduit à un
procès-verbal de carence, des accords collectifs pourront être
conclus avec un salarié de l'entreprise mandaté par une ou
plusieurs organisations syndicales représentatives en vue d'une
négociation déterminée. Toutefois, l'accord collectif
signé dans ces conditions ne serait opérationnel qu'après
approbation par la majorité du personnel de l'entreprise
concernée. »
On observera que le dispositif proposé s'inspire très largement
de celui prévu par l'accord national interprofessionnel du
31 octobre 1995 et mis en place, à titre expérimental, par
la loi du 12 novembre 1996.
Le
dispositif expérimental de la loi du 12 novembre 1996
L'article 6 de la loi du 12 novembre 1996 relatif au
développement de la négociation collective a cessé de
produire ses effets le 31 octobre 1998. Cette disposition
législative, nécessaire pour mettre en oeuvre l'accord national
interprofessionnel du 31 octobre 1995 relatif à la politique
contractuelle, prévoyait la possibilité pour des accords de
branche conclus pour une durée de trois ans au plus, d'organiser en
l'absence de délégués syndicaux, des procédures de
négociation dérogatoires au droit commun, impliquant des
représentants élus des salariés ou un salarié
mandaté par une organisation syndicale représentative.
La négociation des accords de branche conclus en application de
l'article 6 de la loi du 12 novembre 1996 a connu un
développement modéré et, conformément à
l'intention des signataires des deux accords de 1995, axé sur la
réduction et l'aménagement du temps de travail. Ces accords, dans
la grande majorité des cas, ont organisé à la fois le
recours au mandatement syndical et à la négociation avec des
salariés élus.
25 accords de branche, couvrant environ 800.000 salariés, ont
été signés, mettant en oeuvre des procédures de
négociation expérimentales au titre de la loi du
12 novembre. Les trois organisations syndicales de l'accord national
interprofessionnel du 31 octobre 1995 ont signé la grande
majorité des accords de branche conclus (19 pour la CFDT, 15 pour la
CFTC et 16 pour la CFE-CGC). FO, pourtant hostile au niveau interprofessionnel,
en a signé 16. La CGT a signé un accord local mettant en oeuvre
le mandatement et la négociation avec les élus.
Il est à noter que l'accord national interprofessionnel du 9 avril
1999, renouvelant les stipulations de celui du 31 octobre 1995 et
permettant d'envisager une nouvelle phase de négociation au niveau des
branches sur le développement de la négociation collective dans
les entreprises dépourvues de délégué syndical,
sans préjudice du dispositif spécifique du mandatement
institué pour la réduction de la durée du travail, n'a pas
fait l'objet d'une disposition législative nécessaire à sa
mise en oeuvre.
Source : Direction des relations du travail
Le
présent article transcrit dans la loi le dispositif proposé par
la Position commune.
A ce titre, il prévoit une nouvelle rédaction de
l'article L.132-26 du code du travail dont les dispositions n'ont plus
d'objet - cet article précise en effet les règles actuelles
du droit d'opposition aux accords d'entreprise dérogatoires -
compte tenu des nouvelles règles de conclusion des accords posées
à l'article 34 du projet de loi.
Le dispositif proposé présente quatre caractéristiques
principales :
- il doit être autorisé et encadré par un accord de
branche ;
- il n'est applicable que dans les entreprises dépourvues de
délégué syndical ;
- il repose sur la conclusion des accords par les représentants
élus du personnel ou, à défaut, par les salariés
mandatés à cet effet par une organisation syndicale ;
- il exige une double validation : si l'accord est conclu par les
représentants élus du personnel, il doit en outre être
validé par une commission nationale paritaire de branche ; s'il est
conclu par un salarié mandaté, il doit aussi recueillir
l'approbation du personnel.
Le
paragraphe I
du nouvel article L. 132-26 autorise un
accord de branche à instituer des règles dérogatoires pour
la conclusion d'accords collectifs d'entreprise ou d'établissement dans
les entreprises dépourvues de délégué syndical.
Il est ainsi possible de déroger aux règles de droit commun de la
négociation collective qui imposent la présence d'un
représentant syndical :
- les articles L. 132-2, L. 132-19 et L. 132-20 qui
exigent la présence parmi les signataires d'une organisation syndicale
de salariés représentative ;
- le nouvel article L. 132-2-2 qui fixe les règles de
validité des accords selon le principe majoritaire ;
- l'article L. 132-7 qui détermine les conditions de
révision et de rassemblement des accords et qui impose la
présence d'une organisation syndicale.
Le
paragraphe II
précise le régime applicable au
premier mode dérogatoire de conclusion d'un accord : celui conclu
avec les représentants élus du personnel.
Il ne peut être mis en oeuvre qu'en l'absence de
délégué syndical ou de délégué du
personnel faisant fonction de délégué syndical.
L'accord peut être négocié et conclu par les
représentants élus du comité d'entreprise ou, à
défaut, par les délégués du personnel.
L'accord ainsi négocié doit être validé par une
commission paritaire nationale de branche, qui peut en outre en assurer le
suivi.
L'entrée en application de l'accord est subordonnée à son
dépôt qui se fait dans des conditions de droit commun, à la
seule exception qu'il doit être accompagné du procès-verbal
de validation de la commission.
Le
paragraphe III
détermine le régime applicable au
second mode dérogatoire de conclusion d'un accord : celui conclu
avec un salarié mandaté.
Il ne peut être mis en place qu'en l'absence de
délégué syndical et de représentant élu du
personnel. Il est donc subsidiaire par rapport au mode précédent.
L'accord peut être négocié et conclu par un ou plusieurs
salariés expressément mandatés, pour une
négociation donnée, par une ou plusieurs organisations syndicales
représentatives au plan national.
L'accord ainsi négocié doit être validé par les
salariés lors d'un vote à la majorité des suffrages
exprimés.
L'entrée en application est subordonnée à son
dépôt dans les conditions de droit commun.
Le
paragraphe IV
définit les conditions de révision,
de renouvellement ou de dénonciation des accords conclus sous l'une ou
l'autre de ces formes. En application du principe de parallélisme des
formes, elles peuvent être identiques à celles observées
lors de leur conclusion.
On notera toutefois qu'il ne s'agit ici que d'une faculté qui ne
préjuge en rien des conditions qui seront appliquées en cas
d'implantation ultérieure d'un délégué syndical
dans l'entreprise. L'accord de branche mentionné au I pourrait alors
utilement aborder ce point.
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale
En première lecture, l'Assemblée nationale a adopté
trois amendements, avec l'avis favorable du Gouvernement :
- le premier, présenté par MM. Bernard Depierre et Jacques
Barrot, est de précision ;
- le deuxième, présenté par la commission,
précise la mise en oeuvre du mandatement, par analogie avec le
mandatement prévu à l'article 19 de la loi du
17 janvier 2000. Il prévoit que les organisations syndicales
doivent être informées de la volonté de l'employeur
d'engager des négociations et que le salarié mandaté ne
doit être ni apparenté, ni assimilable, par ses fonctions, au chef
d'entreprise pour assurer son indépendance ;
- le troisième, également présenté par la
commission, est de précision : si l'accord conclu par le
salarié mandaté n'est pas approuvé par le personnel, il
sera réputé non écrit et donc privé de toute valeur
juridique.
III - La position de votre commission
Votre commission observe que le dispositif proposé, fidèle
à l'architecture esquissée dans la Position commune, est bien
plus proche de celui mis en oeuvre à titre expérimental par la
loi du 12 novembre 1996 que de celui institué par la loi du
17 janvier 2000 : dans le premier cas, le mandatement n'était
que subsidiaire ; il était en revanche prioritaire dans le second.
Il s'en rapproche également en confiant à la branche le soin
d'organiser (au travers de l'accord de branche) et de suivre (au travers des
commissions paritaires) ces nouvelles modalités de conclusion des
accords.
Votre commission vous propose toutefois d'adopter
trois amendements
visant à donner toute sa portée au présent article et
à l'encadrer des garanties nécessaires.
Le premier
amendement
vise à préciser la nature de
l'accord de branche autorisant la mise en oeuvre de ces nouvelles
modalités de négociation dans les entreprises dépourvues
de délégué syndical. Un accord non étendu ne
s'applique que dans les entreprises dans lesquelles l'employeur adhère
à l'organisation patronale signataire. Or, le dispositif concerne
pourtant essentiellement les petites entreprises qui n'adhèrent pas
toujours - loin s'en faut - à ces organisations. Aussi est-il
nécessaire, pour garantir une mise en oeuvre effective de ces nouvelles
possibilités de négociation sur le terrain, que l'accord de
branche soit étendu.
Le deuxième
amendement
tend à préciser le contenu
de l'accord de branche instituant ces nouvelles modalités de
négociation collective dans les petites entreprises.
A cet égard, la Position commune indiquait :
« L'accord de branche devra fixer la liste des thèmes de
négociations susceptibles d'être menées dans les
entreprises dans les conditions précitées, le seuil d'effectifs
en deçà duquel ces dispositions seront applicables, les
conditions d'exercice du mandat de négociateur, ainsi que leurs
modalités de suivi par l'Observatoire paritaire de branche de la
négociation collective. »
Or, le présent article ne reprend aucune de ces quatre stipulations.
Votre commission estime que c'est regrettable à un double titre.
D'une part, elle considère qu'il importe que l'accord de branche fixe
effectivement les modalités d'encadrement pour jouer efficacement son
rôle de régulation.
D'autre part, elle observe que le Conseil constitutionnel, dans sa
décision n° 96-383 DC du 6 novembre 1996 sur la loi du
12 novembre 1996 avait explicitement pris acte de l'existence de trois de
ces quatre points pour valider le dispositif. Les conditions d'exercice du
mandat avaient en outre fait l'objet de la
« réserve » suivante :
« Considérant qu'il résulte du second alinéa
du III que les conditions d'exercice du mandat de négociation seront
arrêtées par les accords de branche ; que, compte tenu des
conséquences attachées à l'existence même d'un
mandat, notamment à l'obligation qui pèse sur le mandant
d'exécuter les engagements contractés par le mandataire,
conformément au pouvoir qui lui a été donné, la
détermination des conditions d'exercice du mandat de négociation
doit nécessairement comporter les modalités de désignation
du salarié, la fixation précise par le mandant des termes de la
négociation, ainsi que les obligations d'information pesant sur le
mandataire et préciser les conditions dans lesquelles s'exerce la
possibilité pour le mandant de mettre fin à tout moment au
mandat ; que, sous cette réserve, la procédure de
négociation ainsi instaurée n'est pas contraire aux prescriptions
du huitième alinéa du préambule de la Constitution du
27 octobre 1946 ».
Dans ces conditions, votre commission a souhaité délimiter
expressément les principales règles, déjà
énumérées dans la Position commune, devant être
déterminées par l'accord de branche pour mettre en oeuvre ces
possibilités dérogatoires de négociation.
L'accord devra ainsi fixer :
- les thèmes ouverts à ce type de négociation ;
- les seuils d'effectifs en deçà desquels elle est, le cas
échéant, applicable ;
- les conditions d'exercice du mandat du salarié
mandaté ; il va de soi que ces conditions devront correspondre
à celles posées par le Conseil constitutionnel dans sa
décision précitée ;
- les modalités de suivi de ces accords.
Le troisième
amendement
vise à préciser les
règles de conclusion des accords conclus avec les représentants
élus du personnel.
Il est prévu que les représentants élus du comité
d'entreprise ou, à défaut, les délégués du
personnel peuvent conclure un accord. Mais rien ne précise les
modalités de validité de l'accord ainsi conclu et les conditions
d'application du « principe majoritaire ». Doit-il
être adopté par la majorité du comité d'entreprise,
par les représentants élus représentant la majorité
des salariés ou par des représentants minoritaires sans que les
représentants majoritaires s'y opposent ? Face à cette
lacune, source de contentieux, il convient de prévoir que c'est à
l'accord de branche de déterminer les conditions de validité de
l'accord ainsi conclu.
Votre commission vous présente également
trois amendements
tendant à préciser la rédaction de ces dispositions.
Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi
amendé.
Article 42
(art. L. 132-30 du
code du travail)
Commissions paritaires et dialogue social
territorial
Objet : Cet article vise à instituer des
commissions paritaires territoriales professionnelles ou interprofessionnelles
mises en place par accord collectif et à en préciser les
missions.
I - Le dispositif proposé
Dans la Position commune, les partenaires sociaux ont souhaité, à
son point II - 3, favoriser la mise en place d'un dialogue social
interprofessionnel territorial :
« La volonté des
interlocuteurs sociaux d'élargir le dialogue social doit
également trouver une traduction concrète au niveau territorial
interprofessionnel. Ce dialogue social interprofessionnel territorial, qui ne
saurait avoir de capacité normative, doit être l'occasion,
à l'initiative des interlocuteurs concernés, d'échanges et
de débats réguliers sur le développement local dans sa
dimension sociale et économique. Les COPIRE constituent, dans leur champ
de compétence, un lieu de développement de ce dialogue
social. »
S'il existe certes déjà des instances de dialogue social
territorial, celles-ci n'ont pour l'instant donné que des
résultats somme toute mitigés.
Ainsi, les commissions paritaires régionales de l'emploi (COPIRE),
mentionnées expressément par la Position commune, ont
été instituées par l'accord national interprofessionnel du
10 février 1969 sur la sécurité de l'emploi. A leur
création, elles avaient vocation à être des lieux
d'étude et d'information sur l'évolution de l'emploi dans les
branches et les régions. Leurs compétences ont été
progressivement étendues aux questions de formation professionnelle qui
dominent aujourd'hui leur ordre du jour. Mais, malgré les tentatives de
« relance » régulières (1984, 1991, 1994),
elles ne jouent encore qu'un rôle modeste et surtout essentiellement
centré sur les questions de formation.
De même, le code du travail prévoit, à son article
L. 132-30
42
(
*
)
, la
possibilité de conclure entre les chefs d'entreprise de moins de
cinquante salariés et les organisations syndicales de salariés
représentatives dans la sphère géographique, des accords
collectifs instituant une commission paritaire. Cette commission paritaire, qui
peut être professionnelle ou interprofessionnelle, peut elle-même
élaborer un accord applicable dans les entreprises parties prenantes,
peut «
concourir à l'élaboration et à
l'application de convention ou d'accord collectif
» et peut
examiner les réclamations individuelles et collectives des
salariés intéressés. Mais ces commissions paritaires n'ont
été que très rarement mises en place.
Le présent article, qui se veut, selon l'exposé des motifs,
« une réécriture et une clarification de l'article
L. 132-30 »
, cherche à relancer ces commissions
paritaires en rénovant leur champ d'intervention géographique et
leurs participants.
Mises en place par accord collectif, ces commissions auront à l'avenir
à représenter, non plus les entreprises de moins de cinquante
salariés, mais potentiellement l'ensemble des entreprises situées
dans leur champ géographique. Ce champ géographique est en outre
étendu puisqu'il pourra être non seulement local ou
départemental, mais désormais régional (en
cohérence d'ailleurs avec les missions que lui confie le projet de loi
en matière d'emploi et de formation continue).
Quant à leurs missions, elles sont similaires à celles
prévues à l'article L. 132-30.
Trois d'entre elles sont formulées en des termes identiques :
- concourir à l'élaboration et à l'application de
conventions et accords collectifs de travail ;
- examiner les réclamations individuelles et collectives ;
- examiner toute autre question relative aux conditions d'emploi et de
travail des salariés intéressés.
Leur dernière mission est en revanche légèrement
modifiée : alors qu'elles peuvent actuellement conclure des accords
professionnels, interprofessionnels ou interentreprises, elles auront à
l'avenir vocation à négocier et à conclure des
« accords d'intérêt local »
, notamment
en matière d'emploi et de formation professionnelle.
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée
nationale
En première lecture, l'Assemblée nationale, à l'initiative
de sa commission et avec l'avis favorable du Gouvernement, a adopté un
amendement visant à préciser que l'accord instituant ces
commissions paritaires fixe les modalités d'exercice des fonctions des
salariés y participant (droit de s'absenter, compensation des pertes de
salaires, indemnisation des frais de déplacement).
III - La position de votre commission
Votre commission observe que le présent article s'écarte sur deux
points de la Position commune :
- d'abord, il donne un pouvoir normatif à ces commissions en leur
permettant de conclure des accords d'intérêt local, qui semblent
ici avoir la nature d'accords collectifs de travail, alors que la Position
commune précisait que le dialogue social territorial
« ne
saurait avoir de capacité normative »
;
- ensuite, il prévoit qu'elles puissent être professionnelles
ou interprofessionnelles, alors que la Position commune n'évoquait qu'un
« dialogue social interprofessionnel ».
Il reste qu'une telle « entorse » peut ici se justifier
compte tenu de la vocation de ces commissions paritaires, qui auront sans doute
avant tout pour mission de traiter des questions d'emploi dans les bassins
d'emploi les plus fragiles, et notamment ceux frappés par des
restructurations.
43
(
*
)
Aussi, compte tenu de l'objet spécifique de ces accords, la crainte
exprimée par certains que la reconnaissance d'un pouvoir normatif
à ces commissions paritaires ne conduise à un imbroglio du droit
conventionnel semble excessive, surtout eu égard à
l'extrême rareté d'accords interprofessionnels locaux et à
l'affaiblissement de la négociation professionnelle territoriale.
Votre commission a en outre souhaité compléter
, par
amendement
, les apports de l'Assemblée nationale en matière
de conditions d'exercice des mandats des salariés membres de ces
commissions, qui pourraient ne pas être nécessairement des
délégués syndicaux. Il lui est apparu souhaitable de leur
garantir une protection contre le licenciement, celle-ci devant alors
être définie par l'accord instituant la commission paritaire
territoriale.
Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi
amendé.
Article 43
(art. L. 135-7 du
code du travail)
Information sur le droit conventionnel applicable dans
l'entreprise
Objet : Cet article vise à renforcer les
modalités d'information des salariés et des représentants
du personnel sur le droit conventionnel applicable dans l'entreprise.
I - Le dispositif proposé
L'obligation d'information des représentants du personnel et des
salariés sur le droit conventionnel applicable dans l'entreprise ou
l'établissement est actuellement doublement encadrée :
- la directive européenne du 14 octobre 1991, relative
à l'obligation de l'employeur d'informer le travailleur des conditions
applicables au contrat ou à la relation de travail, prévoit une
obligation d'information de l'employeur qui porte à la fois sur la
convention de branche et sur les accords d'entreprise ;
- l'article L. 135-7 du code du travail oblige l'employeur à
tenir à disposition des salariés et de leurs représentants
(comité d'entreprise, délégués du personnel,
délégués syndicaux), l'ensemble des textes conventionnels
applicables. A défaut, il encourt une sanction pénale
(750 euros d'amende).
Le présent article, qui propose une nouvelle rédaction de cet
article L. 135-7, vise à améliorer l'information sur le
droit conventionnel.
Le
paragraphe I
renvoie à un accord de branche le soin de
définir les conditions d'information des salariés et des
représentants du personnel sur le droit conventionnel applicable dans
l'entreprise ou l'établissement.
Le
paragraphe II
précise les règles minimales qui
s'appliquent en l'absence d'accord de branche étendu, mais
également qui s'imposent à l'accord de branche en application du
principe de faveur.
Les deuxième et troisième alinéas se contentent de
reprendre les dispositions déjà prévues par l'actuel
article L. 135-7 du code du travail :
- l'employeur doit fournir aux représentants du personnel un
exemplaire de toute convention ou accord collectif le liant ;
- l'employeur tient à la disposition des salariés un
exemplaire des textes conventionnels et doit les informer, par avis
affiché sur les lieux de travail, de la possibilité de les
consulter.
En revanche, le premier alinéa introduit une obligation nouvelle :
celle pour l'employeur de remettre au salarié, à son embauche,
une
« notice d'information »
sur les textes
applicables dans l'entreprise.
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale
En première lecture, l'Assemblée nationale a adopté
quatre amendements, présentés par sa commission et ayant
recueilli l'avis favorable du Gouvernement.
Les deux premiers sont de nature rédactionnelle.
Le troisième précise que l'exemplaire des textes conventionnels
que l'employeur tient à la disposition des salariés doit
être à jour.
Le dernier prévoit la mise à disposition, sur l'intranet des
entreprises qui en disposent, des textes conventionnels à jour.
III - La position de votre commission
Votre commission considère que l'information sur le droit conventionnel
constitue un élément d'importance majeure, importance encore
renforcée par les dispositions du projet de loi tendant à
étendre la place du droit conventionnel.
C'est un impératif pour le salarié qui doit pouvoir
connaître les textes qui lui sont applicables, la question étant,
pour lui, celle de l'accès au droit. C'est aussi un enjeu pour
l'employeur qui est responsable de l'application des textes dans l'entreprise,
la question étant pour lui celle de la sécurité juridique.
C'est enfin une exigence pour les partenaires sociaux dans leur ensemble, dans
la mesure où l'information de leurs adhérents participe de leur
mission générale de défense de leurs intérêts.
Même si à l'heure actuelle
« l'accès aux
textes conventionnels est relativement aisé en
France »
44
(
*
)
,
il subsiste encore certaines
difficultés, auxquelles le présent article cherche à
apporter une réponse en écho aux conclusions de l'IGAS qui estime
que
« le premier lieu de l'information sur le droit conventionnel
est et doit rester l'entreprise »
.
Mais il s'inscrit également dans la logique du présent projet de
loi en renvoyant aux partenaires sociaux le soin d'organiser, par accord de
branche, l'accès des salariés et des représentants du
personnel à l'information sur le droit conventionnel et en ne fixant
dans la loi que les règles minimales.
Aussi votre commission se contentera de vous présenter, outre un
amendement rédactionnel, un
amendement
tendant à
étendre l'information dont bénéficient les
représentants du personnel visés au présent article aux
salariés mandatés, en application de l'article 41 du projet
de loi. Ceux-ci doivent, en effet, bénéficier d'une information
identique pour être véritablement en mesure d'exercer leur mandat.
Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi
amendé.
Article 43 bis
(nouveau)
(article 5 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier
2000
relative à la réduction négociée du temps
de travail)
Report de deux années du régime transitoire
d'imputation
des heures supplémentaires sur le contingent
annuel
pour les entreprises de vingt salariés au
plus
Objet : Cet article vise à prolonger de deux ans,
jusqu'au 31 décembre 2005, la possibilité transitoire d'imputer,
pour les entreprises de vingt salariés au plus, les heures
supplémentaires sur le contingent annuel à partir de la
37
e
heure et non de la 36
e
heure de travail
hebdomadaire.
I - Le dispositif proposé
Cet article a été introduit en première lecture à
l'Assemblée nationale à l'initiative conjointe, d'une part, de
MM. Hervé Novelli et Jean-Pierre Gorges, d'autre part, de
MM. Bernard Depierre, Jacques Barrot, Claude Gaillard, Daniel Poulou et
Mme Catherine Vautrin. Il a été adopté avec l'avis
favorable de la commission, le Gouvernement s'en remettant à la sagesse
de l'Assemblée nationale.
L'article 5 de la loi du 19 janvier 2000 a prévu une période
de transition de deux ans pour l'application du nouveau régime des
heures supplémentaires qu'elle introduisait parallèlement
à la réduction de la durée légale du travail.
Trois assouplissements transitoires ont été
aménagés pour compenser le choc brutal d'un passage
immédiat de la durée légale du travail à
35 heures par semaine :
- les quatre premières heures supplémentaires (de la
36
e
à la 39
e
heure) font l'objet d'une
majoration salariale (et non d'un repos compensateur de remplacement) ;
- leur taux de majoration est fixé à 10 % (et non
25 %) ;
- le seuil d'imputation des heures supplémentaires sur le
contingent annuel est fixé à 37 heures la première
année, puis à 36 heures la deuxième, pour n'atteindre
35 heures que la troisième année.
Compte tenu d'une date de passage de la durée légale du travail
pour les entreprises de vingt salariés au plus fixée au
1
er
janvier 2002, cette période transitoire s'achevait
le 1
er
janvier 2004.
Toutefois, pour prendre en compte les difficultés rencontrées par
les petites entreprises, l'article 5 de la loi n° 2003-47 du
13 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au
développement de l'emploi a prévu de prolonger jusqu'au
31 décembre 2005 la période transitoire applicable aux deux
premiers assouplissements.
Le présent article vise alors à reporter à cette
même date l'échéance du troisième assouplissement
transitoire : les heures supplémentaires ne seront imputées
sur le contingent annuel qu'à partir de la 37
e
heure de
travail hebdomadaire en 2004 et 2005. Cela équivaut à majorer
d'environ 47 heures par an le volume du contingent pour ces deux
années.
II - La position de votre commission
Votre commission rappelle que, lors de l'examen de la proposition de loi
permettant de faire face aux pénuries de main-d'oeuvre et de lever les
obstacles à la poursuite de la croissance économique
45
(
*
)
, elle avait proposé une
telle mesure
46
(
*
)
parmi
les dispositions figurant dans ses conclusions.
Toutefois, elle n'avait pas souhaité l'introduire à nouveau dans
la loi du 17 janvier 2003. Elle avait alors considéré que,
compte tenu des autres assouplissements proposés - et notamment la
possibilité de fixer le volume du contingent par voie
conventionnelle - cette proposition perdait une large part de son
intérêt.
Il reste que, malgré la liberté conventionnelle qui leur a
été reconnue en la matière, rares sont les branches
professionnelles ayant choisi depuis lors de majorer par accord le volume de
leur contingent. Il est vrai que celui-ci avait été
parallèlement porté par décret de 130 à
180 heures.
Dans ces conditions, et même si, comme l'observait le ministre à
l'Assemblée nationale, le présent article n'est guère
«
conforme à l'esprit du projet de
loi
»
47
(
*
)
,
il semble de nature à apporter une réponse appropriée aux
difficultés persistantes d'adaptation de certaines petites entreprises
à la nouvelle réglementation du temps de travail. Il
présente surtout le mérite d'harmoniser les différentes
échéances de la période transitoire qui leur est
applicable.
Votre commission vous propose d'adopter cet article sans
modification.
Article 44
(art. L. 132-5-1 du
code du travail)
Droit de saisine des organisations syndicales de
salariés
sur des thèmes de
négociation
Objet : Cet article vise à instituer un
« droit de saisine , au niveau des branches et des entreprises,
pour les organisations syndicales de salariés qui demandent l'engagement
d'une négociation sur un thème donné.
I - Le dispositif proposé
Parmi les préconisations de la Position commune, figurait, à son
point II-3, l'institution d'un droit de saisine des organisations
syndicales de salariés :
« Ce droit a pour objet d'éviter que des demandes
adressées par les organisations syndicales de salariés restent
sans réponse et que l'équilibre des parties soit assuré y
compris en matière de droit d'initiative.
« La négociation de branche fixera les modalités de la
saisine tant au niveau de la branche que de l'entreprise, en fonction des
pratiques de la profession et des caractéristiques des entreprises qui
la composent telle que, par exemple, l'inscription à l'ordre du jour
d'une réunion paritaire annuelle des demandes adressées par les
organisations syndicales depuis la dernière réunion et qui
n'auraient pas reçu de réponse de la partie patronale dans
l'intervalle.
« Au niveau national interprofessionnel, l'engagement sera pris de
donner une réponse à toute demande émanant d'une
organisation syndicale représentative.
« Cette nouvelle obligation de réponse patronale à une
saisine syndicale constitue la réponse à d'éventuelles
nouvelles obligations légales de négocier sur des thèmes
facultatifs ».
Le présent article, qui introduit un nouvel article L. 132-5-2 dans
le code du travail, pose le principe de ce droit de saisine au niveau des
branches et des entreprises et en organise les modalités.
Il appartiendra à la négociation de branche de prévoir les
modalités de ce droit de saisine dans les conditions suivantes :
- il s'exerce tant au niveau de la branche qu'à celui de
l'entreprise ;
- il n'appartient qu'aux organisations syndicales de salariés
représentatives ;
- son champ n'est pas limité ;
- il ne doit pas entraîner la remise en cause des actuelles
obligations de négocier fixées par le code du travail sur
certains thèmes, tant dans la branche (article L. 132-12)
que
dans l'entreprise
(article L. 132-27)
.
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée
nationale
En première lecture, l'Assemblée nationale a adopté un
amendement rédactionnel de conséquence à l'initiative de
sa commission et avec l'avis favorable du Gouvernement.
III - La position de votre commission
Votre commission observe que le présent article reprend très
exactement la Position commune en renvoyant les modalités de mise en
oeuvre du droit de saisine dans la branche et dans l'entreprise à la
négociation de branche, confirmant là encore son rôle
« structurant » en matière de négociation
collective.
A cet égard, s'il est vrai que le droit de saisine n'est pas ici reconnu
au niveau national interprofessionnel, elle constate que, sur ce point, aucun
dispositif n'était expressément prévu par la Position
commune mais que les organisations patronales ont, dans le texte, pris
« l'engagement de donner une réponse à toute demande
émanant d'une organisation syndicale
représentative ».
Votre commission a toutefois souhaité, par
amendement,
s'assurer
de la portée effective du droit de saisine en l'incluant parmi les
clauses obligatoires que doit comporter la convention de branche pour pouvoir
être étendue, à l'image de ce que prévoit l'article
46 du projet de loi pour les conditions d'exercice du droit syndical.
Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi
amendé.
Article 45
(art. L. 412-8 du
code du travail)
Modalités d'accès et d'utilisation des
nouvelles technologies
de l'information et de la communication par les
organisations syndicales de salariés dans les
entreprises
Objet : Cet article vise à renvoyer à un
accord d'entreprise la possibilité d'autoriser la mise à
disposition de publications de nature syndicale soit sur un site syndical mis
en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie
électronique de l'entreprise.
I - Le dispositif proposé
A l'heure actuelle, les possibilités de diffusion et de mise à
disposition de tracts et publications de nature syndicale dans l'entreprise
sont régies par l'article L. 412-8 du code du travail.
Mais cet article, dont la dernière modification remonte à 1982,
n'a pas pris en compte l'essor des nouvelles technologies de l'information et
de la communication (NTIC).
A cet égard, la Position commune avait exprimé le souci, à
son point II-4, de préciser les conditions d'accès des
organisations syndicales de salariés aux NTIC installées dans
l'entreprise : «
Les branches s'emploieront paritairement
à définir des orientations pour un code de bonne conduite relatif
aux modalités d'accès et d'utilisation des NTIC par les
organisations syndicales de salariés dans les entreprises, à
partir d'un seuil d'effectifs fixé par la branche
. »
C'est l'objet du présent article, qui complète en ce sens
l'article L. 412-8 du code du travail. Il renvoie à un accord
d'entreprise - et non de branche - la possibilité
d'autoriser les organisations syndicales à utiliser les moyens
d'information de l'entreprise pour mettre à disposition ou diffuser des
publications de nature syndicale. En conséquence, cette utilisation
reste subordonnée à la conclusion d'un accord.
Il précise ensuite la forme que peut prendre cette utilisation en
prévoyant explicitement deux possibilités, même si bien
entendu l'accord peut toujours en instituer d'autres. La mise à
disposition de publications de nature syndicale peut se faire :
- soit par la mise en place d'un site syndical sur l'intranet de
l'entreprise ;
- soit par la diffusion des publications sur la messagerie
électronique de l'entreprise, cette diffusion devant cependant
être compatible avec les exigences de bon fonctionnement du réseau
informatique de l'entreprise et ne pas entraver l'accomplissement du travail.
Il renvoie enfin à l'accord d'entreprise le soin de définir les
modalités de cette utilisation syndicale des moyens de l'entreprise. A
cet égard, l'accord est doublement encadré :
- il doit préciser les
« conditions d'accès des
organisations syndicales »
à ces moyens. En cela, il pose
donc le principe qu'un tel accès doit respecter les exigences de
non-discrimination syndicale ;
- il doit garantir la liberté de choix des salariés
d'accepter ou de refuser un message, au nom même de la liberté
syndicale
48
(
*
)
.
L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.
II - La position de votre commission
En faisant le choix de l'entreprise, le présent article s'écarte,
en apparence seulement, de la Position commune qui renvoyait cette
faculté aux branches. Toutefois, si le recours aux branches n'est pas
expressément prévu, il n'en reste pas moins possible.
En outre, il est apparu que le niveau de l'entreprise est sans doute le plus
pertinent en la matière. On observera que de nombreuses entreprises ont
anticipé la loi sur ce point et qu'elles ont d'ores et
déjà conclu des accords d'entreprise sur les conditions
d'accès et d'utilisation des NTIC par les organisations syndicales.
Votre commission trouve également justifié de poser des
conditions plus strictes à la diffusion de publications syndicales par
messagerie électronique qu'à la mise à disposition du site
intranet de l'entreprise. Il existe en effet une différence de nature
entre ces deux modalités qui explique qu'un régime distinct leur
soit appliqué : pour la première, l'information s'impose au
salarié, alors que, pour la seconde, le salarié doit faire une
démarche pour obtenir l'information.
Votre commission vous propose d'adopter cet article sans
modification.
Article 46
(art. L. 133-5 du
code du travail)
Dispositions tendant à améliorer l'exercice
du droit syndical
Objet : Cet article vise à favoriser le
déroulement de carrière des salariés exerçant des
responsabilités syndicales et les conditions d'exercice de leur mandat
en incluant ces deux sujets dans les « clauses
obligatoires » que doit contenir la convention de branche pour
pouvoir être étendue.
I - Le dispositif proposé
La Position commune avait insisté, à son point II-1, sur
l'importance d'une meilleure reconnaissance des interlocuteurs syndicaux, en
formulant des propositions en ce sens :
« La négociation de branche devra rechercher des
dispositions facilitant le déroulement de carrière et l'exercice
de leurs fonctions des salariés exerçant des
responsabilités syndicales ainsi que des mesures destinées
à renforcer l'effectivité de la représentation collective
dans les entreprises. Une telle démarche participe de la
cohérence d'ensemble du dispositif. Elle passe en priorité par la
mobilisation des dispositifs légaux et conventionnels existants.
« Ainsi, la reconnaissance réciproque des interlocuteurs
syndicaux et patronaux dans leur identité et leurs
responsabilités respectives constituent, par définition, une
condition de l'existence d'un véritable dialogue social. Elle se doit
d'être actée paritairement et de trouver en outre une traduction
concrète dans le renvoi aux branches professionnelles de
négociations sur le déroulement de carrière des
salariés exerçant des responsabilités syndicales de
façon à s'assurer que l'exercice normal de telles
responsabilités ne pénalise pas l'évolution
professionnelle des intéressés.
« L'objectif de telles négociations est de définir un
certain nombre « d'actions positives » destinées
à donner une traduction concrète au principe, posé par le
code du travail, de non-discrimination en raison de l'exercice
d'activités syndicales.
« Dans cette perspective, les négociateurs de branche
organiseront dans les meilleurs délais leurs réflexions autour de
plusieurs thèmes tels que :
« - conciliation de l'activité professionnelle et de
l'exercice de mandats représentatifs ;
« - mise en oeuvre de l'égalité de traitement (en
matière de rémunération, d'accès à la
formation, de déroulement de carrière...) entre les
détenteurs d'un mandat représentatif et les autres
salariés de l'entreprise ;
« - droit, garanties et conditions d'exercice d'un mandat
syndical extérieur à l'entreprise au regard du contrat de
travail ;
« - prise en compte de l'expérience acquise dans
l'exercice d'un mandat dans le déroulement de carrière de
l'intéressé ;
« - optimisation des conditions d'accès au congé
de formation économique, sociale et syndicale en vue de faciliter la
formation des négociateurs salariés.
« La détermination des modalités d'application des
principes résultant de ces négociations de branche relève
normalement de la négociation d'entreprise de façon à
tenir compte de la spécificité propre à chacune d'elles.
« Cette négociation de branche devra être conduite
conjointement avec celle relative à la généralisation de
la représentation collective et de la possibilité de
négocier. »
Le présent article traduit cette préoccupation en termes
législatifs en incluant, parmi les thèmes que doit
obligatoirement contenir une convention de branche pour pouvoir être
étendue conformément à l'article L. 133-5 du code du
travail, deux nouvelles clauses obligatoires :
- le déroulement de carrière des salariés
exerçant des responsabilités syndicales et l'exercice de leurs
fonctions ;
- les conditions d'exercice des mandats de négociation et de
représentation au niveau de la branche.
L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.
II - La position de votre commission
Votre commission tient à souligner toute l'importance qu'elle attache
à cette disposition. Au moment où le projet de loi souhaite
élargir la place accordée à la négociation
collective, il était en effet indispensable de s'assurer de
l'équilibre effectif entre les parties présentes à la
négociation. En renforçant les moyens et les garanties dont
bénéficient les représentants syndicaux
49
(
*
)
, le présent article
participe de cette exigence.
A cet égard, la solution retenue paraît pertinente : en en
faisant des clauses obligatoires nécessaires à l'extension de la
convention de branche, elle permet que les questions du déroulement de
carrière et des conditions d'exercice des mandats des responsables
syndicaux fassent l'objet d'une négociation effective au niveau de la
branche.
Votre commission vous propose d'adopter cet article sans
modification.
Article 47
(art. L. 123-4, L.
132-30, L. 212-4-6, L. 121-4-12, L. 212-10, L. 212-15-3
et L. 227-1 du code
du travail, art. L. 713-18 du code rural
et article 2-1 de l'ordonnance
n° 82-283 du 26 mars 1982
portant création des
chèques vacances)
Dispositions de
coordination
Objet : Cet article vise à réaliser les
coordinations rendues nécessaires par la suppression de l'actuel droit
d'opposition et par la création de commissions paritaires
territoriales.
I - Le dispositif proposé
En cohérence avec les nouvelles règles de conclusion des accords
collectifs de travail, le présent projet de loi a supprimé
l'actuel droit d'opposition tel que régi par l'article L. 132-16 du code
du travail. Dès lors, il convient de réaliser les coordinations
nécessaires avec les dispositions législatives en vigueur faisant
référence à ce droit d'opposition.
De même, l'institution de nouvelles commissions paritaires territoriales,
à l'article 42 du projet de loi, a modifié la rédaction de
l'actuel article L. 132-30 ce qui exige là aussi de procéder aux
coordinations nécessaires.
Le
paragraphe I
prévoit les dispositions de cette nature
applicables au code du travail. Il supprime donc la référence
à l'actuel droit d'opposition de l'article L. 132-26 dans les
articles :
- L. 123-4 relatif au plan pour l'égalité
professionnelle (1°) ;
- L. 212-4-6 relatif à la modulation (2°) ;
- L. 212-4-12 relatif au travail intermittent (3°) ;
- L. 212-10 relatif aux sanctions des violations par les accords
d'entreprise de dispositions législatives ou conventionnelles de rang
supérieur (4°) ;
- L. 212-15-3 relatif à la mise en place de forfaits en heures
ou en jours pour les cadres (5°) ;
- L. 213-1 relatif à la mise en oeuvre du travail de nuit
(6°) ;
- L. 227-1 relatif à la création d'un compte
épargne temps (7°).
Il actualise en outre, à son 8°
50
(
*
)
, le rédaction de l'article 2-1 de l'ordonnance
du 26 mars 1982 portant création des chèques-vacances, compte
tenu de la référence faite à l'actuel article L. 132-30 du
code du travail devenue inopérante dans sa rédaction actuelle.
Le
paragraphe II
prévoit une coordination similaire à
l'article L. 713-18 du code rural qui fait référence
à l'actuel droit d'opposition.
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale
En première lecture, l'Assemblée nationale a adopté un
amendement rédactionnel et un amendement visant à réparer
un oubli, l'actuel article L. 132-10 du code du travail faisant
également référence au droit d'opposition.
III - La position de votre commission
Votre commission vous propose d'adopter cet article sans
modification.
Article 48
Application des
dispositions du titre II de la loi à
Mayotte
Objet : Cet article précise les conditions
d'application du titre II de la loi à Mayotte.
I - Le dispositif proposé
Le présent article autorise le Gouvernement, dans les conditions
prévues à l'article 38 de la Constitution, à
modifier, par ordonnance, la partie législative du code du travail de
Mayotte pour y appliquer, le cas échéant en les adaptant, les
dispositions du titre II du projet de loi.
L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.
II - La position de votre commission
Le recours à la procédure des ordonnances, pour appliquer
à Mayotte des dispositions législatives relatives au droit du
travail, est fréquent, compte tenu des spécificités de son
droit du travail.
Votre commission vous propose d'adopter cet article sans
modification.
Article 49
Rapport sur
l'application de la loi
Objet : Cet article prévoit la remise par le
Gouvernement d'un rapport au Parlement, avant le 31 décembre 2007,
sur l'application de la présente loi.
I - Le dispositif proposé
Le présent article organise les conditions d'évaluation de la loi
en prévoyant la remise, par le Gouvernement, d'un rapport au Parlement,
avant le 31 décembre 2007, sur son application.
Il précise également, pour associer les partenaires sociaux
à cette évaluation, que ce rapport sera soumis à l'avis
préalable de la Commission nationale de la négociation collective
(CNNC).
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale
En première lecture, l'Assemblée nationale a adopté,
à l'initiative de sa commission et avec l'avis favorable du
Gouvernement, deux amendements :
- le premier précise que l'avis de la CNNC doit être
motivé ;
- le second limite le champ du rapport d'évaluation au
titre II de la présente loi, conformément aux missions
dévolues à la CNNC
51
(
*
)
.
En outre, s'agissant de la CNNC, la commission des Affaires culturelles,
familiales et sociales de l'Assemblée nationale avait souhaité en
modifier la composition et le rôle afin d'«
améliorer
le dialogue entre les différentes sources normatives en matière
de droit du travail
». A ce titre, elle avait
proposé :
- d'élargir sa composition à des députés et
à des sénateurs représentant les groupes
constituées dans chaque assemblée ;
- de renforcer le « poids de l'expertise » de la CNNC
en la chargeant de formuler un avis, désormais motivé, sur les
projets de textes législatifs et réglementaires relatifs à
la négociation collective et de se prononcer à l'avenir dans les
mêmes conditions sur les propositions d'actes communautaires relatifs
à la négociation collective et sur leur transposition dans le
droit national ;
- de transmettre les documents élaborés par la CNNC aux
commissions compétentes du Parlement dès lors qu'ils touchent aux
évolutions possibles du droit du travail.
L'amendement a toutefois été retiré à la demande du
Gouvernement, celui-ci observant notamment que l'élargissement de la
composition de la CNNC aux parlementaires risquait de modifier
significativement son équilibre.
III - La position de votre commission
Votre commission ne peut bien évidemment que soutenir la
nécessité d'évaluer les évolutions du droit de la
négociation collective qui résulteront du présent projet
de loi. Cette évaluation permettra en outre de préparer les
adaptations ultérieures de ce droit au regard du bilan qu'elle
établira.
Cette démarche répond à la demande des partenaires
sociaux, dans la Position commune, de voir le nouveau mode de conclusion des
accords collectifs faire l'objet d'une évaluation et d'une
éventuelle adaptation.
Pour être exact, la Position commune privilégiait en
réalité l'aménagement du mode de conclusion des accords
sous la forme d'une «
période transitoire destinée
à permettre les évolutions que les interlocuteurs sociaux
jugeraient nécessaires et s'assurer notamment que le nouveau mode de
conclusion des accords constitue une étape positive au regard du double
objectif de développer la négociation collective et de renforcer
sa légitimité
». Mais la solution retenue par le
projet de loi - codification des nouvelles dispositions assortie de leur
évaluation - est en définitive comparable et aboutit
à un résultat identique.
En revanche, votre commission s'interroge sur l'opportunité
d'étendre, dans le cadre du présent projet de loi, la composition
de la CNNC à des parlementaires, même si elle partage le souci
exprimé par la commission de l'Assemblée nationale de moderniser
ses missions
52
(
*
)
.
A l'heure actuelle, la CNNC compte quarante membres. Elle est composée,
outre des ministres chargés du travail, de l'agriculture et de
l'économie et du vice-président du Conseil d'État, de
dix-huit représentants des salariés et de
dix-huit représentants des employeurs. Si on y ajoutait, comme le
prévoyait l'amendement présenté à
l'Assemblée nationale, un représentant de chaque groupe politique
de chaque assemblée, il faudrait, sur le fondement de la structuration
actuelle des groupes, l'étendre à neuf parlementaires.
L'équilibre de l'institution s'en trouverait profondément
modifié.
Surtout, eu égard aux missions actuelles de la CNNC, une telle extension
risquerait d'aboutir à un dangereux « mélange des
genres ». On peut en effet se demander s'il relève bien du
mandat d'un parlementaire :
- de faire toutes propositions de nature à faciliter le
développement de la négociation collective, alors que le
parlementaire a, conjointement avec le Gouvernement, l'initiative des
lois ;
- d'émettre un avis sur des projets de loi que le parlementaire
sera ensuite amené à examiner sur les bancs de son
assemblée ;
- de donner un avis motivé sur l'extension ou
l'élargissement d'une convention collective ;
- de donner un avis sur l'interprétation d'une clause d'un accord
collectif ;
- de donner un avis motivé sur la revalorisation du SMIC.
On le voit, cette proposition soulève en définitive plus de
difficultés qu'elle n'apporte de réponses.
Il reste que c'est à juste titre que l'Assemblée nationale a
évoqué toute l'importance qu'il y a à améliorer le
dialogue entre les différentes sources normatives en matière de
droit du travail. Mais, compte tenu de ses missions effectives, la CNNC n'est
sans doute pas l'instance la plus appropriée pour ce faire.
Votre commission vous propose d'adopter cet article sans
modification.
TITRE III
-
DISPOSITIONS
DIVERSES
Article 50
(art. L. 143-11-3
du code du travail)
Garantie de certaines créances
salariales
Objet : Cet article vise à exclure des sommes
couvertes par l'Association pour la gestion du régime de garantie des
créances des salariés (AGS) les créances issues, dans le
cas d'un licenciement économique, d'un accord conclu moins de dix-huit
mois avant la date du jugement d'ouverture de la procédure de
redressement ou de liquidation judiciaire.
I - Le dispositif proposé
L'AGS a pour mission de garantir le paiement des créances salariales en
cas de redressement ou de liquidation judiciaire.
L'Association pour la Gestion du régime de
garantie
des créances des Salariés (AGS)
Organisme patronal créé en février 1974, en
application de la loi du 27 décembre 1973 et à la suite de
la faillite de la société Lip, l'Association pour la Gestion du
régime de garantie des créances des Salariés (AGS)
a pour objet de garantir, en cas de redressement ou de liquidation
judiciaire des entreprises, le paiement des créances dues en
exécution du contrat de travail.
Ce régime a été mis en place pour pallier l'insuffisance
de la protection des salariés résultant de trois facteurs :
- la longueur des délais nécessaires aux opérations
de liquidation ;
- l'existence de créances primant certaines créances
salariales ;
- les limites financières imposées par les fonds disponibles.
Il garantit aux salariés le paiement, dans les meilleurs
délais et dans les limites fixées par le
code
du travail
, des sommes (salaires, préavis, indemnités de
rupture...) qui leur sont dues.
Aujourd'hui, le dispositif est régi par les articles L. 143-11-1
à L. 143-11-9 du code du travail, introduits par la loi
n° 85-98 du 25 janvier 1985
relative au redressement et
à la liquidation judiciaire des entreprises, modifiée par la loi
n° 94-475 du 10 juin 1994.
Un régime fondé sur la solidarité des entreprises
Le régime de garantie des créances des salariés est
financé par des cotisations patronales assises sur les
rémunérations servant de base au calcul des contributions
d'assurance chômage. Le conseil d'administration de l'AGS fixe le taux
des cotisations versées par les employeurs et a la responsabilité
de l'équilibre du régime de garantie des créances
salariales.
L'équilibre est assuré par l'adéquation entre le niveau
des avances, des récupérations et des cotisations.
Au cours de sa séance du 26 août 2003, le Conseil d'administration
de l'AGS a décidé d'appeler au taux de 0,45 %
les
cotisations destinées au financement du régime de garantie des
salaires. Ce nouveau taux de cotisation est applicable à l'ensemble des
rémunérations versées à compter du
1er septembre 2003.
Les missions de l'AGS
Au coeur des procédures collectives, l'AGS mène trois missions
fondamentales au service du régime de garantie des créances des
salariés.
Les avances, pour garantir les sommes dues dans les meilleurs
délais : elle met à la disposition des mandataires de
justice les fonds nécessaires au règlement des créances
salariales permettant l'indemnisation rapide des bénéficiaires.
Les récupérations, pour contribuer à
l'équilibre du dispositif de garantie : elle procède
à la récupération des fonds avancés à partir
du suivi des plans de redressement, par voie de continuation ou de
cession, et de la réalisation des actifs des entreprises dans le cadre
des opérations de liquidation judiciaire.
Le contentieux, pour veiller à la défense des
intérêts du régime de garantie : elle assure la
défense en justice des intérêts du régime devant
toutes les juridictions : conseils de prud'hommes, cours d'appel...
Aux termes d'une convention de gestion entre l'AGS et l'Unédic,
agréée par le Ministère du travail, la réalisation
opérationnelle de ces missions est confiée à la
Délégation Unédic AGS.
Les créances garanties par la loi
Dans la limite des plafonds en vigueur, la garantie couvre :
les rémunérations de toute nature dues aux
salariés et apprentis ;
les indemnités résultant de la rupture des contrats
de travail ;
l'intéressement et la participation, dès lors que
les sommes dues sont exigibles ;
les arrérages de préretraite, en application d'un
accord d'entreprise, d'une convention collective ou d'un accord professionnel
ou interprofessionnel ;
les indemnités allouées aux victimes d'accident du
travail ou d'une maladie professionnelle ;
les indemnités de départ en retraite ;
les dispositions des plans sociaux résultant de
stipulations légales et conventionnelles.
Source : AGS
Or,
depuis quelques années, il semble que se multiplient des pratiques
« consistant à conclure un accord dans une entreprise en
difficulté alors que la charge financière de cet accord ne pourra
pas être assumée par l'employeur mais devra l'être par
l'AGS ».
L'AGS a recensé quarante deux accords de ce type
correspondant à une créance d'environ 140 millions d'euros.
Le présent article vise à prévenir de telles pratiques en
modifiant la rédaction de l'article L. 143-11-1 du code du travail
relatif aux créances salariales couvertes par l'AGS.
Il prévoit d'exclure de la garantie couverte par l'AGS, en cas de
licenciement pour motif économique, les créances salariales,
nées d'un accord d'entreprise conclu moins de dix-huit mois avant la
date du jugement d'ouverture de la procédure de redressement ou de
liquidation judiciaire. Ce délai de dix-huit mois correspond à la
« période suspecte » retenue par le code de commerce.
L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.
II - La position de votre commission
Votre commission observe que le développement de ces pratiques
contestables intervient au moment où la situation financière de
l'AGS est fortement dégradée.
Alors que le solde de trésorerie de l'AGS était encore
excédentaire en janvier 2002, il était déficitaire de plus
de 400 millions d'euros en décembre 2003 quand bien même le
taux d'appel des cotisations était passé de 0,20 % à
0,45 % sur la période
53
(
*
)
.
Or, le développement de ces pratiques tend à fragiliser la
mutualisation assurée par l'AGS, leurs conséquences
financières étant assumées par l'ensemble des employeurs
au travers de la hausse du taux de cotisation.
Les
chiffres clés de l'AGS
|
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
AVANCES (en millions d'euros, source DFI) |
1.296 |
1.366 |
1.149 |
1.178 |
1.131 |
1.295 |
1.735 |
2.027 |
RECUPERATIONS
|
498 |
574 |
652 |
612 |
564 |
501 |
532 |
678 |
COTISATIONS
|
828 |
678 |
707 |
681 |
569 |
358 |
785 |
1.312 |
TAUX
D'APPEL DES COTISATIONS
|
0,35 %
|
0,25 % |
0,25 % |
0,25 %
|
0,20 %
|
0,10 % |
0,20 %
|
0,35
|
Nombre de
défaillances d'entreprise
|
55.984 |
52.323 |
46.743 |
41.339 |
37.572 |
36.218 |
37.325 |
n.d. |
Nombre de
dossiers AGS ouverts
|
30.796 |
30.253 |
27.550 |
24.928 |
21.898 |
21.098 |
22.164 |
22.653 |
Nombre de dossiers de plus de 100 salariés |
148 |
147 |
126 |
138 |
129 |
178 |
206 |
218 |
Nombre de
salariés bénéficiaires
|
338.628 |
325.007 |
246.251 |
201.228 |
179.569 |
207.133 |
282.159 |
294.094 |
Nombre de
salariés enregistrés
|
n.d. |
n.d. |
128.275 |
165.040 |
166.636 |
193.697 |
199.764 |
173.488 |
Cumul des
avances depuis le 01/01/1986
|
10.803 |
12.170 |
13.319 |
14.497 |
15.627 |
16.923 |
18.658 |
20.686 |
Cumul des
récupérations depuis le 01/01/1986
|
3.126 |
3.700 |
4.352 |
4.964 |
5.528 |
6.029 |
6.561 |
7.222 |
Taux de récupération (nouvelle loi) |
28,9 % |
30,4 % |
33,7 % |
34,2 % |
35,4 % |
36,3 % |
35,2 % |
34,9 % |
Nombre de procédures prud'homales |
40.895 |
42.367 |
40.159 |
37.256 |
38.736 |
38.386 |
36.544 |
42.178 |
Nombre d'arrêts de cour d'appel rendus |
5.237 |
6.355 |
6.280 |
6.519 |
8.850 |
8.503 |
7.312 |
n.d. |
Nombre
d'arrêts de la Cour de cassation rendus
|
47 |
82 |
43 |
57 |
46 |
45 |
51 |
n.d. |
n.d. = non disponible Source : AGS
Si votre
commission partage l'esprit du dispositif proposé, elle n'en a pas moins
jugé la rédaction ambiguë et a souhaité
procéder, par
amendement,
à sa réécriture
afin d'y apporter trois précisions :
- les sommes que ne couvrira pas l'AGS sont uniquement celles liées
à la rupture du contrat de travail qui ne trouvent pas leur fondement
dans la loi ou la convention collective (et non, bien entendu, les
éventuelles augmentations de salaires qui auraient pu être
prévues par accord, par exemple). Ne doivent donc être
visées que les indemnités ou primes inhérentes au
licenciement ;
- les sommes en question sont celles prévues non seulement par un
accord d'entreprise, mais aussi par un accord d'établissement ou de
groupe et, plus largement, celles prévues par une décision
unilatérale de l'employeur. Il ne faudrait pas, en effet, que, sous
prétexte de limiter certaines pratiques contestables (les accords), on
en vienne à en susciter d'autres (les décisions
unilatérales) pour contourner la loi ;
- l'article est mis à la forme
« négative » par souci de sécurité
juridique et pour prévenir toute ambiguïté
d'interprétation.
Il reste que l'employeur demeure bien évidemment en droit d'instituer
des indemnisations du licenciement économique supérieures
à ce que prévoit la loi dès lors qu'il en assume
pleinement la charge financière ou lorsqu'elles ont été
mises en place antérieurement à la période suspecte.
Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi
amendé.
Article 50 bis (nouveau)
(art.
L. 129-1 du code du travail)
Condition d'agrément des associations
d'aide à domicile
Objet : Cet article assouplit les conditions
d'agrément des associations d'aide à domicile en leur permettant
d'assurer des prestations d'aide à la mobilité dans
l'environnement de proximité.
I - Le dispositif proposé
Cet amendement a été introduit en première lecture
à l'Assemblée nationale à l'initiative de M. Daniel
Paul et des membres du groupe communiste et républicain, avec l'avis
favorable du Gouvernement et contre l'avis de la commission
54
(
*
)
.
En application de l'article L. 139-1 du code du travail, les associations
d'aide à domicile sont soumises à un agrément :
celui-ci n'est délivré qu'aux associations
« sans
but lucratif, dont les activités concernent les tâches
ménagères ou familiales, et, obligatoirement, soit la garde des
enfants, soit l'assistance aux personnes âgées, handicapées
ou à celles qui ont besoin d'une aide personnelle à leur
domicile »
.
Interprétées strictement, ces conditions ne permettent pas de
délivrer l'agrément à des associations qui proposent une
aide à la mobilité dans l'environnement de proximité,
alors même que ce type d'assistance participe pourtant du maintien
à domicile. Le présent article vise donc à couvrir ce cas
de figure.
II - La position de votre commission
Votre commission partage le souci d'étendre les services d'aide à
domicile à des prestations d'accompagnement dans l'environnement
immédiat de la personne dépendante.
Elle vous propose d'adopter cet article sans
modification.
Article additionnel après
l'article 50 bis
(art. L. 443-1 du code du
travail)
Modalités de mise en place des plans d'épargne
d'entreprise
Objet : Cet article additionnel vise à supprimer
la possibilité de mise en place d'un plan d'épargne d'entreprise
dès lors qu'il peut être institué par accord avec le
personnel.
Le présent article vise à tirer les conséquences du
développement de la place accordée à la négociation
collective par le projet de loi.
A l'heure actuelle, en application de l'article L. 443-1 du code du
travail, le plan d'épargne d'entreprise (PEE) peut être mis en
place :
- soit par accord collectif de travail ;
- soit par accord avec un salarié mandaté à cet
effet ;
- soit par accord avec le comité d'entreprise ;
- soit par approbation des deux tiers des salariés ;
- soit par décision unilatérale de l'employeur.
Or, les PEE restent encore aujourd'hui, même dans les entreprises de
taille significative, largement octroyés.
Par cohérence avec le projet de loi
55
(
*
)
et avec les règles applicables aux autres
dispositifs (intéressement, participation, plan d'épargne
interentreprises, plan d'épargne retraite collective) qui ne peuvent
être mis en place que par accord avec le personnel, il serait logique de
supprimer la possibilité de mise en place du PEE par décision
unilatérale de l'employeur. Cela renforcerait d'autant l'aspect
participatif du PEE, serait susceptible de prévenir certaines pratiques
contestables et ouvrirait un nouveau champ à la négociation
collective.
Pour autant, et dans le souci d'éviter des changements trop brutaux,
notamment dans les petites entreprises où la négociation d'un
accord reste difficilement praticable, le présent article
privilégie une voie médiane : la possibilité de
mettre en place un PEE par voie unilatérale ne serait supprimée
que dans les cas où la conclusion d'un accord est envisageable.
La suppression de la voie unilatérale n'est donc retenue que si
l'entreprise répond à l'une de ces trois conditions :
- elle dispose d'un délégué syndical ;
- elle est dotée d'un comité d'entreprise ;
- elle est couverte par un accord de branche défini à
l'article 41 du présent projet de loi.
Dans ces cas, le PEE ne pourra être mis en place que par accord avec le
personnel selon l'une des quatre modalités suivantes :
- par accord collectif de travail (y compris les accords
dérogatoires prévues à l'article 41 ter du
projet de loi) ;
- par accord avec un salarié mandaté ;
- par accord avec le comité d'entreprise ;
- par approbation par les deux tiers du personnel.
Votre commission vous propose d'insérer cet article additionnel par
voie d'amendement.
Article additionnel après
l'article 50 bis
(art. 199 terdecies A du code
général des impôts)
Rétablissement de la reprise
de l'entreprise par ses
salariés
Objet : Cet article additionnel vise à
rétablir, sous une forme actualisée, le régime fiscal
spécifique à la reprise de l'entreprise par ses salariés
pour les salariés adhérents à un PEE.
Afin de favoriser la transmission de l'entreprise à son personnel, le
présent article vise à rétablir le régime
spécifique de la reprise d'entreprise par ses salariés (RES)
disparu fin 1999.
Chaque année, de nombreuses entreprises -le plus souvent des PME
à actionnariat familial- se retrouvent sans repreneur à la suite
du départ du chef d'entreprise. Le risque de disparition pure et simple
de l'entreprise est alors réel, en l'absence de transmission familiale.
Dans cette perspective, le législateur avait institué en
1984
56
(
*
)
un régime
spécifique pour la RES, en accordant aux salariés des
facilités pour réunir les capitaux nécessaires au
financement de la reprise, sous forme d'incitation fiscale.
Ce régime fiscal a toutefois été progressivement
supprimé alors même que les RES débouchaient, dans de
nombreux cas, sur des reprises réussies.
Cet article vise donc à rétablir ce régime fiscal, qui est
le seul susceptible de permettre aux salariés de constituer le capital
initial suffisant pour le financement du rachat. Il prévoit que les
salariés adhérant à un PEE, qui souscrivent au capital
d'une société nouvelle créée pour racheter leur
entreprise, bénéficient d'un avantage fiscal qui prend la forme
d'une réduction d'impôt égale à 25 % des
versements afférents à leur souscription, qu'ils aient ou non
effectué un emprunt préalable. Le bénéfice de cet
avantage est toutefois triplement encadré :
- les versements ouvrant droit à réduction d'impôt
sont plafonnés ;
- les versements doivent intervenir dans les trois ans suivant la
constitution de la société nouvelle ;
- le salarié doit conserver les titres ainsi souscrits au moins
cinq ans.
Le présent article reprend, sous une forme aménagée, une
proposition qu'avait déjà adoptée le Sénat lors de
l'examen, en 2000, du projet de loi sur l'épargne salariale, mais aussi,
en 2003, dans le cadre du projet de loi sur l'initiative économique.
Certes, votre rapporteur ne méconnaît pas l'existence d'autres
dispositifs fiscaux visant à favoriser la transmission d'entreprise.
Mais ils reposent tous sur un fondement individuel et ne s'adressent donc pas
à la collectivité des salariés, au sein de la
participation. Ainsi, l'article 42 de la loi du 1
er
août
2003 sur l'initiative économique a institué un dispositif fiscal
similaire à celui de la RES pour les repreneurs
individuels
qui
acquièrent la majorité des droits de vote. On voit mal pourquoi
ce régime ne serait pas à nouveau applicable aux salariés
dès lors qu'ils acquièrent
collectivement
la
majorité des droits de vote. En cela, ces deux dispositifs ne sont donc
pas concurrents mais complémentaires.
Votre rapporteur n'ignore pas davantage le risque d'endettement lié
à ces opérations
57
(
*
)
. C'est pourquoi la réduction d'impôt est
plafonnée à un montant actualisé, mais raisonnable,
à l'inverse des dispositifs initiaux. C'est aussi pourquoi le dispositif
ne vise que les salariés ayant un apport initial dans le cadre du PEE.
Cela permet alors de préparer l'opération plus en amont et de
minimiser le risque financier d'un endettement excessif. Cela permet
également de renforcer le caractère collectif de
l'opération et de la rapprocher de la participation. Il conviendrait
d'ailleurs que les cas de déblocage anticipé des sommes
versées sur un PEE soient actualisées en conséquence pour
pouvoir être utilisées pour l'entrée au capital de la
société nouvelle.
Votre commission vous propose d'insérer cet article additionnel par
voie d'amendement.
Article additionnel après
l'article 50 bis
(art. L. 441-8 nouveau du code du
travail)
Ouverture de l'intéressement aux chefs d'entreprises
de
moins de cent salariés
Objet : Cet article additionnel vise à faciliter
l'essor de l'intéressement dans les entreprises de moins de cent
salariés, en autorisant, sous conditions, le chef d'entreprise à
en bénéficier.
La diffusion de l'intéressement et de la participation reste encore
très faible dans les petites entreprises comme en témoigne le
tableau suivant :
Part
des entreprises ayant un accord d'intéressement
ou de participation
en 2001 selon la taille de l'entreprise
(en %)
Taille de l'entreprise |
Intéressement |
Participation |
0 à 9 salariés |
2,6 |
1,0 |
10 à 49 salariés |
7,4 |
2,7 |
50 à 99 salariés |
18,9 |
50,6 |
100 à 249 salariés |
32,2 |
71,3 |
250 à 499 salariés |
40,4 |
74,7 |
500 salariés ou plus |
52,2 |
74,9 |
Source : rapport 2002 du Conseil supérieur de la Participation
Il
importe alors de favoriser le développement de l'intéressement et
de la participation dans les petites entreprises.
A cet égard, le développement de l'intéressement
apparaît prioritaire dans la mesure où il est plus souple et moins
complexe que la participation, ce qui en fait un instrument mieux adapté
aux petites et moyennes entreprises (PME). Il s'agit en outre d'un
« point d'entrée », la mise en place de
l'intéressement pouvant déboucher ultérieurement sur
l'institution de la participation.
Dans cette perspective, le présent article autorise les chefs
d'entreprise de moins de cent salariés à
bénéficier, sous conditions, de l'intéressement.
On sait en effet que l'interdiction posée actuellement n'incite pas les
chefs d'entreprise à engager des négociations sur la mise en
place de l'intéressement et constitue alors un frein à son
développement.
Votre rapporteur observe qu'une mesure similaire avait été
introduite, pour les PEE, dans la loi du 19 février 2001 sur
l'épargne salariale. Elle semble d'ailleurs avoir permis une meilleure
diffusion des PEE dans les PME.
Le présent article étend ce régime à
l'intéressement, mais en l'assortissant de conditions.
Il convient, en effet, d'éviter qu'un tel assouplissement
n'entraîne certains abus. C'est pourquoi le présent article
renvoie à un décret le soin de déterminer ces conditions
limitatives. Il faudrait notamment que les critères de
répartition de l'intéressement soient encadrés en
conséquence.
Votre rapporteur observe, en outre, qu'une telle mesure contribuerait à
développer le dialogue social dans les petites entreprises car
l'intéressement est nécessairement mis en place par accord avec
le personnel.
Votre commission vous propose d'insérer cet article additionnel par
voie d'amendement.
Article additionnel après
l'article 50 bis
(art. L. 444-8 nouveau du code du
travail)
Examen triennal des conditions de mise en place
d'un dispositif
d'épargne salariale dans les petites
entreprises
Objet : Cet article additionnel vise à introduire,
dans les petites entreprises, un « rendez-vous » triennal
pour examiner les conditions de mise en place de l'intéressement, de la
participation ou d'un dispositif d'épargne salariale.
Dans son rapport d'information de septembre 1999
58
(
*
)
, votre commission, constatant
la faiblesse de la diffusion de la participation, avait formulé deux
propositions pour y remédier :
« La principale faiblesse de l'épargne salariale est sans
conteste sa faible diffusion dans les PME. En 1997, seules 4,6 % des
entreprises de 10 à 49 salariés et 6 % des salariés
travaillant dans ces entreprises étaient couverts par un accord de
participation ou d'intéressement.
« Il importe donc prioritairement d'inciter ces entreprises à
signer des accords d'intéressement et de participation et à
mettre en place des PEE.
« Dans cette perspective, la loi du 25 juillet 1994 a prévu
d'instituer un « rendez-vous annuel obligatoire »
59
(
*
)
dans les entreprises où
sont constituées une ou plusieurs sections syndicales et où aucun
accord de participation ou d'intéressement n'est en vigueur. Ce
« rendez-vous » qui se fait à l'occasion de la
négociation annuelle sur le temps de travail, l'emploi et les salaires,
est l'occasion d'examiner l'opportunité de mettre en place un
régime d'intéressement, de participation ou d'actionnariat.
« Votre rapporteur constate cependant qu'il n'a pas eu tous les
effets désirés.
« Deux nouvelles voies pourraient être explorées :
« - il serait d'abord possible d'étendre le champ du
« rendez-vous annuel obligatoire ». Beaucoup d'entreprises
n'ont pas de section syndicale. Ce « rendez-vous » pourrait
alors être rendu obligatoire dans les entreprises où existent des
délégués du personnel (c'est-à-dire les entreprises
de plus de 10 salariés en application de l'article L. 421-1 du code
du travail) ;
« - l'obstacle majeur à la mise en place des dispositifs
d'épargne salariale dans les PME est sans conteste la complexité
administrative. Les PME hésitent à se lancer dans ces
opérations face à la difficulté de mise en oeuvre, mais
aussi face à la complexité de gestion. C'est pourquoi il importe
de viser en priorité une simplification du PEE pour les PME. Dans cette
perspective, il serait possible de
créer, au niveau local et par voie
contractuelle, des PEE « interentreprises »,
à
l'image des FCPE « multi-entreprises ». Ces PEE, auxquels
pourraient adhérer les salariés des différentes
entreprises parties prenantes, auraient en effet l'avantage de répartir
le coût de gestion des PEE entre plusieurs entreprises. Ils auraient en
outre l'avantage d'initier un mouvement d'entraînement au niveau local,
des entreprises pouvant adhérer facilement aux PEE
« interentreprises » existants. »
Votre rapporteur observe que cette seconde proposition a été mise
en oeuvre par la loi du 19 février 2001 et qu'elle commence à
produire de premiers résultats significatifs.
En revanche, la première est restée lettre morte.
La loi du 19 février 2001 a en effet choisi non pas
d'étendre le « rendez-vous » annuel aux petites
entreprises, mais de le transformer en obligation de négocier. Cela
permettait peut-être de renforcer son effectivité, mais pas de
favoriser la diffusion de l'épargne salariale dans les petites
entreprises. Cette obligation ne concerne en effet, par définition, que
les entreprises où sont implantés des
délégués syndicaux. Rien n'est alors prévu pour les
petites entreprises où ceux-ci sont très rarement présents.
Le présent article reprend l'économie générale de
la proposition formulée en 1999. Il prévoit un dispositif souple
pour les entreprises dotées d'un délégué du
personnel et non soumises à l'obligation de négocier : celui
d'un « rendez-vous » triennal à l'occasion duquel
l'employeur examine avec le personnel les possibilités de mettre en
place un tel dispositif, à l'image de ce que prévoyait l'ancien
article L. 444-3 du code du travail avant sa modification par la loi
du 19 février 2001.
Votre commission vous propose d'insérer cet article additionnel par
voie d'amendement.
Article additionnel après
l'article 50 bis
(art. L. 441-2 du code du
travail)
Intéressement
européen
Objet : Cet article additionnel vise à prendre en
compte la dimension européenne des entreprises en reconnaissant
l'existence d'accords d'intéressement européens de groupe.
Certains groupes à dimension européenne ont cherché
à instituer un dispositif d'intéressement européen. Mais
ils se heurtent à des obstacles législatifs pour l'application
des accords ainsi conclus aux entreprises installées en France.
Dans son état actuel, la législation ne permet pas, en effet,
d'asseoir une partie de l'intéressement d'une entreprise sur le
résultat consolidé d'une société mère
située dans un autre pays membre de l'Union européenne. Selon
l'article L. 441-2 du code du travail, une entreprise de droit
français ne peut calculer l'intéressement de ses salariés
que sur ses propres résultats ou performances et, s'agissant de
sociétés holding, sur les résultats de ses filiales
comprises dans le périmètre de consolidation des comptes.
Une telle restriction ne semble plus adaptée au nouveau contexte des
entreprises françaises.
Le présent article prévoit alors de prendre en compte, au titre
des exonérations fiscales et sociales dont bénéficie
actuellement l'intéressement, les primes versées aux
salariés français en application d'accords européens.
Mais il est bien évident qu'il sera nécessaire à l'avenir
de poursuivre dans cette voie afin, au-delà du seul
intéressement, de mieux prendre en compte cette dimension
européenne pour l'ensemble des dispositifs de participation. Votre
rapporteur considère en effet qu'une telle adaptation est la condition
de la pérennité même de l'esprit de participation qui
risque de se diluer parallèlement à l'internationalisation des
entreprises.
Votre commission vous propose d'insérer cet article additionnel par
voie d'amendement.
Article additionnel après
l'article 50 bis
(art. L. 442-1 du code du
travail)
Conditions de mise en place de la participation
pour les petites
entreprises ayant conclu un accord
d'intéressement
Objet : Cet article additionnel vise à faciliter
le franchissement du seuil de cinquante salariés pour les entreprises
ayant conclu un accord d'intéressement, en ne rendant obligatoire la
mise en place de la participation qu'à l'expiration de l'accord
d'intéressement.
La mise en place de la participation est obligatoire dès lors que
l'entreprise franchit le seuil de cinquante salariés. Cet effet de seuil
peut paradoxalement avoir des conséquences dommageables en
matière d'intéressement car l'entreprise se montre parfois
réticente à conclure un accord d'intéressement par crainte
de devoir parallèlement mettre en oeuvre la participation si elle
franchit le seuil de cinquante salariés.
Le présent article vise à encourager la conclusion d'accords
d'intéressement dans les entreprises proches de
cinquante salariés en ne rendant obligatoire la conclusion d'un
accord de participation qu'à l'expiration de l'accord
d'intéressement, dont la durée est de trois ans.
Votre commission vous propose d'insérer cet article additionnel par
voie d'amendement.
Article additionnel après
l'article 50 bis
(art. L. 442-1 du code du
travail)
Assujettissement à la participation des
entreprises
situées dans les zones
franches
Objet : Cet article additionnel vise à assujettir
à la participation les entreprises exonérées d'impôt
et situées dans les zones franches.
Actuellement, du fait du mode de calcul de la participation
60
(
*
)
, les entreprises qui sont
implantées dans les zones franches et qui sont exonérées
d'impôt ne sont pas soumises à la participation alors qu'elles
peuvent pourtant réaliser de confortables bénéfices.
Cette constatation illustre la nécessité de revoir le mode de
calcul de la participation.
Dans l'attente d'une refonte globale ultérieure du dispositif, le
présent article pose d'ores et déjà le principe de
l'assujettissement à la participation des entreprises installées
dans les zones franches et renvoie à un décret en Conseil
d'État le soin d'en définir les modalités.
Ce faisant, il aura aussi pour vertu de relancer le dialogue social dans les
zones franches, où il est trop souvent absent, puisque la participation
est mise en oeuvre par accord.
Votre commission vous propose d'insérer cet article additionnel par
voie d'amendement.
TRAVAUX DE LA COMMISSION
I. AUDITION DU MINISTRE
Réunie le
mardi 27 janvier 2004
sous la
présidence de
M. Nicolas About, président,
la
commission a procédé à
l'audition
de
M.
François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la
solidarité,
sur le
projet de loi n° 133
(2003-2004),
adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration
d'urgence, relatif à la
formation professionnelle
tout au long de
la vie et au
dialogue social
dont
M. Jean Chérioux est
rapporteur
, pour les titres II et III.
M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de
la solidarité,
a présenté les deux volets du projet de
loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au
dialogue social comme la transposition de deux accords conclus par les
partenaires sociaux. Il a jugé que ce texte revêtait une
importance majeure, car il permettait la rénovation de notre dispositif
de formation professionnelle et un renforcement du dialogue social dans notre
pays.
En ce qui concerne la formation professionnelle, il a d'abord relevé que
le projet de loi créait un droit individuel à la formation (DIF),
dont chaque salarié bénéficierait à hauteur de
vingt heures par an, cumulable pendant six ans, à son initiative avec
l'accord du chef d'entreprise. Ce droit serait utilisable en cas de
licenciement.
Il a ensuite indiqué que le projet de loi rénovait le dispositif
de formation en alternance avec la création des contrats et des
périodes de professionnalisation. Ce nouveau dispositif, beaucoup plus
modulable que les actuels contrats de qualification, relançait, selon
lui, la formation en alternance et s'adaptait mieux aux besoins
spécifiques des jeunes, notamment les moins qualifiés.
M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de
la solidarité,
a ajouté que l'effort financier des
entreprises serait considérablement renforcé, quelle que soit
leur taille, mais selon des modalités différentes. La part de la
masse salariale consacrée à la formation dans les entreprises de
moins de dix salariés passera de 0,15 % à 0,55 % en
deux ans et sera portée de 1,5 % à 1,6 % pour celles de
plus de dix salariés. Même si en pratique de nombreuses
entreprises sont déjà au-delà de ce minimum légal,
il en résulterait un progrès significatif pour les petites et
moyennes entreprises (PME), au bénéfice d'une plus grande
égalité entre les salariés.
Enfin, il a estimé qu'un partage dynamique de la formation entre le
temps de travail et le temps libre allait créer une vraie
coresponsabilité entre l'employeur et le salarié. Le projet de
loi distinguait à cet égard trois catégories de
formation : l'adaptation au poste de travail, l'évolution ou le
maintien dans l'emploi et le développement des compétences, de
nature, selon lui, à favoriser le développement de la formation.
M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de
la solidarité,
a donc considéré ce texte comme une
refondation de l'accord interprofessionnel de 1970. Il a rappelé que ce
nouveau dispositif était une étape fondamentale pour faire face
aux défis des années à venir, notamment par la mise en
place d'une « assurance formation », essentielle pour
garantir l'employabilité des salariés et leur permettre de faire
face à des changements d'emploi ou à de véritables
reclassements professionnels, ainsi que le président de la
République s'y était engagé.
Prenant l'exemple des salariés âgés, il a
déclaré que la formation faciliterait l'allongement
nécessaire des carrières et le maintien dans l'emploi des
salariés de plus de cinquante-cinq ans de notre pays, qui comptait un
des taux d'activité les plus bas en Europe. Face à ce défi
à relever, il a souligné la nécessité de mettre fin
à l'éviction des salariés âgés du
marché du travail et souhaité que les entreprises, à cet
égard, assument toutes leurs responsabilités.
M. François Fillon
s'est félicité des outils
offerts par cet accord (bilan des compétences après vingt ans
d'activité, passeport-formation, entretien professionnel tous les deux
ans, mise en place d'observatoires des métiers dans les branches,
validation des acquis de l'expérience, périodes de
professionnalisation, droit individuel à la formation).
Enfin, il a indiqué que ce texte sur la formation s'inscrivait plus
généralement dans la démarche de mobilisation pour
l'emploi qui donnera lieu, dans les prochains mois, à de nouvelles
propositions spécifiques du Gouvernement.
Abordant le volet du texte relatif au dialogue social,
M. François
Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la
solidarité,
a estimé que notre système de relations
sociales devait être remodelé afin de donner toute sa place au
dialogue social, et cela à tous les niveaux de négociation. Il a
indiqué que ce dialogue social devait reposer sur des acteurs sociaux
forts et représentatifs, donc responsables. Il a jugé que le
projet de loi, qui s'appuie sur la Position commune, allait dans ce sens en
renforçant l'autonomie des acteurs sociaux et en posant le principe de
l'accord majoritaire, soit sous la forme de la majorité
d'adhésion, soit sous celle de la majorité d'opposition, tant au
niveau de l'entreprise, de la branche qu'au niveau interprofessionnel.
M. François Fillon
a également précisé que
le projet de loi permettait à l'accord d'entreprise de devenir, en
principe, pleinement autonome par rapport à l'accord de branche,
même si ce dernier restait impératif dans trois domaines : la
fixation des salaires minima, les grilles de classification et les
mécanismes de mutualisation des financements. Il a souligné que
l'accord de branche pourrait toutefois conserver son caractère
impératif si tel était le souhait de ses négociateurs et
que cette nouvelle articulation ne remettait nullement en cause les droits des
salariés, observant notamment qu'aucun accord ne pourrait déroger
à la loi si elle ne l'a pas explicitement prévu.
Il a alors indiqué que le projet de loi visait en définitive
à clarifier les champs de compétences des différents
niveaux conventionnels et, ce faisant, tirait les conséquences du
développement des accords d'entreprise depuis 1982. Il a ajouté
que ces nouvelles dispositions n'avaient pas de caractère
rétroactif.
M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de
la solidarité,
a estimé que le projet de loi
établissait un nouvel équilibre entre, d'un côté, la
reconnaissance du fait majoritaire comme condition de validité des
accords et, de l'autre, le renforcement de l'autonomie des niveaux de
négociation. Il a jugé que cet équilibre correspondait
à la Position commune.
Il a considéré que ce projet de loi n'était qu'un point de
départ et que la réforme des règles de négociation
collective serait progressive. Il a indiqué qu'il aurait pour sa part
souhaité aller plus loin, notamment avec la généralisation
des élections de représentativité, mais qu'il avait tenu
à respecter le texte conclu par les partenaires sociaux.
Mme Annick Bocandé, rapporteur,
a interrogé le ministre
sur le sort que ce projet de loi réservait aux personnes inactives qui
souhaitaient se former pour revenir sur le marché du travail. Rappelant
qu'environ 80 % des femmes au foyer ont quitté leur emploi pour
s'occuper de leurs enfants, elle a souligné que plus elles restaient
longtemps éloignées de l'emploi, plus elles perdaient en
qualification professionnelle. Elle a regretté que l'accord national
interprofessionnel (ANI) du 20 septembre 2003 ne se soit pas
préoccupé de cette inquiétante réalité,
pourtant relevée par le Président de la République
à plusieurs reprises.
Puis elle a souhaité savoir pour quelle raison le projet de loi ne
transposait pas l'ensemble des dispositions de l'ANI, et comportait, à
l'inverse, des mesures qui n'avaient pas été proposées par
les partenaires sociaux (réforme de l'apprentissage, dérogations
en faveur des professions agricoles).
Elle s'est par ailleurs inquiétée de l'absence d'articulation
entre ce projet de loi et celui relatif à la décentralisation de
la formation professionnelle aux régions, se demandant si le
Gouvernement inciterait les partenaires sociaux à tenir compte du
« territoire » dans leur stratégie de
développement de la formation professionnelle.
Enfin, elle a souhaité connaître l'avis du ministre sur la place
que le projet de loi accordait aux branches professionnelles dans la
négociation, se demandant si les excédents financiers des
organismes de collecte des fonds de la formation professionnelle seraient
suffisants pour permettre une réelle mutualisation de ces fonds vers les
branches déficitaires.
S'agissant de la formation professionnelle en faveur des femmes inactives,
M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail
et de la solidarité,
a considéré que l'ANI prenait en
compte le souci d'égalité professionnelle hommes/femmes, puisque
les périodes de professionnalisation, prévues à l'article
14 du projet de loi, leur étaient ouvertes. Il a précisé
que la négociation de branche, mentionnée à l'article 16,
devrait porter également sur la promotion de la formation des femmes. Il
a ajouté que les partenaires sociaux négociaient en ce moment un
accord sur les voies et moyens de promouvoir l'égalité
professionnelle hommes/femmes.
S'agissant de la fidélité du projet de loi à l'ANI, il a
estimé que le projet de loi transposait toutes les dispositions de
celui-ci, à quelques exceptions près, et qu'il ne comportait que
quelques dispositions supplémentaires jugées compatibles et
indispensables. Ainsi, les spécificités du monde agricole
justifiaient un aménagement du projet de loi en faveur des professions
agricoles afin de limiter les charges financières qui pèsent sur
elles. Quant aux dispositions relatives à l'apprentissage, elles se
limitaient à des aménagements purement techniques et
répondaient au souci de préserver l'attractivité de ce
mode de formation.
S'agissant du rôle des régions en matière de formation,
M. François Fillon
s'est dit soucieux de leur ménager une
place importante, notamment en sollicitant leur avis tant sur l'emploi que sur
la formation professionnelle.
Enfin, s'agissant des branches professionnelles, il a indiqué que les
partenaires sociaux avaient souhaité mettre en place un système
équilibré, les inégalités entre branches
étant compensées grâce à la
péréquation financière.
M. Jean Chérioux, rapporteur,
s'est interrogé sur le point
de savoir si, lorsqu'un premier bilan de l'application du présent projet
de loi aura été établi, il ne serait pas opportun de
réfléchir à un aménagement des règles
actuelles de représentativité et à la place respective
accordée à la majorité d'engagement et au droit
d'opposition.
Il a en outre souhaité comprendre pourquoi le Gouvernement avait retenu
un mode d'articulation entre accord de groupe et accord de branche
différent de celui établi entre accord d'entreprise et accord de
branche.
Il a enfin demandé à connaître le bilan du dispositif
expérimental de conclusion d'accords collectifs dans les petites
entreprises institué par la loi du 12 novembre 1996.
M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de
la solidarité,
a indiqué que l'extension de la place
accordée à la négociation collective exigeait, en
contrepartie, un renforcement de la légitimité des parties
signataires. Il a rappelé qu'il avait inscrit, dans le texte, le
principe d'une élection de représentativité de branche,
estimant souhaitable qu'elle devienne rapidement le droit commun. Il a
toutefois précisé que le principe même d'élection de
représentativité faisait encore l'objet de fortes réserves
et ne figurait pas dans la Position commune, mais il a espéré que
d'ici 2007 ces craintes se soient apaisées. Il a souligné que les
partenaires sociaux n'avaient pas souhaité aller plus loin vers l'accord
majoritaire que ne le prévoit le texte. Il a considéré que
celui-ci ouvrait une phase de transition dans le sens d'une
généralisation de l'accord majoritaire.
S'agissant de l'accord de groupe, il a indiqué que celui-ci n'avait pas
vocation à se substituer à l'accord de branche.
Revenant sur le bilan de la loi du 12 novembre 1996, il a précisé
que celle-ci avait fait l'objet de négociation dans 25 branches et que
son impact mitigé s'expliquait avant tout par l'entrée en vigueur
de la loi du 13 juin 1998 qui avait rendu possible le mandatement dans
l'entreprise et avait donc court-circuité la négociation de
branche.
S'appuyant sur la lettre paritaire adressée au ministre par les cinq
organisations syndicales,
M. Roland Muzeau
a émis des doutes sur
la fidélité de la traduction législative de l'ANI. Il a
estimé que les protestations entendues ici ou là, notamment sur
le volet formation du projet de loi, illustraient les réserves des
partenaires sociaux sur la qualité de cette transposition. Il a par
ailleurs douté du caractère opérant du principe de
sécurisation défini à l'article 39.
M. Louis Souvet
a jugé souhaitable, au moment où le
Gouvernement engageait le chantier de la simplification du code du travail, de
revoir également les règles de représentativité
syndicales issues de l'arrêté de 1966.
M. Serge Franchis
a attiré l'attention du ministre sur les
inquiétudes exprimées par les organismes de formation à
l'égard des nouveaux contrats de professionnalisation.
M. Paul Blanc
a demandé si le dispositif de validation des acquis
de l'expérience était applicable dans les professions
médico-sociales.
M. Gilbert Chabroux
a indiqué qu'il aurait souhaité que le
volet « formation professionnelle » et le volet
« dialogue social » ne figurent pas dans le même
projet de loi, ce qui aurait pu le conduire éventuellement à
voter le premier, moyennant quelques améliorations, mais pas le second,
auquel il demeurait hostile. Il s'est demandé si le ministre n'avait pas
délibérément couplé ces deux réformes pour
obtenir plus facilement l'adoption de la réforme du dialogue social.
S'agissant de la formation professionnelle, il a estimé que la
transposition de l'ANI ne suffisait pas et qu'il aurait fallu aller plus loin,
en précisant davantage le dispositif des formations qualifiantes ou
diplômantes différées. Il s'est enfin interrogé sur
la participation financière réelle de l'État,
espérant que les 400 millions d'euros annoncés par le
Gouvernement ne seraient pas exclusivement affectés à des
allégements de charges sociales en faveur des entreprises.
S'agissant du dialogue social, il a jugé que la remise en cause du
principe de faveur et l'autonomie laissée à l'accord d'entreprise
présentaient de graves risques pour les salariés et les petites
et moyennes entreprises (PME) et menaçaient notre cohésion
sociale. Il a estimé qu'il aurait plutôt fallu
généraliser les élections de
représentativité et les accords majoritaires au nombre de voix.
Mme Gisèle Printz
a souhaité savoir si les
bénéficiaires du revenu minimum d'activité (RMA) pourront
avoir accès aux dispositifs de formation prévus par ce texte et
si le Gouvernement prendrait des mesures pour lutter contre les dérives
sectaires de certains organismes de formation.
Constatant que les trajectoires professionnelles des actifs étaient de
moins en moins linéaires,
M. Alain Gournac
s'est réjoui de
l'institution d'un projet-formation tout en observant que les changements ainsi
initiés par le projet de loi n'étaient qu'une étape dans
la vaste réforme de la formation professionnelle.
M. Guy Fischer
s'est à son tour interrogé sur les
règles actuelles de représentativité.
Concernant les réserves exprimées par certains partenaires
sociaux,
M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du
travail et de la solidarité,
a rappelé que l'ensemble des
organisations syndicales avait signé l'ANI et qu'il était
légitime que ce texte soit transposé.
Indiquant que le dialogue social reposait sur des équilibres difficiles
faits de compromis et de sacrifices, il a rappelé qu'il avait
souhaité recueillir l'accord sur chaque aspect de son projet de loi d'au
moins une organisation patronale et une organisation syndicale mais qu'en
l'absence d'un tel accord, il avait pris ses responsabilités.
Il a en outre souligné que la présentation du projet de loi
n'avait pas, comme certains l'avaient évoqué, bloqué la
vie conventionnelle comme en témoignait l'avancement des
négociations interprofessionnelles sur les restructurations.
M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de
la solidarité,
a considéré que les éventuels
doutes exprimés ici ou là sur la traduction législative de
l'accord s'expliquaient plutôt par l'ambiguïté de certains
passages du texte. Il a souhaité que les dispositions du projet de loi
puissent être rapprochées de la lettre de l'ANI, notamment par le
rétablissement de l'obligation de formation de l'employeur. En revanche,
il a confirmé sa volonté de maintenir, dans le texte, les
dispositions relatives à l'apprentissage et aux professions agricoles.
En ce qui concerne les contrats de professionnalisation, il
a
contesté le bien-fondé des critiques émanant des
organismes de formation. Les contrats de qualification ayant en effet
été détournés de leurs objectifs initiaux, il est
apparu nécessaire de les remplacer par les contrats de
professionnalisation, davantage axés sur les publics jeunes en
difficulté et suffisamment souples pour être adaptés
à la diversité des situations constatées. Il a
confirmé à Mme Gisèle Printz que les titulaires d'un
revenu minimum d'activité auront accès aux actions de
professionnalisation.
Concernant les organismes de formation,
M. François Fillon, ministre
des affaires sociales, du travail et de la solidarité,
a
estimé que certains d'entre eux seront appelés à
évoluer pour répondre aux besoins des jeunes, comme des
entreprises, l'Assemblée nationale ayant en outre décidé
d'en renforcer le contrôle en rétablissant la commission des
comptes.
En revanche, il a reconnu les lacunes portant sur l'instauration du dispositif
des formations qualifiantes ou diplômantes différées et a
annoncé son intention de les intégrer dans la future loi de
mobilisation pour l'emploi.
En réponse à M. Paul Blanc, il s'est engagé à
veiller à ce que le dispositif de validation des acquis de
l'expérience soit accessible aux professions médico-sociales.
S'agissant du principe de faveur, il a rappelé que le projet de loi ne
remettait pas en cause l'articulation entre la loi et la négociation
collective. Il a déclaré assumer pleinement la nouvelle
articulation entre accord de branche et accord d'entreprise considérant
que l'autonomie est une condition nécessaire à la
responsabilité des négociateurs d'entreprise et qu'il fallait
savoir faire confiance aux partenaires sociaux.
S'agissant des dispositions de l'article 39, il a estimé que celles-ci
ne conduiraient pas à une dénonciation des accords actuellement
conclus. Il a rappelé que les débats avec les partenaires sociaux
sur ce point avaient été vifs, mais que le principe de
non-rétroactivité constituait un des points d'équilibre du
projet de loi.
Revenant sur la représentativité,
M. François Fillon,
ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité,
a
réaffirmé sa conviction que l'organisation d'élections de
représentativité était un acquis essentiel, mais a
observé que, pour l'instant, seules deux organisations syndicales de
salariés y étaient favorables. Il a regretté ne pas avoir
pu, en conséquence, aller plus loin dans le cadre du présent
texte.
Rappelant que l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) avait
engagé un recours devant le conseil d'État sur la
légalité de l'arrêté de 1966, il a indiqué
que le Gouvernement avait décidé d'attendre la décision du
juge avant d'envisager une quelconque révision de cet
arrêté. Il a toutefois estimé que la liste actuelle des
organisations bénéficiant d'une présomption
irréfragable de représentativité ne pourrait durablement
rester en l'état.
En réponse à M. Alain Gournac, il a souligné le grand sens
des responsabilités des organisations syndicales. Prenant exemple des
récentes déclarations sur le chantier de modernisation du droit
du travail engagées par le Gouvernement, il a opposé le sens de
la mesure et le souci de débat des partenaires sociaux aux prises de
position caricaturales de certains responsables politiques.
Enfin, en réponse à M. Gilbert Chabroux,
M. François
Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la
solidarité,
a indiqué qu'il avait obtenu l'accord des
partenaires sociaux pour traiter, dans un même texte, la réforme
de la formation professionnelle et celle du dialogue social.
M. Alain Vasselle
s'est dit inquiet du relèvement de la
contribution financière des entreprises de moins de dix salariés.
Regrettant l'insuffisance de l'offre de formation dans l'agriculture, il a
demandé si les régions ne pouvaient pas y être
associées.
Enfin, il a relevé que, notamment au moment de la rentrée
scolaire, de nombreux jeunes ne parvenaient pas à trouver des contrats
de qualification et a souhaité que les nouveaux contrats soient plus
facilement accessibles.
S'agissant des dispositions dérogatoires,
M. François Fillon,
ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité,
a
considéré que les difficultés des professions agricoles,
non représentées dans le collège patronal lors des
négociations, justifiaient le report en 2008 de la date du
relèvement des contributions financières des exploitants
agricoles.
S'agissant de l'offre de formation, il a fait valoir que la stagnation du
nombre de contrats de qualification justifiait précisément la
mise en place d'un outil plus stable et plus adaptable, comme les contrats de
professionnalisation.
II. EXAMEN DU RAPPORT
Réunie le
mercredi 28 janvier 2004
sous la
présidence de
M. Nicolas About, président,
la
commission a procédé à l'
examen
du rapport de
M.
Jean Chérioux
sur les titres II et III du
projet de loi
relatif à
la formation professionnelle
tout au long de la vie et
au
dialogue social
.
M. Jean Chérioux, rapporteur
, a tout d'abord exposé les
grandes lignes de son rapport (cf. exposé général).
M. Louis Souvet
a observé que, si le droit conventionnel
était le fruit du dialogue social, il était aussi bien souvent
issu de situations conflictuelles. Considérant que le
développement économique et le progrès social
n'étaient pas antinomiques, il a estimé qu'il revenait aux
partenaires sociaux d'organiser leur convergence. Il a jugé opportun
d'améliorer la formation des négociateurs syndicaux et de
réfléchir à une meilleure assise de la
représentativité des organisations syndicales des salariés.
M. Jean Chérioux, rapporteur
, a reconnu que la convention
collective restait certes l'expression d'un rapport de force mais qu'elle
visait à assurer l'intérêt commun des employeurs et des
salariés. A cet égard, il a estimé qu'elle convenait mieux
que la loi pour répondre aux besoins spécifiques des uns et des
autres.
Il a également considéré que la négociation
collective permettait de garantir une complémentarité entre
impératifs économiques et considérations sociales,
adaptée à la situation de la profession ou de l'entreprise. Il a
observé que le présent texte reposait également sur cette
analyse et qu'il proposait, en conséquence, d'accroître
l'autonomie de la négociation collective.
S'agissant de la formation des représentants syndicaux, il a
indiqué que le projet de loi prévoyait plusieurs mesures visant
à garantir les conditions d'exercice des mandats des
représentants des salariés. Il a estimé qu'une
modification des règles de représentativité syndicale lui
paraissait prématurée mais que celles-ci allaient sans doute peu
à peu évoluer, notamment si les élections de
représentativité de branche étaient organisées.
M. Gilbert Chabroux
a rappelé son opposition à ce volet du
projet de loi. Il a considéré qu'une réforme d'ensemble
des règles de négociation collective supposait l'assentiment des
partenaires sociaux, ce qu'il n'avait pas constaté lors des auditions
organisées par la commission. Il a contesté la remise en cause du
principe de faveur observant que si celui-ci pourrait théoriquement
continuer à s'appliquer, il sera en pratique vidé de sa substance.
M. Jean Chérioux, rapporteur,
a rappelé que l'autonomie
des accords organisés par le projet de loi ne signifiait pas leur
indépendance. Il a considéré qu'une plus grande autonomie
était adaptée tant aux besoins des salariés que des
entreprises dans la mesure où elle se fondait sur le principe de
réalité. Il a indiqué que les auditions des partenaires
sociaux avaient mis en lumière non pas une opposition frontale mais des
positions beaucoup plus nuancées. Il a regretté que certains ne
croient pas à la responsabilité des partenaires sociaux pour
mettre en oeuvre la réforme dans les meilleures conditions.
M. Roland Muzeau
a également fait part de son opposition, totale
et résolue, au projet de loi, et notamment à la suppression du
principe de faveur. Il a indiqué que cette opposition était
partagée par l'ensemble des organisations syndicales de salariés.
Il a souhaité que les vertus du dialogue social ne soient pas
surestimées et a rappelé que, le plus souvent, la
négociation ne survient pas « à froid », mais
qu'elle découle d'un conflit. Il a enfin observé que la faible
implantation des délégués syndicaux dans les petites
entreprises privait, de facto, plus de la moitié des salariés de
possibilités de négocier.
M. Jean Chérioux, rapporteur
, a rappelé que la Position
commune avait été signée par quatre des cinq organisations
syndicales de salariés représentatives et qu'elle ne pouvait
être en conséquence considérée comme un chiffon de
papier. Il a précisé que le projet de loi ne supprimait pas le
principe de faveur mais cherchait à l'adapter aux réalités
économiques et sociales.
Il a déclaré que la négociation ne découlait pas
toujours d'un conflit mais reflétait souvent la prise en compte
d'intérêts communs, comme en témoignent par exemple les
nombreux accords conclus en matière de participation ou l'accord
national interprofessionnel de septembre dernier sur la formation
professionnelle.
Reconnaissant la faiblesse du dialogue social dans les petites entreprises, il
a souligné que le projet de loi cherchait à remédier
à cet état de fait en introduisant de nouvelles modalités
de conclusion des accords pour celles-ci.
La commission a ensuite examiné les articles des titres II et III et les
amendements présentés par le rapporteur.
A l'article 34
(règles de conclusion des accords collectifs), la
commission a adopté quinze amendements rédactionnels ou de
précision et un amendement visant à spécifier que l'accord
de méthode conclu au niveau de la branche, pour décider des
conditions de validité des accords d'entreprise, doit être un
accord étendu.
A l'article 37
(articulation entre les accords d'entreprise ou
d'établissement et les accords interprofessionnels, professionnels et
conventions de branche), elle a adopté un amendement rédactionnel.
A l'article 38
(extension du domaine des accords d'entreprise ou
d'établissement à celui des conventions ou accords de branche),
elle a adopté un amendement proposant une nouvelle rédaction de
cet article afin de déterminer précisément et de codifier
les dispositions législatives qui pourront, à l'avenir,
être mises en oeuvre par accord d'entreprise.
A l'article 38 bis
(observatoires paritaires de branche de la
négociation collective), elle a adopté trois amendements de
précision.
A l'article 40
(conventions et accords de groupe), elle a adopté,
outre un amendement de précision, un amendement visant à
déterminer les parties prenantes à la négociation de
groupe, en instituant notamment un coordonnateur syndical de groupe, et un
amendement déterminant les conditions de validité d'un accord
pour un groupe relevant de branches différentes.
A l'article 41
(négociation dans les entreprises
dépourvues de délégué syndical), outre trois
amendements de précision, elle a adopté :
- un amendement spécifiant que l'accord de branche autorisant de
nouvelles modalités de négociation dans les petites entreprises
doit être étendu ;
- un amendement renforçant le rôle structurant de l'accord de
branche ;
- un amendement précisant les modalités de validité
d'un accord conclu par les représentants du personnel.
A l'article 42
(commissions paritaires et dialogue social territorial),
elle a adopté un amendement renvoyant à l'accord instituant la
commission paritaire territoriale le soin de préciser la protection
contre le licenciement dont bénéficient les salariés qui
en seront membres.
A l'article 43
(information sur le droit conventionnel applicable dans
l'entreprise), elle a adopté un amendement rédactionnel et un
amendement accordant aux salariés mandatés l'information dont
bénéficient les autres représentants du personnel.
A l'article 44
(droit de saisine des organisations syndicales de
salariés de thèmes de négociation), elle a adopté
un amendement prévoyant que le droit de saisine constitue l'une des
clauses obligatoires que doit comporter la convention de branche pour pouvoir
être étendue.
A l'article 50
(garantie de certaines créances salariales), la
commission a adopté un amendement visant à préciser la
nature des sommes qui ne seront pas couvertes par l'assurance garantie des
salaires (AGS) et à étendre le dispositif prévu par cet
article non seulement aux accords, mais aussi aux décisions
unilatérales de l'employeur.
Après l'article 50
, la commission a adopté sept
amendements portant chacun
article additionnel
pour introduire de
nouvelles dispositions relatives à la participation et à
l'épargne salariale :
- le premier vise à favoriser la mise en place des plans
d'épargne d'entreprise (PEE) par accord avec le personnel en mettant fin
à la possibilité de l'octroyer dans les entreprises où la
conclusion de tels accords est effective ;
- le deuxième tend à introduire, dans les petites
entreprises, un « rendez-vous » triennal pour examiner les
conditions de mise en place de l'intéressement, de la participation ou
d'un dispositif d'épargne salariale ;
- le troisième a pour objet de rétablir le régime
fiscal applicable à la reprise de l'entreprise par ses salariés
(RES) pour les salariés adhérents à un PEE ;
- le quatrième vise à faciliter l'essor de
l'intéressement dans les entreprises de moins de
100 salariés en autorisant, sous conditions, le chef d'entreprise
à en bénéficier ;
- le cinquième prévoit d'adapter l'intéressement
à la dimension européenne des entreprises françaises en
reconnaissant l'existence d'accords d'intéressement
européens ;
- le sixième tend à faciliter le franchissement du seuil de
50 salariés pour les entreprises ayant conclu un accord
d'intéressement, en ne rendant obligatoire la mise en place de la
participation qu'à l'expiration de l'accord d'intéressement ;
- le dernier vise à assujettir à la participation les
entreprises exonérées d'impôt, notamment dans les zones
franches.
La commission a ensuite
adopté les titres II et III du projet de loi
ainsi amendés
.
COMPTE RENDU INTÉGRAL DES
AUDITIONS DES
MARDI 20, MERCREDI 21 ET JEUDI 22 JANVIER 2004
M. Nicolas ABOUT, président - Le projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social est sans conteste un texte important pour notre droit social, et plus largement pour notre démocratie sociale. Son premier volet, celui de la formation rénove en profondeur notre système de formation dont notre commission a souvent pointé les limites. Son second volet, consacré à la négociation collective, vise pour sa part à donner un nouvel élan au dialogue social en lui ouvrant de nouveaux espaces et en réformant les conditions de conclusion des accords collectifs. Ce texte est particulier, puisqu'il s'appuie sur deux accords interprofessionnels récents : la Position commune du 16 juillet 2001 sur les voies et les moyens de l'approfondissement de la négociation collective d'une part, l'accord national interprofessionnel du 20 septembre 2003 sur l'accès des salariés à la formation d'autre part. C'est pourquoi, en accord avec nos deux rapporteurs, j'ai tenu à organiser un large programme d'auditions afin de nous permettre d'entendre la position de l'ensemble des partenaires sociaux sur ce texte. Pour la clarté de nos travaux, les deux volets de ce texte ont été dissociés. Nos auditions des jours à venir concernent le dialogue social. Quant à la formation professionnelle, une table ronde rassemblant l'ensemble des organisations signataires de l'accord sera organisée jeudi matin.
Audition de M. Michel JALMAIN
Secrétaire
national de la Confédération française
démocratique du travail (CFDT)
(mardi 20 janvier
2004)
M. le PRÉSIDENT - Je cède la parole à M. Michel Jalmain, secrétaire national de la confédération française démocratique du travail (CFDT).
M.
Michel JALMAIN
-
La CFDT appelait cette réforme de ses voeux
de longue date, car le système français de négociation
sociale et de négociation collective était compliqué et
s'inscrivait dans un paysage syndical complexe. L'organisation même du
système, notamment pour ce qui est de la négociation collective,
de la validation des accords et plus généralement de la
représentativité, entraînait souvent des complications,
voire des discordes. Si ces dernières sont quelque peu naturelles entre
les organisations syndicales et le patronat, les organisations syndicales
elles-mêmes entraient parfois en conflit quant à leurs
stratégies et à leurs règles de négociation et de
validation des accords. De même, des conflits pouvaient opposer les
partenaires sociaux et l'État. Ce système « à
trois bandes » était soumis aux tentatives
d'instrumentalisation de certains acteurs, pour servir certaines causes. C'est
ainsi que des employeurs ont pu réclamer d'accorder une place
prépondérante à la négociation collective par
rapport à la loi, avant de se retourner vers la loi lorsqu'elle
répondait mieux à leurs intérêts. Les syndicats ont
également privilégié la voie négociée mais,
lorsque les obstacles étaient trop difficiles, se sont tournés
vers le législateur. Il importait de mettre de l'ordre dans ce
système à géométrie variable.
Par ailleurs, le système doit être modifié de telle sorte
que la représentation et la négociation collective soient
étendues à tous les secteurs qui en étaient
dépourvus par le passé, notamment celui des petites et moyennes
entreprises. Il ne s'agit pas d'appliquer aux petites entreprises les
systèmes de représentation et de négociation des grandes
entreprises, mais de mettre en place des dispositifs adaptés et
opérationnels, tant pour les entreprises que pour les salariés.
Enfin, cette réforme est nécessaire car elle s'intéresse
à la place de la loi et du contrat. A cet égard, nous nous
inscrivons dans l'esprit du protocole social de Maastricht, qui
privilégie le temps de la négociation sur celui de la loi. Ce
protocole prévoit qu'au terme d'un certain délai, il est possible
de s'inspirer d'un accord pour le traduire sous forme de loi. Ce système
reste certes à construire.
Telles sont les raisons pour lesquelles la CFDT plaidait pour une
réforme du système de la représentation et de la
négociation collective. Il en est ressorti une Position commune.
Celle-ci diffère d'un accord, car sa rédaction est
inachevée et contient certaines ambiguïtés ou
contradictions, qui ont suscité des difficultés de traduction
législative. Le ministère du travail a éprouvé des
difficultés à concilier les points de vue et les lectures des
différentes organisations. Un projet de loi a ensuite été
présenté. Nous estimons qu'il constitue une avancée et un
texte d'étape, bien qu'il soit inachevé et qu'il n'entraîne
pas une réforme de grande ampleur qui aurait pu conférer
davantage de sens et de cohérence à l'ensemble, notamment pour ce
qui est des principes de validation des accords ou de la mesure de la
représentativité par l'organisation d'élections. Ces deux
points constituent des faiblesses du texte.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
-
Vous avez tout d'abord
dressé un constat et insisté sur la nécessité
d'opérer une réforme. Vous nous avez également fait part
de votre analyse de la Position commune, socle sur lequel un certain nombre
d'organisations syndicales - dont la vôtre - se sont
accordées. En revanche, vous semblez considérer que la loi issue
de ce socle ne répond pas à vos attentes sur certains points. En
quoi ce projet de loi est-il inachevé ? Vous noterez que le texte
de loi n'aborde le rapport entre les décisions conventionnelles et la
loi que dans l'exposé des motifs, car ce problème constitutionnel
ne peut pas être résolu dans le cadre de la loi.
M. Michel JALMAIN
-
La Position commune est un compromis, ce qui
explique que nous ne soyons pas satisfaits par tous ses aspects. La loi est la
traduction de ce compromis. Nous déplorons plusieurs écarts entre
la Position commune et la loi. Tout d'abord, la Position commune
privilégiait la logique d'engagement majoritaire à celle
d'opposition. Or le législateur a opté pour l'opposition.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
-
Le législateur a
choisi l'opposition dans une certaine mesure, mais n'a pas pour autant
abandonné l'engagement, qui peut être mis en oeuvre par la
conclusion d'accords de méthode.
M. Michel JALMAIN
-
La Position commune prônait une logique
d'engagement majoritaire, que nous jugeons préférable à la
recherche d'une majorité d'opposition. Cet aspect culturel important
renvoie à de futurs changements de pratique.
Par ailleurs, le texte de loi s'écarte de la Position commune pour ce
qui est de l'organisation d'élections de représentativité
dans les branches. Nous estimons que ces élections sont
nécessaires afin de mesurer précisément la
représentativité de chacun, pour faire évoluer le
système à l'échelle des branches et nous inscrire dans la
logique de validation des accords et d'engagement par la signature. Il faut
s'assurer que le nombre de signataires représente bien une
majorité des salariés de la branche. Tant que ce système
ne sera pas en place, nous ne pouvons pas aller en ce sens.
En outre, nous décelons une contradiction entre notre conception de la
Position commune et la lecture qu'en a faite le projet de loi sur la
hiérarchie des normes. Il est vrai que la Position commune est
ambiguë. En effet, pour aboutir à un accord à son sujet, il
a fallu prendre en compte les souhaits du patronat et d'une partie des
syndicats. C'est ainsi qu'un paragraphe précise que les accords de
branches peuvent êtres supplétifs par rapport aux accords
d'entreprises, mais qu'il appartiendra, au niveau de l'accord
interprofessionnel ou de la branche, de déterminer le champ des
dérogations possibles.
Il faut rappeler que la Position commune présentait deux
scénarios contradictoires. Le projet de loi a opté pour
l'inversion des normes, en l'assouplissant toutefois. En effet, si le principe
de non-rétroactivité était validé, le MEDEF ne
devrait pas obtenir satisfaction sur sa demande de rétroactivité.
Il ne devrait donc pas être possible de déroger aux accords
d'entreprises conclus avant l'entrée en vigueur de la loi.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
-
Le texte le mentionne.
M. Michel JALMAIN
-
Cette mention est en effet inscrite dans le
texte du projet de loi et a été confirmée par le Conseil
d'État. La version de la hiérarchie des normes ne vaudrait donc
que pour les accords à venir. Dans les futures négociations, il
faudra donc discuter non seulement des contenus, mais aussi de la nature
même de l'accord. L'accord est-il normatif, d'encadrement, d'impulsion ou
dérogatoire sur certains aspects ? Il conviendra d'adapter les
pratiques syndicales de négociation à ce nouveau texte, pour
confirmer dans la pratique de la négociation la lecture que nous faisons
actuellement.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
-
Qu'en est-il des petites
entreprises qui souffrent d'une insuffisance de négociation ?
M. Michel JALMAIN
-
J'aborderai tout d'abord la question des lois
et des contrats. La Position commune proposait de modifier la Constitution. Les
partenaires sociaux signataires ont convenu qu'il était
préférable de s'en tenir à une première
étape, marquant la volonté des pouvoirs publics d'accorder la
prépondérance à la négociation collective sur
certains domaines sociaux.
Pour ce qui est du développement de la représentation et de la
négociation dans les petites entreprises, le projet de loi est assez
fidèle à la Position commune. Dans les entreprises
dépourvues de syndicat, il est possible de négocier avec les
élus, selon les règles de validation édictées par
la loi et après validation par une commission paritaire de branche. Le
système est donc bien délimité. Dans les entreprises ne
comptant ni syndicat ni élu, il est prévu une extension du
mandatement à l'ensemble des thèmes de négociation.
Pour sa part, la CFDT comptait récemment 20.000 mandatés
dans les entreprises de moins de dix salariés. La disposition
prévue par la loi devrait ouvrir le champ de la négociation et du
développement de la représentation dans ce secteur, sous cette
forme de mandatement. S'y ajoutent les commissions paritaires locales, qui
peuvent ouvrir la voie à une prise en charge mutualisée des
problèmes locaux. En effet, des accords d'intérêts locaux
peuvent être conclus, ce qui peut être intéressant pour
traiter de questions d'emploi, d'insertion, de RMI et de RMA, d'exclusion, des
jeunes...
M. Louis SOUVET
- J'évoquerai le fait syndical en
général - sans viser la CFDT - dans lequel il semble
prévaloir une culture du conflit. Si les organisations syndicales ont si
peu d'adhérents, c'est précisément qu'elles cultivent le
conflit.
Par ailleurs, la négociation collective doit-elle avoir la
primauté sur la loi ?
M. Michel JALMAIN
- Nous sommes attachés à la
négociation collective. Toutefois, nous ne sommes des adversaires ni de
l'État, ni de la loi. Il importe d'organiser une
complémentarité entre la loi et le contrat. C'est dans cette
optique que je faisais référence au protocole social de
Maastricht. Etant donné que nous partageons un objectif de
progrès social, nous devons pouvoir trouver une articulation
constructive et dynamique entre le rôle de l'État et le rôle
des partenaires sociaux. Pour les questions sociales, qui concernent au premier
chef les partenaires sociaux, l'on pourrait raisonnablement accorder la
primauté à la négociation collective, étant entendu
qu'en contrepartie, les pouvoirs publics doivent s'engager à traduire
les accords conclus dans une loi. Nous ne devrions pas nous inscrire dans une
logique d'opposition, ce qui est difficile dans la mesure où le temps du
politique ne coïncide pas toujours avec le calendrier social
M. le PRÉSIDENT
-
Ces deux légitimités ne
peuvent pas se trouver en opposition permanente. Le Parlement doit aussi tenir
compte de ce volet de négociation sociale et le transposer dans ses
textes, sans quoi il s'en suivra une contestation immédiate des textes
proposés.
M. Michel JALMAIN
-
La situation est très délicate,
notamment du fait de la loi de mobilisation sur l'emploi.
M. Roland MUZEAU
-
Le patronat revendique de longue date que les
accords d'entreprises constituent un nouveau mode des relations sociales,
déterminant par rapport à la loi. Le projet de loi qui nous est
présenté répond très largement à cette
revendication. M. Fillon prend la Position commune pour prétexte,
Position commune dont vous avez justement rappelé qu'elle comportait des
ambiguïtés. Manifestement, le projet de loi interprète ces
ambiguïtés en faveur du patronat.
La loi protège l'ensemble des salariés grâce à un
socle minimum. Les accords d'entreprises ou les accords de branche constituent
des éléments de négociation de nature à
améliorer ce socle minimum. Or le projet de loi défend une
logique inverse. Vous avez souligné que cette loi ne vaudrait que pour
les accords à venir. Pourtant, de nombreux exemples nous permettent de
concevoir des craintes - dont le dernier est la dénonciation de la
convention collective des banques. C'est ainsi que le patronat des banques a pu
remettre en cause certains avantages. Certaines organisations de
salariés ont retrouvé les garanties de leurs
précédentes conventions collectives, d'autres les ont perdues.
Plusieurs accords de branche, en particulier dans l'industrie, ont des
durées limitées. Lorsqu'ils seront parvenus à terme, cette
loi permettra de construire de nouveaux dispositifs. L'on pourrait donc
craindre que pour les accords existants, les garanties aient une durée
limitée.
J'ai pris connaissance dans le quotidien
Libération
d'une prise
de position du Secrétaire national de la CFTC, qui affirmait que la
réforme du dialogue social était « une folie
douce ». Comme mes collègues sénateurs, j'ai
reçu un grand nombre d'interventions de la CGC, de FO et de la CGT nous
faisant part de griefs quant à cette remise en cause de la situation
actuelle, qui constituait une garantie. Que pensez-vous de ces prises de
position, qui se sont amplifiées après la première lecture
à l'Assemblée nationale ?
M. Michel JALMAIN
-
Plutôt que les déclarations,
nous analysons les textes et les conclusions qui en découlent au regard
de nos objectifs et des pratiques qui devront être mises en oeuvre. Nous
n'étions pas demandeurs de la façon dont le projet de loi a
été rédigé par le ministre du travail. Par
ailleurs, nous avons toujours revendiqué la mise en oeuvre des accords
interprofessionnels de 1995 signés par la CFDT, la CFTC et la CGC, qui
prévoyaient qu'il appartenait aux accords de branches de
déterminer quelle était la nature des accords qu'ils souhaitaient
conclure et le champ des dérogations possibles. Le pivot de la
négociation collective devait rester la branche. En cela, le projet de
loi s'écarte de nos préconisations.
Comment se traduira le projet de loi dans la pratique ? Il me semble que
le patronat sera pris à son propre jeu. Nous avons pris soin d'indiquer
dans la Position commune que les nouvelles dispositions ne remettaient pas en
cause la valeur hiérarchique des accords conclus avant l'entrée
en vigueur de la loi. Ce point est essentiel. S'il est confirmé que l'on
ne peut pas déroger aux accords antérieurs, de nombreuses
interrogations seront levées. En effet, l'un des enjeux pour une partie
du patronat était de contourner les accords sur le temps de travail. Or
ces derniers ont tous été conclus avant que la loi ne paraisse.
Qu'adviendra-t-il demain ? Si vous concevez de fortes craintes, nous
sommes pour notre part plus réservés. Dans toute
négociation - comme c'est le cas actuellement avec la
négociation sur la restructuration de l'emploi - il est question de
la portée juridique de l'accord. Si la loi s'applique malgré la
conclusion d'un accord, il est inutile de bâtir cet accord. Les syndicats
demandent donc aux employeurs que l'accord soit normatif sur certains sujets et
ouvert à la négociation d'entreprise sur d'autres sujets. La
portée de l'accord est devenue un thème de négociation.
Cela rejoint notre demande que soient appliqués les accords
interprofessionnels de 1995, qui stipulent que l'échelon
supérieur de la négociation détermine la nature et la
portée juridique de l'accord, ainsi que les espaces de dérogation
pouvant être confiés à l'échelon inférieur,
la branche ou l'entreprise.
Pour le côtoyer à certaines occasions, je peux témoigner
que l'ensemble du patronat n'est pas satisfait de l'orientation prise par le
projet de loi. Avec ce projet de loi, les syndicats de salariés pourront
encore avoir la main dans les négociations, face aux employeurs. Ils
devront toutefois être vigilants sur la portée juridique des
accords qu'ils concluront. Ce nouveau dispositif législatif
nécessitera de réviser les pratiques syndicales.
L'exemple des banques n'est pas le plus pertinent à cet égard.
Après la dénonciation de la convention collective, un nouveau
texte a été signé par tous les syndicats. Certains aspects
de la convention collective initiale ont été modifiés, ce
qui a conduit les entreprises soit à maintenir les acquis
précédents, soit à les redéployer. C'est tout le
jeu de la négociation.
Imaginons qu'une branche dénonce sa convention collective. Les
entreprises garderont leurs dispositifs acquis. Dans la négociation
d'une nouvelle convention collective, les syndicats pourront refuser la
position du patronat selon laquelle, hormis les salaires minimaux et les
classifications, toutes les autres mentions doivent être
dérogatoires. Nous sommes contraints de nous entendre sur la nature et
la portée des accords.
La loi a prévu que pour qu'une entreprise puisse déroger à
certains aspects de l'accord de niveau supérieur, il doit exister un
accord dans l'entreprise. Cet accord doit en outre être validé
selon les nouvelles règles. Une amélioration pourrait être
apportée sur ce point : une entreprise qui souhaiterait
déroger à un accord de niveau supérieur devrait être
soumise à une obligation d'accord majoritaire - au sens de
l'engagement majoritaire. Notre inclination pour la validation majoritaire vise
à favoriser le développement de la négociation collective
et de l'autonomie des partenaires sociaux. La négociation sur des sujets
politiques d'importance nécessite une certaine légitimité,
d'autant plus qu'à l'échelon interprofessionnel, il est possible
de conclure des accords entraînant des demandes de modifications
législatives. La validation majoritaire constitue une
légitimité relative permettant de discuter à armes
égales avec le législateur.
M. Gilbert CHABROUX
-
Monsieur le président, je comprends
que vous sépariez le débat sur la formation professionnelle du
débat sur le dialogue social. Toutefois, le volet consacré
à la formation professionnelle n'explique-t-il pas la position que
défend la CFDT ? Le large accord obtenu sur la formation
professionnelle explique-t-il votre adhésion au volet du dialogue
social ? J'avais cru comprendre que tous les syndicats étaient
opposés aux propositions relatives au dialogue social. Je souhaite que
vous exprimiez des positions claires, alors que votre discours est très
nuancé.
Pour ma part, je m'inquiète de constater que le législateur sera
dessaisi. Le rapporteur à l'Assemblée nationale a
été attentif à ce problème et a
déposé un amendement proposant que des parlementaires soient
membres de la Commission nationale sur la négociation collective, afin
d'associer le Parlement le plus en amont possible aux évolutions du
droit du travail. Cela serait d'autant plus utile que le rapport de Virville
propose de réformer le code du travail par voie d'ordonnance. Ne
risquons-nous pas d'être pris au piège ? J'estime que le
rôle conféré à la négociation d'entreprise
est exorbitant. Vous savez comme moi que le rapport de forces est plus
favorable aux employeurs dans les entreprises que dans les branches. Or la loi
présente l'avantage d'être supérieure.
Une fois encore, quelle est la position claire de la CFDT ?
M. Michel JALMAIN
-
Nous ne sommes pas favorables à
l'écriture du projet de loi Fillon. Notre position repose sur les
accords interprofessionnels de 1995.
Par principe, nous ne sommes pas hostiles à toute possibilité de
dérogation. Toutefois, l'on peut déterminer que l'entreprise peut
déroger aux accords de niveau supérieur soit par la loi, soit par
la négociation collective. Nous avons signé en 1995 des accords
interprofessionnels qui prévoyaient cela. Ces accords n'ont jamais
été appliqués car ils nécessitaient des traductions
législatives que les gouvernements de l'époque n'ont pas cru
utile de mettre en place.
Nous n'étions pas demandeurs de la rédaction du projet de loi.
Toutefois, nous ne sommes pas hostiles à accorder une place
élargie à la négociation collective
décentralisée, y compris en dérogeant aux accords de
niveau supérieur. Il reste qu'il appartient aux accords de niveau
supérieur - interprofessionnels ou de branche - de
déterminer l'aspect pouvant donner lieu à une discussion
élargie, au niveau de la branche ou de l'entreprise.
Enfin, il me semble que le patronat est pris à son propre jeu. En effet,
il n'a pas obtenu satisfaction sur la possibilité de déroger,
à l'échelle de l'entreprise, sur les accords antérieurs.
Cela compliquera les relations sociales et la négociation collective.
Nous devrons non seulement nous confronter sur des contenus, mais encore sur la
portée des accords que nous négocierons. Cette complexité
n'est pas bienvenue, à l'heure où M. de Virville souhaite
simplifier le droit du travail et certains aspects de la négociation.
M. le PRÉSIDENT
-
Monsieur le secrétaire national,
je vous remercie, ainsi que vos collaborateurs. Si vous le souhaitez, vous
pourrez apporter toute information ou déclaration complémentaire
à notre rapporteur. Je vous demande également de bien vouloir
répondre par écrit aux questions que notre rapporteur ou d'autres
commissaires pourraient vous transmettre.
Audition de Mme Christine DUPUIS
Secrétaire nationale chargée du
dossier de l'emploi et de l'économie
à l'Union nationale des
syndicats autonomes (UNSA)
et M. Luc
MARTIN-CHAUFFIER
Secrétaire
général de la Fédération nationale des banques,
assurances et sociétés financières à l'Union
nationale des syndicats autonomes (UNSA)
(mardi 20 janvier
2004)
Mme
Christine DUPUIS
-
Je vous remercie de nous recevoir. J'occupe la
fonction de secrétaire nationale chargée du dossier de l'emploi
et de l'économie à l'UNSA. M. Luc Martin-Chauffier est pour
sa part notre secrétaire général de la
Fédération nationale des banques, assurances et
sociétés financières. Il pourra vous apporter un
témoignage concret du dialogue social sur le terrain.
En préliminaire, je dirai que le projet de loi, tel qu'il est
présenté par le ministre du travail, reste un projet
fermé. Il s'inscrit dans un système clos qui ne touche pas
à l'essentiel, puisqu'il ne remet pas en cause l'arrêté de
1966 qui fige le paysage syndical aux organisations syndicales dites
représentatives, qui bénéficient d'une
représentativité irréfragable. Qu'en serait-il si le
paysage politique avait été figé en 1966 ? Le PC seul
subsisterait. Cet exemple illustre le fait que la situation ne tient pas compte
des réalités du terrain. Le projet de loi ne répond donc
pas à nos espérances d'ouverture du dialogue social et de la
négociation collective. Malgré ses aspects positifs, comment
cette loi peut-elle faire évoluer la situation alors que les acteurs du
terrain n'ont aucun intérêt à cette évolution ?
Les organisations syndicales dites représentatives ne sont pas
favorables à ce que leur représentativité soit
mesurée ni à ce que des accords majoritaires soient conclus.
Dès lors que sans adhérent, elles peuvent désigner un
délégué syndical pour signer un accord - au nom d'on
ne sait qui -, nous considérons que la démocratie est
bafouée. Pour notre part, chaque fois que nous investissons une
entreprise, nous sommes confrontés à des règles qui
mettent à mal la démocratie.
M. Luc MARTIN-CHAUFFIER
-
Je suis responsable, pour l'UNSA, de la
fédération nationale des banques, assurances et
sociétés financières. Le projet de loi sur le dialogue
social qui nous est présenté et qui a été
voté en première lecture à l'Assemblée nationale
est à nos yeux entaché du péché originel : il
ne modifie pas la règle du jeu. Le « club des cinq »
que constituent les organisations syndicales dites représentatives est
intouché. Pour que la situation évolue et que le dialogue social
s'instaure, il importe d'ouvrir le champ d'intervention à tous les
syndicats constitués, et qui ont prouvé leur surface. C'est
à ce titre que nous demandons à participer à l'ensemble du
dialogue social et des négociations sociales dans les entreprises, dans
les branches ou sur le plan interprofessionnel.
Il nous a été rétorqué que si nous enregistrions un
bon résultat aux élections prud'homales, il serait prouvé
que nous étions représentatifs nationalement. Je rappelle qu'en
1997, nous avions recueilli 0,73 % des voix et avions
présenté 217 listes sur 1.271. Or lors des dernières
élections, nous avons recueilli 5 % des suffrages - soit plus
de 260.000 voix - et nous avons présenté 913 listes
- soit plus de 5.000 candidats - sur 1.271. Notons que les
élections prud'homales sont les élections les plus difficiles en
France. Elles nécessitent de constituer des listes complètes,
à 150 % au minimum compte tenu des éventuels défauts
de présentation des candidats. Par extrapolation, si nous avions
présenté 100 % des listes, nous aurions obtenu 6,24 %
des voix, ce qui nous aurait placé à égalité avec
la CGC et à proximité de la CFTC. En outre, le total des
élections de la Fonction publique et des prud'homales nous place
largement devant la CGC et à 10.000 voix de la CFTC.
Selon le Préambule de la Constitution, chacun est libre de se syndiquer
dans l'organisation de son choix. Or ce Préambule date de 1946, alors
que la section syndicale et les délégués syndicaux ont
été créés en 1968. Pour être présent
dans une entreprise, désigner un délégué syndical
et participer aux élections, nous devons prouver notre
représentativité. Dès lors, nous estimons que le principe
d'égalité devant la loi n'est pas respecté. Certains
bénéficient d'une représentativité automatique,
alors que d'autres doivent prouver leur existence.
Nous nous sommes présentés à quatre reprises devant le
tribunal d'instance dont relève la BRED, qui s'est à chaque fois
enquis de notre nombre d'adhérents. Lorsque nous nous sommes
interrogés sur le nombre d'adhérents des autres organisations,
nous nous sommes vu répondre qu'elles n'avaient pas à prouver
leur représentativité. Comment expliquer cette
inégalité ? Il est arrivé que l'une des organisation
qui nous contestait ne compte qu'un délégué syndical et
deux adhérents ! Le projet de loi nous empêche donc de
participer véritablement à la négociation collective,
professionnelle ou interprofessionnelle.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
-
Vous avez abordé un
problème qui ne figure pas dans le texte. En revanche, vous avez
souligné que le projet de loi comportait des aspects positifs. Quel est
votre jugement sur ce texte ? Quel est par exemple votre point de vue sur
la possibilité pour les entreprises de conclure des accords en
dérogation par rapport aux accords de branche ?
Mme Christine DUPUIS
-
L'UNSA est un syndicat réformiste.
Tout ce qui concourt à améliorer le dialogue, que ce soit
à l'échelle interprofessionnelle, dans la branche ou dans
l'entreprise, est positif. Nous approuvons tous les éléments qui
permettront à la négociation de se développer et aux
accords majoritaires d'apparaître. Néanmoins, nous aurions
souhaité que la loi favorise les accords majoritaires plutôt qu'un
droit d'opposition majoritaire. Dès lors qu'un accord devra rassembler
l'ensemble des signataires légitimes, des osmoses se créeront
entre les organisations syndicales. Cela entraînera un rapprochement de
projet, pour le bien des salariés, ce que nous ne pouvons qu'approuver.
Au droit d'opposition majoritaire, nous aurions donc
préféré l'accord majoritaire.
Pour ce qui est du développement de la négociation, avec les
accords de branche et les accords d'entreprise, nous estimons que la
hiérarchie des textes doit être respectée. Dans ce cadre,
le développement d'accords de branches et d'entreprises peut trouver une
complémentarité. Un accord de branche n'a pas pour vocation de
traiter du détail d'une entreprise, mais de définir des lignes
directrices propres à une branche et qui devront être
déclinées à l'échelle de l'entreprise. C'est ainsi
que se développe la négociation. A nos yeux, ces aspects de la
loi sont donc positifs.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
-
J'en conclus que l'article
39 sur la sécurité juridique vous convient.
Mme Christine DUPUIS
- En effet. Nous souhaitons éviter des
situations semblables à celle qui a suscité la jurisprudence
Majorette, dans laquelle un plan social a été remis en cause
trois ans après son application.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Vous estimez que ce texte
constitue une avancée dans l'absolu, sous la réserve
- considérable de votre point de vue - qu'il ne résout
pas votre problème.
Mme Christine DUPUIS
-
Nous considérons que ce texte est
hémiplégique ! La réforme ne s'applique pas à
la totalité du système. Nous affirmons que la
légitimité des accords devra correspondre à la
légitimité des acteurs. Or pour que les acteurs soient
légitimes, ils doivent pouvoir se présenter au premier tour des
élections et avoir été reconnus comme des acteurs de
l'entreprise. Ainsi, les accords ne pourront plus être contestés.
M. Roland MUZEAU
-
Vous avez indiqué que vous étiez
favorable aux accords d'entreprise dérogeant aux accords de branche et
à la loi.
Mme Christine DUPUIS
-
Ce n'est pas exact. Nous pensons que la
hiérarchie des normes doit être préservée. En
revanche, nous ne plaçons pas la négociation sur le même
plan en ce qui concerne la branche et l'entreprise. Quel serait
l'intérêt de négocier des accords de branche ou des accords
interprofessionnels dès lors que l'accord d'entreprise dérogerait
sur tout ?
M. Roland MUZEAU
-
Considérez vous que l'article 39,
stipulant que l'application de cette loi n'est pas rétroactive et ne
s'applique pas aux accords déjà conclus, offre une réelle
garantie ? Dans le domaine des banques par exemple, la convention
collective a été dénoncée et
renégociée. Il est donc possible de mettre un terme à des
accords existants et d'instaurer une nouvelle loi qui définit de
nouvelles règles du jeu.
M. Luc MARTIN-CHAUFFIER
-
Toute convention collective peut
être dénoncée à tout moment par l'un des
signataires. La convention collective est alors renégociée,
à la baisse ou à la hausse en fonction du rapport de forces dans
le secteur.
Nous considérons que la nouvelle convention collective qui a
été signée dans le secteur des banques est
défavorable, notamment en ce qui concerne les salaires. La convention
précédente prévoyait une réelle politique de
salaires, avec des augmentations pour l'ensemble de la profession. A l'inverse,
la nouvelle convention collective ne prévoit qu'une revalorisation des
minima
. La dernière branche professionnelle qui
bénéficiait d'une véritable politique salariale de branche
a donc disparu, de façon toutefois légale. Nous avons jugé
que la négociation avait été mal menée et qu'il ne
convenait pas de signer la nouvelle convention. Or n'étant
représentatifs ni sur le plan national ni dans la branche, nous n'avons
pas pu intervenir.
M. Roland MUZEAU
-
Il n'existe donc pas de garantie.
Mme Christine DUPUIS
-
La loi ne sera pas rétroactive.
Toutefois - et heureusement - il n'existe pas de garantie sur les
accords. Il est souhaitable que les accords évoluent et qu'ils puissent
être modifiés par avenant ou dénoncés par les
organisations syndicales ou patronales. Ils sont alors obligatoirement
renégociés. Tel est le jeu de la négociation en France.
M. Roland MUZEAU
-
Dès lors que la dénonciation a
été prononcée, l'on entre dans un nouveau cadre de
relations sociales.
Mme Christine DUPUIS
- En effet.
M. Gilbert CHABROUX
-
Qu'en est-il du temps de travail ? Les
35 heures risquent-elles d'être remises en cause ?
Mme Christine DUPUIS
-
L'UNSA a toujours approuvé la loi
sur les 35 heures, pour plusieurs raisons. Notre expérience nous a
permis de constater que lorsque cette loi a été bien
négociée, elle a apporté un certain confort aux
salariés, voire des gains de productivité et une souplesse aux
entreprises. Il reste que ce qu'une loi a fait, une loi peut le défaire.
Nous ne serions pas favorables à ce qu'une loi remette en cause les
35 heures.
M. Gilbert CHABROUX
- Le projet de loi qui nous occupe peut-il y
contribuer, par le biais des accords d'entreprises ?
Mme Christine DUPUIS
- La loi précise que la durée
légale hebdomadaire de travail est de 35 heures, soit
1.600 heures voire 1.607 heures si un jour férié est
supprimé. Aujourd'hui, certaines entreprises dénoncent leurs
accords sur le temps de travail pour en renégocier d'autres, ce qui fait
partie du jeu de la négociation des acteurs. Il est vrai que certains de
ces accords ont parfois été mal négociés et ne sont
pas en adéquation avec les besoins des entreprises. Il est alors
préférable de renégocier l'accord dans de bonnes
conditions, de telle sorte qu'il soit plus équilibré. Hormis dans
l'hôtellerie, les 35 heures sont applicables dans toutes les
entreprises de France. Telle est la loi, qui pour le moment n'est pas remise en
cause.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
-
L'article 39 sur la
sécurité juridique n'entraîne pas une obligation de
renégocier. La sécurité juridique intervient en
matière de hiérarchie des accords. Le projet de loi introduit la
possibilité pour les accords d'entreprises de déroger à
des accords de branche, et aux accords de branche de déroger à
des accords interprofessionnels. Néanmoins, la loi interdit ces
dérogations pour les accords qui existent déjà. Les
accords d'entreprise ne peuvent donc pas remettre en cause l'armature juridique
créée précédemment.
Mme Gisèle PRINTZ -
Quel est votre rôle dans une
entreprise, dès lors que vous n'êtes pas reconnue comme une
organisation syndicale représentative ?
M. Luc MARTIN-CHAUFFIER -
Pour être présents dans une
entreprise, nous devons y prouver notre représentativité. Il faut
pour cela remplir un certain nombre de critères, au titre desquels le
nombre d'adhérents, les cotisations, l'ancienneté ou l'attitude
patriotique pendant la guerre. Ces critères doivent être
argumentés devant le tribunal d'instance lorsqu'une des parties de
l'entreprise - employeur ou organisation syndicale - conteste notre
représentativité. S'il est prouvé que nous sommes
représentatifs dans l'entreprise, nous jouissons des mêmes droits
que les autres organisations. C'est lors de l'étape initiale que les
droits sont inégaux. Ainsi, si l'une des cinq organisations dites
représentatives ne compte qu'un adhérent, ce dernier peut
être nommé délégué syndical et signer un
accord au nom de l'ensemble de l'entreprise ! C'est pourquoi nous
contestons le principe de l'accord minoritaire. Pour avoir longtemps
siégé à l'Association française des banques, je
peux témoigner que les accords de salaires proposés par la
délégation patronale n'étaient signés que par la
CGC !
Mme Christine DUPUIS -
Cette loi, pour son volet sur le dialogue social,
a le mérite d'exister. Nous considérons toutefois qu'elle est
incomplète et « hémiplégique » :
il lui manque un membre. Je souligne que le rapport de Virville pose le
problème de la représentativité et avance des propositions
fort intéressantes. Il préconise ainsi d'imposer un test de
représentativité à l'ensemble des organisations syndicales
qui se présentent. Ce test sera utile pour élire les conseillers
prud'homaux. En outre, ceux qui recueilleront un certain nombre de voix
pourront négocier. Les autres ne disposeront pas de la
légitimité d'engager leur signature et leur parole au nom de
salariés qu'ils ne représentent pas. Nous aimerions que ce
principe soit appliqué à l'ensemble des organisations syndicales.
M. le PRÉSIDENT -
Je vous remercie d'avoir accepté de
répondre à nos questions.
Audition de M. Marc BLONDEL
Secrétaire
général
et Mme Michèle
BIAGGI
Secrétaire
confédérale chargée de la négociation sociale
de la Confédération générale du travail - Force
ouvrière (CGT-FO)
(mardi 20 janvier
2004)
M.
Marc BLONDEL
-
Je vous remercie de votre invitation à
expliquer la position de notre organisation syndicale sur l'importante question
de la démocratie sociale. Je me permets de préciser que je
quitterai mes fonctions le mois prochain. C'est volontairement que j'ai voulu
accompagner Mme Michèle Biaggi, car il me semble que le problème
qui nous occupe n'est pas uniquement technique, mais aussi d'ordre politique.
Je laisserai Michèle Biaggi vous expliquer nos préoccupations et
les questions que nous nous posons. J'apporterai pour ma part un commentaire,
sous un angle politique, sur la question de la négociation collective en
général, ainsi que quelques précisions sur le comportement
de l'organisation syndicale Force ouvrière sur cette question capitale.
Mme Michèle BIAGGI
- La Confédération a grandement
travaillé sur ce dossier. Deux aspects principaux du projet de loi nous
semblent difficiles à accepter pour l'ensemble des salariés de ce
pays. Le premier point concerne l'accord majoritaire. En effet, le projet de
loi remet en cause ce que nous avons pu construire depuis plus de cinquante
ans, avec l'ensemble des organisations syndicales et des organisations
patronales.
Le projet de loi présente donc le premier inconvénient
d'envisager la signature par des syndicats majoritaires. En second lieu, ce
projet comporte un réel danger pour les conventions collectives, le code
du travail et le statut des fonctions publiques, avec la possibilité
pour les accords d'entreprise d'être dérogatoires et le
développement de la négociation au niveau de l'entreprise.
L'entreprise pourra donc faire moins que les accords de branche ou les accords
interprofessionnels.
Nous retrouvons là les volontés du MEDEF émises lors de la
première discussion sur la refondation sociale le
3 février 2000 : une décentralisation de la
négociation à l'échelon de l'entreprise, avec la
possibilité de signer des accords dérogatoires. Cela
entraîne des difficultés pour les syndicats, mais aussi pour les
salariés dans leur ensemble.
Nous avons travaillé sur ce sujet avec M. François Fillon et ses
collaborateurs, en nous efforçant de parvenir à des accords. Nous
avons éprouvé les plus grandes difficultés à
trouver un terrain d'entente, en particulier en ce qui concerne l'accord
majoritaire. M. Fillon s'est appuyé sur la Position commune, que
nous avons signée le 16 juillet 2002. Il convient toutefois de
rappeler que cette Position commune permettait de conclure les discussions sans
aboutir à un constat d'échec, sur des dispositions qui, à
l'origine, étaient antagonistes. M. Fillon s'est très
librement inspiré de la Position commune, n'en reprenant pas certains
éléments ou en aménageant d'autres. Il faut donc
relativiser la valeur de cette Position. Certes, nous l'avons discutée
pendant 18 mois et l'avons signée. Cette Position présentait
notamment le mérite de bloquer certaines velléités de
textes sur le sujet. En réalité, la situation n'a fait que
s'aggraver.
Avec les accords dérogatoires, la possibilité de rester en
deçà des accords de branche ou des accords interprofessionnels
équivaut à placer les salariés à la merci de
l'employeur. Les propositions de la commission de Virville ne font que
renforcer notre inquiétude à cet égard.
Concernant l'accord majoritaire, nous aurions préféré que
le droit d'opposition soit élargi et plus facile à utiliser. Or
il ne sera possible d'y recourir qu'en cas de silence de la branche. Nous
ignorons quelle sera l'attitude de la branche. Sur certains sujets, elle pourra
laisser le droit d'opposition s'exercer comme par le passé. A l'inverse,
elle pourra décider que d'autres sujets nécessitent un accord
majoritaire.
Par ailleurs, en remettant en cause l'accord majoritaire, l'on place les
syndicats dans l'obligation de se recomposer et de se réunir pour signer
des accords dès lors qu'ils n'auront pas recueilli 50 % des voix
aux élections. Aujourd'hui, peu d'organisations syndicales atteignent ce
seuil de 50 %. C'est donc, en quelque sorte, une recomposition obligatoire
qui est imposée aux syndicats. Cela a également des
conséquences en matière de financement.
Le droit de saisine faisait partie de nos revendications. Nous ne le retrouvons
pas pleinement dans le projet de loi, qui stipule que le droit de saisine ne
peut s'exercer que dans l'entreprise ou dans la branche, à condition que
cette dernière en fixe les règles. Il n'est pas fait mention de
l'échelon interprofessionnel. Ainsi, lorsque nous adressons une demande
de négociation aux organisations patronales, nous n'avons pas
nécessairement de retour.
M. Marc BLONDEL
- Pendant de nombreuses années, Force
ouvrière a été l'organisation qui a
particulièrement privilégié la négociation
collective comme moyen d'évolution et de régulation, et comme un
instrument de l'organisation syndicale permettant d'obtenir satisfaction
à ses revendications. Nous pratiquons de la sorte depuis la loi du
11 février 1950, peu de temps après la création
de notre organisation syndicale. Il s'agit même d'un débat interne
au mouvement syndical. Comment devons-nous obtenir satisfaction ? Est-ce
par la négociation avec les employeurs, à tous les niveaux ?
Est-ce plutôt par la législation ?
Notre cheminement a été facilité par la prise de position
du président du CNPF, M. Ceyrac, qui a expliqué dans un
ouvrage qu'il avait choisi délibérément d'entrer dans la
voie de la négociation collective, contrairement aux positions alors
défendues par les organisations patronales. M. Ceyrac avançait la
nécessité de régulariser les conditions de concurrence et
de faire en sorte que les entreprises soient dans l'obligation d'assurer des
prestations comparables. Les organisations syndicales y ont vu un
élément de réduction des inégalités,
notamment entre grandes et petites entreprises. Le mouvement syndical n'est
d'ailleurs guère représenté dans les petites entreprises.
Toutefois, par le biais des conventions collectives de branche, nous avons pu
influer sur la situation des salariés. Cela a permis aux organisations
syndicales de construire une grande partie du code du travail. L'on constate en
effet que généralement, les novations - comme les
congés payés - apparaissent après des vagues de
négociations successives, les dispositions d'un secteur étant
étendues à l'ensemble des secteurs et des salariés. C'est
ainsi que le code du travail a progressé durant les « trente
glorieuses ».
Des difficultés sont apparues lorsque les employeurs - le CNPF puis
le MEDEF - ont affirmé que les négociations collectives
devaient d'abord se dégager des dispositions dites obsolètes. Il
a ensuite été question de négociations
« donnant-donnant » et de négociations portant
à leur ordre du jour des revendications patronales plutôt que des
revendications des syndicats. Certains syndicats ont accepté de
« détricoter l'existant » et de remettre en cause
les acquis, sans toujours les remplacer par un nouveau dispositif.
Nous avons aujourd'hui atteint le point extrême du raisonnement.
Après avoir abandonné la convention collective, après
avoir utilisé la négociation collective pour remettre en cause
les acquis, le MEDEF entend localiser la négociation prioritairement
dans l'entreprise. Il voudrait donc que nous abandonnions tout principe de
solidarité. En outre, le MEDEF place les salariés des entreprises
à la merci de la situation économique, politique et
générale de l'entreprise. Que répondre à un
employeur qui demande la négociation d'un accord car il est dans
l'incapacité de payer le treizième mois de salaire, pourtant
prévu dans la convention collective, sans quoi il devra fermer son
entreprise ? Les organisations syndicales seront dans l'obligation de s'y
soumettre. Tel est l'élément le plus problématique de la
démarche du projet de loi.
Le dialogue social marque avant tout la volonté des parties de
négocier. Pour ma part, j'ai le sentiment que le MEDEF ne défend
plus cette position. Même lorsqu'il a émis l'idée de la
refondation sociale, il n'a jamais abordé aucun sujet nouveau. La
refondation sociale n'a jamais traité que des dossiers qu'il
était prévu d'aborder, notamment en ce qui concerne le
financement de l'UNEDIC. En 2000 par exemple, M. Seillière
prévoyait - tout comme moi - que nous manquerions en 2005 de
professionnels de l'informatique de haut niveau. Je lui avais alors
proposé de négocier un plan de formation pour satisfaire ces
besoins. Mon organisation syndicale se serait engagée dans ce plan de
formation et aurait constitué un partenaire loyal. Or ce problème
nouveau est resté lettre morte. De même, lors de l'accident d'AZF,
nous avons demandé au MEDEF de discuter d'un objectif de
sécurité industrielle et de sécurité de
l'environnement. Il s'agissait d'un dossier nouveau, auquel le MEDEF n'a pas
donné suite. C'est pourquoi nous préconisons le droit de saisine.
Les organisations syndicales doivent pouvoir porter à l'ordre du jour
des commissions paritaires certaines revendications, qui devront être
traitées. Dans la situation présente, il suffit pour les
employeurs de faire abstraction des dossiers.
Il existe un instrument intéressant, qui est pourtant de moins en moins
utilisé par le gouvernement actuel, comme ce fut le cas avec les
gouvernements précédents : la convocation, par le
ministère du travail, à des négociations collectives sur
des points qui lui semblent utiles. Le ministère du travail peut
à tout moment déléguer un directeur départemental
du travail pour présider la commission paritaire devant traiter d'un
sujet donné. J'ai saisi les ministres du travail de l'époque sur
les deux sujets que j'ai évoqués précédemment. Or
cette pratique n'est plus de mise.
Je souligne que le Gouvernement a laissé 18 mois aux organisations
syndicales et patronales pour envisager des substituts. Les réunions se
succèdent pourtant sans espoir de résultat. Je ne fais pas un
procès d'intention au patronat, mais je dresse un constat. Il
apparaît que la convention collective n'est plus le moyen qui permet de
résoudre les problèmes ou les différends qui interviennent
entre les organisations syndicales et patronales.
Comme je l'ai rappelé, le patronat réclamait la remise en cause
de la hiérarchie des normes, avec la négociation d'entreprise. En
guise de garantie accordée aux organisations syndicales, M.
François Fillon prévoit que les dérogations soient
acceptées par la majorité. Nous rejoignons en cela la loi
américaine de Taft-Hartley, qui stipule que si 50 % des votants
plus une personne réclament un syndicat, la négociation est
obligatoire. Aux Etats-Unis, certaines entreprises ferment dès lors que
le résultat d'une consultation atteint ce seuil et que se profilent la
possibilité de créer un syndicat et l'obligation de
négocier une convention collective. La société JP Stevens
en est l'exemple flagrant. Il me semble que M. François Fillon
s'inscrit dans cette orientation, arguant qu'il offre une garantie que les
accords devront être acceptés par le personnel et qu'ils ne seront
pas remis en cause devant les tribunaux. Or nous sommes opposés au
recours devant les tribunaux lorsqu'il s'agit de négociations
collectives. En revanche, nous nous tournons vers les tribunaux pour faire
appliquer la loi. Dans le secteur privé, aucune organisation syndicale
ne représente 50 % des voix. Seule la CGT enregistre de tels
résultats à la SNCF et chez EDF. Par définition, les
syndicats seront contraints de s'accorder et perdront une part de leur
liberté. Afin de mener une action efficace, ils devront accepter des
rapprochements, ce qui conduira à une certaine clarification du nombre
d'organisations syndicales. Je suis persuadé qu'à un horizon de
dix ans, nous assisterons à un bouleversement du paysage syndical,
d'autant plus que ceux qui plaident pour les rapprochements s'empressent de
reconstituer des organisations syndicales plus « pures »
que les autres. Alors que nous comptions jusqu'à présent cinq
organisations syndicales représentatives, nous en aurons bientôt
six ou sept. Peut-être la loi suscitera-t-elle la création de
nouvelles organisations, qui permettront aux plus importantes d'atteindre le
seuil des 50 %. Je souhaite que mon organisation syndicale reste libre de
son comportement. Elle ne fusionnera que si elle l'a décidé. Je
ne souhaite pas qu'elle contracte des alliances pour s'adapter à des
circonstances particulières, ce qui ne lui permettrait plus de
s'exprimer librement.
Le gouvernement actuel s'est félicité de la complicité de
certaines organisations syndicales. Je m'étonne que ces organisations,
qui ont signé des textes en régression par rapport à
l'existant, revendiquent elles aussi l'accord majoritaire. Je ne porte pas de
jugement sur les organisations qui ont jugé utile de signer le protocole
sur les retraites, mais j'affirme que pour défendre les salariés,
je ne l'ai pas signé.
En outre, du fait des accords majoritaires, il ne s'agira plus d'être
capable de signer les textes, mais de s'opposer à leur signature.
Signer, c'est toujours prendre un engagement difficile. Certains estiment
toujours qu'il était inopportun de signer et que la négociation
aurait dû perdurer, afin d'obtenir davantage. En signant, l'on accepte un
compromis. On ne peut signer un accord si l'on n'est pas animé par une
volonté politique. Je crains que le projet de loi ne crée une
dynamique consistant, pour exister, à s'opposer aux accords. Certaines
organisations refuseront de signer pour ne pas prendre de risque et assurer
leur succès aux élections suivantes. Ce faisant, elles
dissuaderont également les autres organisations de signer. Cela ne peut
que nuire à l'action syndicale. Je souligne que nous ne disposons pas
des moyens de contrôler ces élections. Organiserons-nous des
élections de représentativité un dimanche, branche par
branche ? Personne ne s'y rendra. La citoyenneté syndicale n'est
pas suffisamment répandue pour cela, moins encore que la
citoyenneté politique.
Enfin, si les salariés n'obtiennent pas satisfaction par le biais des
négociations collectives, ils tenteront d'obtenir satisfaction par la
loi. Néanmoins, nous ne serons plus indépendants. La ligne de
conduite de FO sera par exemple remise en cause car nous devrons nous allier
à une organisation politique à qui nous proposerons de pratiquer
une forme de travaillisme. C'est bien ce qui advient entre le Labour Party et
les TUC en Grande-Bretagne. En France, nous sommes plutôt attachés
à une tradition de syndicalisme indépendant, bien qu'il ait pu
exister des liens historiques entre le Parti communiste et la CGT. Toutefois,
je ne crois pas que la CGT ait financé le Parti communiste, alors qu'il
est notoire que les TUC britanniques ont financé le Parti travailliste
et Tony Blair. De même, le DGB allemand est fractionné en interne
en fonction de l'appartenance politique de ses membres. Telle n'est pas notre
tradition.
C'est le rapport de force qui décide de la négociation
collective, et les travailleurs ont le droit de s'exprimer. Si nous souhaitons
maintenir une certaine richesse en matière de négociation, nous
devons nous garder de soutenir un texte qui entraînera un gel des
conventions. Les conventions collectives gelées n'ont plus de valeur
après un délai de cinq ans. Dans la pratique, elles sont
contournées. Ainsi, quelle est l'entreprise qui pratique encore les
périodes d'essai ? Toutes proposent des contrats à
durée déterminée. J'y vois les fruits de la faiblesse de
l'activité conventionnelle dont nous souffrons depuis une dizaine
d'années.
Pour finir, je rappellerai que FO a souvent accepté des avancées,
parfois modestes, pour sauver le principe de la négociation collective.
Nous jouissons d'une expérience dans ce domaine, et je souhaite que vous
teniez compte de nos préoccupations.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Monsieur Blondel, je salue votre
foi dans la négociation collective. Vous avez posé deux
problèmes : l'accord majoritaire et les dérogations. Pour ce
qui est de ces dernières, je vous rappelle que selon l'article 39 du
projet de loi, elles ne peuvent pas porter sur ce qui existe actuellement. En
outre, il sera toujours possible, dans les accords de branches, d'interdire les
dérogations.
Quelle est votre position sur les dispositions de l'article 39 ?
M. Marc BLONDEL
-
Après un délai de cinq ans, les
conventions sont obsolètes. Je m'intéresse aux textes qui seront
négociés à l'avenir, et qui comporteront une
possibilité de dérogation. Le monde du travail change, et la
notion de contrat de travail a profondément évolué.
Certaines entreprises offrent aujourd'hui des contrats atomisés et de
formes diverses. Comme l'a fait la CGT, j'ai demandé qu'une
négociation porte notamment sur les entreprises sous-traitantes. En
effet, rien n'est plus facile que de ne pas respecter une convention collective
pour certaines activités de l'entreprise en recourrant à la
sous-traitance. Après cinq ans, cela équivaut à annuler
les conventions. Il n'existera plus alors que des contrats individuels.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- S'agissant de l'accord
majoritaire, j'ai cru comprendre que vous souhaitiez maintenir le
système actuel. Même s'il est décidé qu'il existera
un engagement majoritaire - ce qui est possible dans un accord de
méthode - vous êtes opposé aux accords majoritaires et
à la majorité d'opposition. Or vous n'êtes pas non plus
favorable aux élections de branche. Dès lors, quelle sera la
légitimité des parties prenantes de l'accord ? Quelle sera
la légitimité d'un accord qui n'aura été
signé que par un syndicat non majoritaire ?
M. Marc BLONDEL
- Ce sont les salariés qui confèrent aux
organisations leur légitimité au moment des élections
professionnelles. Chaque organisation syndicale reconnue comme étant
représentative a le droit de négocier. Dans les secteurs
professionnels qui pratiquent encore la négociation collective, tous les
accords ont été signés par des organisations minoritaires.
M. le PRÉSIDENT
- Le temps est-il venu de remettre en cause le
caractère irréfragable de la représentativité de
certains syndicats ?
M. Marc BLONDEL
- Il revient au ministère d'en décider.
La notion de représentativité irréfragable ne me heurte
pas. Je vous rappelle que lorsque nous signons un texte, il s'applique à
tous les salariés. Aux Etats-Unis au contraire, les
éléments négociés ne sont applicables qu'aux seuls
syndiqués. En France, le ministre du travail peut réserver le
sort qu'il souhaite à un accord signé par une organisation
représentative. S'il considère que l'accord est insuffisant, il
peut ne pas l'étendre.
M. Guy FISCHER
- Vous semblez considérer que M. Fillon a
abusé de la Position commune.
M. Marc BLONDEL
- M. François Fillon a effectué une
interprétation libre de la Position commune.
M. Guy FISCHER
- Etes-vous fondamentalement opposé au projet de
loi ?
M. Marc BLONDEL
- Oui. J'ai rencontré M. François Fillon
à plusieurs reprises et je l'ai alerté des conséquences
que pouvait entraîner son texte.
M. Guy FISCHER
- L'évolution du paysage syndical que vous avez
évoquée est-elle comparable à l'évolution du
paysage politique, faite de fusions et d'émiettement ?
M. Gilbert CHABROUX
- Durant l'audition précédente, l'UNSA
a affirmé que si le paysage politique avait été
figé en 1966, il ne resterait plus aujourd'hui que le Parti communiste.
Je conviens qu'il est difficile de mesurer la représentativité
des syndicats. Néanmoins, pourquoi ne pas organiser des élections
générales un jour ouvré ?
M. Marc BLONDEL
- M. Seillière serait ravi de votre
proposition !
M. Gilbert CHABROUX
- J'apprécie que vous soyez résolument
opposé au caractère dérogatoire des accords d'entreprises.
Il me paraît en effet dangereux de s'engager dans cette voie. Vous avez
cité des faits concrets, et j'aimerais que vous en citiez d'autres
encore afin de nourrir notre argumentation. S'agissant du treizième mois
par exemple, je suis persuadé que la menace est réelle.
De votre point de vue, quels acquis sont menacés ? Quelles seront
les conséquences concrètes de cette loi pour les
salariés ?
M. Marc BLONDEL
- Depuis l'implosion du système soviétique
et la remise en cause de la tradition marxiste-léniniste, la notion
d'unité d'action s'est considérablement
démultipliée. Dans leur stratégie, il est probable que
certaines organisations syndicales défendront la réunification
syndicale ou le syndicalisme rassemblé, autant de formules de
propagande. Peut-on raisonnablement affirmer que l'on ne travaillera avec les
syndicats que lorsqu'ils partageront tous un même point de vue ? Les
propagandistes syndicaux - y compris au sein de mon organisation -
essayeront de donner l'image la plus large du mouvement syndical, d'autant plus
que le débat est désormais en partie international et
européen. Or peu de pays européens comptent autant
d'organisations syndicales que la France. Le mouvement syndical français
a toujours été victime des comportements politiques. L'histoire
de la CGT, depuis 1895, révèle que c'est toujours sous l'effet
d'oppositions politiques que sont intervenues des scissions ou des
réunifications. J'ignore comment la situation évoluera. Ce qui
m'importe avant tout est de sauvegarder la liberté de comportement des
syndicats.
Pour ce qui est de l'UNSA par ailleurs, je ne crois pas en la notion de
syndicat autonome mais en celle de syndicalisme confédéré,
qui est son exact contraire. Je ne comprends pas la revendication de l'UNSA de
se faire reconnaître en tant que confédération. Je ne crois
pas non plus aux prédictions dont l'UNSA vous a fait part sur
l'évolution du paysage politique. Rappelons en incidence que les partis
politiques existent aussi parce que les citoyens leur font confiance !
L'UNSA argue qu'elle ne peut pas répondre au critère de
représentativité lié au comportement de son organisation
pendant la guerre. Ce critère ne constitue en rien un blocage : il
suffit à l'UNSA de répondre qu'elle n'existait pas encore
à l'époque. Je rappellerai que l'UNSA est le successeur de la
FEN. Or cette dernière n'a pas accepté de rejoindre Force
ouvrière au moment de la scission car elle voulait provoquer une
réunification entre la CGT et Force ouvrière. J'ai
personnellement fait partie d'une association syndicale dont le but
était d'aboutir à cette réunification. Or les camarades de
la FEN sont devenus FSU et UNSA, et l'UNSA revendique maintenant son existence
en tant que confédération ! J'y vois une part
d'opportunisme.
Pour en revenir aux exemples concrets, si un texte conventionnel qui fixe les
salaires n'est pas renégocié tous les ans, il conduit à
une perte de pouvoir d'achat annuelle de 1,9 %. Après cinq ans,
cela équivaut à une perte de 10 % ! Les salaires les
plus bas de la convention collective sont donc rejoints par le SMIC, ce qui
annule la hiérarchie des textes.
En outre, comment organiser des élections alors qu'il existera une
multitude de contrats individuels ? Un salarié sera par exemple
embauché pour mener un projet informatique précis dans une
entreprise. Il relèvera alors de la métallurgie. Lorsqu'il aura
mené son projet à bien, il pourra rejoindre une entreprise du
bâtiment, avec un autre contrat de projet informatique. Soit nous en
revenons aux syndicats corporatistes, soit les élections que vous
envisagez ne seront représentatives que pour une très courte
durée. Peu d'entreprises pratiquent aujourd'hui une seule
activité professionnelle. Il s'ensuit un réel problème de
représentativité. Plus encore, je ne tiens pas à ce que
les organisations syndicales deviennent des « machines à
voter ». Une organisation syndicale doit être dirigée
par les syndiqués, selon la tradition de Léon Jouhaux. Un
syndicat doit être libre de désigner lui-même ses
représentants et de définir sa ligne de conduite. Du point de vue
de l'expression syndicale, je n'assimile pas un travailleur syndiqué
à un travailleur non syndiqué. M. de Virville souhaite que les
délégués syndicaux soient désignés par les
salariés, même lorsqu'ils ne sont pas adhérents à
l'organisation syndicale. Pour peu que les syndicats reçoivent de
surcroît un financement, cela équivaudra à la
création de syndicats officiels. L'engagement individuel s'en trouvera
brisé. Il est vrai que pour des raisons historiques, notre pays ne
compte pas des organisations syndicales très représentatives.
Toutefois, je préfère que les individus puissent adhérer
volontairement à une organisation, ce qui est une expression de la
démocratie. Plus encore, je préfère que ces individus
s'expriment par la voix des syndicats plutôt qu'au travers des religions.
M. le PRÉSIDENT
- Nous sommes preneurs de toute position que vous
pourrez nous remettre. Je salue votre engagement au service de votre syndicat.
Je me réjouis de vous avoir reçu une dernière fois
à la commission des Affaires sociales.
Audition de M. Robert BUGUET
Président de
l'Union professionnelle artisanale (UPA)
,
M.
Pierre PERRIN
Premier Vice-Président
,
M. Pierre BURBAN
Secrétaire général
et M. Guillaume TABOURDEAU
de l'Union professionnelle artisanale
(UPA)
(mardi 20 janvier 2004)
M.
Robert BUGUET -
Je préciserai tout d'abord que Pierre Perrin, qui
est à mes côtés, prendra la présidence de l'UPA dans
quelques jours. L'UPA est une direction collégiale constituée de
trois organisations : le bâtiment, les services et l'alimentation.
Elle compte un président et deux vice-présidents. Le premier
vice-président devient président, et le deuxième devient
premier vice-président. Pierre Perrin oeuvre à l'UPA depuis six
ans. Il occupe encore pour quelques jours la fonction de Président de la
Confédération française de la boucherie, ainsi que de la
section artisanale de la Confédération générale de
l'alimentation en détail.
Le projet de loi qui nous est soumis nous occupe d'autant plus que l'artisanat
emploie deux millions de salariés. Notre approche privilégie, en
termes de dialogue social, les accords de branche par rapport aux accords
d'entreprises. En effet, nous ne pourrions envisager des accords d'entreprises
alors que les sociétés que nous représentons comptent en
moyenne 4,5 salariés. La problématique du dialogue social a
toujours reposé, pour nous, sur les accords de branche. Nous avons
toutefois la volonté d'adapter le dialogue social à nos
entreprises. Trop longtemps, dans l'artisanat, seuls participaient aux
négociations des conventions collectives des représentants des
grands groupes ou des grandes entreprises. Des salariés de Bouygues
discutaient ainsi des 35 heures dans le bâtiment ! Il nous
semblait au contraire important de déléguer des interlocuteurs
issus de petites entreprises. L'accord-cadre qui en est ressorti permet une
soixantaine de possibilités d'adaptation.
Les débats qui prévalent chez certains partenaires sociaux ne se
posent pas dans les mêmes termes en ce qui nous concerne. En effet, nous
accordons une place prépondérante aux accords de branche.
Naturellement, nous n'excluons pas cette possibilité pour les autres, et
nous n'avons jamais prétendu représenter l'ensemble du monde de
l'entreprise.
Jusqu'à présent, dès lors qu'il n'existait pas
d'opposition majoritaire, un accord pouvait être étendu. De
nombreux accords ont été signés par une ou deux
organisations, parfois très minoritaires, les autres organisations ne
s'y opposant pas ou les cautionnant tacitement. Voilà une forme
étrange de dialogue social. Nous espérons que le projet de loi
imposera de marquer clairement son accord ou son désaccord. Certes, cela
demandera du temps, car nous avons été marqués par des
décennies de comportements quelque peu anormaux. S'agissant de
l'artisanat toutefois, les textes importants que nous avons signés l'ont
été à l'unanimité.
Nous approuvons le projet de loi, qui reprend en grande partie les accords que
nous avons signés. Dans son article 42, le projet de loi mentionne la
mise en place de commissions paritaires, professionnelles ou
interprofessionnelles et favorise en cela le développement du dialogue
social à l'échelon territorial.
Le 12 décembre 2001, l'ensemble des partenaires sociaux de
l'artisanat ont signé un accord permettant de financer le dialogue
social. Ce point est capital à nos yeux, bien qu'il soit contesté
par une grande centrale patronale. Les lois de l'immédiat
après-guerre qui ont mis en place l'architecture des rapports sociaux
actuels ont instauré une représentation obligatoire pour les
entreprises de plus de cinquante salariés, avec le financement d'heures
de délégation et la désignation de
délégués syndicaux. Lorsque les partenaires sociaux d'une
branche se réunissent, les salariés se voient financer le temps
qu'ils consacrent à la négociation. Or tel n'est pas le cas pour
nos entreprises. La loi ne nous a jamais interdit de contractualiser ni de
signer des conventions collectives. L'artisanat est d'ailleurs régi par
26 conventions collectives de branche. Pour autant, ceux de nos
représentants qui ont discuté ces conventions l'ont fait à
leurs propres frais. Pour leur part, les centrales nous envoyaient les
salariés qui pouvaient être pris en charge dans le cadre des
heures de délégation. Nous nous trouvions donc toujours face
à des représentants des grandes entreprises, voire de
l'administration. Il était donc essentiel que nous discutions avec de
véritables partenaires.
Si la loi n'interdit pas qu'une petite entreprise compte un
délégué syndical, elle lui impose de financer son
activité syndicale ! Pourtant, ces salariés ont, comme les
autres, le droit de s'exprimer et de discuter avec leurs employeurs. C'est
pourquoi il était essentiel de mettre en place des systèmes
mutualisés. C'est tout l'esprit du fameux
« 0,15 % », auquel s'opposent d'ailleurs certaines
grandes entreprises qui préféraient le temps où le
monopole de la discussion était accaparé par une seule structure.
L'architecture du dispositif prévoit dorénavant une collecte de
15 millions d'euros, ce qui n'est pas démesuré dans un secteur
qui compte 800.000 entreprises et deux millions de salariés. Ces
fonds permettront de financer les frais de déplacement. Ainsi, lorsqu'un
salarié d'une petite entreprise sera mandaté par une organisation
syndicale pour négocier une convention collective ou les salaires au
plan régional, l'entreprise ne déduira pas sa journée
d'absence de son salaire mais sera remboursée, par le fonds, des charges
qu'elle aura dû supporter.
L'article 42 institue des négociations régionales. Nous
disposerons dorénavant des moyens matériels de mandater nos
interlocuteurs et de faire fonctionner le dialogue social. Dans une
déclaration prononcée en décembre dernier, le ministre des
Affaires sociales, du travail et de la solidarité a d'ailleurs
affirmé qu'il envisageait de réunir les partenaires sociaux et de
les consulter afin d'instaurer un dispositif de financement du syndicalisme. Le
législateur s'honorerait à mettre en place un tel
mécanisme, qui existe d'ailleurs chez tous nos voisins européens.
Pour le reste, nous nous réjouissons que dans le cadre de la
simplification administrative, l'article 43 n'impose pas de mettre
à disposition des salariés la convention collective dont ils
relèvent.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Je constate que le projet de loi
répond à nombre de vos souhaits. Toutefois, ne craignez-vous pas
que le privilège accordé à la négociation
d'entreprise ne vide la négociation de branche de son contenu, d'autant
plus que la négociation d'entreprise a peu de sens pour les petites
sociétés ? Vous demandez donc que la négociation
puisse être adaptée à votre situation particulière.
Nous sommes disposés à répondre votre souhait. Quel est le
moyen d'y parvenir ?
M. Robert BUGUET
- Les articles 36 et 37 du projet de
loi, qui prévoient l'articulation entre les accords interprofessionnels,
les conventions de branche et les accords d'entreprise, disposent qu'il est
possible de déroger à une clause plus favorable prévue
à un niveau supérieur de la hiérarchie des normes, sauf si
l'accord stipule qu'il ne peut y être dérogé. Il suffira
donc que nos accords de branche comportent cette interdiction de
dérogation.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
-
Etes-vous couverts par
l'ensemble des branches ?
M. Robert BUGUET
-
L'artisanat compte vingt-six conventions
collectives.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Votre stratégie
permettra-t-elle aux branches d'évoluer suffisamment et de
répondre à leurs besoins ? Votre prédécesseur
nous a expliqué que dans cinq ans, les accords de branches n'auront plus
de valeur et devront être renégociés.
M. Robert BUGUET
- Nous nous sommes battus pour mettre en place le
financement du dialogue social car nous avons compris la
nécessité pour les conventions collectives d'évoluer
régulièrement. L'évolution des métiers
traditionnels et l'apparition des nouvelles techniques d'information et de
communication nous y obligent. Les 35 heures nous ont d'ailleurs
contraints à accentuer notre action et à envisager un mandatement
syndical là où nous ne comptions pas de
délégués. Il est prévu de désigner des
délégués du personnel dans les entreprises de onze
à quarante-neuf salariés. Pourtant, 90 % des petites
entreprises n'ont pas de délégués. En effet, la
procédure est excessivement formelle et trop contraignante. C'est ainsi
que dans ma société, l'application de la procédure a
été tellement complexe que les salariés avaient
officieusement désigné leurs délégués bien
avant la tenue des élections !
M. Dominique LECLERC
- Combien de salariés compte votre
entreprise ?
M. Robert BUGUET
- J'ai créé mon entreprise il y a quatre
ans avec treize salariés, et j'en emploie aujourd'hui trente.
M. Dominique LECLERC
- Je viens de vivre une situation analogue à
la vôtre. Je n'en soupçonnais pas la complexité !
M. Robert BUGUET
- Les partenaires sociaux ne sont pas opposés
à une évolution de la désignation des
délégués du personnel. En effet, la procédure
actuelle est tellement formelle qu'elle ne peut pas être
appliquée.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Avez-vous des propositions
particulières à nous soumettre ?
M. Robert BUGUET
- Nous n'avons pas d'amendement à vous proposer.
L'architecture du texte ne nous heurte pas. Certains de ses articles ne nous
concernent pas et n'appellent pas de jugement de notre part. Pour les articles
qui touchent les petites entreprises, en particulier les
articles 36 et 37, nous considérons qu'il est essentiel
de préserver le droit des branches. Dès lors que cette
nécessité est reconnue, il nous appartient de nous
réapproprier le dialogue social.
M. Guy FISCHER
- J'ai apprécié la liberté de parole
du président Buguet. Vous avez souligné votre attachement aux
accords de branche, alors que nous estimons que ce texte porte atteinte aux
pratiques syndicales et à la hiérarchie des normes. Pensez-vous
que ce texte, de façon générale, risque de mettre en cause
les accords signés antérieurement ?
M. Robert BUGUET
- Cela dépendra de la façon dont les
partenaires sociaux feront vivre ces accords. Il faut reconnaître que la
vie sociale en France s'est quelque peu figée. Nous avons accepté
d'emblée le principe de refondation sociale avancé par
M. Kessler, même si nous avons refusé sa méthode. Il
était nécessaire d'évoluer, car il n'existait plus ni
discussion ni dialogue. Si nous sommes capables de discuter entre
véritables partenaires et de vivifier le dialogue social, nous n'avons
pas de crainte à concevoir. Nous affichons
délibérément notre volonté de changement.
Depuis trois ans, les rencontres sont nombreuses entre le Mouvement des
entreprises de France (MEDEF), la Confédération
générale des petites et moyennes entreprises (CG-PME), l'Union
professionnelle artisanale (UPA) et les cinq centrales de salariés. Pour
ce qui est des responsables nationaux au moins, la situation a
déjà grandement évolué sur le terrain. Nous
commençons ainsi à mettre en place des comités
d'entreprises interprofessionnels, qui permettent d'agréger les petites
entreprises d'un même bassin d'emploi. Ces dernières créent
une structure auprès de laquelle elles cotisent, et qui offre les
mêmes services que les comités d'entreprises plus importants. Nous
développons des projets considérables.
Naturellement, nous ne sommes pas gagnés par un altruisme absolu, et je
n'ai pas honte d'affirmer que nous restons des patrons. Dans les douze ans
à venir, l'artisanat devra remplacer un million d'emplois, dont
400.000 chefs d'entreprises et 600.000 salariés. Compte tenu
du vieillissement de la population et des besoins exprimés par la
clientèle, nous devrons encore créer un million d'emplois
supplémentaires. Cela nous oblige à offrir des conditions de
travail et des rémunérations attrayantes et comparables à
celles que peuvent offrir les grandes entreprises. Nous regrettons que le MEDEF
ne l'ait pas compris.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Vous craignez donc que le texte ne
suffise pas à rompre avec les comportements du passé.
M. Robert BUGUET
- J'ai le sentiment que les partenaires ont la
volonté d'évoluer. Toutefois, nous devons disposer de l'espace et
des moyens matériels nécessaires. Nous ne demandons pas des
fonds, mais la possibilité d'instaurer un système transparent
dans lequel l'utilisation des moyens est connue de tous. Dès lors que
ces moyens seront disponibles, nous n'aurons plus d'excuse pour ne pas faire
avancer le dialogue social. C'est l'intérêt bien compris de tous,
des partenaires sociaux comme de notre pays.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie. N'hésitez pas à
remettre à notre rapporteur des documents détaillant la position
de l'artisanat. Je vous remercie de la collaboration que vous avez toujours
entretenue avec le Sénat. Pour l'avenir, je souhaite la bienvenue au
président Perrin, qui nous apportera toute sa compétence.
Audition de Michel COQUILLION
Secrétaire général adjoint de la
Confédération française
des travailleurs
chrétiens (CFTC)
(mercredi 21 janvier
2004)
M.
Nicolas ABOUT, président
- Monsieur le secrétaire
général, nous sommes heureux de vous accueillir afin de
connaître la position de la confédération française
des travailleurs chrétiens sur ce texte. Vous avez dix minutes pour
présenter votre perception de ce projet de loi, avant que le rapporteur
et les commissaires ne vous interrogent.
M. Michel COQUILLION -
Je vous prie d'excuser l'absence de
M. Jacques Voisin. Il a malheureusement eu un empêchement ce matin.
Le projet de loi sur le dialogue social fait suite à des
négociations successives, marquées par l'accord du
30 octobre 1995 sur le dialogue social et par l'accord du 16 juillet
2001, venant compléter celui de 1995. Je rappelle que nous avions
signé les deux accords et que nous étions favorables à une
traduction dans la loi du texte élaboré en 2001. Ce dernier
comportait plusieurs volets et l'un d'entre eux portait notamment sur
l'articulation entre la loi et la négociation. Il précisait sous
forme d'exercice d'application ce que souhaitaient les signataires. Le principe
que nous mettions en avant était le suivant : il est souhaitable
que la négociation précède autant que possible la loi dans
les domaines de la compétence des partenaires sociaux, dans le respect
du rôle souverain des élus de la Nation. C'est à peu de
chose près ce qu'a dit le Président de la République dans
son allocution du 14 juillet 2003. Il est certain que l'exercice est
délicat puisqu'il faut à la fois ménager la
responsabilité des élus et celle des partenaires sociaux.
L'actuel projet de loi reprend un certain nombre des dispositions de l'accord.
Mais il ne les reprend pas toutes et n'apporte pas de réponse à
la question de l'articulation entre loi et négociation. Ce sujet
mérite selon nous une étude spécifique. Nous avions
d'ailleurs demandé au ministère du travail de conduire une
réflexion en ce domaine, en partenariat avec les parlementaires, les
partenaires sociaux et le Gouvernement. Malheureusement, le point n'a pas
été approfondi alors qu'il est fondamental. De lui dépend
le respect de l'esprit et de la lettre de l'accord. Selon nous, bien des
dispositions du projet de loi sont conformes à ce que nous avions
négocié, mais deux dispositions viennent dénaturer
gravement et dangereusement le texte. Il s'agit premièrement de la
validation majoritaire des accords et deuxièmement de la modification de
la valeur normative des accords de branche.
La notion d'accord majoritaire s'est trouvée au centre des débats
et des négociations avec les partenaires sociaux. Parmi ces derniers, un
consensus s'est dégagé sur le point suivant : il ne devrait
plus être possible qu'une seule organisation, même
représentative, puisse signer seule un accord qui soit ensuite
applicable, si elle n'est que très peu représentative des
salariés de l'entreprise ou de la branche concernée. Les
partenaires sociaux ont dans ce contexte avancé une proposition
équilibrée, consistant à garantir aux organisations
syndicales un droit d'opposition dans l'application des accords, et notamment
des accords de branche ou des accords interprofessionnels. Ceci
représentait une amélioration sensible.
Malheureusement, ce droit d'opposition s'est transformé en droit pour la
branche de conclure des accords recueillant la majorité des suffrages.
D'une part, cela remet en cause l'équilibre de la négociation.
D'autre part, cela laisse sans réponse les problèmes liés
à la conclusion d'accords majoritaires. Sur quels critères la
« majorité » est-elle définie ? Quels
scrutins permettraient de mesurer la représentativité ? Je
rappelle ici que les élections professionnelles connaissent un taux
d'abstention de 70 %. Je rappelle aussi que les salariés,
lorsqu'ils choisissent les personnes qui les représentent aux
comités d'entreprise, ne votent absolument pas dans l'idée de
choisir l'organisation syndicale qui négociera pour eux les accords
professionnels ou interprofessionnels. Compte tenu du contexte actuel, un vote
par branche, mené partout le même jour, nous semble une vue de
l'esprit. Cela poserait des problèmes d'organisation insolubles.
Le nouveau type de validation des accords vers lequel nous nous dirigeons
aboutira très probablement à des blocages dans nombre de
branches. Il sera la plupart du temps impossible de trouver une majorité
pour signer tel ou tel accord, surtout si la deuxième disposition que
nous contestons, à savoir la remise en cause de la hiérarchie des
normes, entre en vigueur. Et la majorité risque de ne pas être une
majorité démocratique. Retenir le mode de validation
proposé aurait donc trois conséquences :
premièrement, les négociations ne déboucheront souvent sur
aucun accord ; deuxièmement, les accords validés risquent de
ne pas reposer sur une majorité démocratique ;
troisièmement, la qualité du dialogue social s'en trouvera
dégradée.
La CFTC, précisons-le, n'est pas hostile à la recherche d'une
légitimité accrue des accords et d'une meilleure prise en compte
des souhaits des salariés. Mais elle considère que l'accord
majoritaire n'est pas la bonne réponse. J'en prendrai pour exemple la
réforme des retraites. Le Gouvernement actuel, issu d'élections
législatives où la droite a obtenu une large majorité des
suffrages, dispose d'une légitimité certaine. Or il s'est fait
fortement contester à l'occasion de la réforme des retraites. La
réaction des Français n'a pas été de se dire :
« L'action du Gouvernement est légitime dans la mesure
où elle est approuvée par la majorité des
représentants de la Nation », mais de s'exclamer :
« Nous n'avons pas voté pour cela »,
« Nous ne sommes pas d'accord avec le Gouvernement », ou
bien encore « On ne nous a pas demandé notre avis ».
Si la question posée est de savoir comment accroître aux yeux des
salariés la légitimité des accords, la réponse,
selon la CFTC, est la suivante : il faut accroître la consultation
des salariés.
Notre syndicat n'a toutefois pas soumis directement cette proposition, car elle
induit d'autres problèmes. Développer la pratique du
référendum en entreprise revient en effet à fonder la
légitimité des négociations et des accords non plus sur
les organisations syndicales mais sur le vote ad hoc des salariés. Par
ailleurs, si les accords sont soumis à référendum, il est
probable que l'essentiel des informations dont disposeront les salariés
proviendront des employeurs. Les salariés ne seront donc que
partiellement, voire mal, informés. La fiabilité du
référendum en souffrirait. En conclusion, le sujet de la
légitimité des accords aux yeux des salariés devrait faire
l'objet d'une étude beaucoup plus approfondie. La réponse qui est
aujourd'hui apportée à cette question est totalement
insatisfaisante et ne fera que compliquer la situation.
La deuxième disposition que nous contestons fortement, c'est la remise
en cause de la valeur normative des accords de branche. Elle est même
plus inquiétante que la mesure précédemment
évoquée. Certains disent que nous avions accepté le
principe d'une remise en cause de la hiérarchie des normes dans l'accord
du 16 juillet 2001 mais il n'en est rien. La Position commune, il est vrai,
était rédigée de façon assez confuse, si bien qu'il
est facile de dire tout et son contraire à son sujet. Malgré
tout, je vous certifie que nous étions opposés à la
révision de la hiérarchie des normes et s'il y a un regret que je
pourrais avoir concernant le texte signé en 2001, c'est de ne pas
l'avoir spécifié noir sur blanc.
Remettre en cause la valeur normative des accords de branche nous paraît
extrêmement dangereux. Rappelons que la négociation d'un accord
collectif est déjà un exercice délicat, surtout quand il
s'agit d'accords donnant-donnant : il faut parvenir à
établir un compromis acceptable pour tous, pour les employeurs comme
pour les syndicats, dans un contexte où les équilibres sont
parfois difficiles à trouver. L'exercice deviendra encore plus
délicat s'il faut dégager une majorité pour valider
l'accord. Et si l'on ajoute à ces deux difficultés une
troisième, en demandant aux parties prenantes de s'accorder sur le
principe normatif ou non du texte, l'exercice deviendra quasiment impossible.
Les organisations syndicales exigeront que cette question soit
réglée en début de négociations, au motif qu'il
est, pour elles, inutile de s'investir dans la conclusion d'un accord non
normatif. Si les employeurs refusent de reconnaître à l'accord un
caractère normatif, la négociation sera terminée avant
même d'avoir commencé. Il s'agira là d'une première
source de blocage. Si les employeurs proposent de distinguer la
normativité du texte selon les dispositions, cela conduira à des
discussions interminables, puisqu'il faudra négocier avec les
organisations syndicales la portée de chaque disposition. Il s'agira
là d'une seconde source de blocage. Si la démarche aboutit
malgré tout, il faudra alors compter avec la difficulté
d'application d'un tel accord, puisque les parties prenantes devront
s'interroger sur le caractère plus ou moins normatif de chaque
disposition. Et quand, dans quelques années, des litiges opposeront
salariés et employeurs, il faudra pour les trancher prendre en compte la
date de conclusion des accords en jeu. Le texte stipule par ailleurs que pour
la conclusion de tout nouvel accord, les partenaires sociaux doivent inclure
dans la négociation les accords précédents, et ce, afin
d'éviter l'empilement de textes contradictoires. Mais si l'on reprend
d'anciens textes, entièrement normatifs, pour les intégrer
à de nouveaux accords, on les rend supplétifs. Les organisations
syndicales voudront donc discuter de la normativité de toutes les
anciennes dispositions, ce qui aboutira à une complexification
extrême des négociations.
Loin de simplifier le dialogue social, le texte proposé ne ferait donc
que le compliquer. Et loin d'accroître le rôle des partenaires
sociaux, il ne ferait qu'accentuer l'importance de la loi. Le MEDEF demande
à ce que la législation fasse davantage place à la
contractualisation mais les dispositions qu'il soutient aboutissent à
l'effet inverse. Si les accords n'ont plus valeur normative, seule la loi aura
le pouvoir d'encadrer les pratiques des entreprises. Et dès qu'un
problème apparaîtra, les individus se tourneront vers
l'État.
Pour le ministre du travail, le projet de loi repose sur l'équilibre
suivant : le MEDEF cède sur la validation majoritaire des accords
mais obtient pour les entreprises le droit de déroger aux accords de
branche. Ce compromis est selon nous un marché de dupes, dans lequel
certaines organisations syndicales se sont malheureusement laissées
prendre. Soit le texte ne changera rien à la situation existante, soit
il compromettra les négociations interprofessionnelles de branche. Il
est vrai, en effet, que certaines branches ne changeront rien à leur
pratique. Elles nous l'ont affirmé ; elles en resteront à
des accords de branche normatifs. Mais des problèmes sont
déjà palpables. Nous voyons par ailleurs poindre des discussions
sur le caractère supplétif ou normatif de certains textes, au
sujet de restructurations par exemple. Concernant le principe de faveur, nous
aimerions savoir si la possibilité de déroger favorablement aux
accords sera maintenue.
S'il y a bien un point sur lequel nous demandons au Sénat d'être
très attentif, c'est donc le risque que fait courir la remise en cause
de la normativité des accords sur les négociations. Nous
regrettons vraiment les écarts constatés entre le projet de loi
et les accords auparavant négociés.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- En résumé, vous
estimez que le projet de loi génère deux problèmes, l'un
lié à la redéfinition de la valeur juridique des accords
et l'autre à la modification des règles de conclusion des accords
collectifs par l'introduction du principe majoritaire. Et vous ajoutez que ces
deux problèmes s'interpénètrent. Toutefois, j'avoue avoir
un peu de peine à vous comprendre. Vous considérez que la
situation actuelle n'est pas satisfaisante mais vous soulignez dans votre
discours qu'avec le texte proposé, il deviendra impossible de
négocier comme auparavant. Cette position me semble contradictoire.
En ce qui concerne le principe de l'accord majoritaire, je rappelle que des
verrous ont été prévus : en premier lieu, l'article
39, dont vous avez fait état, garantit le caractère normatif des
accords conclus avant l'entrée en vigueur de la présente
loi ; en second lieu, l'accord majoritaire n'est pas de droit,
contrairement à ce que vous semblez dire et contrairement aux souhaits
de certains syndicats. Ce qui est de droit, c'est le droit d'opposition
majoritaire. La branche ne peut suivre le principe majoritaire que si elle
décide d'un accord de méthode.
Concernant le déroulement des négociations au niveau de
l'entreprise, j'ajouterai que le projet de loi prévoit certaines
dispositions pour favoriser l'égalité des forces entre
salariés et patronat. A ce sujet, j'ai l'impression que votre
organisation est prête à développer la pratique des
référendums, ce à quoi d'autres syndicats sont
opposés.
En fin de compte, votre position me semble motivée par le raisonnement
suivant : le problème fondamental, c'est le manque de
légitimité des accords ; pour le surmonter, il faudrait
faire cautionner les accords par les salariés ; or le projet de loi
ne spécifie aucunement les conditions dans lesquelles le vote des
salariés pourrait cautionner un accord. Ai-je bien compris ?
M. Michel COQUILLION
- Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Pour la
CFTC, la légitimité d'un accord réside d'abord dans sa
qualité, dans sa contribution au bien commun et à l'entreprise.
Mais pour d'autres, la légitimité d'un accord tient au soutien
dont il bénéficie parmi les salariés. Si c'est cette
conception de la légitimité que l'on entend défendre, il
faut alors chercher à consulter les salariés. Pour assurer la
légitimité perçue d'un texte, il ne sert à rien de
conclure des accords majoritaires - les salariés ne savent
même pas ce dont il s'agit -il faut demander aux personnels leur
avis. Mais ce n'est pas une revendication de la CFTC que de solliciter le vote
des salariés. Notre organisation s'en tient à ce qui a
été négocié dans l'accord de juillet 2001.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Vous dites toutefois que si
l'objectif est d'accroître la légitimité perçue des
accords, le texte n'y répond pas, puisqu'il ne précise aucune
méthode en la matière.
M. le PRÉSIDENT
- Evitons de demander à M. Coquillion ce
qu'il ne souhaite pas. J'ai cru comprendre en effet que la CFTC n'était
pas favorable à la pratique des référendums et qu'elle
préférait s'en tenir aux dispositions négociées en
2001.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Si le texte souffre de lacunes, il
faut bien que nous en débattions.
M. Michel COQUILLION
- Le texte stipule qu'une branche peut adopter le
principe de l'accord majoritaire, mais il ne précise pas en fonction de
quels critères on juge du caractère majoritaire d'un accord. Cela
est fort ennuyeux. Vous nous expliquez que les organisations syndicales auront
toujours à leur disposition le droit d'opposition. Cela est vrai, et
c'est pourquoi certaines organisations estiment que le texte n'acte pas le
passage à l'accord majoritaire. Mais il est tout aussi vrai que le texte
définit un principe nouveau, tout en appelant à son
développement. Nous sommes donc conduits à nous prononcer
également sur des questions de principe. Notre position en tient compte.
Certains prétendent que si la loi était votée, elle ne
changerait en rien à la situation. Ils estiment que la CFTC fera
opposition dans toutes les branches avec le soutien de la CGT et de FO et que
le patronat ne voudra pas non plus appliquer le texte. Si tel est le cas,
à quoi bon rédiger ce texte de loi ? Pourquoi vouloir
à tout prix faire passer un texte que les employeurs ne veulent pas, qui
ne sera pas appliqué et que seules deux organisations syndicales
souhaitent ? La CFTC s'oppose donc à ce projet de loi, qu'elle
trouve d'autant plus dangereux qu'il ne prévoit pas un minimum de
garanties pour assurer le caractère démocratique des accords
majoritaires, et demande à ce que la législation s'en tienne
à la Position commune.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Vous admettez que le texte
maintient le droit d'opposition majoritaire comme droit commun. Pour que la
branche suive une autre méthode, elle doit le prévoir par un
accord de principe. En cas de blocage, les partenaires sociaux peuvent donc
recourir au droit d'opposition.
M. Michel COQUILLION
- Le texte affirme une chose et conduit à
une autre. Cela est-il pertinent ? Est-il sain d'annoncer un changement de
méthode dans la validation des accords alors qu'en
réalité, les changements seront bien plus marginaux ?
J'admets qu'il s'agit d'une question plutôt politique que technique.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Les blocages que vous avez
évoqués devraient plutôt aboutir au maintien de la
règle de l'opposition majoritaire, ce qui correspond à ce que
vous souhaitez.
M. Michel COQUILLION
- Nous sommes d'accord.
M. le PRÉSIDENT
- Je donne à présent la parole aux
commissaires.
M. Roland MUZEAU
- La CFTC est foncièrement opposée
à ce projet de loi. Le Président de votre syndicat le qualifiait
même récemment de « folie douce », en
émettant les griefs dont vous nous avez fait part. Nous
considérons également qu'il s'agit d'une folie douce. La mise
à mort de l'ordre public social est un fait extrêmement grave. Les
négociations, par le biais des accords de branche et des accords
interprofessionnels, ont permis au fil des ans d'enrichir la loi et
d'améliorer les conditions dans lesquelles travaille l'ensemble des
actifs. La possibilité qu'offre aujourd'hui le projet de loi aux
entreprises de déroger aux accords de branche remet en cause ces acquis.
Il est bien évident que les dérogations iront dans un sens
défavorable aux salariés, puisqu'à l'heure actuelle, rien
n'interdit à une entreprise de conclure des accords plus favorables aux
salariés que ne le sont les accords de branche. Vous êtes
également opposé à ce projet de loi dans la mesure
où il n'encadre pas l'expression de l'avis majoritaire. Dans ce
contexte, que pensez-vous de l'affirmation de M. Fillon, selon laquelle le
Gouvernement se serait contenté de reprendre la Position commune ?
M. Louis SOUVET
- Vous déclarez que la signature d'un accord par
un syndicat qui ne représente rien constitue une remise en cause des
accords. Aujourd'hui, seulement cinq syndicats sont dits représentatifs,
selon une classification déterminée à la
Libération. La CFTC en fait partie. Or, dans certains secteurs et dans
certaines nouvelles entreprises, les syndicats dits représentatifs ne
représentent rien. Que penseriez-vous d'un élargissement de cette
représentativité, sous réserve que les syndicats maison se
rattachent à l'un ou à l'autre des syndicats dits
représentatifs ? La situation actuelle, selon moi, mérite
d'évoluer. De nouveaux syndicats se sont formés autour de
l'informatique et des NTIC et je ne suis pas sûr qu'ils veuillent se
rattacher à la CGT ou à la CFTC par exemple.
Vous semblez surpris qu'un accord signé par un syndicat puisse
être remis en cause par le personnel. C'est ce que vivent les élus
tous les jours. Nous sommes élus sur la base d'un programme,
détaillant nos intentions. Pourtant, dès que nous voulons avancer
dans la réalisation de ce programme, nous devons réunir la
population, organiser des réunions, tout expliquer à nouveau et
convaincre sans cesse. Je ne prétends pas que cela soit une bonne chose.
Je me contente de constater qu'il en est ainsi. Et il est évident que ce
phénomène ira s'élargissant, pour toucher notamment les
organisations syndicales. Cela est inévitable.
Enfin, vous critiquez la disposition selon laquelle il faudrait reprendre tous
les accords existants. Pour ma part, j'estime indispensable de revoir un code
du travail qui n'a pas été revu depuis trente ans et qui est
devenu totalement illisible en se transformant en un empilement de dispositions
successives. Pour pouvoir comprendre le code du travail aujourd'hui, il faut
être un juriste spécialisé en ce domaine. Est-ce
normal ? Ne faudrait-il pas simplifier ce code ?
M. Gilbert CHABROUX
- Votre position est très claire. Vous nous
avez livré un exposé net et précis sur les raisons de
votre opposition au projet de loi. Je n'ai donc aucune question à vous
poser à ce sujet. Mais j'aimerais vous interroger à propos de
l'article 39. Il reprend l'une des dispositions de la Position commune de 2001,
stipulant que la règle relative à la hiérarchie des normes
ne s'applique qu'aux accords conclus postérieurement à
l'entrée en vigueur de la loi. Il en résulterait que les
dérogations prévues par les accords de branche se trouveraient
validées. Vous dites que le MEDEF, qui voulait obtenir l'effet de
rétroactivité, fait les frais de l'article 39. En êtes-vous
certain ? Ne sera-t-il pas possible de contourner ces obligations ?
M. Michel COQUILLION
- Pour répondre à M. Muzeau et
à M. Chabroux, je précise que nous ne sommes pas opposés
à la totalité de la loi. Nous sommes seulement opposés
à certaines de ses dispositions. Je précise aussi que la loi ne
suit pas les mesures de l'accord négocié en 2001.
Lors des discussions, nous avons soulevé le problème de la faible
syndicalisation des petites entreprises. C'est l'un des principaux
problèmes auquel se trouve confronté le syndicalisme : alors
qu'il est bien implanté dans les grandes entreprises, il est très
peu présent dans les petites entreprises. Or les premières
tendent à se contracter tandis que les secondes deviennent de plus en
plus nombreuses. Il faut donc s'attacher à développer le champ du
dialogue social dans les petites entreprises.
L'accord conclu en 2001 stipule qu'il faut accorder aux élus le droit de
négocier. Que cette disposition soit reprise dans le projet de loi ne
nous gêne donc pas. Mais cette mesure ne suffira pas à
résoudre le problème. Aujourd'hui, de la même
manière qu'en 2001, la question de la syndicalisation dans les petites
entreprises n'est pas assez prise en considération. Il faudra bien un
jour étudier le sujet de manière approfondie, en veillant
à bien écouter les propositions des partenaires sociaux. La loi
ne doit pas fixer des dispositions qui n'ont pas été
discutées entre partenaires sociaux. Quand certains cherchent à
obtenir par la loi ce qu'ils n'ont pu obtenir par la négociation, ils
sclérosent le dialogue social. C'est un phénomène
très malsain, qui concerne autant les organisations syndicales que les
organisations patronales, et qui dure depuis beaucoup trop longtemps.
J'ajouterai à ce sujet que nous récusons totalement les
conclusions du rapport de Virville. Si nous voulons des organisations
syndicales fortes et représentatives, il ne faut pas chercher par tous
les moyens à se passer d'elles dans les négociations
menées au sein des petites entreprises.
Il y a une dernière raison pour laquelle nous pensons que l'accord
majoritaire ne sécurise pas réellement les négociations. A
l'occasion de plans sociaux, certaines entreprises n'hésitent pas
à présenter aux organisations syndicales des propositions
clés en main : elles leur demandent d'approuver sans réserve
le plan social proposé sous peine de fermer l'ensemble des sites de
France pour développer ceux d'autres pays. Il n'y a en ce cas aucune
égalité dans la négociation et un accord majoritaire ne
vaut rien. Si on admet par ailleurs que les accords d'entreprise peuvent
déroger aux accords de branche, les rapports de force deviennent encore
plus inégaux et les négociations encore plus dangereuses.
Concernant la rétroactivité, nous craignons avant tout que les
conventions collectives ne soient dénoncées. Il est vrai qu'un
certain nombre de branches ne souhaitent pas revenir sur ces conventions
- et c'est pourquoi nous estimons qu'un décalage réel existe
entre les souhaits du MEDEF et ceux des entreprises -, mais celles qui
voudront procéder ainsi n'auront aucune difficulté à le
faire. En second lieu, nous craignons qu'en révisant d'anciens accords
pour conclure de nouveaux textes, nous ne les rendions supplétifs alors
qu'ils étaient normatifs.
Quant à la représentativité des syndicats, elle
mérite à elle seule un débat. Ceux qui s'opposent à
la multiplication des organisations syndicales et ceux qui souhaitent voir leur
organisation reconnue doivent notamment discuter entre eux. Pour notre part,
nous sommes prêts à débattre des critères de la
représentativité et de leur éventuelle révision.
Mais ne touchons pas à la présomption irréfragable de
représentativité. Si les organisations syndicales ne
bénéficient plus du monopole de présentation au premier
tour, les structures non syndiquées, et parmi elles, des structures
d'origine patronale, se multiplieront. Cela sera notamment le cas dans les
petites entreprises, où l'employeur a un grand poids. Si nous
récusons la formule du centre des jeunes dirigeants d'entreprise (CJD),
c'est justement pour cette raison. Couper le lien entre le syndicalisme
d'entreprise et le syndicalisme confédéré au niveau
national revient à affaiblir le syndicalisme
confédéré.
M. le PRÉSIDENT
- Monsieur le Secrétaire
général, je vous remercie. Pourriez-vous transmettre par
écrit les positions de votre syndicat à notre rapporteur ?
Pourriez-vous aussi répondre à des questions qui n'auront pas
été écrites ?
M. Michel COQUILLION
- Bien entendu.
Audition de M. Pierre-Jean ROZET
Membre de la Commission exécutive
confédérale,
chargé de la démocratie sociale de
la Conférence générale du travail (CGT)
(mercredi 21
janvier 2004)
M. le
PRÉSIDENT
- Monsieur, je vous remercie d'avoir répondu
à l'invitation de notre commission et de nous exposer votre point de vue
sur ce texte. Vous avez dix minutes pour présenter votre perception de
ce projet de loi, avant que le rapporteur et les commissaires ne vous
interrogent.
M. Pierre-Jean ROZET
- Merci, monsieur le président. Ce texte
comporte trois volets et nous avons des avis nuancés sur chacun d'entre
eux. Concernant le premier volet, qui porte sur les règles de
validité des accords collectifs, nous pensons qu'il aurait
été plus simple, plus transparent et plus démocratique
d'instituer un système fondé sur l'expression majoritaire des
salariés, et ce, quel que soit le niveau de la négociation. Il
est assez curieux, par exemple, que le ministre du travail propose pour la
validation des accords de branche que soit prise en compte l'expression de la
majorité des organisations syndicales et non l'expression de la
majorité des salariés. Si un tel système était
appliqué à la démocratie parlementaire, l'UMP n'aurait
jamais vu le jour. Ses militants auraient bien compris qu'il valait mieux avoir
plusieurs petits partis plutôt qu'un grand. Selon nous, cette disposition
représente donc une incitation à l'émiettement syndical.
Dans le contexte actuel, il serait pourtant préférable de
rechercher une plus forte cohésion du paysage syndical.
Concernant le deuxième volet du texte, qui porte sur la
hiérarchie des normes, nous émettons de sérieuses
réserves. Nous sommes très attachés au principe de faveur
et à celui de la hiérarchie des normes sociales. Qu'un accord ne
puisse qu'améliorer un accord signé à un niveau
supérieur nous semble une garantie essentielle, étant
donné les caractéristiques du monde du travail, la
mobilité des salariés et
l'hétérogénéité des petites entreprises. Si
cette disposition est votée, elle risque de faire disparaître la
branche en tant que niveau pertinent de négociation sociale au profit de
l'entreprise, qui deviendrait le pivot essentiel dans l'établissement
des normes sociales.
M. le PRÉSIDENT -
La branche doit préalablement autoriser
les entreprises à déroger à ses accords.
M. Pierre-Jean ROZET
- Il convient de faire une distinction entre les
dérogations autorisées par la branche et les dérogations
non interdites par la branche.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- La CGT, de par son importance, a
la possibilité de proposer d'interdire les dérogations.
M. Pierre-Jean ROZET
- Un accord doit être signé par deux
parties. Les organisations syndicales, seules, ne peuvent statuer sur cette
question.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- L'article 39 sécurise la
situation pour le passé.
M. Pierre-Jean ROZET
- C'est plutôt pour l'avenir que nous
éprouvons des craintes. Le droit social n'est pas un droit figé.
Il suit les évolutions du monde du travail, des technologies et des
ambitions citoyennes de la société. Si toutes les nouvelles
dispositions, en matière sociale, sont dorénavant
décidées au niveau des entreprises, il en résultera une
grande fragilisation de la situation des salariés, et notamment de ceux
qui travaillent dans les petites entreprises. Je ne me fais guère de
souci pour le personnel de la SNECMA, de Renault ou de la BNP par exemple. En
revanche, je suis inquiet pour les 55 % de salariés qui travaillent
dans des entreprises de moins de cinquante personnes, où les rapports
entre employeurs et salariés sont beaucoup plus
déséquilibrés, au profit des premiers. C'est sur ce point
que nous exprimons la plus vive opposition au projet de loi.
Par ailleurs, nous désapprouvons l'article 41. Cet article
prévoit qu'en l'absence de délégués syndicaux,
l'entreprise peut contracter avec les élus du personnel. Cela
représente une sorte de prime à l'absence syndicale. Pour
résoudre le problème posé par l'absence de
délégués syndicaux, il aurait mieux fallu selon nous
développer le système de mandatement. Or dans le texte
proposé, le mandatement n'intervient qu'en troisième
possibilité, en cas d'absence et de délégués
syndicaux et de représentants du personnel. Il a donc peu de chances
d'être mis en oeuvre.
Concernant l'article 42, qui précise les conditions de création
des commissions paritaires ainsi que leurs missions, nous souhaitons formuler
deux remarques. L'article L. 132-30 du code du travail était
déjà très précis à ce sujet. Il est vrai
qu'il l'était peut-être trop. Quasiment aucune commission
paritaire n'avait d'ailleurs été créée. Cependant,
nous regrettons que le projet de loi omette de mentionner deux dispositions qui
figuraient auparavant dans le code du travail. Alors que l'article
L. 132-30 ne concernait que les entreprises de moins de cinquante
salariés, l'article 42 ne fait référence à
aucun seuil. Il ne fait pas non plus mention d'une protection pour les
salariés participant à ces commissions. Il est pourtant
nécessaire de les protéger un minimum.
Quant à l'information des salariés, nous estimons qu'il aurait
fallu avancer des propositions plus ambitieuses. Remettre aux salariés
une note détaillant les normes applicables à leur statut n'est
qu'une petite avancée. Par ailleurs, stipuler que les employeurs et les
organisations syndicales ont la possibilité de négocier un
accès à l'Intranet et aux messageries n'a aucun
intérêt. Les entreprises qui n'y sont pas opposées l'ont
déjà fait. La loi devrait plutôt obliger chaque entreprise
d'une certaine taille à négocier avec les organisations
syndicales un accès à ces médias internes. Enfin, il
serait intéressant de préciser dans quelles conditions des
informations syndicales peuvent être diffusées sur le poste de
travail. Le code du travail n'inclut aucune disposition en cette matière
et nous devons souvent nous rendre devant les tribunaux pour défendre
face à certains employeurs le droit d'information des organisations
syndicales.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Je vous remercie d'avoir
répondu à nos questions et d'avoir ouvert dans votre
exposé des pistes de réflexion intéressantes. J'ai en
particulier noté vos remarques concernant les articles 41 et 42. En ce
qui concerne l'article 41, je crois comprendre que vous auriez
préféré adopter le mandatement syndical comme solution de
droit et le recours aux représentants du personnel comme solution
secondaire.
M. Pierre-Jean ROZET
- Nous estimons nécessaire de
réserver aux organisations syndicales le droit de contracter, que ce
soit directement ou indirectement. Offrir la possibilité de contracter
aux représentants du personnel modifierait les rapports sociaux dans
notre pays. Le mandatement assure des rapports plus équilibrés.
Nous n'étions pas initialement de chauds partisans de ce système,
mais nous avons constaté à l'occasion de la mise en oeuvre des
35 heures qu'il avait permis d'augmenter de façon sensible la
présence syndicale dans les entreprises et d'aboutir à la
conclusion d'accords intéressants.
M. Jean
CHÉRIOUX, rapporteur -
En ce qui concerne
l'article 42, je crois comprendre que vous êtes favorables à la
conclusion d'accords à caractère local ou régional,
s'étendant sur le périmètre d'un bassin d'emploi
déterminé, mais que vous regrettez la suppression de certaines
dispositions du code du travail. Avez-vous en ce domaine des propositions ?
M. Pierre-Jean ROZET
- Actuellement, les entreprises de moins de
cinquante salariés et notamment celles de moins de onze salariés,
souffrent d'une très faible implantation syndicale. Envisager pour ces
entreprises une représentation au niveau local, départemental ou
régional nous semble donc plutôt intéressant. Avec
l'ensemble des organisations syndicales, nous avons d'ailleurs
négocié un accord avec l'UPA pour développer ce type de
négociations. Cependant, la rédaction actuelle du projet de loi
souffre de deux défauts. D'une part, aucun seuil n'est
précisé, ce qui laisse la porte ouverte à des effets de
substitution. Des entreprises de plus de cinquante salariés, ayant la
possibilité de mettre en place un certain nombre d'instances, pourraient
se contenter des commissions paritaires locales, bien moins contraignantes.
D'autre part, aucune protection n'est prévue pour les salariés
élus à ces commissions, ce qui nous semble dangereux.
M. Jean
CHÉRIOUX, rapporteur -
En matière
d'information, vous souhaitez que le texte introduise une obligation de
négociation.
M. Pierre-Jean ROZET
- En stipulant que les entreprises peuvent
négocier un accord sur l'accès à l'Intranet, le texte de
loi n'apporte rien. Il aura en revanche une certaine portée s'il
édicte l'obligation de négocier en ce domaine.
M. Roland MUZEAU
- Depuis le début des auditions, vous demandez
aux organisations syndicales leurs sentiments au sujet de l'article 39. Pour
notre part, nous considérons qu'il s'agit d'un verrou très facile
à faire sauter. Rien n'interdit de dénoncer un accord de branche
ou un accord interprofessionnel. J'en veux pour exemple la convention des
banques, dénoncée en 1998. Or si un accord est
dénoncé, les négociations reprennent sur la base de la
nouvelle loi. Que pensez-vous donc du prétendu verrou que
représenterait l'article 39 ? Par ailleurs, que pensez-vous de
M. François Fillon lorsqu'il affirme devant l'Assemblée
nationale que la philosophie de son texte n'est pas seulement inspirée
par la Position commune mais qu'elle en est le reflet ?
M. Pierre-Jean ROZET
- Les interprétations divergent beaucoup au
sujet de l'article 39. Pour notre part, nous constatons qu'il suffira de
rouvrir une discussion, sous l'impulsion du législateur ou par voie
conventionnelle, pour que l'ensemble des normes ayant trait au thème
discuté entrent dans le cadre du nouveau système. Ceci ne peut
que nous inquiéter, compte tenu de l'attitude du MEDEF, qui souhaite
développer autant que possible les accords d'entreprise et vider de leur
contenu les accords de branche. Nous pouvons légitimement craindre
qu'après quelques années, l'article 39 n'ait plus trait
qu'à un corpus de textes réduit à sa portion congrue.
Concernant la Position commune, ce sont les signataires qu'il convient
d'interroger. Pour ma part, je constate simplement que les différentes
organisations syndicales, avant même de signer le texte, ne partageaient
pas la même lecture de la Position commune. Je constate aussi que le
projet de loi tranche un certain nombre de questions sur lesquelles la Position
commune était restée plutôt floue. La Position commune
indiquait par exemple au sujet des accords d'entreprise que deux types de
validation étaient possibles - l'accord majoritaire et le droit
d'opposition majoritaire - sans trancher entre les deux
possibilités. Pour rédiger le projet de loi, le ministre du
travail a logiquement estimé qu'il fallait prévoir les
procédures à suivre en cas d'absence d'accord au niveau de la
branche. Il a alors choisi de privilégier le droit d'opposition au droit
majoritaire, même si cela n'était pas précisé dans
la Position commune.
Si la CGT a refusé de signer ce texte, c'est aussi en raison de ses
ambiguïtés. Nous avons cherché à négocier avec
le MEDEF de sujets tels que le droit syndical, la carrière des militants
syndicaux et les conditions de négociation dans les entreprises, mais en
vain. Le MEDEF n'a pas voulu traiter avec nous de questions qui pourtant
relèvent du périmètre des partenaires sociaux. C'est
pourquoi les discussions ont abouti à un appel au Gouvernement et au
législateur. La « Position commune » n'en est
finalement pas vraiment une.
M. le PRÉSIDENT
- La Position commune est rédigée
de telle façon que les désaccords opposant sur certains points
les parties prenantes ont été précisés. Puisque la
possibilité vous était offerte de marquer les désaccords
que vous pouviez éprouver sur des points circonscrits, pourquoi ne vous
êtes-vous pas associés à l'ensemble de la Position
commune ?
M. Pierre-Jean ROZET
- Nous éprouvions également un
désaccord de méthode. Nous voulions que la discussion
débouche sur un accord normatif, où seraient
précisés les engagements des organisations syndicales et
patronales en faveur du développement du dialogue social et de la
négociation collective. Or la discussion a débouché sur un
texte qui ne répondait en rien à ce souhait et qui
représentait un coup politique plutôt qu'une véritable
réflexion sur le dialogue social.
M. le PRÉSIDENT
- Nous vous remercions. Si vous souhaitez
apporter des compléments écrits, n'hésitez pas à
les remettre à notre rapporteur.
Audition de M. Jacques
BARTHÉLÉMY
Avocat
(mercredi 21 janvier
2004)
M. le
PRÉSIDENT
- Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui
Maître Jacques Barthélémy. Nous sommes très
heureux que vous ayez accepté de venir présenter votre point de
vue devant notre Commission. Vous avez beaucoup écrit sur le
thème du dialogue social. Vous avez également enseigné, et
même négocié ; il est important pour nous de savoir
comment vous ressentez ce texte sur le dialogue social. Je vous propose,
pendant une dizaine de minutes, de nous donner votre opinion sur ce texte. Par
la suite, nous irons plus dans le détail, en nous appuyant sur les
questions que poseront le rapporteur et les commissaires. Maître, vous
avez la parole.
M. Jacques BARTHÉLÉMY
- Monsieur le président, je
vous remercie. Pour que les choses soient claires, je tiens à vous dire
que j'ai organisé mon exposé liminaire de telle sorte que je
n'aborde pas les six questions que vous m'avez transmises : nous pourrons
ainsi avoir un débat aussi vivant que possible. Je voudrais tout d'abord
essayer de retenir l'idée que l'économie de projet de loi est
constituée peut-être de trois idées : plus de
responsabilité des acteurs sociaux en matière de politique
sociale, plus d'autonomie de l'accord en matière de hiérarchie
des sources, et plus de légitimité des négociations en
matière de qualité des acteurs. Dans cette perspective, l'on
touche évidemment à des concepts juridiques qui ne sont pas
simplement des concepts juridiques : ils sont au contraire chargés
d'une très grande affectivité, voire d'une grande
psycho-affectivité. Je pense, par exemple, au concept d'avantage acquis,
auquel l'on donne dans les faits une importance plus grande que ce que le droit
lui confère. Nous touchons là au concept de l'avantage le plus
favorable.
Cette notion d'avantage le plus favorable ne matérialise pas, à
tout le moins dans notre droit constitutionnel, un principe
général, à savoir le principe de faveur. Le Conseil
constitutionnel a d'ailleurs eu l'occasion de le préciser. Pour autant,
il n'en demeure pas moins que, par les effets conjugués du
législateur, et de la jurisprudence, nous sommes relativement proches du
principe de faveur. Dans la loi, quatre articles concernent cette
théorie de l'avantage le plus favorable.
L'article L. 132-4, qui définit les rapports entre le tissu
conventionnel et la loi.
L'article L. 132-13, présent dans ce projet de loi, qui définit
les rapports entre les accords de rang inférieur, par rapport aux
accords de rang supérieur.
L'article L. 132-23, qui est un cadre d'application pratique de ce principe,
puisqu'il concerne la relation entre l'accord d'entreprise et la convention de
branche.
L'article L. 135-2, qui définit les rapports entre le contrat de travail
et les accords collectifs. Le principe de la relativisation de la règle
de l'avantage le plus favorable n'est pas, d'un point de vue théorique,
très étranger à la relation entre l'accord collectif et le
contrat de travail. Par exemple, dans le droit allemand, les avantages de
l'accord collectif s'incorporent naturellement dans le contrat de travail. De
ce fait, la règle de l'avantage le plus favorable n'existe pas dans la
relation entre la convention collective et l'accord d'entreprise, lorsque cet
accord d'entreprise est négocié par le Comité
d'entreprise, ce qui est le cas pour les conditions de travail.
Nous ne pouvons donc pas appréhender l'intérêt, la
faisabilité de la relativisation de la règle de l'avantage le
plus favorable sans avoir préalablement appréhendé tout ce
panorama. En outre, la Cour de cassation a élargi le champ de la
règle de l'avantage le plus favorable à d'autres sources de
droit, et en particulier à l'usage et à la décision
unilatérale de l'employeur. Cela a été fait sans texte,
uniquement en se référant à la règle de l'avantage
le plus favorable. Dans ces conditions, il me semble nécessaire de
souligner que la règle de l'avantage le plus favorable n'est pas, en
soi, l'expression du progrès social. En effet, dans un certain contexte,
elle contribue à le réaliser, sans pour autant le faire de
manière absolue. Si équilibre des pouvoirs entre les contractants
il y a, si le niveau d'autorité des syndicats est suffisant, nous
n'avons pas besoin de cela, tout au moins dans les rapports existant entre
accords collectifs de rang différent.
Par ailleurs, nous ne pouvons pas dissocier ce qui se fait dans ce projet de
loi de ce qui a été réalisé en 1982, par
l'introduction de la technique de dérogation dans les relations entre la
loi et le contrat collectif ; nous sommes en effet face à des
logiques de même nature. Je dirais même que ce qui a
été proposé à l'époque va encore plus loin
que ce qui est proposé aujourd'hui, dans la mesure où, non
seulement l'on relativisait l'autorité d'une disposition légale
et réglementaire à l'égard des dispositions
conventionnelles, mais, en outre, cela se traduisait par la relativisation de
la règle de l'avantage le plus favorable, mais aussi par la remise en
cause de règles de droit qui sont, théoriquement,
impératives. En conséquence, nous ne pouvons pas dissocier cette
question de l'avantage le plus favorable de la technique de dérogation,
et de sa pratique depuis 20 ans. En effet, il n'est pas de
législateur, depuis 1982, et l'introduction de l'ordonnance des
39 heures, qui n'ait pas élargi le champ des techniques de
dérogation : nous pouvons ainsi penser à la loi Delebarre de
1986, la loi Seguin de 1987, la loi Soisson de 1990, la loi quinquennale sur la
durée du travail de 1993, les lois Aubry... Nous ne pouvons donc pas
dissocier les deux, il s'agit d'un phénomène d'expansion de la
contractualisation du droit du travail, dont nous retrouvons d'ailleurs in fine
une autre manifestation dans la loi de janvier 2003, relative à la
durée du travail. En effet, en matière de contingents d'heures
supplémentaires, désormais, la norme de droit commun n'est plus
la norme réglementaire, mais la norme conventionnelle : la norme
réglementaire n'intervient en effet que par défaut. Je crois que
nous devons rappeler ce panorama pour bien comprendre l'orientation qui est
suivie aujourd'hui, dans le cadre du projet de loi qui nous intéresse
aujourd'hui.
Cette remarque fondamentale faite, je voudrais rappeler que le droit du travail
a une fonction protectrice, que j'ai l'habitude de qualifier de
génétique : l'autonomie de cette discipline repose en effet
sur l'état de subordination du salarié, qui rend de ce fait son
consentement suspect. Il devient donc nécessaire de disposer d'un droit
protecteur. Ce droit protecteur s'assigne plus comme objectif de corriger les
effets de la subordination que de favoriser l'équilibre contractuel.
Tout le dispositif qui instaure des avantages minima tant dans la loi que dans
la convention collective va dans ce sens. En d'autres termes, l'on se satisfait
de la qualité de « mineur social » du
travailleur : l'on considère qu'il est incapable, du fait de son
état de subordination, de défendre lui-même ses
intérêts. Il faut donc que l'arsenal législatif,
conventionnel et réglementaire le fasse à sa place.
Dans cette perspective, quelles que soient les modifications que l'on est
susceptible d'apporter au code du travail, et quelles que soient les
justifications qui sont à l'origine de ces modifications, il me semble
que le volume des contraintes juridiques, dans un état de droit comme le
nôtre, ne peut régresser. Par contre, l'on peut parfaitement
s'attacher à la nature de ces contraintes, en partant de l'idée
qu'un droit social davantage contractuel est mieux à même de
concilier économique et juridique, en l'occurrence les aspirations
sociales et les objectifs économiques : en effet, le contrat, par
nature, peut plus facilement bâtir la loi des parties, et donc adapter
des normes à un contexte particulier. Mes derniers propos s'appliquent
autant à la technique de la dérogation, inventée depuis
20 ans, qu'à ce dispositif. Sous cet angle, il ne me semble pas que
nous puissions formuler des critiques de fond. Encore faut-il que nous soyons
certains que l'équilibre contractuel soit effectif, que les acteurs
sociaux adoptent un comportement de bonne foi, et que l'on garantisse
l'exécution loyale des conventions. C'est d'ailleurs peut-être sur
ce dernier point que des réflexions importantes doivent être
conduites, d'autant qu'elles n'ont pas leur traduction dans le projet de loi
actuel.
Sous cet angle, trois idées doivent être développées
en ce qui concerne la faisabilité du projet. En ce qui concerne
l'autonomie de l'accord d'entreprise par rapport à la convention de
branche, et plus généralement de l'accord de rang
inférieur par rapport à l'accord de rang supérieur, il ne
me paraît pas choquant que l'on relativise la règle de l'avantage
le plus favorable. Pour autant, il faut que la mise en oeuvre de cette
autonomie soit davantage encadrée, à la fois en ce qui concerne
les domaines qui doivent rester impératifs, et les conditions de mise en
oeuvre. Or nous sommes là au coeur du débat : les
signataires de l'accord de rang supérieur doivent-ils définir les
conditions de l'autonomie des signataires de l'accord de rang
inférieur ? Au contraire, la solution inverse doit-elle
prévaloir ? La solution inverse figure in fine dans le texte. Les
partenaires sociaux, dans le texte de juillet 2001, ont été plus
nuancés. Quoi qu'il en soit, c'est un problème d'une importance
certaine, mais, dans la pratique, nous pouvons relativiser celui-ci. En effet,
nous devons attacher une grande importance à la nécessité
de l'effectivité de l'équilibre contractuel. C'est la condition
de la conciliation entre l'autonomie de l'accord et le respect de la fonction
protectrice du droit social. Dans cette optique, l'autonomie de l'accord ne
peut être critiquée en soi.
En ce qui concerne la légitimité de l'accord, l'accord
majoritaire, en soi ne veut rien dire. Tant que l'objet de la
négociation n'était que de créer des avantages plus
favorables, l'on n'avait pas besoin que celui qui signe ait disposé
d'une représentativité effective plus importante. Ce que nous
pourrions appeler l'ordre public interne à la collectivité n'est
donc pas menacé. Dès l'instant où, que ce soit par la
technique de dérogation ou par l'organisation de la relativisation de la
règle de l'avantage le plus favorable, l'on donne plus d'autonomie
à la source de droit inférieure, il est clair que l'exigence de
représentativité ne suffit plus, il faut donc la compléter
par une exigence de légitimité. Jusqu'à présent, et
ceci depuis l'ordonnance des 39 heures, l'on s'est satisfait du droit
d'opposition, dans la mesure où il était le seul moyen de ne pas
remettre en cause le principe selon lequel tout syndicat, dès lors qu'il
est représentatif, peut signer valablement seul. Simplement, l'on
introduisait ce droit d'opposition. Aujourd'hui, sous l'impulsion de certains
partenaires sociaux, et également de la pratique de la technique
dérogatoire, l'on en vient à penser qu'il vaudrait mieux imaginer
une mesure positive d'appréciation de la légitimité des
signataires, d'où l'accord majoritaire. En effet, le principal reproche
que l'on peut faire à la technique d'opposition est de mesurer
négativement la légitimité de ceux qui signent, par la
signature de ceux qui ne signent pas. Sous cet angle, l'accord majoritaire est
indiscutablement un progrès. Pour autant, subsiste, dans un cas comme
dans l'autre, une faille. En effet, si l'on reste dans la mesure de l'audience
effective de chaque organisation syndicale par la référence aux
résultats des élections professionnelles, l'on effectue un
exercice insatisfaisant, dans la mesure où l'on mesure la
légitimité des signataires à partir d'une élection
qui a un tout autre objet. Ceci étant, l'idée de faire des
élections spécifiques génère une lourdeur, et un
coût. Je vous signale qu'en Espagne, c'est bien cette solution qui
existe, tout le monde s'en satisfait.
Personnellement, je trouve que, dans la mesure où l'on introduit une
plus grande autonomie de l'accord de rang inférieur par rapport à
l'accord de rang supérieur, cela se traduit inévitablement par
une consistance juridique donnée à la collectivité
concernée. Si nous autonomisons, cela signifie que l'on aboutit à
une remise en cause de certains avantages les plus favorables. Si les syndicats
signent, c'est bien parce qu'ils y trouvent, malgré tout, un avantage.
Cela signifie que l'on introduit forcément une approche de la solution
la plus favorable sur la globalité de l'accord, et plus simplement
avantage par avantage : ceci donne de la consistance à la
collectivité. Prenons les accords ARTT : ce sont des accords dans
lesquels l'on fait un tout indivisible de
quatre éléments :
- la réduction de la durée effective, pour parvenir à
35 heures ;
- l'optimisation des normes d'organisation des temps de travail,
grâce à la technique de dérogation, pour les adapter au
contexte particulier, ce qui, en soi, est facteur de gains de
productivité, et qui peut justifier le surcoût induit par la
baisse du temps de travail sans baisse des salaires ;
- la glaciation des rémunérations ;
- l'augmentation des effectifs, en pourcentages, qui ne profite à
personne, si ce n'est à la collectivité. L'on voit bien que l'on
échange un avantage collectif contre l'abandon d'avantages
individuels ; c'est bien pour cela que je dis que cela donne de la
consistance à la collectivité.
Cette consistance exige que la mesure de l'audience se fasse par rapport
à la totalité des personnes, donc par rapport aux inscrits, et
non par rapport aux votants. Si l'on choisit la solution des votants, c'est
dans un souci de facilité, il est en effet plus aisé de conclure.
Pour autant, ce n'est pas totalement satisfaisant d'un point de vue juridique.
L'accord majoritaire ne constitue pas une panacée universelle. En
Espagne et en Italie, l'on a créé des commissions paritaires,
dans lesquelles chaque organisation est représentée au prorata de
son audience réelle. Cette commission prend ses décisions
à la majorité. Dans l'entreprise, c'est bien le comité
d'entreprise, qui est élu à la majorité, qui a ce pouvoir.
En Espagne, la décision n'est effectivement prise que si 60 % des
personnes ont voté dans le sens souhaité. Nous voyons donc bien
que nous sommes dans une logique complètement différente.
En ce qui concerne la nature juridique des accords, il s'agit peut-être
d'une faille du dispositif. Pour autant, je ne pense pas que nous pouvons le
reprocher au ministre du travail, dans la mesure où sa doctrine a
été de se placer sous l'aile protectrice de l'accord du
16 juillet 2001. De ce fait, l'on ne s'attache pas à la nature
juridique des accords. L'introduction souhaitable, dans notre droit
français, par la loi du 13 novembre 1982, du double niveau de
négociation branche/entreprise aurait dû, quelques années
plus tard, se traduire par une réflexion sur la différenciation
de la nature juridique de l'accord d'entreprise et de la convention collective
de branche. Cette dernière en effet a une nature duale, de contrat et de
loi professionnelle, en raison de son caractère normatif dans la
branche. Il me semble que l'accord d'entreprise devrait avoir une nature
contractuelle plus pure, ce qui n'apparaît pas dans nos dispositions,
sauf en ce qui concerne la négociation annuelle obligatoire,
régie par les articles L. 132-27, L. 132-28 et L. 132-29 du code du
travail. Il est dit dans ces articles que l'on a l'obligation dans l'entreprise
de négocier les salaires effectifs, la durée effective et
l'organisation du temps de travail, alors que la convention de branche ne
s'occupe que des minima. Cette distinction n'est pas neutre : tant que
l'on ne s'occupe que des minima, la finalité poursuivie est purement
sociale ; dès l'instant où l'on s'intéresse aux
avantages effectifs, l'on s'intéresse aussi aux aspects
économiques. La négociation annuelle obligatoire porte sur les
salaires et les temps de travail, dans la mesure où ces deux points
représentent les moyens permettant de réaliser un objectif
économique.
Nous voyons bien que cette distinction devrait apparaître, d'autant plus
que le niveau amont, à savoir l'accord interprofessionnel, mérite
une réflexion. Que l'on décide de soumettre, désormais,
toutes les lois qui concernent les rapports de travail aux partenaires sociaux
avant même que le législateur n'intervienne, j'y suis
personnellement favorable, d'autant que le droit communautaire nous y incite
fortement depuis le Traité de Maastricht. Cela dit, il faut alors
distinguer, entre les accords professionnels, plusieurs types d'accords.
L'accord professionnel « pré-législateur »
débouche sur un texte qui aura valeur législative et sera, au
minimum, annexé par la loi. Nous disposons d'ailleurs d'un exemple dans
notre droit français, il s'agit de l'accord sur la mensualisation du
10 décembre 1977 : cela n'a rien à voir avec le
texte qui sera destiné à décliner par la suite un tissu
législatif pour en faire les modalités d'application, se
substituant ainsi aux textes réglementaires. La nature de l'accord n'est
pas la même ; cela est encore pire si l'accord demeure une sorte de
« super convention collective de branche ». Les acteurs de
ces trois types d'accords ne peuvent pas être les mêmes, et
l'intervention de l'État ne doit pas être la même. En effet,
dans le premier cas, il faut que toutes les interprofessionnalités
soient présentes, dans la mesure où, dans le cas contraire, l'on
ne voit par ailleurs très bien comment un texte qui a, à
l'origine, des négociateurs ne concernant qu'une partie des employeurs
et des salariés, pourrait devenir, par la suite, la loi.
Dans ce cas, si l'on procède comme le fait le droit communautaire, le
texte change de qualification, le contrat devient loi, comme cela est
d'ailleurs le cas pour l'accord de 1977 relatif à la mensualisation.
Dans le second cas, un tel constat est beaucoup moins net : l'on pourrait
imaginer d'abandonner la technique dite d'extension et d'élargissement
au profit de la technique d'agrément, c'est-à-dire celle qui est
en vigueur dans le cadre des accords chômage. Pourquoi, dans ces
derniers, avons-nous adopté la technique d'agrément ? Tout
simplement parce que le champ de l'accord doit être le même que
celui de la loi ; or la technique d'extension ne permet pas cela, et la
technique d'élargissement ne le permet pas plus. En effet, l'article L.
133.12 du code du travail ne permet que d'élargir le champ à une
ou plusieurs professions, mais pas à toutes : il faut en effet
préserver la nature contractuelle de l'accord. En conséquence,
l'on voit bien que des outils juridiques sont inadaptés à ce type
d'objectifs.
La troisième catégorie, évidemment, demeure dans le droit
commun. Il peut y avoir une interprofessionnalité industrie/commerce,
MEDEF/CGPME, et une interpofessionnalité pour les professions
libérales. La seconde catégorie est importante également.
Les régimes complémentaires ARRCO et AGIRC, dont le champ est
identique à celui de la loi, demeurent soumis à la technique de
l'élargissement alors qu'ils devraient plutôt être soumis
à la technique de l'agrément. Il y a donc toute une
réforme à conduire, à propos de l'architecture des sources
de droit en ce qui concerne leur nature.
Un dernier point concerne les manques existant dans le dispositif. Un certain
nombre de questions méritaient un certain affinage, elles l'ont
été plus ou moins au travers d'amendements. Par contre, il y a un
certain nombre de faiblesses dans le texte, susceptibles d'avoir des
conséquences futures dans les contentieux. Je vous en donnerai
quelques-unes au hasard, sans entrer dans les détails.
Lorsque l'on dit que le contentieux électoral, relatif à la
mesure de l'audience effective des organisations, sera soumis au tribunal de
grande instance (TGI), l'on n'a pas besoin de le dire, dans la mesure où
ce dernier est le juge de droit commun. Par contre, en matière de
contentieux électoral, le tribunal d'instance est compétent, dans
la mesure où il est plus rapide et mieux adapté. Je ne vois donc
pas très bien l'intérêt de confier une telle tâche au
TGI.
En outre, la mesure de la légitimité ne touche pas à la
notion de représentativité. Il ne faut pas entrer dans une telle
logique, étant donné que ces deux problèmes sont
complètement différents. Or la rédaction des textes,
à tout le moins celle relative à l'article L. 132-23, n'est
pas suffisamment claire à cet égard. Il faudrait donc faire
preuve de davantage de précisions, et bien distinguer la notion de
représentativité qui n'est pas touchée. Il faut que les
choses soient claires, la mesure de l'audience effective d'une organisation n'a
rien à voir avec la mesure de sa représentativité. La
condition de légitimité est complémentaire de celle de
représentativité.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Préféreriez-vous que
l'on substitue la notion d'audience à celle de
représentativité ?
M. Jacques BARTHÉLÉMY
- En effet. Il me semble qu'une
rédaction plus fine devrait être apportée.
Je souhaite mettre l'accent sur un dernier point, celui de la révision
des accords. Notre régime juridique de la révision est né
d'une jurisprudence célèbre, ayant donné lieu à un
rapport de Maître Bélier : ceci a été
intégré dans la loi du 31 décembre 1992. Il est
évident que les principes civilistes fondamentaux qui régissent
tout contrat font qu'il est impensable qu'une personne n'ayant pas signé
l'acte initial signe l'acte de révision ; il n'en demeure pas moins
que, tel que le texte est rédigé, l'on a l'impression que ceux
qui n'ont pas signé le texte initial participent aux négociations
sans pouvoir signer. Or la fonction même de négociation implique
le droit de signer. En conséquence, cette disposition n'est pas
totalement satisfaisante.
M. le PRÉSIDENT
- Maître, je vous remercie pour cet
exposé très important. La parole est au rapporteur.
M. Jean
CHÉRIOUX, rapporteur -
Je souhaite revenir sur
certaines des questions que j'ai transmises à M
e
Barthélémy. L'utilité de ces questions repose sur ce que
nous avons entendu au cours des précédentes auditions : que
pensez-vous de la nécessité de construire un droit du dialogue
social ? Certaines remarques faites, à propos notamment de
l'article 39, semblent impliquer nécessairement une organisation du
droit de négocier. Pourriez-vous approfondir cette question ?
M. Jacques BARTHÉLÉMY
- J'avais laissé
volontairement de côté cette question, dans la mesure où
elle demeure, à mes yeux, un point essentiel. En préambule, je
vous ai dit que la relativisation de la règle de l'avantage le plus
favorable ne doit pas être diabolisée. Il existe des ensembles
juridiques cohérents et protecteurs, autres que ceux qui existent en
France, qui ne connaissent pas la règle de l'avantage le plus favorable.
Pour autant, les salariés ne sont pas perdants. Il faut donc placer le
problème sur un autre terrain. De toute façon, si cela
était le cas, l'on n'aurait pas inventé la technique de
dérogation en 1982, qui a eu des effets infiniment plus importants en
matière de relativisation de la hiérarchie des sources que ce qui
est proposé là.
M. Jean
CHÉRIOUX, rapporteur -
Vous parlez des textes
Auroux, n'est-ce pas ?
M. Jacques BARTHÉLÉMY
- En effet, je parle de l'ordonnance
des 39 heures. Cela dit, nous avons rencontré par la suite une
amplification du volume et de l'étendue des techniques de
dérogation texte après texte, que les gouvernements soient de
gauche ou de droite. L'on peut me dire que cela ne concerne que le droit de la
durée du travail, ce qui est vrai. Potentiellement, cela peut concerner
autre chose et, du reste, cela touche les salaires. Le fond du problème
est ailleurs : je rappelle que les textes Auroux faisaient le pari de
rendre les salariés acteurs du changement ; au-delà de ce
point, il s'agissait également de la philosophie de
M. Chaban-Delmas, relative à la « nouvelle
société » : le but était de donner une plus
grande dignité aux salariés, en leur donnant la
possibilité de contracter. Dans cette perspective, je soutiens que la
relativisation de la règle de l'avantage le plus favorable n'est pas
critiquable, à condition que l'on soit certain de l'équilibre
contractuel, du comportement de bonne foi des acteurs sociaux et de
l'exécution loyale de la convention. Or il n'est pas, à mon sens,
souhaitable que le législateur entre dans les détails, comme nous
l'avons fait pour les règles de fonctionnement du comité
d'entreprise, dans un univers différent. Par contre, il faut que
l'accord de méthode s'intéressant aux règles de conduite
de la négociation soit obligatoire, encore plus dans l'entreprise que
dans la branche. Par ailleurs, il faut que le non-respect des règles de
cet accord de méthode soit sanctionné. En clair, il faut que ces
règles soient qualifiées de substantielles par le
législateur.
M. Jean
CHÉRIOUX, rapporteur
- Estimez-vous que ce point
est manquant dans le texte ?
M. Jacques
BARTHÉLÉMY
- En effet. Je dirais
même que c'est ce qui manque le plus dans le projet de loi. Si vous avez
lu l'article que j'ai rédigé sur le pré-projet, vous avez
dû remarquer que je considère ces deux points comme étant
indissociables. J'ai beaucoup écrit, depuis plusieurs années, sur
l'exigence de l'accord de méthode, pour estimer qu'il existe une faille
majeure dans le dispositif.
M. Jean
CHÉRIOUX, rapporteur -
Vous considérez donc
qu'il ne faut pas entrer dans les détails de ces accords de
méthode ; vous estimez en revanche utile que nous prévoyions
une obligation d'accord de méthode, et un caractère substantiel
donné aux règles.
M. Jacques BARTHÉLÉMY
- C'est cela. Soyons clairs, cela
existe déjà dans le code du travail : l'article
L. 132-22 prévoit expressément que la négociation sur
le fond ne peut être engagée que si sont définies la
durée et la périodicité des réunions, les
informations à remettre aux syndicats préalablement à la
négociation pour que ceux-ci puissent négocier en toute
connaissance de cause. C'est bien de cela dont nous parlons. Malheureusement,
cela n'est pas suffisamment étoffé, cela mériterait de
l'être davantage. Surtout, il faut donner un caractère substantiel
à ces règles relatives à l'accord de méthode.
M. Jean
CHÉRIOUX, rapporteur -
Il faut donc se
référer à cet article pour exiger, dans ce texte, un
accord de méthode.
M. Jacques BARTHÉLÉMY
- Deux manières peuvent
permettre d'introduire cette exigence. Tout d'abord, s'il n'existe rien dans
l'entreprise, il est impossible d'entamer des négociations sur le fond
tant que cet accord de méthode n'est pas mis en place, sauf si le
non-engagement de la négociation est sanctionné
pénalement, ce qui est le cas pour les négociations annuelles
obligatoires : dans une telle situation, la loi du 13 novembre 1982 a
pris la précaution, très utile à mon avis, de dire que
c'est l'employeur qui prend unilatéralement les décisions
relatives à ces règles de conduite de la négociation, mais
après avoir constaté l'échec d'une possibilité de
concrétisation par accord. La conjugaison des articles L. 132-22 et L.
132-28 du code du travail me permet d'être très affirmatif sur ce
point.
Par contre, l'on peut imaginer que la convention collective de branche
définisse les règles pour toute la profession. Dans une telle
hypothèse, l'accord d'entreprise n'a pas besoin de les mettre en place.
Pour ma part, il me semble que l'articulation entre les articles L. 132-23
et L. 132-13 mérite d'être affinée.
M. Jean
CHÉRIOUX, rapporteur -
Ce point est apparu au
cours des auditions : l'on a attiré notre attention sur ce
problème essentiel.
M. Jacques BARTHÉLÉMY
- Depuis quelques années, un
débat se tient sur la capacité, en l'état, au sein de
notre droit, d'une convention collective d'organiser elle-même sa
supplétivité. Il existait deux théories : celle de
l'équipe de Nanterre, qui considérait que les dispositions des
articles L. 132-13 et L. 132-23 sont d'ordre public : toutes
clauses de la convention collective de branche disant que, sur ce point
précis, l'accord d'entreprise doit déroger, seraient des clauses
nulles. La Cour d'appel de Paris a suivi cette théorie. Pour ma part, je
pense que cela est excessif d'un point de vue juridique ; de
surcroît, cela conduit à une solution pire que celle que nous
élaborions en reconnaissant le principe de validité. En effet, si
nous mettons en place un avantage, en considérant qu'il est possible d'y
déroger par accord d'entreprise, les deux font alors un tout
indivisible. Cela veut dire que, là où la négociation
d'entreprise ne peut pas prospérer, l'on débouche sur un vide, ce
qui ne constitue pas une solution intéressante. La solution
intéressante serait la suivante : dans la convention de branche,
l'on met en place un ensemble de règles. Là où la
négociation ne peut pas prospérer, elle s'applique, mais il
existe une certaine autonomie là où la négociation
collective d'entreprise peut prospérer. Pour que l'on soit certain
qu'elle puisse valablement prospérer, sans que cela soit au
détriment de la fonction protectrice du droit du travail, nous exigeons
l'accord de méthode qui fixe des règles en matière de
conduite des négociations.
Pour avoir été négociateur, et compte tenu de l'approche
organisationnelle du droit que je préconise, je peux affirmer avec
certitude que, dans les branches moyennes, qui sont importantes en nombre, ce
sont les directeurs des ressources humaines des trois ou quatre plus grandes
entreprises qui négocient, ils veulent baliser le dispositif. Or il
apparaît que ces personnes paupérisent la convention de branche,
pour se donner de l'espace de négociation pour leur propre entreprise.
Si cela n'est pas gênant pour ces entreprises, puisque le double niveau
de négociation permet de rétablir l'objectif de progrès
social par l'accord d'entreprise, cela n'est plus le cas pour les petites
entreprises, où il n'y a rien d'autre. C'est pour cela que je
considère que la clause de supplétivité était une
clause intelligente : un dispositif est mis en place, mais il laisse la
possibilité, là où la négociation d'entreprise peut
prospérer, dans une certaine limite définie, d'y déroger.
C'est d'ailleurs ce qu'a fait la loi Aubry II, avec les accords d'application
directe pour les entreprises de moins de 50 salariés : l'on
mettait en place un accord ARTT qui rendait nécessaire une
négociation dans l'entreprise pour devenir effectif, mais l'on
prévoyait un dispositif qui permettait, dans les petites entreprises,
une application directe.
Ce n'est pas la relativisation de la règle de l'avantage le plus
favorable qui est critiquable, au contraire. Ce qui est critiquable est bien la
manière dont on le conçoit. Il me semble que nous devons nous
intéresser aux règles de procédure de la
négociation. Ensuite se pose une question simple : est-ce la
convention collective de branche qui doit autoriser la dérogation, et
jusqu'où ? Au contraire, y a-t-il une liberté totale, sauf
interdiction par la convention de branche ? Cela est important, dans la
mesure où l'on organise une liberté sous condition. C'est
également important, dans la mesure où la Position commune du
16 juillet 2001 avait prévu les deux hypothèses, selon les
thèmes. Le premier avant-projet de M. Fillon prévoyait
également ces deux hypothèses, mais l'on cherchait en vain les
raisons décidant que tel ou tel sujet relevait d'un domaine. Ceci
étant, la source principale n'est pas la Position commune du
16 juillet 2001, mais l'accord du 31 octobre 1995. En effet,
celui-ci constituait un véritable accord collectif, qui a eu, par
ailleurs, des effets. Elle a inspiré la loi Robien, dont on retrouve
aujourd'hui les vertus et qui a, en outre, trouvé des implications
concrètes. Vous avez évoqué dans une de vos questions le
problème du substitut à l'intervention des syndicats : cette
question est contenue dans l'accord du 31 octobre 1995. En tant que conseil de
la profession d'expert-comptable, j'ai mis à l'époque en place un
accord de branche qui permettait d'utiliser cette technique du transfert sur le
comité d'entreprise, avec agrément, par la Commission paritaire.
Près de cent accords ont pu être conclus par ce biais au niveau
des experts comptables, ceci avec une réelle efficacité.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Muzeau.
M. Roland MUZEAU
- Maître, vous appuyez votre raisonnement sur un
préalable, qui n'est pas inintéressant en soi, à savoir la
bonne foi des partenaires. Par contre, ce préalable, que nous pouvons
entendre, se heurte à un autre préalable, celui de la
réalité économique et sociale de notre pays. En effet,
80 % des salariés travaillent dans des PME. Ma préoccupation
principale va vers cette partie du monde du travail, qui est
éclaté dans le pays entre des centaines d'entreprises, celles-ci
comprenant entre cinq et cinquante salariés ; chacun sait bien
que la représentation syndicale est la plus délicate, voire est
totalement inexistante. Lorsque l'on rapproche de la réalité vos
propos sur la bonne foi des partenaires, votre préalable ne tient
plus : l'on ne peut pas faire abstraction du paysage que j'ai
décrit en quelques mots, dans la mesure où c'est bien celui-ci
qui s'impose. Ce n'est pas une vue idyllique de ce paysage qui nous
intéresse, mais bien la vue que nous en avons aujourd'hui. Il m'importe
donc de vous interroger, sans qualifier qui que ce soit de mauvaise foi, sur le
risque réel porté par ce texte, d'aller vers une dérive
évidente : à partir du moment où l'ordre public
social est mis à bas, la bonne foi ne suffira pas à construire un
statut de salarié, avec des avantages. A plusieurs reprises, vous avez
cité la réalité économique, c'est-à-dire
l'adaptation : vous avez dit que le législateur et les partenaires
sociaux avaient pris acte que l'environnement économique avait
changé et que quelques dérogations étaient donc
nécessaires pour aller au-delà, dans un sens positif sur un
certain nombre de questions et en « lâchant » sur
d'autres aspects. Je pense notamment aux 35 heures, qui ont introduit la
flexibilité.
M. Jacques BARTHÉLÉMY
- Ce sont les 39 heures qui ont
introduit la flexibilité, et non les 35 heures. En effet, c'est
bien l'ordonnance des 39 heures qui a inventé la technique de
dérogation.
M. Roland MUZEAU
- J'ai vécu en entreprise pendant
20 ans : je peux vous dire que les 39 heures ne nous ont pas
fait de mal. Les 39 heures ont engagé un processus, et les 35 heures ont
généralisé totalement la flexibilité. Nous avons
cette situation aujourd'hui, qui me préoccupe beaucoup au travers de ce
texte. Je ne pense pas qu'il soit de nature à nous faire aller de
l'avant.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Chabroux.
M.Gilbert CHABROUX
- Je voudrais être très concret, et
m'arrêter sur l'article 39 : quelle est votre lecture cet
article ? L'on nous a donné quelques garanties, l'on a vu ce qu'a
dit le Ministre. Cela dit, je viens de lire les déclarations du
Président du MEDEF, lors de l'Assemblée générale de
son mouvement, à Lille. J'ai lu également l'interview qu'il a
donnée au journal Les Echos. Il dit bien que tout sera
renégocié : il parle du temps de travail, des
rémunérations... Il ne semble y avoir aucune limite. Il dit
également qu'il s'agit de la feuille de route qui a été
négociée par le Président de la République. Je ne
veux pas m'étendre sur les 35 heures : si l'on revient sur les
heures supplémentaires par exemple, l'on revient également sur
les 35 heures. Si l'on supprime le 13ème mois, l'on revient sur les
rémunérations. Quelles vont être les conséquences
concrètes de cet article 39 ?
M. Jacques BARTHÉLÉMY
- Le problème que vous
évoquez est évidemment important. Pour autant, aujourd'hui, nous
sommes dans une logique qui a été initiée par
l'introduction dans notre droit français de la technique de
dérogation par l'ordonnance des 39 heures. Ce
phénomène n'a cessé de s'amplifier. Chaque fois que l'on
substitue des normes banalisées à des normes de contexte, l'on
crée des conditions pour une plus grande compatibilité entre
économique et social. Or c'est bien dans cette logique que se situe ce
texte, comme la loi sur le contingent, votée l'année
dernière : aujourd'hui, la majoration de 25 % n'est plus
légale, puisqu'il appartient à la convention collective de fixer
le taux des heures supplémentaires ; celle-ci peut la fixer
à 10 %, si elle le veut. Nous sommes donc dans une logique bien
différente, qui vise à construire un droit du travail plus
contractuel, et moins réglementaire. Il faut bien reconnaître, en
tant que praticien, que le droit du travail, en s'intéressant trop aux
questions de détail, est devenu d'une grande complexité, cela est
particulièrement vrai dans le domaine du droit du temps de
travail : au final, plus personne ne comprend rien, ce qui engendre une
certaine inefficacité de la loi. Cela est dommage. Ceci étant, le
problème que vous évoquez est important ; c'est bien pour
cela que je crois que nous devons baliser la possibilité d'accords dans
des petites entreprises, en laissant l'autorité de la convention de
branche chaque fois qu'elle est susceptible d'être effective. Plusieurs
moyens existent, et le débat sur le fait de savoir si c'est la
convention de branche qui doit autoriser la dérogation, ou si, au
contraire, c'est le droit commun qui doit autoriser la dérogation, n'est
pas neutre par rapport au problème que nous évoquons.
Le second problème que vous avez évoqué est celui de la
capacité de négocier dans les entreprises : ce
problème a bien été mentionné dans le cadre des
lois Aubry, puisque l'on voulait absolument développer les accords
35 heures, qui permettaient justement d'adapter des normes à un
contexte particulier. Cela permettait plus aisément de faire supporter
le passage de 39 heures à 35 heures, sans perte de salaires.
Nous sommes dans la même logique, c'est pourquoi l'on fait ressurgir ce
que l'accord d'octobre 1995 avait créé, à savoir le
possible transfert du pouvoir de négociation dans les petites
entreprises sur le Comité d'entreprise et, à défaut sur
les délégués du personnel ou en dernier ressort sur un
mandataire
ad hoc
. Le but de cette opération est aussi de
favoriser la syndicalisation. La principale critique que nous sommes
susceptibles de faire sur cet ensemble est simple : effectivement,
avons-nous un poids des syndicats suffisant pour nous permettre, aujourd'hui,
de relativiser la règle de l'avantage le plus favorable ? L'on peut
y répondre de deux manières, ce qui revient à la question
de la poule et de l'oeuf. En effet, en Allemagne, le taux de syndicalisation
est plus élevé parce que la convention collective,
théoriquement, est au seul bénéfice des salariés
syndiqués. Nous voyons là qu'il existe une question
intéressante à soulever.
En ce qui concerne l'article 39, il est clair que l'objectif du Gouvernement
est d'éviter que la convention collective conclue antérieurement
à la loi puisse se voir imposée des règles nouvelles. Tel
est bien le fond du débat. En d'autres termes, il faudra pouvoir
renégocier les accords pour atteindre une certaine effectivité.
Il existe une sécurité par la pratique de la négociation
collective : l'introduction de la règle de l'accord majoritaire, ou
du droit d'opposition fondé sur l'audience effective de chaque syndicat
ne sera pas de droit : elle viendra d'un accord qui l'organisera, cet
accord demeurant soumis aux règles actuelles. Chaque syndicat, dans une
telle optique, a le même poids. C'est donc la règle de la
majorité qui interviendra, mais appréciée sur le nombre
des syndicats, et non pas sur le poids effectif de chacun d'eux. C'est bien
cette solution qui existe actuellement pour la révision des accords. En
conséquence, pour introduire la possibilité de relativiser la
règle de l'avantage le plus favorable, il faudra un avenant. Pour que
cet avenant soit signé, aujourd'hui, il faut que trois des cinq
syndicats soient signataires. C'est une des raisons pour laquelle je pense que
l'accord majoritaire ne sera pas fréquent. Je ne vois pas en effet la
CFE-CGC, la CFTC ou FO se saborder au nom de la mise en place de l'accord
majoritaire. Je pense pour ma part que ce dernier est un plus, même si je
crois beaucoup plus à la pratique espagnole, qui institue une commission
paritaire dans laquelle chaque organisation syndicale est
représentée au prorata de son audience, et qui prend ses
décisions à la majorité, tant au niveau des
salariés que des employeurs. Dans l'entreprise, le problème de la
négociation avec le Comité d'entreprise se pose dès lors.
Si nous adoptons cette logique, il faut aller jusqu'au bout du raisonnement, il
faut réformer le droit des comités d'entreprise : il est en
effet anormal que le Président soit membre du CE ; il faut
également revoir les règles d'élection, pour que les
personnes soient élues au premier tour, en faisant tomber la
représentativité de droit.
M. le PRÉSIDENT -
Je vous remercie infiniment pour le temps que
vous nous avez consacré.
Audition de M. Georges
TISSIÉ
Directeur
des Affaires sociales
Confédération
générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)
(mercredi
21 janvier 2004)
M. le PRÉSIDENT
- Je dois tout d'abord excuser M.
Veysset, qui ne peut pas être parmi nous aujourd'hui : il est retenu
pour une négociation consacrée au traitement social des
restructurations.
Je ne doute pas, pour autant, que vous nous apporterez tous les
éclaircissements dont nous avons besoin. Monsieur Tissié, vous
êtes directeur des Affaires sociales de la CGPME. Je vous propose,
pendant une dizaine de minutes, de nous donner votre point de vue sur ce
texte ; vous pouvez évidemment vous appuyer sur les questions qui
vous ont été transmises.
M. Georges TISSIÉ -
Vous m'avez demandé quelle
était mon analyse sur l'état actuel de la négociation
collective et du dialogue social dans notre pays. Nous avons la même
position depuis de nombreuses années. Nous considérons que le
dialogue social, au niveau des branches, mais aussi au niveau national
interprofessionnel, demeure toujours très important en France. Nous
pourrions nous remémorer tous les accords nationaux interprofessionnels
qui ont été signés au cours des 30 dernières
années. Sans remonter à 1969, par exemple, nous savons tous que
deux accords importants ont été signés au niveau national
interprofessionnel sur la formation professionnelle ; un accord a
également été signé sur la retraite
complémentaire. Peu avant, un accord avait été
signé à propos de l'assurance chômage.
Il ne faut surtout pas minimiser la réalité du dialogue social au
niveau des branches, au niveau interprofessionnel et également, dans une
moindre mesure, au niveau des entreprises elles-mêmes. Même dans
les branches et les entreprises, nous voyons bien, chaque année, lors de
la réunion
ad hoc
de la commission nationale de la
négociation collective, qu'il y a de très nombreux accords sur
des sujets variés, qui peuvent d'ailleurs, selon les années,
être différents. Il y a une dominante une année, et une
autre dominante l'année suivante. Le dialogue social demeure donc
très important. Lorsque nous regardons ce qu'il se passe dans les autres
pays occidentaux, qu'ils soient européens ou non, nous remarquons de
toute évidence que nous n'avons pas à rougir des actions que nous
conduisons en France lorsque nous nous intéressons au total des trois
niveaux.
Nous sommes signataires de la Position commune du 16 juillet 2001, comme la
quasi-totalité des partenaires sociaux, puisqu'il y avait les trois
organisations patronales représentatives au plan national
interprofessionnel, et quatre confédérations nationales de
salariés sur cinq. Si nous sommes signataires, c'est que, nous avons,
globalement, approuvé ce texte. Nous considérons que le texte en
débat, tel qu'il est issu des travaux de l'Assemblée, nous
satisfait. Je pense notamment à la rédaction de l'article 34,
telle qu'elle actuellement. Je pense également à l'article 41,
auquel nous tenions beaucoup.
En ce qui concerne votre troisième question, nous considérons que
l'article 41, tel qu'il est rédigé, devrait permettre d'accentuer
le dialogue social dans les PME ; il devrait surtout permettre de donner
un débouché juridique au dialogue social. En effet, il existe un
dialogue social informel dans toutes les PME, y compris dans celles comprenant
moins de cinquante salariés. Il faut bien avoir à l'esprit
que ce dialogue est informel, il existe depuis de très nombreuses
années. Force est de constater en outre qu'il s'est
considérablement amélioré, en particulier au cours des
dernières périodes. Cet article 41 devrait permettre, comme nous
n'avons cessé de le demander depuis de nombreuses années, de
donner un débouché juridiquement reconnu à ce dialogue
social. Sous certaines conditions, il sera possible de négocier des
accords juridiquement reconnus entre la Direction de l'entreprise et les
représentants élus du personnel : ce n'est d'ailleurs qu'une
solution, puisqu'une seconde solution est proposée. J'insiste
néanmoins sur cette première solution. Nous sommes donc
favorables à cet article 41. Pour autant, nous devons raison garder.
Nous pensons néanmoins qu'il s'agit d'une mesure positive qui devrait
déboucher sur un certain nombre d'accords dans les PME. En tout
état de cause, il sera susceptible d'enclencher un mécanisme que
nous jugeons positif.
En ce qui concerne votre quatrième question, nous estimons qu'une petite
critique devrait être formulée à propos de l'article 42, en
tous les cas dans sa mouture actuelle. Nous ne sommes pas hostiles à
l'idée de commissions paritaires territoriales, qui peuvent être
des lieux de concertation. Pour autant, nous sommes dubitatifs, et ceci pour
diverses raisons, à propos du rôle que l'on voudrait faire jouer
aux commissions paritaires. Ainsi, il est dit, dans le premier alinéa,
qu'elles «
concourent à l'élaboration et à
l'application de conventions et accords collectifs de travail, négocient
et concluent des accords d'intérêt local notamment en
matière d'emploi et de formation continue
». L'on peut
imaginer qu'une ouverture soit faite sur ce point, notamment par rapport
à ce qui existe dans le code du travail actuellement. Pour autant, nous
ne sommes pas des « fanatiques » des accords
interprofessionnels locaux, même s'ils peuvent avoir, dans certains cas,
un réel intérêt. Malheureusement, trop souvent, les accords
ne tiennent pas compte de l'environnement des accords d'entreprise, ou
même de réalités concrètes. Nous craignons
également que, dans certains cas, les négociateurs de ces accords
ne soient pas totalement représentatifs, y compris du côté
patronal. En effet, sur le plan interprofessionnel local, il peut arriver que
nous ayons des difficultés à trouver des négociateurs
compétents. Vous le voyez, mon jugement n'est pas totalement
négatif, mais il est pour partie critique, y compris pour des raisons
pratiques.
En ce qui concerne votre cinquième question, je dois vous dire que nous
aimons la négociation nationale interprofessionnelle : nous
considérons en effet qu'elle correspond à une tradition
française, en matière de protection sociale par exemple, ou
encore en matière de formation professionnelle. Nous sommes
également très favorables à la négociation de
branche, dans la mesure où elle prend en compte la
spécificité des PME et où elle permet d'égaliser,
dans la plupart des cas, les conditions de la concurrence entre des entreprises
d'une même branche. En outre, les négociateurs patronaux et
salariés sont à égalité et, de part et d'autre, les
participants sont des praticiens de la négociation. Nous sommes donc
très en faveur de la négociation de branche, je le
répète. Nous considérons cependant qu'il fallait donner
plus de souplesse au système, et « mettre de l'huile dans les
rouages ». En ce sens, nous sommes donc favorables aux dispositions
de l'article 37, tels qu'ils sont sortis de la première lecture à
l'Assemblée nationale ; ils introduisent, selon nous, un certain
nombre de garde-fous. Il fallait tout de même mettre un peu de souplesse
dans le système, après plusieurs dizaines d'années de
pratiques. En outre, nous ne pensons pas que cela va remettre en cause la
négociation de branche. En tout état de cause, nous comptons sur
les partenaires sociaux au niveau de la branche, dans la mesure où ils
disposent de leviers très forts : ce sont eux qui vont
déterminer les conditions dans lesquelles les entreprises pourraient
éventuellement déroger, au-delà des quatre sujets sur
lesquels il est impossible de déroger. Au-delà de ces quatre
sujets, ce sont les partenaires sociaux de la branche qui vont
déterminer les conditions détaillées dans lesquelles les
partenaires sociaux, dans une entreprise, pourraient déroger. Nous
comptons donc en tout état de cause sur les partenaires sociaux dans les
branches pour encadrer, au sens positif du terme, les nouvelles dispositions
qui pourraient être utilisées au niveau des entreprises. Nous
n'avons donc pas de crainte quant à la disparition ou la diminution de
l'importance des accords de branche. En effet, ce seront les
négociateurs de branche qui définiront le cadre d'autonomie des
négociateurs d'entreprise.
En ce qui concerne votre dernière question, relative au principe
majoritaire, nous estimons que le texte, tel qu'il est actuellement à la
sortie du débat en première lecture à l'Assemblée
nationale, nous convient. Nous étions plutôt favorables à
la notion du droit d'opposition. Cela dit, nous verrons comment cela se passera
concrètement, selon les cas et selon les secteurs. En son temps, nous
avions milité pour la possibilité d'une prise en compte du nombre
d'organisations dans la notion d'accord majoritaire. Nous avions posé
cette idée pour l'accord national interprofessionnel, mais cela pourrait
être étendu à l'accord de branche. Nous sommes favorables
à cette disposition. Si nous y sommes favorables, c'est bien parce que
nous ne souhaitons pas voir apparaître un ou des systèmes qui, de
par leur complexité, finissent par bloquer la négociation.
L'idée du principe majoritaire, sous la forme d'une autre organisation,
nous agrée. Cela est valable pour l'accord professionnel et
représente également une des solutions pour l'accord de branche.
M. le PRÉSIDENT -
Je vous remercie. La parole est au rapporteur.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur -
Je souhaite obtenir des
précisions sur un point précis : vous avez été
très dithyrambique sur l'accord 41, qui correspond aux
problématiques propres à vos entreprises. La solution retenue a
tendance à réduire le rôle des syndicats dans la
négociation. Estimez-vous que ceci est vrai au premier stade ? Un
agrément devra être donné au niveau des branches ;
cela ne rétablit-il pas l'équilibre ?
M. Georges TISSIÉ -
Je crois qu'un effort de précision est
nécessaire : l'alinéa 2 de l'article 41 précise que
la solution proposée n'est applicable
« qu'en l'absence de
délégués syndicaux dans l'entreprise ou
l'établissement
». Il ne s'agit donc pas d'une
substitution ; il s'agit au contraire de trouver une solution en l'absence
de délégués syndicaux. Je crois que ce point est
très important.
Les partenaires sociaux, dans la branche, ne sont pas exclus de cette
mécanique, puisque ce sont eux qui vont fixer les conditions dans
lesquelles les accords qui seraient éventuellement signés dans ce
cas seront validés. Là aussi, la branche conserve un
rôle ; l'on parle expressément, dans cet article 41, de
l'approbation par une commission paritaire nationale de branche. Faute
d'approbation, l'accord est réputé non écrit. En
conséquence, il y a là une forme d'encadrement de la
mécanique. Il eût été étonnant, de toute
façon, que l'on ouvre d'un côté une possibilité, et
qu'on la ferme complètement de l'autre. Là aussi, nous estimons
qu'un équilibre a été trouvé.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Je vous remercie pour cette
précision.
M. le PRÉSIDENT
- En conclusion, nous pouvons estimer que votre
organisation est globalement favorable au projet de loi relatif au dialogue
social.
M. Georges TISSIÉ
- C'est exactement cela. Nous souhaitons que le
texte conserve sa rédaction actuelle.
M. le PRÉSIDENT
- Monsieur Tissié, nous vous remercions
pour votre
contribution.
Audition de M. Guy ROBERT
Secrétaire général
et Mme Valérie RAMAGE
chargée
d'études
de l'Union nationale des
professions libérales (UNAPL)
(mercredi 21 janvier
2004)
M. le PRÉSIDENT
- Mes chers collègues,
nous accueillons M. Guy Robert et Mme Valérie Ramage, de l'UNAPL. M.
Robert est secrétaire général à Union nationale des
professions libérales, et Mme Ramage chargée
d'études. Monsieur le secrétaire général, je vous
propose, pendant une dizaine de minutes, de nous donner un premier sentiment
sur ce texte. Ensuite, M. le rapporteur et les membres de la commission vous
interrogeront, si vous en êtes d'accord.
M. Guy ROBERT
- Nous vous remercions d'accueillir l'Union nationale des
professions libérales, qui regroupe soixante syndicats de
professions libérales, dans le domaine de la santé, du droit, ou
encore du chiffre. Un problème clair se pose à nous : il
s'agit justement de la diversité des secteurs d'activité, avec
pour autant des points communs entre les professions libérales. Les
réglementations professionnelles varient entre les professions, qu'elles
soient réglementées ou non, et avec des problèmes de
déontologie bien spécifiques. Tout le monde, bien sûr, doit
respecter une éthique dans sa vie personnelle et professionnelle mais,
pour notre part, nous en faisons un devoir : pour nos salariés, il
s'agit d'un problème auquel ils sont souvent confrontés et qui
les différencie des salariés du secteur marchand. Par ailleurs,
la taille des entreprises que nous représentons doit être
rappelé : en moyenne, les entreprises ont une taille de
3,5 salariés et regroupent au total 1,2 million de
salariés. Pour la plupart, ils sont dans le secteur le plus minoritaire,
à savoir le secteur des techniques et du juridique. Dans le même
temps, les professionnels de santé, hors pharmacie, radiologie et
chirurgie n'ont plus de salariés : les médecins
généralistes se groupent, sous-traitent la prise de rendez-vous.
Aujourd'hui, la petite entreprise libérale médicale n'est plus du
tout la norme, il y a maintenant très peu de salariés. Certains
chirurgiens dentistes ont encore une assistante, mais cela n'est pas le cas
partout. Cela ne va pas sans poser problème, en matière de
secours ou de protocole d'hygiène, notamment. Or nous avons des
obligations bien évidentes sur de telles questions.
Nous devons également rappeler que le salarié des professions
libérales, la plupart du temps, dispose d'un niveau de diplôme
très élevé, à bac + 4 ou + 5 ; un
avocat salarié dispose d'un niveau de diplôme encore plus
élevé. En ce qui concerne les techniciens, ou les salariés
qualifiés dans le domaine de l'architecture par exemple, ils disposent
d'un niveau de diplôme conséquent. Nous sommes donc face à
des professionnels qui ont besoin de salariés
hyper-spécialisés, ce qui ne va pas sans nous poser un certain
nombre de soucis. Le nombre des professionnels et des salariés font que,
bien entendu, nous préférons conduire des négociations par
branche. Par exemple, il est difficile, pour une petite entreprise
libérale, de disposer d'un représentant syndical, dans la mesure
où les grands syndicats ne sont pratiquement pas
représentés dans nos milieux. Parfois, nous sommes face à
de petits syndicats autonomes tout à fait différenciés des
grandes centrales syndicales. Cependant, nous avons, vis-à-vis de tous
nos salariés, signé des accords interprofessionnels. Par exemple,
l'organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) des professions
libérales est très bien organisé et a permis de conduire
des négociations très productives à propos de la formation
professionnelle. Un accord a été conclu à propos de la
formation continue, et nous venons de signer un accord relatif à un
dispositif d'épargne interprofessionnel spécifique à
toutes les professions libérales. En conséquence, l'UNAPL dispose
bel et bien de ce rôle de représentation, dans le monde du
travail, de l'ensemble professions libérales.
Ces dernières années, nos problèmes ont été
essentiellement relatifs à la multiplicité des lois ; je
crois que, dès que l'on en crée une, il faudrait en enlever
dix ! si nous y ajoutons le code du travail, nous sommes face à des
textes qu'il devient difficile d'appliquer en raison de leur nombre. En outre,
l'on nous impose certaines normes de sécurité, dans les cabinets,
qui n'ont pas trait à de telles structures, mais plutôt à
des entreprises industrielles. En outre, le temps partiel ne correspond pas du
tout à nos besoins. Nous pouvons concevoir la prise en compte de ce
problème au niveau des grandes surfaces, mais pour les médecins,
les lois actuelles ne font pas du tout l'affaire. Je pense même que le
temps partiel serait davantage promu si les lois étaient beaucoup plus
souples. Il est évident en effet qu'un médecin ne peut pas
prévoir, comme une grande entreprise, un temps partiel six mois à
l'avance. Je ne veux pas revenir sur les 35 heures, nous en avons assez
débattu. Pour autant, nous ne pouvons que constater que les
35 heures sont proprement catastrophiques : nous devons fermer les
cabinets le vendredi après-midi, ou les fermer tous les soirs à
19 heures. Or une telle logique ne nous permet pas de prendre en charge
les situations d'urgence.
Cette insécurité juridique fait que les professions
libérales éprouvent des difficultés à
embaucher : les dispositifs deviennent en effet compliqués, et il y
a peu de place laissée, en-dehors des grandes professions, à la
négociation collective. Par ailleurs, certaines professions ne
bénéficient pas de convention collective, alors que nous
souhaitons qu'il en existe partout.
Pour notre part, nous estimons qu'il faut redynamiser le dialogue social au
sein de nos petites entreprises, de telle sorte que les professionnels se
sentent bien. Il faut également qu'un rapport de confiance s'instaure,
d'autant que la convivialité dans le travail est absolument
nécessaire dans nos professions. En effet, nous évoluons dans une
logique de rapports très étroits. En outre, l'on nous dit qu'il
faut parfois faire des groupements d'entreprises, mais l'on ne peut pas grouper
les entreprises d'avocats avec des salariés passant de l'une à
l'autre. En raison du secret professionnel, l'on ne peut pas faire cela. Il
faut donc redynamiser, et faire davantage appel à la négociation
collective pour s'adapter aux spécificités et aux contraintes de
ces différents secteurs d'activité, qui sont effectivement
différents. Les règles communes doivent donc pouvoir être
adaptées.
Nous considérons qu'il faut privilégier la branche. En effet, si
l'on veut créer au sein de nos entreprises des syndicats, et des
mandataires qui viendraient dans nos cabinets, je pense que la zizanie
s'installerait rapidement : l'on ne peut pas diriger comme cela des
cabinets et des professions libérales qui touchent à ce qu'il y a
de plus essentiel dans la vie de l'homme, à savoir sa santé, sa
protection juridique ou encore la protection de ses biens et son environnement.
L'on ne peut pas lier cela à des phénomènes
extérieurs qui viendraient imposer des règles de vie dans des
cabinets ou des entreprises aussi sensibles.
Nous sommes véritablement d'accord pour que le projet de loi s'appuie
sur la Position commune signée par les partenaires sociaux. Nous sommes
en faveur de cette dynamique et d'une concertation préalable avec les
partenaires sociaux avant toute réforme sociale. Effectivement, cela
nous arrange. En outre, nous sommes également favorables au renvoi, le
cas échéant, à la négociation collective avant
toute réforme du droit du travail. D'ailleurs, je tiens à dire
à ce titre que, si l'on avait appliqué cette logique au temps
partiel, nous aurions aujourd'hui beaucoup plus de salariés dans les
cabinets. En effet, de nombreuses salariées féminines cherchent
une telle forme de travail, qui correspond à leurs obligations
extraprofessionnelles.
Nous éprouvons un souci au niveau des professions
libérales : nous représentons 1,2 million de
salariés et nous ne sommes membres de la commission nationale de la
négociation collective (CNC) que depuis 1997. Depuis, nous sommes
partenaire social mais, dans bien des domaines, nous ne sommes pas
invités par le MEDEF : ce dernier n'invite que les partenaires
sociaux reconnus depuis 1945. En clair, nous ne sommes pas là, et nous
sommes dans l'obligation d'entériner des accords qui ne tiennent pas
compte de nos spécificités. Nous nous en sommes entretenus avec
les gouvernements successifs. La gauche nous a dit d'aller voir le patronat, et
la droite nous fait les mêmes réponses. Nous devons donc nous
imposer dans ce domaine, de telle sorte que le personnel
spécialisé que nous représentons puisse avoir droit de
cité dans les grandes négociations.
Pour nous, la limite réside tout d'abord dans une bonne prise en compte
de la représentativité syndicale. Je crois que nous devons nous
sortir des règles existantes qui sont, dans certains cas, figées.
Par exemple, nous sommes obligés de traiter avec tel ou tel syndicat. Je
pense que nous devons nous décider, en France, à revoir quels
sont les représentants syndicaux, ainsi que leur valeur et leur
représentativité, de manière à ce que l'ensemble de
la vie sociale soit représenté. Nous devons en finir avec cet
« archéo-syndicalisme » que nous connaissons
aujourd'hui. En conséquence, notre problème est bien là.
Nous sommes favorables au principe majoritaire pour les accords, mais nous
devons nous entendre clairement sur ce point : nous avons
déjà signé des accords mais, pour cela, il faut avant
toute chose qu'il n'y ait pas de blocages. Nous préférerions,
lorsque nous signons des accords, pouvoir adopter la logique suivante :
nous ne voulons pas que des blocages surviennent dès que nous avons
signé quelque chose. Nous souhaitons donc que la possibilité de
s'abstenir soit laissée aux organisations syndicales, cela permet de
progresser, de signer des accords et de les appliquer. Cela permet surtout
d'éviter les blocages, et nous préférons sans conteste
cette règle-là.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur -
Vous préférez donc
le droit d'opposition.
M. Guy ROBERT
- C'est cela, il me semble que cette méthode est
préférable : elle est plus efficace, en tous les cas comme
règle de base. La représentativité syndicale, comme vous
le savez, a toujours posé de nombreux problèmes. Il n'est pas
souhaitable qu'un syndicat minoritaire engage l'ensemble d'un mouvement ou
d'une entreprise au nom de sa représentativité. Nous parvenons
alors à des situations de conflits difficiles. Même dans le
domaine des conventions médicales ou de santé, cela pose
problème : si nous traitons avec un syndicat minoritaire, qui
engage toute la profession, celle-ci se rebiffe. Il faut, sur ce point,
être très vigilants : les minoritaires ne doivent pas agir au
nom de tous. Cela ne rime à rien ; les nouvelles règles de
majorité, au niveau de la négociation d'entreprise, doivent
s'appliquer dans notre secteur, mais il est évident que cela posera de
réelles difficultés. Nous n'avons en effet pas de
délégués syndicaux. Pour nous, entreprises de moins de dix
salariés, nous ne pouvons que constater que de larges pans de ce projet
de loi ne s'appliqueront pas à nous. Nous ne sommes pas suffisamment
nombreux, et je pense que ce texte sera d'application restreinte compte tenu de
la taille de nos entreprises et de leur faible capacité à
négocier. Nous souhaitons véritablement que le dialogue social
ait lieu avant toute proposition de loi. Evidemment, le législateur
reste libre, par la suite, de prendre les décisions qu'il juge bonnes.
Nous considérons que nous devons pouvoir négocier et laisser,
dans certains domaines, en fonction des régions, la possibilité
de prendre en compte les problématiques locales. L'intérêt
local doit être pris en compte, dans la mesure où il existe des
besoins spécifiques et locaux. Encore faut-il que cela entre dans un
accord de branche, qui n'y verrait pas une atteinte au cadre
général fixé.
M. le PRÉSIDENT
- Vous êtes donc d'accord avec le texte sur
ce point.
M. Guy ROBERT
- C'est cela. Je vous ai rappelé en quelques
minutes quel était notre principal problème : les
professions libérales sont très diverses, mais elles connaissent,
pour nombre d'entre elles, les mêmes problèmes transversaux.
Surtout, il existe des problèmes particuliers, famille par famille, et
des exercices différents dans certaines régions.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie, la parole est au rapporteur.
M. Jean CHERIOUX, rapporteur
- Il est certain que les lignes
générales de ce projet de loi, dans leur esprit, vous
conviennent ; pour autant, certains problèmes spécifiques
à votre profession doivent être pris en compte. Si je comprends
bien, vous êtes face à un double problème de
représentativité, au niveau patronal, mais aussi au niveau
salarié. Des deux côtés, vous vous trouvez dans une
situation de tutelle. En outre, vous voulez disposer de règles
adaptées au niveau de la branche. A ce titre, je souhaite savoir de
combien de branches vous disposez, et quelles sont-elles. Je souhaite
également savoir quelles branches ne sont pas encore couvertes par une
convention collective.
Mme Valérie RAMAGE
- En fait, toutes nos professions
réglementées disposent d'une convention de branche, elles sont
donc dès à présent organisées. Tout à
l'heure, M. Robert a parlé des accords interprofessionnels, qui
doivent être signés au niveau de l'UNAPL : ce sont des
accords cadres. Ces derniers ont vocation à impulser la
négociation de branche, dans les branches organisées, mais ils
ont aussi vocation à couvrir les professions libérales qui sont
peu structurées, et qui ne sont pas couvertes par des conventions de
branche. Il s'agit, en majorité, de professions libérales non
réglementées. Il s'agit notamment des professions de conseil, qui
sont relativement nombreuses.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Existe-t-il une convention de
branche pour les professions juridiques ?
Mme Valérie RAMAGE
- En effet.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Ce texte vous intéresse en
ce qui concerne les accords de branche. Se pose le problème de votre
participation aux négociations de branche. En tant qu'employeur, vous
n'êtes pas représentés dans ces négociations de
branche. En outre, pouvez-vous nous dire comment sont impliqués vos
salariés ? Je suppose qu'ils le sont par l'intermédiaire des
syndicats traditionnels.
Mme Valérie RAMAGE
- C'est cela. Le problème de
l'implication de l'UNAPL dans les négociations collectives se pose
essentiellement au niveau des négociations nationales
interprofessionnelles. Nous en revenons à l'exposé des motifs du
projet de loi, qui nous intéresse bien évidemment.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Pour vous, le fait que la loi ne
règle pas tout, mais que la réglementation soit faite par les
professionnels, vous convient.
Mme Valérie RAMAGE
- En effet. Pour nous, le problème
réside dans la transposition d'accords nationaux interprofessionnels
dans une loi, qui seraient des accords auxquels nous n'aurions pas
participé.
M. Guy ROBERT
- Nous nous entendons très bien avec le MEDEF, mais
il n'en demeure pas moins que nous avons encore besoin de lui faire comprendre
que nos professions sont pour le moins particulières. Nous avons besoin
de temps pour cela, mais je suis persuadé que nous allons y parvenir.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Au niveau des branches, l'UNAPL
conduit les négociations, n'est-ce pas ?
M. Guy ROBERT
- En effet. Cela dit, je vous donnerai un simple
exemple : lorsque le MEDEF organise une réunion, avec les grandes
centrales syndicales, nous ne sommes pas invités.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur -
La réglementation de
branche vous intéresse tout particulièrement, mais votre
problème se situe essentiellement au niveau interprofessionnel.
M. Guy ROBERT
-C'est exactement cela.
M. le PRÉSIDENT -
La parole est à monsieur Muzeau.
M. Roland MUZEAU
- Je souhaite faire une remarque : si j'ai bien
compris vos propos, vous êtes d'accord avec ce texte, dans la mesure
où, en premier lieu, il ne vous concerne pas. Vous n'êtes pas
touchés par la problématique de l'accord d'entreprise, qui
viendrait supplanter l'accord de branche. Vous nous avez rappelé que, vu
l'atomisation de ceux que vous représentez- 1,2 million de
salariés, des entreprises de très petite taille, peu de
salariés dans chacune d'entre elles - je comprends pourquoi vous
êtes d'accord avec un texte qui ne bouleverse pas la donne dans le
domaine de responsabilité qui est le vôtre. Je comprends
également pourquoi vous soulignez avec force combien l'accord de branche
et l'accord interprofessionnel vous intéressent ; il est normal que
vous demandiez à y être associés, à chaque fois que
vous vous sentez concernés.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur -
Le problème de la
dérogation,
a priori
, ne vous intéresse pas au niveau de
la branche et de l'entreprise. Au niveau interprofessionnel, cela vous concerne
en revanche, dans la mesure où cela vous permet de disposer de
dérogations qui vous permettent de faire face à vos
spécificités. Cela n'était pas possible auparavant.
M. Guy ROBERT -
C'est cela, c'est d'ailleurs bien ce qui nous
intéresse dans le projet de loi. En outre, nous sommes très
intéressés par la possibilité qui serait donnée,
dans certains endroits, dans la mesure où la branche n'y est pas
opposée, à la prise en compte de solutions localement mieux
adaptées à la vie économique des entreprises, en raison
d'un problème économique local.
M. le PRÉSIDENT
- Monsieur le secrétaire
général, madame, je vous remercie pour votre contribution.
Audition de M. Gilles
BÉLIER,
Avocat
(mercredi 21 janvier
2004)
M. le
PRÉSIDENT -
Mes chers collègues, nous accueillons maintenant
Maître Gilles Bélier qui est également membre de la
commission présidée par M. Michel de Virville sur la
simplification du droit du travail.
Maître, nous sommes heureux que vous ayez répondu à notre
invitation afin de nous exposer votre point de vue sur ce projet de loi. Je
vous propose, donc de développer votre position pendant une dizaine de
minutes, avant que vous ne répondiez aux questions du rapporteur et des
commissaires. Maître, vous avez la parole.
M. Gilles BÉLIER
-
Monsieur le président, je vous
remercie.
La question de la légitimité des accords n'est
pas nouvelle : je travaillais avec Jean Auroux en 1982 et,
déjà, cette question était posée par une partie des
organisations syndicales. Nous avions fait un choix très clair :
nous n'avions pas voulu nous engager dans cette voie, pour des raisons qui,
pour partie, demeurent valables aujourd'hui.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur -
Vous parlez de la
représentativité, n'est-ce pas ?
M. Gilles BÉLIER
- Non, je parle des accords majoritaires. L'avis
général que je me permettrais de développer devant vous
est le suivant : le fait de se saisir de cette question est d'ores et
déjà important. Il s'agit d'un beau sujet, mais je crains qu'il
ne soit ni complètement traité, ni parfaitement bien
traité. En effet, je vois mal comment nous pouvons aborder cette
problématique de la place de la négociation collective sans avoir
posé la question de la représentativité des acteurs. Je
trouve que le débat est trop limité, si nous parlons de la
légitimité des accords sans même avoir traité celle
des acteurs. En outre, il convient de s'interroger sur l'articulation entre la
loi et la convention collective. De ce point de vue, l'exposé des motifs
du projet de loi et les déclarations du Président de la
République sont en train d'être contredits dans les faits. Il
apparaît que nous souffrons fondamentalement, en France, de la
démocratie de l'émotion : un problème se pose, il est
amplifié par les médias, et nous n'avons d'autre issue que de
faire une loi. Prenons la loi de modernisation sociale, par exemple, nous
savons tous qu'elle a été topique de ces conséquences de
la démocratie de l'émotion. Si nous n'avons pas un pacte clair,
et des dispositions inscrites dans les textes à propos de la
manière dont nous devons fonctionner en France en matière de
droit du travail, nous ne pourrons pas parvenir à de bons
résultats. Nous avons développé l'idée de
créer une articulation de méthode ou une articulation
procédurale pérenne, dans un pacte clair entre le Parlement et la
société civile. Il n'est en effet pas question de changer la
Constitution, il n'est pas plus question que le politique renonce à ses
prérogatives. En revanche, nous devons nous demander comment nous
pouvons fonctionner, sans renouveler les échecs que nous avons connus
dans le cadre des 35 heures : je rappelle que le débat
parlementaire n'a pas complètement respecté la logique
contractuelle qui émanait des négociations de branche ou
d'entreprise. Je le dis d'autant plus volontiers que j'ai préparé
le projet de loi du Gouvernement : le projet déposé à
l'Assemblée nationale ne ressemblait que de très loin au texte
définitif. Cela est normal, nous sommes dans un processus
démocratique. Simplement, si la logique adoptée dit que la
convention collective doit être forte en amont de l'intervention du
législateur, il faut un pacte clair.
Les avantages de tels principes sont importants : l'on remarque que les
textes ayant donné lieu à des négociations
préalables, dans un cadencement ordonné, ont donné une
grande stabilité aux textes. Je ne crois pas que d'autres
démocraties européennes que la nôtre connaissent cette
situation, dans laquelle les lois relatives au droit du travail sont
modifiées à chaque mandature. Je pense que le droit du travail
doit être stable, il s'agit d'une des conditions essentielles du
progrès économique et social. Il faut parvenir à trouver
des logiques de stabilisation, cette question est donc essentielle.
En ce qui concerne la question très importante de la
représentativité des acteurs, nous émettons, dans le
rapport de Virville, l'idée d'une élection, tous les cinq ans,
éventuellement calée sur l'élection présidentielle.
Nous considérons également que ces élections devraient
également servir pour les prud'hommales, afin de diminuer le taux
d'abstention.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur -
Dans ce cas, maintiendriez-vous
l'arrêté de 1966 ?
M. Gilles BÉLIER -
Non, pour notre part, nous sommes pour sa
suppression. Les élections seraient organisées nationalement,
tous les syndicats pourraient se présenter dès lors qu'ils sont
légalement constitués. Il serait ainsi possible de
déterminer le nombre de sièges dédiés à
chaque syndicat au niveau des tribunaux des Prud'hommes. Cela donnerait une
légitimité plus forte aux conseillers prud'hommaux. Cela
permettrait également de déterminer, par branche, la
représentativité des organisations syndicales. Nous pourrions
imaginer qu'une organisation syndicale disposant par exemple de 5 % des
voix dans la branche, est représentative au plan national, sans
même qu'il y ait une confédération. Dans la branche
d'activité, elle pourrait présenter des candidats au premier tour
des élections professionnelles. De toute façon, les pistes sont
nombreuses, et cette question est centrale : il faut en effet avoir
à l'esprit que l'adoption d'une telle logique entraînerait la
disparition de certains syndicats aujourd'hui représentatifs au plan
national. Prenons la CFTC : l'UNSA a battu la CFTC aux élections
prud'hommales. Nous pouvons trouver des dispositifs transitoires, mais, quoi
qu'il en soit, il existe un vrai problème.
En ce qui concerne la question de la légitimité des accords, nous
devons avant toute chose nous demander ce que nous voulons éviter, et ce
que nous visons. Il apparaît que nous voulons déléguer de
nombreuses questions à la convention collective. Plus on
délègue à la convention collective, plus l'on doit
s'assurer que les accords sont légitimes. Or nous devons nous demander
si cette légitimité se retrouve nécessairement dans la
majorité. A mes yeux, l'on est en train de procéder à une
confusion regrettable entre démocratie sociale et démocratie
politique. La majorité est la règle de la démocratie
politique. Dans le cadre de la démocratie sociale, il s'agit de savoir
si un accord d'entreprise est supporté par une part suffisamment
importante des salariés pour qu'elle puisse légitimement entrer
en application.
Est-il serein de s'engager dans des accords, suivant la logique
majoritaire ? Pour ma part, je n'y suis pas du tout favorable. Je crains
que, si ce débat devait être posé à l'avenir dans
une autre configuration majoritaire, l'on nous dise que la loi Fillon n'est pas
allée assez loin et qu'il faudrait passer directement aux accords
majoritaires.
Je n'y suis pas favorable et je tiens à vous dire, à ce titre,
que je fais partie d'une petite école qui s'est battue sur les accords
légitimes. Je tiens à vous en donner les raisons. Tout d'abord,
dans notre pays, il faut avant toute chose rappeler l'état des
lieux : 50 % des salariés appartiennent à des
entreprises dont les effectifs sont inférieurs à cinquante. Les
syndicats n'ont pas toujours la majorité aux élections
professionnelles, ce phénomène a donc un sens très
limité. Vous pourriez me dire que cela serait la même chose dans
le cadre d'une majorité qualifiée, mais la logique majoritaire
repose, à ce moment-là, sur un état des lieux et un
terrain qui ne représentent pas cela. En outre, notre culture nationale
est largement fondée sur des logiques protestataires. Que s'est-il
passé, par exemple, chez EDF ? La CGT était prête
à signer un accord, qui, en soi, ne changeait rien au niveau des acquis
des salariés. L'on a fait voter ces derniers, qui ont voté
contre. Prenons encore l'exemple des intermittents, problème pour lequel
l'on a dit n'importe quoi : la CGT n'est majoritaire que chez les
intermittents, mais elle n'est pas majoritaire dans l'accord interprofessionnel
UNEDIC.
Du fait de cette logique protestataire, lorsque des syndicats s'engagent dans
une dynamique de changement, les effectifs de ces syndicats fondent, les
adhérents vont rejoindre des syndicats plus protestataires, SUD par
exemple. Prenons l'exemple de Michelin : pour les négociations
35 heures, la CFDT a dit qu'elle voulait changer les relations sociales
dans cette entreprise. Un engagement a été pris entre Edouard
Michelin et les responsables de la CFDT-Chimie. Au final, la moitié des
effectifs de la CFDT Michelin, après que l'accord ait été
signé, a rejoint SUD... Prenons la SNCF : l'approbation des
principes sur les retraites aboutit au fait que de nombreux syndiqués
ont rejoint SUD. L'aspect protestataire de notre syndicalisme est difficile
à intégrer à ce principe, puisque l'accord majoritaire
repose sur une logique de régulation à froid des relations du
travail. Pour ma part, je milite pour cela depuis plus de 20 ans. Dans le
cadre des lois Auroux, nous ne voulions pas donner plus de pouvoir à
l'un ou l'autre, nous voulions juste permettre une régulation à
froid des relations du travail. L'accord majoritaire est la suite logique de
cela, mais, dans notre pays, nous ne sommes pas prêts à passer de
l'ultra-minoritaire au majoritaire. Ma position est très simple :
je pense donc que nous devons commencer par des accords légitimes, nous
devons donner du mouvement à un syndicalisme d'engagement, et nous
pourrons ensuite faire un bilan, inscrit dans la loi, nous permettant de savoir
quand nous sommes prêts à passer à la logique de l'accord
majoritaire. Le changement complet du paysage français du syndicalisme a
mis 20 ans à se faire, nous ne pouvons pas passer aux accords
majoritaires en trois mois.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur -
Il existe une logique dans ce
texte : on a cherché à s'appuyer sur le pluralisme. Il
existe cinq syndicats représentatifs et l'on exige que trois soient
signataires. Cela permet de penser que l'on couvre une plage plus grande.
M. Gilles BÉLIER -
Vous avez raison. Simplement, trois petits
syndicats peuvent s'entendre contre les deux syndicats les plus importants. Je
suis l'un des auteurs du concept du droit d'opposition, et je ne le renie pas
du tout. Simplement, en 1982, nous avons parlé pour la première
fois de la légitimité des accords, certes dans une optique
négative. Pour autant, comme nous introduisions le droit
dérogatoire, nous avons voulu placer ce verrou, en disant clairement que
le droit dérogatoire ne devait pas être mis en place n'importe
comment.
Aujourd'hui, dans notre pays, mettre en place l'accord majoritaire revient
à donner la négociation collective à la CGT, il faut
très clair sur ce point. M. Thibault fait de grands progrès,
comme son organisation et son équipe ; la CGT signe en outre de
nombreux accords, nous sommes bien loin des illusions que propage le MEDEF.
Dans le même temps, il existe parallèlement une forte
capacité de blocage. Je ne suis pas certain que l'inspiration
donnée par M. Thibault et son équipe à la CGT soit
durablement assise. Il n'est pas sûr que le changement impulsé se
fera, d'autant que des fédérations très importantes ne
sont pas prêtes d'évoluer.
Que va-t-il se passer ? Aujourd'hui, il existe le droit d'opposition,
placé en alternative au fait majoritaire. Mais, à
l'évidence, nous aurons un règne absolu pour le droit
d'opposition. Il faut en effet qu'un accord de branche se
détermine : comme trois syndicats sur cinq sont hostiles au fait
majoritaire, nous serons face à deux solutions. Soit rien ne se passera
(nous serions alors dans le cadre du droit d'opposition), soit les accords de
branche iront sur le droit d'opposition. FO ne veut pas entendre parler du fait
majoritaire, comme la CFTC et la CGC.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur -
Ce n'est pas ce que nous avons
compris au cours des auditions : certains reprochaient en effet
l'importance du système tel qu'il a été prévu, au
niveau du droit d'opposition. Ils considéraient que l'on n'avait pas
fait une place assez grande à l'accord majoritaire.
M. le PRÉSIDENT -
Je ne suis pas certain que cette position soit
si tranchée, tout est beaucoup plus subtil.
M. Gilles BÉLIER
- Vous m'avez demandé pourquoi la Position
commune a été signée par FO : ce syndicat a voulu
éviter que l'accord majoritaire soit de mise. Il faut également
rappeler que, si un accord majoritaire ne se fait pas dans un endroit où
l'accord majoritaire est de mise, nous passerions alors au
référendum. Naïvement, j'ai cru qu'il existait un certain
antagonisme entre le fait majoritaire et le référendum. Le fait
majoritaire, structurellement, est contraire au référendum, nous
ne pouvons pas entrer en contradiction, par le référendum,
à la volonté des majoritaires. Sur ce point, un effort de
précision est nécessaire.
En ce qui concerne l'articulation des niveaux de négociation, se pose un
problème bien français, et très grave : si nous
plaçons en regard la position qui a été adoptée par
le Gouvernement et celle qui pourrait être acceptée par les
organisations syndicales, nous constatons des effets relativement proches. En
revanche, au niveau de la présentation politique, l'éloignement
est beaucoup plus fort. Pour ma part, je suis radicalement contre le projet
Fillon sur ce point, ainsi que sur la lecture de la Position commune par le
MEDEF dans ce domaine : ils sont en effet contraires aux objectifs
poursuivis. La façon dont est rédigée la Position commune
conduit à dire que l'accord d'entreprise peut déroger à
l'accord de branche, sauf si l'accord ne le dit pas.
M. le PRÉSIDENT -
Le texte dit-il « sauf si l'accord ne
le dit pas », ou « sauf si l'accord ne le permet
pas » ?
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Le texte dit « sauf si
l'accord ne le dit pas ».
M. Gilles BÉLIER
- L'accord interprofessionnel de 1995 disait, ce
qui à mon avis est préférable en droit positif, que les
partenaires de la branche pouvaient disposer de l'effet impératif de
l'accord collectif. En clair, une norme est édictée, elle
s'appliquera sauf s'il y a une négociation collective sur le même
thème dans l'entreprise. Je suis totalement partisan de cela. En effet,
la branche demeure maîtresse des règles du jeu, ce qui est
indispensable quant aux grandes fonctions de la négociation collective,
à savoir la prise en compte des intérêts des
salariés des PME, là où il n'y a pas de syndicats, pour
améliorer leur situation, et la régulation de la branche d'un
point de vue économique. En outre, je pense qu'il s'agit, dans ce cadre,
de démocratie sociale. La branche ne confisque pas ce qui fonde sa
légitimité, à savoir ses militants syndicaux. Comment
pouvons-nous fonctionner sur un système en disant que les
délégués syndicaux sont des incapables, surtout si nous
introduisons une logique de légitimité dans les accords
d'entreprise ? Je rappelle d'ailleurs que ce sont les
délégués syndicaux qui font vivre une
fédération. Enfin, je pense qu'il existe une raison très
pragmatique : comment se fait une négociation collective de
branche ? Au sein d'une Commission sociale, les employeurs discutent entre
eux ; arrive un sujet que les organisations syndicales souhaitent voir
traiter. Les dirigeants des grandes entreprises refusent d'en parler au motif
qu'ils sont précisément en train de négocier ce point chez
eux. Au final, la séance survient, les syndicats demandent à
évoquer ce sujet, et on leur dit qu'il faut laisser les entreprises
négocier. En conséquence, les salariés des PME ne
bénéficient d'aucun avantage. Or je suis favorable au dispositif
pour ce point. Nous avons là une vraie construction de démocratie
sociale, dans la mesure où les PME seraient concernées.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Dans le projet de loi, il est
possible de conclure un accord dérogatoire d'entreprise dans le silence
de la branche. Vous avez donc une possibilité, pour la branche, de
réguler la négociation d'entreprise. Ce n'est pas obligatoire que
l'accord d'entreprise s'impose dans le silence de la branche. Au sein de
celle-ci, il existe toujours la possibilité, pour les organisations
syndicales, d'exiger l'accord de la branche. Comme il existe un droit de
saisine dans le texte, les syndicats peuvent exiger que le sujet soit inscrit
à l'ordre du jour.
M. Gilles BÉLIER
- En effet. Je vous ai dit que nous
étions face à une problématique bien française, et
je vais vous expliquer pourquoi : le contenu de l'accord national
interprofessionnel pourrait très bien être appliqué avec le
texte Fillon. J'ai rencontré des organisations syndicales à ce
sujet, et nous leur avons dit que les discussions seraient organisées
comme au sein de l'accord national interprofessionnel (ANI) : quand des
sujets de négociation surviendraient, nous déciderions si, oui ou
non, nous disposerions de l'effet impératif. Actuellement, dans
certaines branches, il apparaît clairement qu'un gel est en train de
s'instaurer, en prévision de l'application de la loi Fillon. Si vous
prenez le code du travail, nous lisons que l'accord de niveau inférieur
ne peut pas comporter de dispositions moins favorables, sauf si l'accord le
permet. Or il s'agit de faire autrement, mais le projet de loi affiche que les
dispositions sont moins favorables.
M. Roland MUZEAU -
Vous venez de rappeler ce qu'est cette
démocratie sociale. Or votre démonstration ne vaut que s'il y a
respect de la hiérarchie des normes. Lorsque vous indiquez, dans votre
propos, que l'ouverture à la négociation d'entreprise est un
élément de la démocratie sociale, vous ne dites pas
qu'elle vient en amoindrissement de l'accord de branche, au contraire. Votre
postulat de départ est le suivant : la convention d'entreprise
vient construire, en s'appuyant sur les spécificités de
l'entreprise. Vous terminez en disant que le problème du texte, tel
qu'il est déposé, réside dans le fait que l'accord
d'entreprise apparaît nécessairement dérogatoire.
M. Gilles BÉLIER
- Je ne veux pas mettre en cause la
hiérarchie des normes.
M. Roland MUZEAU -
Le texte, lui, la met en cause.
M. Gilles BÉLIER
- Cela n'est pas nécessairement le cas,
puisque le texte dit que la branche peut obliger à ne pas modifier les
accords d'entreprise sur certains points. Cela dit, il faut bien s'entendre sur
la notion de dérogation, j'y reviendrai d'ailleurs
ultérieurement, en m'appuyant sur l'une des questions transmises par M.
Chérioux. Plus généralement, il faut bien avoir à
l'esprit que déroger ne signifie en aucune manière faire moins. A
ce titre, je dois vous dire que j'éprouve quelques soucis à
propos des classifications, dans la mesure où des milliers d'entreprises
ont négocié des classifications intermédiaires : cela
constitue-t-il une dérogation à la classification de
branche ?
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Vous proposeriez donc une petite
modification de terminologie dans le texte.
M. Gilles BÉLIER
- Je pense avant toute chose qu'il faut
éviter de dire que déroger est forcément moins favorable.
Si nous conservons cette terminologie, nous assisterons à un effet
d'annonce qui sera très dommageable.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Le débat, comme toujours,
est pipé, dans la mesure où il est porté sur un terrain
qui n'est pas le bon. Prenons le débat à l'Assemblée
nationale : il a porté essentiellement sur le principe de faveur,
alors que le coeur du problème n'est pas là.
M. Gilles BÉLIER
- Je ne suis pas favorable à ce que l'on
dise que le principe de faveur doive être mis en cause. Je
préfère de beaucoup dire ce que la Cour de Cassation a
édicté dans un arrêt de 1991. La Cour d'appel de Paris a
par la suite balayé cela, au motif que le projet de loi Fillon
était en cours d'études. Dans le cadre de l'accord national
interprofessionnel de 1995 (ANI), il n'était pas question de mettre en
cause le principe de faveur mais de dire que le pouvoir supérieur de la
branche avait la possibilité de décider de l'effet
impératif. Le principe de faveur, qu'est-ce que c'est ? Il s'agit
d'un principe jouant en cas de conflits de normes, et ce n'est rien d'autre. Il
faut qu'il y ait des normes en présence. Si les signataires d'un accord
de branche mettent une norme sur la table, tout en admettant qu'ils disposent
de l'effet impératif pour dire qu'elle n'est pas absolue si elle est
remplacée par le résultat d'une procédure de
négociation, la hiérarchie des normes n'est alors pas remise en
cause. Dans le cas contraire, qu'est-ce que cela signifie, en termes de
démocratie sociale, de partir du principe qu'il est impossible d'agir
une fois que la branche a décidé ?
M. Roland MUZEAU -
Il doit être possible de faire mieux que la
branche.
M. Gilles BÉLIER
- Comment peut-on considérer que les
partenaires sociaux, les syndicalistes d'une entreprise, vont négocier
en dessous de la branche ? Pour ma part, je n'ai jamais vu cela.
M. Roland MUZEAU -
Il est évident que le contexte fera pression.
Je pense au contexte économique, aux éventuelles
délocalisations. Nous ne pouvons pas faire abstraction de ce contexte.
M. Gilbert CHABROUX -
Il n'y a qu'à entendre le MEDEF parler de
ce texte.
M. Gilles BÉLIER
- Certes, mais si la branche dit qu'elle ne veut
pas déroger sur un certain nombre de dispositions, il n'y a alors pas de
débat. J'ai exposé cette analyse à Bernard Thibault, qui
la trouve excellente, notamment parce que nous lui avons expliqué que la
véritable démocratie sociale s'appuyait sur un système
articulé, et non sur un système gelé. Vous n'êtes
pas choqués par le fait de laisser certains sujets au niveau de la
négociation d'entreprise. Je réponds à cela que je
préfère que la branche ait dit qu'en l'absence de syndicats, ou
en cas d'échec des accords, telles dispositions s'appliqueront. Si un
accord avec les syndicats est trouvé, il est en revanche possible de
faire différemment, à partir du moment où tous traitent le
même objet. Dans une telle logique, les salariés des PME auront
leurs normes, et verront leurs droits améliorés.
M. Roland MUZEAU -
Quelle est la valeur juridique des actes qui seraient
conclus différemment ?
M. Gilles BÉLIER
- Comment pouvons-nous fonctionner sur le
principe de démocratie sociale en ayant une telle vision des
délégués syndicaux ? Je dois dire que je ne comprends
pas votre point de vue, dans la mesure où vous partez du principe que
les étages inférieurs des fédérations syndicales ne
signifient rien. Pour ma part, je pense exactement le contraire. Telle est ma
position.
En outre, si cela peut permettre d'éviter une délocalisation, je
me félicite que les syndicats acceptent de négocier en dessous
des dispositions de la branche. Encore faut-il que, dans une telle
négociation, ils obtiennent de vraies garanties sur le maintien de leur
emploi.
M. Roland MUZEAU -
L'exemple de Daewoo, et de quelques autres, sont pour
autant très significatifs.
M. Gilles BÉLIER
- Globalement, que cela
représente-t-il ? Combien de personnes seraient concernées
au regard des millions d'autres qui ne bénéficieraient d'aucun
avantage de branche ? Pouvons-nous dire réellement que nous nous
désintéressons du sort des salariés des PME ? Je
crois que nous devons bien mesurer le nombre de personnes concernées
avant de prendre une décision. Effectivement, l'effet d'annonce de la
mise en cause de la hiérarchie des normes est condamnable, c'est
d'ailleurs pour cela que je suis contre la manière dont le texte est
élaboré. J'ai discuté avec les dirigeants du MEDEF, en
leur demandant pourquoi ils faisaient preuve d'une telle obstination. Ils m'ont
répondu que l'accord national interprofessionnel (ANI) n'avait pas
fonctionné : telle est la raison pour laquelle ils font preuve d'un
tel état d'esprit.
M. Roland MUZEAU -
Certains de leurs dirigeants ont des ambitions
personnelles.
M. Gilles BÉLIER
- En effet.
M. Roland MUZEAU -
Nous savons très bien quelle est la
capacité syndicale dans les PME, elle est à des
années-lumière de celle existant dans les grandes entreprises.
M. Gilles BÉLIER
- Si les fédérations appartiennent
à des secteurs dont la majorité des entreprises sont de petites
entreprises, il est évident qu'elles mettront des verrous. Lorsque vous
appartenez à la métallurgie, que des entreprises comme Renault ou
Peugeot sont présentes, croyez-vous que l'on va déroger a
minima ? La réponse est évidemment négative.
En outre, je tiens à répéter que je ne comprends pas la
position du MEDEF, dans la mesure où il existe un accord possible, un
consensus possible sur le système de l'accord national
interprofessionnel (ANI). En effet, il a un effet d'annonce et un affichage
politique forts : l'on dit que tel sujet est normé, il a un effet
impératif, sauf si une procédure légitime de
négociation existe. On pourrait également imaginer que certaines
dispositions ne soient valables que pour les entreprises de plus de
500 salariés.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Est-ce que le texte le
permettrait ?
M. Gilles BÉLIER
- En effet. Pour que ma thèse s'applique,
il faut partir du principe que les partenaires sociaux peuvent
bénéficier de l'effet impératif, ce qui n'est pas le cas
aujourd'hui. En effet, il est tout à fait possible que les partenaires
sociaux disent qu'il ne peut pas y avoir d'accords d'entreprise qui
dérogent pour les entreprises de moins de 500 salariés.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- La branche peut s'opposer à
ce qu'un accord d'entreprise soit en tout ou partie dérogatoire. Dans
une telle logique, la branche maintient un aspect normatif.
M. Gilles BÉLIER
- En effet, mais l'affichage est très
mauvais.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Je suis d'accord, mais tel n'est
pas mon propos.
M. Gilles BÉLIER
- Je souhaite apporter quelques
précisions à propos de la notion d'établissement distinct
en droit syndical : la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de
cassation a aligné le périmètre de l'établissement
distinct pour les délégués du personnel et le
périmètre de l'établissement distinct pour les
délégués syndicaux, en disant qu'un établissement
distinct, au sens du droit syndical, est un établissement dans lequel
une personne pouvait remplacer l'employeur même s'il n'a pas la
capacité de répondre aux questions posées par les
délégués syndicaux. Cela est consternant : cela est
contraire à la logique de négociation collective, qui est une des
fonctions essentielles des délégués syndicaux. Cela est
contraire à la jurisprudence, disant que l'on doit consulter le
Comité d'entreprise préalablement à la signature d'un
accord collectif. Cela est enfin contraire à la mesure de
représentativité, puisque la représentativité des
délégués syndicaux, pour la signature des accords, se fait
aux élections au comité d'entreprise. Je ne sais pas que ce que
représente la légitimité d'un délégué
syndical, dans un établissement de moins de 50 salariés,
où l'employeur n'est pas représenté, et où personne
ne peut répondre aux délégués. Ce problème
est fondamental. Je pense que l'on devrait adopter la logique suivante :
l'établissement syndical est le même que celui imposant la mise en
place d'un comité d'entreprise, quitte à en tirer des
conséquences en termes de nombre de représentants. Je suis
persuadé que les deux niveaux doivent être cohérents, de
telle sorte que la négociation collective soit efficace. Cela n'est pas
prévu par le texte alors que, pour autant, ce point est essentiel.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Nous avons déjà
largement abordé les questions qui vous avaient été
posées. Vous avez participé à la commission de
Virville ; quelle est votre réaction par rapport aux dispositions
relatives aux accords de groupe ?
M. Gilles BÉLIER
- Le texte, dans sa mouture actuelle, me sied.
La notion de groupe a émergé en 1982, et nous étions
parfaitement conscients de l'hétérogénéité
de ces groupes. En outre, il est impossible de « plaquer »
le groupe sur l'entreprise. Pour autant, le premier texte le faisait, en disant
qu'il ne peut y avoir d'accord de groupe que dans le champ d'application d'un
comité de groupe alors que, dans les faits, cela peut être le cas
dans une partie de groupe. Il est important d'avoir pris ces dispositions.
Il faudrait peut-être dire qu'il peut s'agir d'un niveau autonome de
négociation. Quoi qu'il en soit, en l'état, le texte ne me pose
pas de problème.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Vous n'avez donc rien à y
ajouter ?
M. Gilles BÉLIER
- Non, si ce n'est qu'une réflexion, elle
devrait être conduite à propos des accords de groupe. Plus
généralement, ce sont les effets qui sont importants. Nous devons
également avoir les mêmes règles de
légitimité, dans un accord de groupe, pour tous les
périmètres d'accord. Il ne faut pas que les logiques de
légitimité soient contournées en passant par le groupe. Je
pense néanmoins qu'il faut s'arrêter là, en ne
considérant pas le groupe comme un niveau de négociation.
M. le PRÉSIDENT
- Maître, je vous remercie infiniment pour
votre contribution.
M. Gilles BÉLIER
- Avant de vous quitter, je souhaite dire
quelques mots à propos de la seule recommandation de la commission de
Virville qui ait été retenue par la presse, à savoir le
contrat de projet. Je suis pour ma part proche de Martine Aubry et de Jean
Auroux, mais, pour autant, je conserve ma liberté de parole, de
pensée et de réflexion. Un conseiller honoraire de la Cour de
Cassation, ancien membre de la CFDT, et un secrétaire
général de la fédération CGT des banques et des
établissements financiers étaient membres de notre commission.
Vous imaginez bien que nous n'aurions pas signé un texte qui aurait
instauré une précarité généralisée
autour du contrat de projet. Le contrat de projet était dans l'air, nous
l'avons examiné ; nous avons considéré qu'il pouvait,
ici ou là, refléter un problème qui est aujourd'hui
traité par des contournements du droit : il s'agit de la fausse
sous-traitance, ou du portage salarial. Nous avons considéré que
cela ne pouvait plus continuer comme cela, mais nous avons limité le
champ des personnes qui pourraient être concernées par de telles
dispositions. Surtout, il n'y aura jamais un contrat de projet dans une branche
d'activité s'il n'existe pas un accord de branche étendu, qui
prévoit la possibilité de les signer, des garanties salariales,
et des garanties en termes de reclassement à la fin du contrat. Le
débat public est scandaleux, il est lamentable de tenir les propos que
nous entendons autour de ce contrat de projet.
M. Roland MUZEAU -
Les parlementaires auront une vision plus claire
lorsqu'ils auront pris connaissance de toutes les propositions.
M. Gilles BÉLIER
- En effet. Je dois dire que nous avons fait
45 propositions, mais les médias, et certains décideurs,
n'ont retenu que celle-ci.
M. le PRÉSIDENT -
Je vous remercie une nouvelle fois pour cette
contribution.
Audition de M.
Denis GAUTIER-SAUVAGNAC
Président du groupe de propositions et
d'actions relatives au travail du MEDEF
(jeudi 22 janvier
2004)
M. le
PRÉSIDENT
- Je vous propose, monsieur le président, de nous
présenter, comme cela a été la règle hier, pendant
une dizaine de minutes votre approche du projet de loi sur le dialogue social.
Le rapporteur et les commissaires vous interrogeront par la suite plus
librement.
M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC
- Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames et messieurs, je partirai d'un excellent questionnaire qui
m'a été adressé par M. Chérioux, car il fournit un
excellent plan à mon intervention. La première question est la
suivante : « Quelle est votre analyse de l'état actuel de
la négociation collective et du dialogue social dans notre
pays ? ». Mon analyse est ce qui a conduit à la Position
commune puis au projet de loi qui est devant vous. Notre analyse, et un
observateur impartial peut difficilement dire le contraire, c'est que nous
avons dans notre pays un espace social qui est à la fois très
occupé et réservé.
Notre espace social est très occupé en ce sens que ce sont la loi
et le règlement qui occupent sa plus grande partie. A titre d'exemple,
la loi dite « des 35 heures » ou la loi dite « de
modernisation sociale » sont à peu près impensables
dans les autres grandes démocraties occidentales, où ce sont des
conventions collectives et la politique contractuelle entre syndicats et
patronat qui règlent la durée du travail ou les conditions dans
lesquelles s'effectuent les licenciements. La loi et le règlement
occupant beaucoup d'espace en France, ils laissent une place très
limitée à la négociation collective, qui est largement
réduite à la portion congrue.
Notre espace social est aussi un espace réservé, car si la
négociation collective existe dans notre pays, c'est au niveau
interprofessionnel, comme le montre le débat qui vient d'avoir lieu sur
l'accord national interprofessionnel sur la formation, dans les grandes
entreprises, mais plus on descend dans l'échelle de la taille des
entreprises moins il existe. Notre espace social est un espace
réservé à quelques grands accords et quelques
négociateurs qui ont souvent un caractère quasi-professionnel,
c'est-à-dire permanent, et beaucoup moins à des
négociations d'entreprise, au plus près de la
réalité du terrain, avec des gens qui la vivent tous les jours
parce qu'ils y travaillent tous les jours, que ce soit l'entrepreneur, le
délégué syndical, l'élu du personnel ou le
représentant des salariés. Face à un espace occupé
et réservé, il fallait donner un nouveau souffle à la
politique contractuelle.
La question suivante posée par le rapporteur est ainsi
formulée : «
Le MEDEF a signé la Position
commune du 16 juillet. Estimez-vous que le projet de loi transcrit
fidèlement cette Position commune ?
». Je rappelle
que nous avons signé cette Position commune avec les deux autres
organisations patronales, la CGPME et l'UPA, et surtout avec quatre
organisations syndicales sur cinq. A une époque où l'on n'avait
pas encore pris l'habitude de signer des accords avec les cinq organisations
syndicales, comme on l'a vu depuis avec l'accord sur la formation
professionnelle, c'était le premier accord depuis longtemps à
être aussi consensuel sur un sujet difficile.
Après avoir répondu aux deux premières questions du
rapporteur, je voudrais m'en affranchir par la suite, car les questions
suivantes reviennent un peu à poser la question fondamentale de
l'équilibre du projet de loi dans le domaine du dialogue social.
Je crois monsieur le président, mesdames et messieurs, qu'il faut avoir
bien tête le fait que la Position commune est, derrière le projet
de loi qui la reprend assez bien, et en dehors de quatre faiblesses sur
lesquelles je reviendrai plus tard, un monument d'équilibre. Elle a
été également une négociation délicate de
dix-huit mois. C'est un monument d'équilibre qui institue un nouvel
équilibre dans deux domaines. Equilibre d'une part entre la loi et le
règlement, qu'il est suggéré de consacrer aux principes
fondamentaux des droits du travail, et la politique contractuelle, qui est
chargée de définir les modalités d'application de la loi.
La loi n'a pas, me semble-t-il à rentrer dans le détail. Bien
entendu, la négociation peut échouer, et si c'est le cas il faut
bien que les principes fondamentaux s'appliquent, si bien que l'on peut
imaginer des lois ou des règlements qui, en cas d'échec de la
négociation précisent le droit applicable.
Equilibre d'autre part au sein même de la négociation
collective : il s'agit de donner leur pleine possibilité d'action
et donc leur autonomie aux niveaux de négociation interprofessionnelle,
de branche et d'entreprise. Alors que je parle d'autonomie, certains avanceront
que c'est le principe de la hiérarchie des normes et le principe de
faveur qui ont été ainsi remis en cause. Ce n'est pas faux, mais
les conséquences n'en sont pas généralement celles qui
sont avancées. La hiérarchie des normes, c'est l'idée
selon laquelle la loi est au sommet, au-dessous de laquelle on trouve un
« mini-sommet » qu'est l'accord interprofessionnel, puis un
sommet encore plus bas, qui est l'accord de branche, puis l'accord
d'entreprise, de telle sorte que chaque sommet doit respecter celui qui est
placé au-dessus de lui. Comme je vous ai dit tout à l'heure que
l'espace social était occupé à 90 % par la loi, vous
voyez déjà qu'il ne reste plus grand-chose, en bout de
chaîne, à la négociation d'entreprise.
Le principe de faveur qui découle de la hiérarchie des normes
veut que l'on puisse déroger aux accords de niveau supérieur
à condition de faire mieux et d'être plus favorable. Ce principe
est extrêmement plaisant à l'oreille dans beaucoup de cas, il
convenait aux cinquante dernières années, mais il me semble qu'au
degré de développement que nous avons atteint aujourd'hui, avec
la prise de conscience des réalités de la vie économique
et de la vie des entreprises, il ne s'agit pas tellement de pouvoir faire plus
favorable, car cette époque est pratiquement révolue. S'il faut
faire plus favorable ligne par ligne, on n'y arrivera jamais ! On aura
donc une restriction de l'espace de l'accord collectif, notamment dans les
entreprises. Il faut pouvoir faire différemment, ce qui n'exclut pas que
les accords puissent être plus favorables. La notion d'accord plus
favorable a encore de très belles heures devant elle, mais il faut
prendre en compte le fait que telle disposition qui était
considérée jadis comme plus favorable ne l'est plus aujourd'hui,
voire est complètement obsolète.
Il faut donc une nouvelle économie des accords d'entreprise et des
accords de branche, de façon à ce qu'à chaque niveau on
puisse faire aussi bien que possible en matière d'équilibrage
entre les besoins des entreprises et les aspirations des salariés, sans
être prisonniers des autres niveaux de négociation, mais
naturellement toujours dans le respect des principes fondamentaux fixés
par la loi.
Bien entendu, le nouvel équilibre aura bien deux contreparties
essentielles. La première, c'est que si l'on demande à la loi de
laisser davantage d'autonomie au domaine de la négociation collective,
il faut que celle-ci soit aussi légitime que possible. Et c'est la
même contrepartie qu'il faut apporter à l'autonomie de la
négociation collective. C'est pourquoi nous avons introduit le principe
de l'accord majoritaire.
Comme le suggère l'une des questions du rapporteur, il est exact que
nous avons introduit le principe de l'accord majoritaire de façon
particulière, en retenant le système de l'opposition majoritaire,
plutôt que celui de la signature majoritaire. Pourquoi n'avons-nous pas
écrit dans la Position commune qu'un accord majoritaire est signé
par des organisations syndicales qui représentent la majorité des
salariés, ou qui ont obtenu la majorité des voix dans les
élections ? Nous avons procédé ainsi simplement pour
tenir compte des réalités. La Position commune a
été signée par quatre syndicats sur cinq, lesquels
n'étaient pas toujours d'accord entre eux. Certains voulaient un
système majoritaire intégral tout de suite, alors que d'autres
faisaient valoir la spécificité de la démocratie sociale,
où le suffrage n'a pas la même signification que dans la
démocratie politique, et ils réclamaient de pouvoir conserver le
principe de la représentativité syndicale en vigueur aujourd'hui.
La Position commune est une suite de compromis.
Pour arriver à mettre d'accord quatre organisations syndicales sur cinq
et trois organisations patronales sur trois, nous avons distingué ce qui
se passe dans la branche et dans l'entreprise. Dans l'entreprise, nous avons
été plus « majoritaires » que dans la
branche, puisqu'il sera apprécié si un syndicat est majoritaire
ou non en fonction du nombre de voix qu'il avait obtenues aux élections
professionnelles, de sorte qu'un accord non majoritaire est un accord qui a
obtenu contre lui 50,1 % des voix aux élections professionnelles.
Au niveau de la branche, nous avons convenu que nous ne voterions pas en
fonction du nombre de voix obtenues par chaque syndicat, mais que chaque
syndicat aurait sa voix, le principe étant qu'une opposition est
réputée majoritaire si un accord a contre lui au moins trois
syndicats de salariés sur cinq. On peut critiquer ce système,
mais il a un énorme avantage, car il permet aux organisations syndicales
représentatives aujourd'hui de continuer à signer un accord, et
de ne pas bouleverser le paysage syndical français, en
considérant qu'un seul syndicat peut, comme c'est déjà le
cas, signer un accord. Cet accord n'est toutefois valable que s'il ne fait pas
l'objet de l'opposition de trois syndicats au niveau de la branche, ou de
syndicats ayant obtenus plus de 50 % des voix aux élections
professionnelles.
Quand je vous dis que la Position commune et la loi qui la retranscrit
constituent un monument d'équilibre, c'est que je crois que nous sommes
allés aussi loin qu'il était possible dans la voie d'un
système majoritaire. Cet équilibre est très fragile, y
compris entre les organisations syndicales, comme j'ai pu m'en rendre en me
rendant dans chacun de leur siège pour discuter pied à pied avec
leur secrétaire général et voir jusqu'où l'on
pouvait aller. L'accord de demain sera quand même beaucoup plus
légitime que l'accord d'aujourd'hui, puisque par hypothèse,
même s'il n'est pas signé par des organisations majoritaires, il
se sera trouvé que ces organisations majoritaires n'auront pas
trouvé le problème suffisant pour faire opposition. C'est une
étape importante dans le développement de la démocratie
sociale française et je crois qu'il faut faire attention avant de
vouloir aller plus loin et de bouleverser le paysage syndical et social
français, qui est un paysage fragile.
Comme il était hors de question de bouleverser du jour au lendemain le
paysage social et syndical français, le nouvel équilibre auquel
nous avons abouti comporte une deuxième contrepartie qui prévoit
d'une part que le système ne peut pas remettre en cause la valeur
hiérarchique attribuée aux accords des années
précédentes. Une « majorité de
rencontre » dans une entreprise ou dans une branche ne peut pas
défaire ce qui a été fait par le biais d'un accord de
branche ou un accord interprofessionnel passé. Cette réserve
n'est pas sans poser un problème, car elle grave un peu dans le marbre
les accords antérieurs, mais elle était demandée par les
syndicats. D'autre part, et compte tenu du fait qu'il ne faut jamais insulter
l'avenir, il est prévu qu'à tout moment les négociateurs
d'un accord professionnel ou d'un accord de branche pourront décider que
telle ou telle disposition de cet accord aura un caractère tellement
impératif qu'elle ne saurait être remise en cause par un accord de
hiérarchie juridique inférieure, et cela même si cet accord
est adopté par une majorité.
Il est aussi indiqué dans la Position commune que des accords pourront
être signés dans les entreprises s'il n'y a pas de
délégués syndicaux, à la condition qu'un
délégué du personnel ou qu'un salarié
mandaté spécialement pour l'occasion les remplacent, mais aussi
que ces accords soient validés par une commission paritaire de branche
où siègent les représentants des organisations syndicales
et patronales. Une première expérience en ce sens avait
été faite à l'occasion d'une loi de 1996, mais elle n'a
qu'à peine eu le temps d'être mise en oeuvre, puisqu'elle venait
à échéance en 1999. Nous avons signé avec trois
syndicats, en 1999, un accord de prolongation, mais la majorité
parlementaire de l'époque n'a pas souhaité le reprendre à
son compte, de sorte que seulement une quarantaine d'accords de branche ont
été entériné le principe selon lequel des accords
d'entreprise pourraient être signés par des élus du
personnel. Nous l'avons repris dans la Position commune de 2001, puis dans le
projet de loi.
La sixième question du rapporteur est formulée ainsi :
«
L'article 40 du projet de loi légalise l'accord de groupe
et en définit le régime. Comment, selon-vous doivent s'articuler
accords de groupe, accords de branche et accord
d'entreprise ?
». Il se trouve que ce point fait l'objet de
l'un des quatre critiques que nous voulons formuler à l'égard du
projet de loi présenté.
Notre première critique porte sur le fait que cet accord est incomplet.
Comme je vous l'ai dit précédemment, la Position commune voulait
créer un nouvel équilibre entre la loi et la négociation
collective. Cela supposait que des garanties soient apportées, de
manière à ce que l'on ne retombe pas dans certains excès
passés, comme celui qui a consisté à consacrer des heures
de discussion à l'Assemblée nationale sur la question temps
d'habillage et de déshabillage, pour savoir s'il s'agissait ou non de
temps de travail effectif, sans que ne soit d'ailleurs évoquée
une éventuelle distinction entre une comédienne revêtant
son costume de Blanche Neige à Disney Land, un technicien qui met des
protections extraordinaires pour s'approcher de la pile atomique d'une centrale
nucléaire et le chercheur en sciences humaines qui met sa blouse pour
entrer dans sa bibliothèque de peur qu'une poussière des volumes
ne gâte son costume. Il faut évidemment renvoyer ce type de cas
d'espèce à la négociation par branche ou par entreprise.
Nous regrettons donc beaucoup que le projet de loi se contente, dans
l'exposé des motifs, d'un engagement selon lequel les partenaires
sociaux seront saisis lors de tout projet de modification du droit du travail.
Nous aurions souhaité que l'on grave dans le marbre, c'est-à-dire
dans la Constitution, l'idée que la négociation collective est la
modalité d'application normale de la loi. Cela dit la loi de 2003/2004
n'est pas intangible, et j'espère qu'elle évoluera avec le temps.
Notre deuxième critique porte sur le fait qu'il y a dans la loi une
disposition qui permet de faire des accords interprofessionnels territoriaux
normatifs, c'est-à-dire s'imposant à toutes les entreprises de
toutes les banches du département ou de la région. Si l'on
comprend l'intérêt que cette disposition peut avoir dans le cadre
de la démocratie locale, nous rentrons là dans une
possibilité d'imbroglio épouvantable. Alors que nous avons
déjà des accords nationaux interprofessionnels, des accords de
branches nationaux et territoriaux, des accords d'entreprise, si on y ajoute
des accords interprofessionnels territoriaux normatifs, on ne sait plus quel
est le droit conventionnel applicable. C'est tellement vrai qu'il est
écrit dans la Position commune que «
la volonté des
interlocuteurs sociaux d'élargir le dialogue social doit
également trouver une traduction concrète au niveau territorial
interprofessionnel. Ce dialogue social interprofessionnel territorial,
qui
ne saurait avoir de capacité normative
, doit être l'occasion
d'échanges, de débats
». On le constate, les sept
signataires considéraient que ces accords territoriaux
interprofessionnels ne devaient pas être normatifs. J'atténue ce
jugement critique en reconnaissant que l'état d'esprit dans lequel il a
été décidé que cette disposition figure
néanmoins dans la loi vise surtout les accords d'intérêt
locaux. Cette éventualité, qui correspond au principe de
subsidiarité, est d'ailleurs déjà ouverte aujourd'hui.
Notre troisième critique est un point sur lequel beaucoup de mes
interlocuteurs syndicaux ont dû appeler votre attention :
l'organisation d'élections de branche pour juger de la
représentativité d'un syndicat. Ce point a été
très longuement évoqué par les négociateurs sociaux
lors de l'adoption de la Position commune, et formellement
écarté. Pourquoi ? En raison de l'opposition totale entre la
CGT et la CFDT, qui tiennent absolument à des élections de
branche organisées tout de suite pour s'assurer de leur
représentativité, et les trois autres syndicats qui
considèrent que la CGT et la CFDT, qui ont en général une
implantation nationale plus importante que la leur seraient favorisés
par des élections de branche, ce qui conduirait à une rupture
d'équilibre du paysage syndical français. Le projet Fillon
reprend malheureusement, mais habilement, l'idée que nous avions
écartée, en en posant le principe puisqu'il appelle des
élections de branche, tout en précisant que celles-ci doivent
être organisées par des accords de branche. Cela sera difficile,
puisque trois syndicats y seront radicalement opposés... L'affichage de
la notion d'élections de branche donne à penser qu'il se passera
quelque chose à ce niveau dans les années à venir.
Notre quatrième critique porte sur le point que soulève le
sénateur Chérioux à propos de l'article 40 : il
est incompréhensible que la loi, qui reprend la Position commune, la
trahisse de cette façon. En effet, si l'article définit
très clairement les limites d'un groupe, pour une raison qui nous
échappe, et contrairement à toute la philosophie de la Position
commune et même à toute la philosophie de la loi, qui est
favorable au développement de l'autonomie de la négociation, on
nous dit que l'accord de groupe doit respecter dans tous ses
éléments les accords de branche, et
a fortiori
les accords
interprofessionnels. Autrement dit, on admet qu'un accord passé dans une
entreprise puisse répondre au principe d'autonomie, tout en affirmant
que ce n'est pas le cas dans un groupe, où par hypothèse
l'équilibre entre les négociateurs est pourtant renforcé.
Cette disposition est d'autant plus aberrante que les groupes sont le plus
souvent multinationaux et multi-branches. S'il y a vraiment un endroit
où il faut accorder l'autonomie de la négociation, avec la
légitimation par le recours à une procédure de type
majoritaire, c'est bien dans le groupe.
On fait souvent référence à la Haute Assemblée en
parlant « des sages ». Or le mot de sagesse me semble
très proche de celui d'équilibre, que j'ai utilisé
à de multiples reprises pendant mon intervention. Encore une fois, la
Position commune est un monument d'équilibre. A l'exception de
l'article 40, qui est idiot...
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Vous ne pouvez vous permettre de
laisser entendre que le législateur est idiot...
M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC
- Je retire le mot. Disons que cet article
est incongru et en tout cas pas en ligne avec le reste. Ces textes
répondent à un « équilibre au point de
croix », comme on dit dans le monde de la dentelle. Ils ont
été acceptés du bout des lèvres par les signataires
en 2001. Leur mise en oeuvre amène même certains à
s'interroger : « Est-ce que l'on a vraiment signé
ça ? ». Oui, on a signé cela. La loi aurait
été mise en oeuvre quinze jours plus tard, il n'y aurait pas eu
de problème. La sagesse, si je peux me permettre de vous la recommander,
serait de vous en tenir à la rédaction actuelle. Nous avions
d'ailleurs l'habitude de dire à M. Fillon lorsqu'il nous
consultait : « Toute la Position commune, rien que la Position
commune ». Nous aurions tendance à vous dire, Monsieur le
président, mesdames et messieurs les sénateurs, en mettant
à part l'article 40, que je ne requalifierai pas :
« toute la petite loi, rien que la petite loi ».
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Vous vous êtes livrés
à une défense et illustration du texte de la Position commune en
nous recommandant d'y toucher le moins possible. J'en accepte le principe,
à condition qu'il ne souffre pas d'exception. En effet si l'on admet une
exception dans un domaine à votre demande, il faudra peut-être que
nous soyons amenés à en prendre d'autres, pour rétablir
cette fois-ci l'équilibre des concessions faites de part et d'autre.
Comme vous avez répondu à toutes mes questions, je vais laisser
mes collègues vous poser les leurs.
M. Alain GOURNAC
- Vous avez évoqué une modification de la
Constitution, et je serais ravi de siéger à nouveau à
Versailles, car j'habite dans les Yvelines, mais je pense néanmoins
qu'il faut faire preuve de retenue dans ce domaine, car une constitution qui
est toujours revisitée est une constitution qui est moins
respectée.
Comme vous le savez, je suis un grand défenseur du dialogue social, y
compris ces dernières années où celui-ci était
très ténu. Je trouve comme vous qu'il y a beaucoup trop de lois
dans ce pays et que l'on devrait régler davantage de questions par le
seul biais du dialogue social. Nous devons réhabiliter le dialogue
social, car il a été vilipendé. Cela suppose que les
syndicats et le patronat parlent d'une façon différente, à
l'image de ce qu'ils ont fait pendant la précédente table ronde.
Le patronat devra aussi trouver d'autres mots, sans jamais tomber dans ce
travers qui consiste à montrer sa puissance. Ce texte n'est
peut-être pas parfait, mais il a le mérite de constituer une base
de départ.
M. Roland MUZEAU
- Monsieur le président, vous avez
terminé votre propos par ces mots : « La Position
commune, toute la Position commune, rien que la Position commune ».
Le problème pour nous, c'est qu'il y a autant d'interprétations
de cette Position commune que de signataires. J'ai pris connaissance d'une
déclaration du président de la CFDT selon laquelle « ce
projet de loi est une folie douce ». J'ai également entendu
FO, la CGT et la CFDT déclarer lors des auditions que notre commission a
organisées, que cette Position commune, qui avait tous le sens que vous
lui avez donné en 2001, après de très longs mois de
travail, est marquée par un contexte qui n'est plus celui d'aujourd'hui.
Vous avez évoqué l'autonomie que vous souhaitiez donner à
l'accord d'entreprise, afin qu'il puisse prendre en compte les
négociations au plus près des intérêts des
salariés. Or il ne faudrait pas, à mon sens, oublier un
paramètre essentiel : le grand nombre des petites ou très
petites entreprises, où travaillent la plupart des salariés, mais
où la représentation des organisations syndicales est la plus
faible. Mon souci ne vise pas les grandes entreprises où le dialogue
social est en place depuis un certain temps, mais le désert de
représentation des salariés qui existe ailleurs.
En ce qui concerne les accords de branche, l'équilibre que vous mettez
en avant doit prendre en compte à mon sens les évolutions du
paysage syndical. Un débat sur la représentativité des
cinq centrales syndicales est ouvert et je constate que d'autres organisations
syndicales au plan national, et plus encore au niveau de certaines branches,
ont désormais un poids que l'on ne peut pas négliger.
La hiérarchie des normes et le principe de faveur reçoivent
quelque peu les foudres du MEDEF. Vous avez tenté de nous convaincre que
le fait de « faire autrement » pouvait avoir des
conséquences positives pour les salariés. Pour ma part, je ne
sais pas ce que signifie « faire autrement ». Je sais en
revanche ce que signifient le principe de faveur et la hiérarchie des
normes. Ces principes constituent des garanties face aux déserts de
représentation syndicale que j'évoquais
précédemment. Il faudrait que vous précisiez ce que vous
entendez par « faire autrement » pour nous convaincre. De
la même manière que personne ne remet en cause la théorie
de l'évolution, à l'exception de quelques charlatans, il me
semble que cette théorie de l'évolution vaut aussi pour le droit
social. Je n'ai jamais rencontré un quelconque « faire
autrement » en la matière, à moins qu'il ne s'agisse
simplement du principe de faveur.
Enfin, la garantie ultime que vous présentez en excipant de
l'article 39 est très insuffisante, car cet article ne stipule pas
qu'une convention ou un accord ne pourront être dénoncés.
M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC
- Je permets de répondre d'abord
à M. Roland Muzeau. Vous avez évoqué les prises de
position récentes des syndicats. Pour en juger, je crois qu'il faut
distinguer les signataires et les non-signataires, car on peut admettre que la
CGT, qui n'a pas signé la Position commune, ne soit pas contente. J'ai
rencontré chacun des signataires, pour leur faire part de mon
étonnement à l'écoute de leurs hurlements, alors qu'ils
ont effectivement signé. Leur réponse consiste en
général à dire : « On a peur que vous
alliez plus loin et que vous n'obteniez plus. En criant comme on le fait, nous
sommes à peu près sûr que le Parlement en restera à
la Position commune ».
L'interprétation ne souffre pas d'ambiguïté. La Position
commune a posé une règle : l'autonomie des niveaux de
négociation. Elle a fixé des garanties : le respect des
accords antérieurs, la possibilité d'en ajouter dans le domaine
impératif, le fait que des dispositions s'appliquent dès
maintenant de manière impérative, comme les
minima
salariaux ou les classifications. La Position commune conclut en indiquant que
les accords supérieurs peuvent être tantôt normatifs,
tantôt subsidiaires, s'il n'y en a pas d'autres. C'est normal puisque le
principe a en effet été posé qu'il y avait une autonomie
et que cette autonomie pouvait faire l'objet de corrections. Je vous assure que
si nous faisions une analyse juridique profonde, il n'y aurait pas de
difficulté réelle d'interprétation. M. Roland Muzeau s'est
soucié, à juste titre, des petites entreprises et des très
petites entreprises. Je lui ferai observer que nous avons
préservé toute la valeur de la négociation de branche,
notamment quand il n'y a pas de négociation d'entreprise. Il n'y a pas
d'inquiétude à avoir pour les TPE ou les PME : la
négociation de branche leur apporte toutes garanties.
S'agissant de l'adoption des accords de branche, j'ai cru comprendre,
M. Roland Muzeau, que vous n'étiez pas très favorable au
système de vote par nombre de syndicats dans la branche, bien que vous
sembliez accepter le vote en fonction des résultats obtenus aux
élections professionnelles dans l'entreprise. Vous avez dit cette phrase
importante : « Je ne remets pas en cause la
représentativité des syndicats qui existent
aujourd'hui ». J'en prends acte, mais je peux vous assurer que ces
syndicats se seraient sentis fondamentalement remis en cause si nous
étions allés aujourd'hui plus loin dans la
représentativité par branche. C'est le refus d'aller plus loin de
FO, de la CGC et de la CFTC qui ont amené la Position commune. Si ces
syndicats ont accepté le principe d'un vote « par
tête » dans les entreprises, ils ont considéré
que cela n'était pas encore possible dans les branches, car leur
représentativité serait mise en cause. D'où la
nécessité de trouver un équilibre entre la notion de
majorité dans la branche et la notion de majorité dans
l'entreprise.
Vous avez évoqué ensuite, M. Roland Muzeau, la hiérarchie
des normes et le principe de faveur en expliquant que vous ne voyiez pas
comment on pourrait « faire autrement » au lieu de
« faire plus favorable ». Pour vous répondre, je
prendrai l'exemple des heures supplémentaires, qui sont à l'heure
actuelle payées en argent, conformément à la loi. Depuis
la loi d'assouplissement Fillon sur les 35 heures, l'existence de comptes
épargne temps peut permettre de compenser les heures
supplémentaires par un repos ou par le versement de l'argent
capitalisé pendant la période ces heures sont restées sur
le compte épargne temps. Qu'est-ce qui est le plus favorable pour les
salariés ? Que les heures supplémentaires soient
payées en temps ou en argent ? Pour ma part, je l'ignore, car des
salariés peuvent préférer avoir du temps pour partir
à la retraite six mois plus tôt, alors que d'autres, qui ont une
maison à payer, préfèrent être payés tout de
suite en argent. Si la loi ne permet pas de faire différemment dans
certains secteurs ou dans certaines entreprises, elle fige le principe de
faveur. En proposant cela, Monsieur le Sénateur, vous privez les
partenaires sociaux d'avoir leur appréciation. En effet, le principe de
faveur n'est pas aujourd'hui déterminé par les partenaires
sociaux, mais par le juge ou par l'administration. Ce que nous avons
proposé avec la Position commune, c'est de permettre aux partenaires
sociaux de s'approprier à tous les niveaux le principe de faveur. C'est
ainsi que nous avons pu fixer l'indemnité de précarité
pour les CDD dans la Métallurgie non pas à 10 %, mais
à 6 %. Cette solution, qui correspond à une
possibilité offerte par la loi, résulte d'un accord de branche.
Si nous avons pu descendre en dessous de la loi qui prévoit 10 %,
ce qui déroge au principe de faveur, c'est parce que quatre
organisations sur cinq ont considéré que la vraie
précarité, ce n'était pas la forme du contrat, mais le
degré de formation des gens. Plus vous êtes formé, quel
soit votre contrat, plus vous avez de chances d'obtenir un emploi. Il
était donc préférable de faire payer aux entreprises une
cotisation spéciale pour la formation des CDD plutôt que d'en
rester aux 10 % individuels de l'indemnité de
précarité. Nous avons donc signé dans la
Métallurgie un accord de branche très largement majoritaire, mais
où l'on procède différemment que la loi. Ce n'est pas au
juge ou au fonctionnaire qui n'ont en général jamais mis les
pieds dans une entreprise, de savoir ce qui est préférable sur le
terrain.
Vous avez dit, monsieur le sénateur, à propos de l'article 39,
que celui-ci ne dit pas que l'on ne peut pas dénoncer. Cela me semble
heureux car, compte tenu du fait qu'en général les accords de
branche ont une validité perpétuelle, ce qui est aussi le cas de
nombre d'accords interprofessionnels, la seule façon de les modifier,
c'est de les dénoncer ou de les réviser. C'est pourquoi nous
avons donné une garantie, pour dire que cela ne remettait pas en cause
la valeur hiérarchique des accords de branche. J'ajoute que lorsque l'on
dénonce un accord de branche, celui-ci continue à s'appliquer
pendant 18 mois et cela conduit à une remise en cause totale des
accords collectifs dans les entreprises, de sorte que le patronat le plus
réactionnaire y regarde à deux fois avant de dénoncer les
accords de branche.
M. Roland BUZEAU
- Les banques et les assurances l'ont bien fait !
M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC
- Il faut dire que l'accord de branche des
assurances et de la banque datait de 1942 ou de 1943 : on peut imaginer
que cet accord ne soit plus très pertinent soixante ans plus tard...
M. Chérioux a préconisé la transcription de l'accord dans
son intégralité, y compris l'article 40. Je me bornerai
à lui objecter que cette disposition ne concourt pas à
l'équilibre du texte mais contrevient à sa philosophie
générale. Comment comprendre que l'autonomie de l'accord
interprofessionnel, de branche et d'entreprise ne s'étende pas aux
accords de groupe, d'autant qu'il est souvent le plus légitime ?
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Vous oubliez que certains groupes
interviennent dans des branches très différentes. Vous risquez de
remettre en cause par le biais d'accord de groupe les dispositions qui sont
prises par les branches.
M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC
- Vous risquez de créer un imbroglio
épouvantable. La logique voudrait qu'un groupe soit
considéré comme une entreprise et de sorte que l'on puisse y
prendre en compte les accords signés par des représentants de
toutes les branches le composant.
M. Gournac a parlé très justement de la
responsabilité patronale. Il faut que vous sachiez que la loi sur le
dialogue social n'est pas des plus populaires dans les instances du MEDEF. Je
dirai que c'est probablement la partie la plus avancée du monde patronal
qui est favorable à ce texte, parce qu'elle considère que la
qualité du dialogue social est un élément de la
compétitivité des entreprises.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Cette partie du patronat est
éclairée également par l'esprit de la participation et de
l'intéressement.
M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC
- Je vous en donne acte et je voulais dire
à M. Gournac que la notion de dialogue social telle qu'il mettait
en avant est une notion que le monde patronal doit s'approprier, en acceptant
que son interlocuteur privilégié soit le syndicat. Lorsqu'elle a
été interrogée à la télévision par
une de vos collègues du Parlement européen, Mme Lienemann,
qui lui reprochait de négocier avec le patronat, Mme Notat a
répondu fort justement : « Mais madame, avec qui
voulez-vous que je négocie ? ». Et bien sachez que je ne
cesse de répéter dans le monde patronal : « Avec
qui voulez-vous que l'on négocie, si ce n'est avec les
syndicats » ? Nous sommes prêts, monsieur le
président, à négocier avec les syndicats.
M. le PRÉSIDENT
- Nous ne pouvons que nous en féliciter,
car il est nécessaire que les syndicats et le patronat
négocient.
ANNEXE
I
-
AUDITIONS DU RAPPORTEUR
Mardi 16 décembre 2003
M. Jean-Denis Combrexelle, directeur, et M. Pascal Florentin, sous-directeur, de la Direction des relations du travail (DRT)
Mardi 13 janvier 2004
M. Claude Cambus,
vice-président du Conseil
supérieur de la participation
M. Bernard Caron,
vice-président du conseil
d'administration, et
M. Thierry Méteyé,
directeur
général de l'Association pour la garantie des salaires (AGS)
M. Jean-François Amadieu
, professeur à
l'Université de Paris I
M. Christian Brière,
président, et
M. Daniel Croquette,
délégué
général, de l'Association nationale des directeurs et cadres de
la fonction personnel (ANDCP)
M. Denis Gautier-Sauvagnac,
vice-président,
délégué général de l'Union des industries et
métiers de la métallurgie (UIMM)
M. Pierre Sargos,
président de la Chambre sociale de
la Cour de cassation
Mercredi 14 janvier 2004
M. Alain Leclair,
président de l'AFG-ASFFI
M. Sylvain Breuzard,
président, et
M. Thomas
Chaudron
, vice-président, du Centre des jeunes dirigeants
d'entreprise (CJD)
M. Luc Chandesris
, délégué
général, et
M. Michel Boniol
, de Fondact
M. Paul Maillard,
directeur général de BTP
gestion
M. Tiennot Grumbach,
avocat
M. Jacques Massot,
directeur des ressources humaines, et
M. Frédéric Agenet,
directeur des relations sociales,
d'EADS
M. Olivier Robert de Massy
, directeur général
adjoint de la Fédération bancaire française
(FBF)
ANNEXE II
-
POSITION
COMMUNE DU 16 JUILLET 2001
SUR LES VOIES ET MOYENS DE
L'APPROFONDISSEMENT
DE LA NÉGOCIATION COLLECTIVE
Les
organisations syndicales et patronales signataires souhaitent donner un nouvel
élan à la négociation collective au sein d'un
système performant de relations sociales, respectueux des personnes, des
prérogatives du législateur et de l'ordre public social, et
adapté à une économie diversifiée et ouverte sur le
monde.
A cet effet, les parties signataires, conscientes de leurs
responsabilités, ont, après avoir exploré les moyens dont
elles disposent actuellement dans le cadre de l'exercice de leur autonomie,
adopté la présente position commune. Fruit d'un long travail
d'échanges et de confrontations, elle vise à une
amélioration du système français de relations
professionnelles, au travers d'un développement du dialogue social, de
la représentation et de la négociation collectives.
Source d'un progrès social négocié, elle constitue leur
contribution à la réalisation des trois objectifs suivants
:
. Développer la négociation collective
. Renforcer les moyens du dialogue social
. Créer une dynamique de complémentarité entre le
rôle de la loi et celui de la négociation collective.
A cette occasion, les parties signataires rappellent leur attachement au
paritarisme dès lors que celui-ci s'exerce dans un cadre respectant leur
pouvoir de gestion et de décision, permettant l'exercice plein et entier
de leur responsabilité en toute transparence et indépendance.
* *
*
I -
Développer la négociation collective
1. Une articulation dynamique et maîtrisée des niveaux de
négociation
Chaque niveau de négociation, national interprofessionnel, de branche et
d'entreprise, assure des fonctions différentes dans le cadre d'un
système organisé, destiné à conférer une
pertinence optimale à la norme négociée tant dans ses
effets que dans sa capacité à couvrir l'ensemble des
salariés et des entreprises.
Garant du système, le niveau national interprofessionnel doit assurer
une cohérence d'ensemble.
La branche joue un rôle structurant de solidarité, d'encadrement
et d'impulsion de la négociation d'entreprise à travers
l'existence de règles communes à la profession.
La négociation d'entreprise permet de trouver et de mettre en oeuvre des
solutions prenant directement en compte les caractéristiques et les
besoins de chaque entreprise et de ses salariés.
Dans ce cadre, pour faciliter le développement de la négociation
collective à tous les niveaux, chaque niveau de négociation,
national interprofessionnel, de branche, et d'entreprise, doit pouvoir
négocier de telle sorte que les dispositions conclues à un niveau
plus ou moins centralisé (interprofessionnel ou de branche) s'imposent
aux niveaux décentralisés (entreprise) en l'absence d'accord
portant sur le même objet. Mais chaque niveau doit respecter les
dispositions d'ordre public social définies par la loi et les
dispositions des accords interprofessionnels ou de branche auxquels leurs
signataires ont entendu conférer un caractère normatif et
impératif qui peuvent être constitutives de garanties minimales.
Cette disposition ne remet pas en cause la valeur hiérarchique
accordée par leurs signataires aux accords conclus avant son
entrée en vigueur.
En outre un certain nombre de limites peuvent tenir à l'objet de la
négociation, comme c'est le cas des mécanismes de mutualisation
inter-entreprises, des classifications et des minima de branche par exemple, au
degré d'homogénéité des entreprises comprises dans
le champ de la négociation ou au souci des signataires de garantir
l'équilibre des parties à la négociation. Selon les cas,
à déterminer par les négociateurs, l'accord national
interprofessionnel ou l'accord de branche peut ainsi avoir, en tout ou partie,
un rôle supplétif, d'encadrement pour les niveaux
décentralisés, ou encore être un accord d'application
directe dont les dispositions s'imposent aux entreprises et à leurs
salariés de façon impérative ou optionnelle.
Cette articulation encourage le développement de la négociation
collective à tous les niveaux, tout en valorisant le rôle
d'impulsion et d'encadrement des niveaux centralisés qui reste
primordial.
La mise en place d'un tel mode d'articulation des niveaux de
négociation, suppose, d'une part, que les branches mettent en place un
observatoire paritaire de la négociation collective destiné
à en analyser les effets et à en garder la maîtrise et,
d'autre part, développent un dialogue économique et social en vue
d'intégrer tant les données économiques et sociales
propres à la branche que la diversité des situations des
entreprises qui la composent.
2. Un équilibre des négociations
La recherche de l'équilibre des parties constitue une condition de la
loyauté de la négociation.
?
Un mode adapté de conclusion des accords avec les
organisations syndicales
La volonté d'élargir les attributions conférées
à la négociation collective et d'assurer son développement
nécessite la définition d'un mode de conclusion des accords qui,
sans remettre en cause la capacité de chaque organisation syndicale
représentative d'engager l'ensemble des salariés, renforce la
légitimité des accords et garantisse l'équilibre de la
négociation.
A cet effet, pour une période transitoire destinée à
permettre les évolutions que les interlocuteurs sociaux jugeraient
nécessaires et à s'assurer notamment que le nouveau mode de
conclusion des accords constitue une étape positive au regard du double
objectif de développer la négociation collective et de renforcer
sa légitimité :
- ??Un accord national interprofessionnel ou un accord de branche, quel
que soit le nombre d'organisations syndicales représentatives
signataires, n'entrerait en vigueur que dans la mesure où la
majorité des organisations syndicales représentatives n'aurait
pas fait usage de leur droit d'opposition.
- ?S'agissant des accords d'entreprise, leur entrée en vigueur
serait subordonnée à l'un ou l'autre des deux modes de conclusion
ci-après, adopté par accord de branche :
a) soit la signature par une ou plusieurs organisations syndicales
représentatives signataires ayant obtenu au moins 50% des votants lors
des dernières élections de CE ou DP dans l'entreprise. A
défaut, pour entrer en vigueur, l'accord devrait être soumis
à l'approbation de la majorité du personnel de l'entreprise
à l'initiative des organisations syndicales signataires.
b) soit l'absence d'opposition d'organisations syndicales non signataires ayant
recueilli seule ou ensemble au moins 50 % des votants aux dernières
élections professionnelles.
Si l'accord porte sur des dispositions spécifiques pour les
salariés relevant d'un collège électoral, l'audience des
organisations signataires doit être appréciée au regard du
collège concerné par ces dispositions.
En l'absence d'accord de branche, les accords d'entreprise devraient, pour
entrer en vigueur, être conclus dans les conditions définies soit
au point a), soit au point b) ci-dessus.
Les interlocuteurs sociaux mettront à profit la période ci-dessus
pour déterminer les conditions qui leur paraîtraient les mieux
adaptées en vue d'atteindre le double objectif précité de
développer la négociation collective et de renforcer la
légitimité des accords (interprofessionnels, de branche,
d'entreprise).
?
Une généralisation de la représentation
collective et de la possibilité de négocier
1 - L'existence d'un dialogue social permanent et constructif constitue un
atout indiscutable pour les salariés et les entreprises de toute taille,
dans une économie ouverte sur le monde et confrontée en
permanence à des mutations rapides.
Les conditions de fonctionnement de ce dialogue social peuvent encore
être améliorées tant les règles qui le
régissent présentent encore des insuffisances et des
éléments inadaptés aux PME, TPE et entreprises artisanales.
De ce point de vue, il convient donc de chercher à lever ces obstacles
en simplifiant et en améliorant la cohérence des dispositifs
existants et en se donnant les moyens de renforcer l'effectivité de la
représentation collective du personnel, en particulier des petites
entreprises en tenant compte des caractéristiques qui leur sont propres,
afin d'élargir le nombre de salariés bénéficiant
d'une représentation collective.
Une telle recherche incombe en priorité à la négociation
de branche à laquelle il appartient de définir des règles
adaptées aux spécificités des entreprises qui la composent
et aux modes d'organisation du travail qu'elles mettent en oeuvre.
Dans une telle démarche dont l'objectif est de développer et de
renforcer le dialogue social dans l'entreprise, les négociateurs de
branche doivent s'attacher à fixer des règles qui visent tout
autant au développement de la représentation collective du
personnel qu'au renforcement du dialogue social et de la négociation
collective en privilégiant dans les deux cas le fond et la
réalité sur la forme.
2 - Le développement de la négociation collective ne devrait pas
être limité
,
au moins dans l'immédiat, par l'absence
d'une section syndicale dans l'entreprise.
Il conviendrait dès lors, de donner aux branches professionnelles qui le
souhaitent, la possibilité de négocier pour une période
expérimentale de 5 ans la mise en oeuvre du dispositif ci-après :
a) dans les entreprises dépourvues de délégués
syndicaux1, des accords collectifs pourront être conclus avec les
représentants élus du personnel (CE ou à défaut
DP). Toutefois, l'accord collectif signé dans ces conditions, ne serait
opérationnel qu'après validation par une commission paritaire de
branche.
b) dans les entreprises où les élections de représentants
du personnel auront conduit à un procès verbal de carence, des
accords collectifs pourront être conclus avec un salarié de
l'entreprise mandaté par une ou plusieurs organisations syndicales
représentatives en vue d'une négociation
déterminée. Toutefois, l'accord collectif signé dans ces
conditions ne serait opérationnel qu'après approbation par la
majorité du personnel de l'entreprise concernée.
L'accord de branche devra fixer la liste des thèmes de
négociation susceptibles d'être menées dans les entreprises
dans les conditions précitées, le seuil d'effectifs en
deçà duquel ces dispositions seront applicables, les conditions
d'exercice du mandat de négociateur, ainsi que leurs modalités de
suivi par l'Observatoire paritaire de branche de la négociation
collective.
Ces dispositions ne font pas échec à la possibilité pour
les négociateurs de branches de recourir à d'autres dispositifs,
notamment ceux déjà prévus à cet effet par les
dispositions légales actuellement en vigueur, dans le respect des
prérogatives des organisations syndicales représentatives.
Un bilan sera effectué au niveau national interprofessionnel au terme
d'un délai de trois ans. Les interlocuteurs sociaux en tireront les
conséquences sur les suites à donner.
II - Renforcer les moyens du dialogue social
1. La reconnaissance des interlocuteurs
La négociation de branche devra rechercher des dispositions facilitant
le déroulement de carrière et l'exercice de leurs fonctions des
salariés exerçant des responsabilités syndicales ainsi que
des mesures destinées à renforcer l'effectivité de la
représentation collective dans les entreprises. Une telle
démarche participe de la cohérence d'ensemble du dispositif. Elle
passe en priorité par la mobilisation des dispositifs légaux et
conventionnels existants.
Ainsi, la reconnaissance réciproque des interlocuteurs syndicaux et
patronaux dans leur identité et leurs responsabilités respectives
constituent, par définition, une condition de l'existence d'un
véritable dialogue social. Elle se doit d'être actée
paritairement et de trouver en outre une traduction concrète dans le
renvoi aux branches professionnelles de négociations sur le
déroulement de carrière des salariés exerçant des
responsabilités syndicales de façon à s'assurer que
l'exercice normal de telles responsabilités ne pénalise pas
l'évolution professionnelle des intéressés.
L'objectif de telles négociations est de définir un certain
nombre « d'actions positives » destinées à
donner une traduction concrète au principe, posé par le code du
travail, de non-discrimination en raison de l'exercice d'activités
syndicales.
Dans cette perspective, les négociateurs de branche organiseront dans
les meilleurs délais leurs réflexions autour de plusieurs
thèmes tels que :
-
conciliation de l'activité professionnelle et de
l'exercice de mandats représentatifs,
-
mise en oeuvre de l'égalité de traitement (en
matière de rémunération, d'accès à la
formation, de déroulement de carrière...) entre les
détenteurs d'un mandat représentatif et les autres
salariés de l'entreprise,
-
droit, garanties et conditions d'exercice d'un mandat syndical
extérieur à l'entreprise au regard du contrat de travail,
-
prise en compte de l'expérience acquise dans l'exercice
d'un mandat dans le déroulement de carrière de
l'intéressé,
-
optimisation des conditions d'accès au congé de
formation économique, sociale et syndicale en vue de faciliter la
formation des négociateurs salariés.
La détermination des modalités d'application des principes
résultants de ces négociations de branche relève
normalement de la négociation d'entreprise de façon à
tenir compte de la spécificité propre à chacune d'elles.
Cette négociation de branche devra être conduite conjointement
avec celle relative à la généralisation de la
représentation collective et de la possibilité de négocier.
2. La mise en place d'un dialogue social interprofessionnel territorial
La volonté des interlocuteurs sociaux d'élargir le dialogue
social doit également trouver une traduction concrète au niveau
territorial interprofessionnel. Ce dialogue social interprofessionnel
territorial, qui ne saurait avoir de capacité normative, doit être
l'occasion, à l'initiative des interlocuteurs concernés,
d'échanges et de débats réguliers sur le
développement local dans sa dimension sociale et économique. Les
COPIRE constituent, dans leur champ de compétence, un lieu de
développement de ce dialogue social.
3. Le droit de saisine des organisations syndicales
Ce droit a pour objet d'éviter que des demandes adressées par les
organisations syndicales de salariés restent sans réponse et que
l'équilibre des parties soit assuré y compris en matière
de droit d'initiative.
La négociation de branche fixera les modalités de la saisine tant
au niveau de la branche que de l'entreprise, en fonction des pratiques de la
profession et des caractéristiques des entreprises qui la composent
telle que, par exemple, l'inscription à l'ordre du jour d'une
réunion paritaire annuelle des demandes adressées par les
organisations syndicales depuis la dernière réunion et qui
n'auraient pas reçu de réponse de la partie patronale dans
l'intervalle.
Au niveau national interprofessionnel, l'engagement sera pris de donner une
réponse toute demande émanant d'une organisation syndicale
représentative.
Cette nouvelle obligation de réponse patronale à une saisine
syndicale constitue la réponse à d'éventuelles nouvelles
obligations légales de négocier sur des thèmes facultatifs.
4. Accès aux NTIC
Les branches s'emploieront paritairement à définir des
orientations pour un code de bonne conduite relatif aux modalités
d'accès et d'utilisation des NTIC par les organisations syndicales de
salariés dans les entreprises, à partir d'un seuil d'effectifs
fixé par la branche.
III - Créer une dynamique de complémentarité entre le
rôle de la loi et celui de la négociation collective
Les deux démarches qui précédent (I et II) ne pourront
valablement produire d'effet que si la loi laisse suffisamment d'espace
à la négociation collective, que ses résultats ne sont pas
remis en cause et qu'une complémentarité dynamique est
créée, redonnant sa pleine force à la loi et reconnaissant
la place de la négociation collective dans le système social
français.
1. Encourager la négociation collective en élargissant son
champ d'action dans le respect de la loi
Pour exister et plus encore pour se développer, la négociation
collective doit disposer d'un espace suffisant, au sein duquel les
interlocuteurs sociaux peuvent exercer leurs pleines responsabilités
pour définir, adapter et améliorer les règles
destinées à régir les rapports des salariés et des
employeurs dans leur vie professionnelle. A l'inverse, si l'ensemble de ces
règles est prédéterminé à l'avance, dans le
détail et de façon quasi intangible par la loi et le
règlement, la nécessité du compromis disparaît et la
négociation collective s'appauvrit progressivement.
Il s'agit donc de clarifier et d'articuler les domaines respectifs de
compétences et de responsabilité de l'Etat et des interlocuteurs
sociaux en définissant :
- le domaine du législateur, dans lequel il exercerait la
souveraineté qu'il tient du suffrage universel, pour fixer,
conformément à l'article 34 de la Constitution, les principes
généraux destinés, d'une part, à garantir le
respect des traités internationaux ratifiés par la France et,
d'autre part, à déterminer les règles relevant de
l'intérêt général de la nation tels que par exemple
les durées maximales du travail, l'âge minimum d'accès au
travail, la durée du repos hebdomadaire, le droit aux congés
payés, le droit à la représentation collective, l'exercice
de la liberté syndicale, le droit de grève, la protection de la
maternité, etc... . Ces principes généraux devraient se
voir conférer une valeur d'ordre public social.
- le domaine partagé du législatif et du
réglementaire d'une part, et des interlocuteurs sociaux d'autre part,
les modalités d'application des principes généraux
fixés par la loi seraient négociées, au niveau
approprié, par les interlocuteurs sociaux. Un texte législatif ou
réglementaire de substitution devrait dans tous les cas avoir
été adopté pour garantir l'application de la loi à
l'ensemble des entreprises et des salariés en cas d'échec de la
négociation, sans faire obstacle pour autant à l'entrée en
vigueur de modalités d'application conventionnelles. Dans ce cadre, la
transcription en droit interne des directives communautaires pourrait
intervenir prioritairement par voie conventionnelle.
Ces accords, pour être valables, devraient avoir été
conclus dans les conditions prévues au 1er tiret du point I.2.
- et le domaine des interlocuteurs sociaux, pour l'amélioration des
dispositions d'ordre public social relatif et la création de droits
nouveaux.
2. Garantir les champs d'action respectifs de la loi et de la
négociation collective
La définition d'un domaine commun au législateur et aux
interlocuteurs sociaux doit s'accompagner d'un dispositif garantissant que le
contenu des accords n'enfreint pas l'ordre public social. A cet effet,
différentes solutions sont envisageables. Mais il conviendra que la
solution retenue garantisse le respect du principe de la séparation des
pouvoirs entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire, et que
l'instance qui sera chargée de cette mission soit indépendante
des parties : pouvoir exécutif, législatif et interlocuteurs
sociaux.
La clarification des responsabilités opérée entre les
différents acteurs, tout autant que la nécessité de
respecter l'équilibre des accords, conduirait à ce que l'instance
chargée de procéder à l'extension ou à
l'agrément des accords, après consultation de la sous-commission
des conventions et accords, s'assure du respect des règles de
négociation et des modes de conclusion des accords dont l'extension ou
l'agrément est demandé ainsi que de leur conformité
à la loi (respect de l'ordre public, conflit de champs...).
L'appréciation de l'opportunité des accords resterait de la seule
responsabilité des partenaires sociaux.
Les conflits nés de l'application des accords conclus, continueraient de
relever de la compétence des tribunaux judiciaires. Cependant, si le
conflit soulevait une question d'interprétation de l'accord, le tribunal
devrait saisir au préalable une commission paritaire
d'interprétation de l'accord, composée des représentants
des parties signataires.
3. Donner de nouvelles fonctions à la négociation
collective
Il conviendrait de prévoir que :
??les interlocuteurs sociaux puissent au niveau national interprofessionnel,
prendre, s'ils le souhaitent, le relais d'une initiative des Pouvoirs Publics
dans leur champ de compétence,
??les accords auxquels ils parviendraient dans une telle hypothèse, ou
encore à leur propre initiative dans un domaine qui requiert des
modifications législatives, puissent entrer en vigueur dans le respect
de leur équilibre.
En pratique, la mise en oeuvre de ces principes est susceptible d'être
organisée sous plusieurs formes. A titre d'exemple, on pourrait
concevoir que préalablement à toute initiative législative
dans le domaine social, les interlocuteurs sociaux doivent être
officiellement saisis par les Pouvoirs Publics d'une demande d'avis sur son
opportunité. A l'issue de cette consultation, si l'initiative
était maintenue, la faculté devrait leur être offerte de
traiter le thème faisant l'objet de ladite initiative par voie
conventionnelle dans un délai à déterminer. En cas de
refus des interlocuteurs sociaux de traiter la question par la
négociation collective ou en l'absence d'accord à l'issue du
délai fixé pour la négociation, l'initiative
législative reprendrait son cours. A l'inverse, si la négociation
aboutissait à un accord, celui-ci devrait être repris par le
législateur dans le respect de son équilibre
* *
*
Les
mesures proposées dans le présent document correspondent à
un équilibre d'ensemble. Les parties signataires engageront les
démarches nécessaires auprès des Pouvoirs Publics pour
leur demander de prendre en compte les éléments de la
présente position et d'adopter les dispositions relevant de leur
compétence nécessaires à sa mise en oeuvre dans le respect
de l'équilibre auquel elles sont parvenues.
Fait à Paris, le 16 juillet 2001
Pour la C.F.D.T.
Pour le MEDEF Pour la CFE-CGC
Pour la C.G.P.M.E. Pour la C.F.T.C.
Pour l'U.P.A. Pour la C.G.T. - F.O
Pour la C.G.T
ANNEXE III
-
LA
NÉGOCIATION COLLECTIVE :
ÉTUDE DE LÉGISLATION
COMPARÉE
RÉALISÉE EN MARS 2001
PAR LE SERVICE DES
AFFAIRES EUROPÉENNES
DU SÉNAT
|
|
SERVICE DES AFFAIRES EUROPÉENNES
|
Le 23 mars 2001 |
LA
NÉGOCIATION COLLECTIVE
Sommaire
|
Pages |
||
NOTE DE SYNTHÈSE |
1 |
||
DISPOSITIONS NATIONALES |
|
||
Allemagne |
7 |
||
Belgique |
13 |
||
Danemark |
19 |
||
Espagne |
25 |
||
Grande-Bretagne |
31 |
||
Italie |
37 |
||
Pays-Bas |
43 |
||
LISTE DES PRINCIPAUX TEXTES ANALYSÉS |
47 |
||
|
|
||
SERVICE DES AFFAIRES EUROPÉENNES
|
|
LA NÉGOCIATION COLLECTIVE
En
France, l'État ne détient pas le monopole de la production des
normes sociales. En effet, le préambule de la Constitution de 1946
affirme que tout salarié «
participe, par
l'intermédiaire de ses délégués, à la
détermination collective des conditions de travail
», et
l'article L 131-1 du code du travail reconnaît
«
le droit des salariés à la négociation
collective de l'ensemble de leurs conditions d'emploi et de travail et de leurs
garanties sociales
».
Reconnue comme source de droit, la négociation collective apparaît
cependant largement régie par la loi.
Le cadre législatif de la négociation collective est en effet
très précis. Ainsi, la loi établit une distinction entre
la convention collective, qui détermine l'ensemble des conditions de
travail et des garanties sociales, et l'accord collectif, qui ne porte que sur
quelques-uns de ces sujets. Elle définit également la
qualité des signataires des conventions et des accords collectifs.
La loi détermine également la valeur juridique des conventions et
accords. Deux procédures, l'extension et l'élargissement, qui
supposent toutes deux l'intervention du ministre du Travail, permettent
d'appliquer une convention ou un accord au-delà de son champ initial,
constitué par les entreprises qui l'ont signé, à titre
individuel ou en tant que membres d'une organisation, ou qui ont y
adhéré.
Par ailleurs, la loi du 13 novembre 1982 oblige à des
négociations périodiques, mais sans imposer d'obligation de
conclure. Au niveau de la branche, la loi prescrit des négociations
quinquennales pour les classifications, et annuelles pour la
détermination des salaires minimaux par catégorie. Les autres
négociations obligatoires portent sur les salaires, la durée et
l'organisation du temps de travail ; elles sont annuelles et ont lieu dans
l'entreprise.
De plus, et de façon traditionnelle, il arrive que la loi
française impose aux partenaires sociaux de négocier sur un point
donné dans un délai déterminé, la menace d'une
nouvelle intervention du législateur les encourageant à conclure.
Toutefois, une évolution semble se dessiner. En 1994, le Conseil
Constitutionnel avait en effet rappelé que «
aucune norme
de valeur constitutionnelle ne
[garantissait]
le principe de la
liberté contractuelle
», l'article 34 de la
Constitution attribuant au législateur le pouvoir de déterminer
les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la
sécurité sociale. En revanche, dans sa décision du
10 juin 1998 relative à la première loi Aubry sur la
réduction du temps de travail, il a affirmé que le
législateur ne pouvait être dispensé «
dans
l'exercice de sa compétence, du respect des principes et règles
de valeur constitutionnelle, en ce qui concerne en particulier les droits et
libertés fondamentales reconnus aux employeurs et aux
salariés
», parmi lesquels «
le droit reconnu
aux travailleurs de participer à la détermination collective des
conditions de travail et à la gestion des entreprises
».
En outre, dans sa décision du 13 janvier 2000 sur la
deuxième loi Aubry, il a décidé de maintenir en vigueur
les accords conclus en application de la première loi Aubry faisant, le
cas échéant, prévaloir leurs clauses sur les dispositions
contraires de la deuxième loi Aubry.
Ceci amène à s'interroger sur la situation chez quelques-uns de
nos voisins européens,
l'Allemagne, la Belgique, le Danemark,
l'Espagne, l'Italie, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas
.
Pour chacun de ces pays, la présente étude définit la
place respective de la loi et de la négociation collective dans le
secteur privé. Elle analyse ensuite les principales
caractéristiques de la négociation collective :
- les différentes catégories d'accords, qu'il s'agisse ou
non d'accords collectifs
stricto sensu
, c'est-à-dire d'accords
conclus avec les syndicats ou avec d'autres partenaires ;
- la qualité des signataires des accords collectifs ;
- leur force obligatoire ;
- les clauses de paix sociale et les mécanismes permettant de
faciliter le renouvellement des accords.
Cette analyse fait apparaître que,
au-delà de leur grande
diversité, qui constitue souvent le reflet de l'histoire sociale de
chaque pays, les systèmes étudiés présentent
quelques points de convergence.
1) La diversité des systèmes étudiés
D'un pays à l'autre, les différences sont assez fortes. Entre le
modèle danois,
qui laisse aux partenaires sociaux le soin
d'organiser le marché du travail par voie conventionnelle, hors de toute
intervention de l'État et
hors de tout
cadre
législatif,
et le système espagnol
, où le droit
à la négociation collective est
garanti
par la
Constitution, mais où les accords collectifs, encadrés par la loi
portant statut
des
salariés, jouent un rôle encore
limité,
toutes les situations
intermédiaires
existent
. Un tel résultat s'explique par l'histoire sociale de
chacun des pays étudiés.
a) Toutes les situations peuvent être décrites à partir
du modèle danois d'autonomie des partenaires sociaux
Le modèle danois reste très influencé par l'accord
historique de 1899 conclu entre les confédérations syndicales
ouvrières et patronales. À partir du principe
énoncé à l'article premier, selon lequel il est
souhaitable que toutes les questions
relatives aux conditions de travail
et aux rémunérations soient résolues par la
négociation
, cet accord, qui n'a été
dénoncé que deux fois depuis 1899, reconnaît, sans les
définir, les prérogatives patronales, affirme le droit des
partenaires sociaux à s'organiser et à mener des conflits
sociaux, et énonce le devoir de paix sociale pendant la durée de
validité des accords collectifs.
Ceci explique le petit nombre de lois sociales danoises et en particulier
l'inexistence d'un cadre législatif régissant les accords
collectifs, ainsi que l'absence de loi déterminant le salaire minimum ou
la durée du travail.
En revanche,
en Allemagne et aux Pays-Bas, où les partenaires
sociaux
disposent également d'un large pouvoir normatif, la loi
encadre la négociation collective
et détermine les
dispositions minimales
en matière de conditions de travail et de
rémunération, les accords collectifs améliorant la plupart
du temps ces minimaux.
En Belgique
, le projet de pacte de solidarité sociale de 1944,
même s'il n'a jamais été ratifié par les
organisations syndicales et patronales, a permis l'élaboration d'un
système très développé de négociation
collective, de concertation et de consultation des partenaires sociaux.
L'activité de négociation se déroule dans un cadre
législatif précis, mais les accords collectifs n'ont pas pour
seul objet de compléter et d'améliorer les dispositions
législatives. En effet,
des pans entiers de la législation
sociale résultent de
la négociation collective
, en
particulier des accords collectifs nationaux interprofessionnels
négociés au sein du Conseil national du travail,
établissement public paritaire créé en 1952. Par exemple,
le statut des délégations syndicales dans l'entreprise a
été ainsi déterminé par la négociation
collective.
En Italie, traditionnellement, les relations individuelles du travail sont
régies
par la loi, tandis que les relations collectives le sont
par la négociation
. Cette situation s'explique par la
méfiance des syndicats à l'égard des pouvoirs publics, qui
a notamment empêché l'adoption de la loi prévue par
l'article 39 de la Constitution. Cette loi aurait doté les
syndicats d'un statut juridique explicite, défini la notion de
représentativité et permis l'extension automatique des accords
collectifs conclus par les syndicats représentatifs.
En revanche,
le système espagnol de relations sociales, de
création récente,
demeure assez encadré par le
législateur
. Ainsi, la loi de 1980 portant statut des
salariés consacre la totalité de l'un de ses titres à la
négociation collective. Elle a été complétée
à plusieurs reprises, en particulier par une loi de 1994 qui a
confié aux partenaires sociaux le soin de négocier sur une
trentaine de sujets auparavant régis par la loi ou par le
règlement.
b) Le cas particulier de la Grande-Bretagne
En Grande-Bretagne, la situation traditionnelle était comparable
à celle qui
prévaut au Danemark
, même si le
contrat de travail, conclu individuellement, a toujours eu un rôle
très important dans la détermination des conditions de travail.
Cependant,
les gouvernements conservateurs
qui se sont
succédé de 1979 à 1997
se sont
efforcés
de donner plus de flexibilité au marché du travail
. Plusieurs
réformes tendant à affaiblir les syndicats ont été
adoptées, et
le champ de la négociation collective s'est
considérablement
réduit
. La réforme
entrée en vigueur le 6 juin 2000 devrait relancer la
négociation collective, puisque, sous certaines conditions, elle oblige
l'employeur à négocier sur les rémunérations, les
horaires et les congés.
2) Les points de convergence
a) L'existence de mécanismes d'extension plus ou moins explicites,
sauf en Grande-Bretagne
De tels dispositifs sont prévus par la loi en Espagne, en Allemagne, en
Belgique et aux Pays-Bas.
En Espagne, les procédures d'extension
stricto sensu
sont
inutiles
, car, aux termes de la loi, les accords collectifs signés
par les organisations représentatives lient tous les salariés et
tous les employeurs inclus dans leur champ d'application, quelle que soit
l'appartenance syndicale des uns et des autres. Cependant,
le ministre du
Travail peut
étendre le champ d'application d'un accord collectif
à des entreprises ou des
secteurs similaires
, en particulier
lorsque les partenaires sociaux y rencontrent une
réelle
difficulté à négocier
.
En Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas, des mécanismes d'extension
sont
explicitement prévus par la loi
. En Allemagne et aux
Pays-Bas une telle procédure est subordonnée au fait que l'accord
conclu couvre un certain pourcentage des salariés du secteur :
50 % en Allemagne et 55 % aux Pays-Bas.
En l'absence de cadre législatif, l'extension est implicite en Italie
et au Danemark.
En Italie, la jurisprudence
considère généralement
comme couvertes les entreprises qui ne sont pas signataires d'un accord de
branche. Elle estime en effet qu'elles y adhèrent explicitement, par
exemple en y faisant référence dans les contrats de travail, ou
implicitement, en appliquant certaines de leurs clauses significatives.
De même,
au Danemark, le rapport de force
est tel que, d'une part,
les employeurs signataires observent les dispositions des accords collectifs
vis-à-vis de tous leurs salariés, syndiqués ou non, bien
qu'ils n'y soient pas juridiquement contraints, et que, d'autre part, les
autres employeurs concluent des conventions d'adhésion.
En revanche,
en Grande-Bretagne, il n'existe plus aucune procédure
d'extension depuis 1980
, de sorte que, dans les secteurs où la
négociation de branche subsiste, les accords ne s'appliquent pas
nécessairement dans toutes les entreprises.
b) La tendance à la décentralisation de la négociation
au niveau de l'entreprise
Elle est très nette dans les pays, comme l'Allemagne, les Pays-Bas,
le Danemark ou la Grande-Bretagne, où la négociation se
déroule traditionnellement au niveau de la branche.
En Allemagne, on observe une multiplication des accords d'établissement.
Ces accords, signés entre l'employeur et le comité
d'établissement dans le cadre de la loi sur l'organisation sociale de
l'entreprise, ne constituent pas des accords collectifs au sens propre. Bien
que la loi affirme la primauté des accords collectifs, quel que soit le
niveau auquel ils sont négociés, sur les accords
d'établissement, ces derniers sont parfois conclus dans le domaine des
accords collectifs, sans que la jurisprudence condamne clairement cette
évolution.
Aux Pays-Bas, la négociation d'accords d'entreprise se développe
au détriment des accords de branche. De plus, comme en Allemagne, les
employeurs ont tendance à négocier avec le comité
d'entreprise, c'est-à-dire en dehors du cadre syndical prévu par
la loi sur les accords collectifs. Bien que le comité d'entreprise
dispose d'un pouvoir de codécision dans certaines matières, il
n'est pas prévu par la loi qu'il signe des accords, sauf sur le temps de
travail.
Au Danemark, depuis une vingtaine d'années, les négociations sont
de plus en plus souvent menées au niveau local, en particulier celles
qui concernent les salaires.
En Grande-Bretagne, le recul de la négociation collective s'est traduit
par la disparition presque complète de la négociation de branche.
En Espagne, malgré les efforts des grandes confédérations
syndicales pour rationaliser la structure des accords collectifs et pour
développer la négociation sectorielle, la fragmentation demeure
la règle.
En Italie, la structure de la négociation collective est assez complexe,
car elle correspond à l'organisation des syndicats, qui repose à
la fois sur des fédérations de branche et sur des structures
territoriales intersectorielles. L'accord tripartite conclu en juillet 1993
entre les partenaires sociaux et le gouvernement afin de refonder le
système des relations sociales se propose de hiérarchiser la
négociation de branche et la négociation d'entreprise.
En revanche, le système belge de négociation collective semble
très bien articulé : les conventions collectives conclues en
Conseil national du travail constituent des accords cadres qui
requièrent la conclusion d'accords nationaux de branche,
également conclus dans des instances paritaires. Des accords
d'entreprise peuvent ensuite être signés.
c) Le développement des clauses de paix sociale
Traditionnelles en Allemagne, au Danemark et aux Pays-Bas, où les
partenaires s'engagent à s'abstenir de toute action collective portant
sur les matières régies par les accords collectifs pendant toute
la durée de validité de ceux-ci, elles y semblent assez bien
respectées. De plus, en Allemagne, le devoir de paix sociale s'entend
également comme l'obligation d'épuiser toutes les
possibilités de négociation avant de recourir à la
grève.
Pour empêcher le développement des conflits à
l'échéance des accords, ceux-ci comportent, en Allemagne et aux
Pays-Bas, des clauses imposant le recours à une procédure de
médiation, de conciliation ou d'arbitrage. En revanche, au Danemark, la
fréquence des mouvements sociaux à l'échéance des
accords a entraîné la création par voie législative
d'un système national de conciliation.
Traditionnelles également en Belgique, les clauses de paix sociale y
paraissent moins bien suivies, ce qui a justifié la mise en place, par
voie conventionnelle, de pénalités financières pour les
salariés et pour les syndicats en cas de non-respect.
En Italie, l'accord tripartite de juillet 1993 suggère aux partenaires
sociaux de présenter leurs plates-formes de négociation au moins
trois mois avant l'expiration des accords collectifs, cette période
devant constituer, tout comme le mois qui suit, une période
d'apaisement.
En Espagne, la loi prévoit que les accords collectifs puissent contenir
des clauses de paix sociale. En outre, l'accord interconfédéral
sur la résolution extrajudiciaire des conflits collectifs dispose que,
lorsqu'une procédure de médiation ou d'arbitrage est
entamée, toutes les possibilités doivent en être
épuisées avant qu'une grève ne soit décidée.
En Grande-Bretagne, où la plupart des accords collectifs contiennent
désormais des clauses de paix sociale, la loi précise qu'elles ne
s'imposent aux salariés que si elles figurent dans des accords
écrits et si elles sont susceptibles d'être
intégrées aux contrats de travail.
* *
*
Le partage entre la loi et la négociation collective devrait évoluer à terme. En effet, dans les deux pays, Danemark et Grande-Bretagne, où, traditionnellement le législateur s'abstient d'intervenir dans les conditions de travail, même pour fixer des conditions minimales, la transposition des directives communautaires peut imposer l'adoption de textes législatifs.
LA
NÉGOCIATION COLLECTIVE
ALLEMAGNE
À
partir de l'article 9-3 de la Loi fondamentale, qui dispose que
« Le droit de fonder des associations pour la sauvegarde et
l'amélioration des conditions de travail et des conditions
économiques est garanti à tous et dans toutes les
professions »
, le droit de déterminer les
rémunérations et les conditions de travail dans des accords
collectifs librement négociés, indépendamment de toute
intervention, notamment de l'État, a été reconnu aux
partenaires sociaux.
|
1) La
place respective de la loi et de la négociation collective
La loi sur les accords collectifs
précise à l'article premier
qu'ils régissent les droits et devoirs des signataires, et qu'ils
contiennent des normes qui peuvent, d'une part, organiser le contenu, la
formation et la fin du contrat de travail, et, d'autre part, régler les
questions relatives à la gestion des entreprises et à leur
organisation interne.
Dès les années 50, la jurisprudence a restreint le pouvoir
normatif des partenaires sociaux aux
rémunérations et aux
autres conditions de travail,
qui forment le
« noyau
dur » de la négociation collective.
Cependant, en autorisant les partenaires à négocier sur les
questions concernant l'entreprise et son organisation, la loi leur permet de
traiter des droits des salariés en tant que membres du personnel, et non
pas seulement en tant qu'individus, et d'exercer une influence sur les organes
prévus par la législation sur l'organisation de l'entreprise
(
61
(
*
)
)
.
Actuellement, la loi et les accords collectifs se partagent ainsi le domaine
social :
-
la sécurité sociale est essentiellement
régie par la loi, quelques accords collectifs comportant cependant des
améliorations aux prestations prévues par la loi ;
- la loi détermine les dispositions minimales en matière de
relations et de conditions de travail (délais de licenciement,
durée du travail et des congés, par exemple), mais des accords
collectifs améliorent de façon substantielle ces
différents minimaux ;
- les conditions individuelles de travail et les
rémunérations sont exclusivement fixées par accord
collectif.
2) Les principales caractéristiques de la négociation
collective
a) Les différentes catégories d'accords
Il y a deux catégories d'accords :
- les
accords collectifs
stricto sensu
, signés entre,
d'une part, une organisation syndicale et, d'autre part, un employeur ou une
association d'employeurs ;
- les
accords d'établissement,
conclus entre le conseil
d'établissement et l'employeur.
Les accords collectifs
Selon le
niveau
auquel ils sont signés, on distingue :
- les
accords de branche
, conclus entre un syndicat et
une
association d'employeurs ;
- les
accords d'entreprise,
conclus entre un syndicat et un
employeur. La représentation du syndicat dans l'entreprise
résulte essentiellement de l'application du principe de
subsidiarité et de la jurisprudence. En effet, la loi reconnaît
aux syndicats certains droits dans l'entreprise (demande de la mise en place
d'un conseil d'établissement, contestation des élections au
conseil d'établissement par exemple), mais elle ne prévoit aucune
structure syndicale d'entreprise.
Les accords de branche peuvent s'appliquer à la branche tout
entière (l'industrie métallurgique par exemple) ou à
certains secteurs seulement (la machine-outil par exemple). Ils peuvent
s'appliquer à l'ensemble du territoire fédéral ou à
certaines régions
. En règle générale, ils sont
conclus au niveau régional et les résultats d'une région
servent de référence.
Les accords de branche sont les plus courants
, sauf dans certains secteurs
comme l'industrie aéronautique ou l'industrie pétrolière,
où les accords les plus fréquents sont des accords d'entreprise.
À la fin de l'année 2000, le ministère
fédéral du Travail recensait 33 400 accords de branche
et 21 600 accords d'entreprise en vigueur. Au cours de l'année
2000, plus de 8 500 accords collectifs ont été
signés.
Il n'existe pas d'accord collectif interprofessionnel
, ce qui n'exclut
pas la concertation préalable à la négociation au sein des
différentes branches. Il n'y a pas non plus de tradition d'accord
tripartite, même si des rencontres informelles avec le gouvernement ont
lieu.
Selon l'
objet
de l'accord, on distingue :
- les accords collectifs de base, conclus pour plusieurs années et
qui régissent les conditions de travail (durée de la
période d'essai, durée du préavis de licenciement, travail
de nuit...) ;
- les accords cadres salariaux, d'une durée plus longue ;
- les accords salariaux, conclus pour une période assez courte, en
général comprise entre un et deux ans.
Les accords d'établissement
Les accords d'établissement lient l'employeur au conseil
d'établissement, qui est exclusivement composé de membres
élus par le personnel et qui, à la différence du
comité d'entreprise français, se réunit sans l'employeur.
En règle générale, les conseils d'établissement
sont composés à environ 80 % de salariés
syndiqués.
Les accords d'établissement ont peu ou prou les mêmes effets que
les accords collectifs sur les relations de travail individuelles. Ils ne sont
pas régis par la loi sur les accords collectifs, mais par la loi sur la
l'organisation sociale de l'entreprise. Ils s'appliquent à la
totalité du personnel de l'établissement et sont conclus pour une
durée déterminée ou indéterminée. Ils
portent sur les matières auxquelles la codécision
(
62
(
*
)
)
s'applique, comme la discipline, les heures supplémentaires ou les
oeuvres sociales.
Dans les entreprises importantes, une dizaine d'accords d'établissement
sont signés chaque année. Ils peuvent régler des questions
ponctuelles, comme l'aménagement des congés, ou des sujets
permanents, comme la notation du personnel.
De plus,
la loi sur l'organisation sociale de l'entreprise affirme à
l'article 77-3 la primauté de l'accord collectif, quel que soit le
niveau auquel il est conclu, sur l'accord d'établissement
:
dès qu'une question est - ou «
est
habituellement
» - réglée par un accord
collectif, elle ne peut l'être par un accord d'établissement.
Cette disposition, qui cherche à empêcher qu'un accord collectif
ne soit vidé de son contenu, s'impose quand bien même
l'application d'un accord d'établissement serait plus favorable aux
salariés. Cependant, un accord collectif peut contenir une
« clause d'ouverture » prévoyant que certaines
questions seront ultérieurement réglées par accord
d'établissement.
Les accords d'établissement sont de plus en plus souvent
utilisés, parfois en contravention avec la loi. Il est en effet
arrivé que des employeurs concluent avec le conseil
d'établissement des accords appartenant au domaine des accords
collectifs et comportant des dispositions moins favorables que l'accord de
branche.
Cette évolution, plus ou moins admise par la jurisprudence, correspond
à une certaine
crise de la négociation de branche,
particulièrement nette dans les Länder de l'Est
, où les
normes fixées par l'accord collectif de branche sont parfois
considérées comme difficiles à appliquer.
Toutefois, le projet de loi tendant à réformer la loi sur
l'organisation sociale de l'entreprise ne prévoit pas d'en modifier
l'article 77-3 afin de transférer le pouvoir de négocier au
niveau des établissements ou des entreprises.
b) Les signataires des accords collectifs
L'employeur peut être partie à titre individuel. Les associations
patronales peuvent également être signataires, sans avoir à
remplir aucun critère.
En revanche,
seuls les « syndicats » de
salariés
(
63
(
*
)
)
,
reconnus comme tels
,
c'est-à-dire satisfaisant à
certains critères
(indépendance, réelle capacité de négocier,
durée d'existence...), peuvent l'être. La plupart des accords
collectifs sont donc signés par les syndicats de branche membres du DGB.
c) La force obligatoire des accords collectifs
Les dispositions des accords collectifs régissant le contenu du contrat
de travail sont impératives. Seules des mesures plus favorables aux
salariés peuvent y déroger, à moins que l'accord ne
permette lui-même des dérogations défavorables.
Juridiquement, seuls les membres des organisations signataires sont
liés, de sorte qu'un accord collectif ne s'applique qu'aux
salariés membres des associations signataires ou dont les employeurs
font partie d'associations patronales signataires.
En pratique, tous les
salariés en bénéficient quelle que soit leur appartenance
syndicale.
Cependant, il n'est théoriquement pas exclu que deux
syndicats signent des accords différents et que les salariés
soient traités différemment en fonction de leur appartenance
syndicale. De plus, en période de crise, il est possible d'exclure du
champ de l'accord les salariés non syndiqués.
Lorsque les employeurs liés par un accord collectif emploient au moins
50 % des salariés relevant du champ d'application de l'accord, ce
dernier peut, à la demande d'un des signataires, être
étendu par le ministre fédéral du Travail
et
devenir ainsi applicable à l'ensemble des entreprises du secteur
d'activité.
Une telle extension suppose l'assentiment de la majorité des membres
d'une commission paritaire qui réunit trois représentants de
chacune des parties à l'accord. Inversement, le ministre n'est pas
lié par une prise de position favorable de la commission. La plupart de
ces accords d'application générale concernent les secteurs du
bâtiment et du commerce de détail, où le grand nombre de
petites entreprises requiert l'application de dispositions minimales. À
la fin de l'année 2000, le ministère fédéral du
Travail en recensait 514.
La durée des accords collectifs est en principe limitée. Elle
varie selon leur nature. Cependant, les dispositions normatives,
c'est-à-dire celles qui s'appliquent aux salariés, restent en
vigueur jusqu'à la conclusion d'un nouvel accord.
La loi sur les juridictions du travail permet aux partenaires sociaux de
régler leurs différends d'interprétation relatifs aux
accords collectifs sans intervention du tribunal, mais en recourant à
une instance arbitrale paritaire.
d) Le respect de la paix sociale dans les entreprises couvertes par des
accords collectifs
Le devoir de paix sociale constitue l'une des obligations contractuelles des
parties à l'accord. Il se traduit par deux obligations :
- l'
obligation de paix sociale
, qui vaut pendant toute la
durée de l'accord et qui s'applique aux seules matières couvertes
par l'accord, les partenaires pouvant convenir d'une durée un peu plus
longue, par exemple quelques semaines après l'expiration de
l'accord ;
- après l'échéance d'un accord, l'
obligation
d'épuiser toutes les possibilités de négociation avant de
recourir à la grève.
e) Le renouvellement des accords collectifs
En cas d'échec de la négociation, la plupart des accords
collectifs prévoient une procédure transactionnelle
(
64
(
*
)
)
.
Organisée de façon différente selon les branches, elle
suppose en général la nomination d'une commission paritaire
présidée par une personnalité extérieure. La
proposition de la commission n'a pas force obligatoire, à moins que les
partenaires ne l'aient décidé.
C'est seulement lorsque la procédure conventionnelle de rapprochement
échoue que l'administration peut intervenir.
LA
NÉGOCIATION COLLECTIVE
BELGIQUE
Bien
que jamais ratifié par les organisations syndicales et patronales, le
« pacte de solidarité sociale » de 1944
préparé par certains de leurs dirigeants a permis
l'élaboration d'un système de négociation collective, de
concertation et de consultation des partenaires sociaux.
Il reposait sur la
reconnaissance mutuelle des partenaires sociaux, les syndicats de
salariés admettant la légitimité de l'économie de
marché et de l'autonomie de gestion des employeurs, tandis que les
organisations patronales reconnaissaient le droit exclusif de
représentation et de négociation des syndicats.
|
1) La
place respective de la loi et de la négociation collective
La loi du 5 décembre 1968 définit les accords collectifs comme
«
déterminant les relations individuelles et collectives
entre employeurs et travailleurs au sein d'entreprises ou d'une branche
donnée, et réglant les droits et obligations des parties
contractantes
».
Les accords collectifs n'ont pas pour seul objet de compléter et
d'améliorer les dispositions législatives. En effet,
des pans
entiers de la législation sociale résultent d'accords
collectifs
, en particulier d'
accords collectifs interprofessionnels
négociés au sein du Conseil national du travail,
établissement public
institué en 1952 au
niveau national
et interprofessionnel
, et composé de façon
paritaire
de représentants des employeurs et des salariés. La loi du
5 décembre 1968 lui a confié le soin de conclure des accords
collectifs à portée interprofessionnelle qui régissent
tous les secteurs d'activité dans l'ensemble du pays.
La négociation au sein du Conseil national du travail a notamment
défini les normes applicables aux domaines suivants :
- le statut des délégations syndicales dans les
entreprises ;
- les facilités accordées aux représentants du
personnel dans les organes de concertation ;
- les licenciements collectifs ;
- le salaire garanti en cas d'incapacité de travail ;
- la réduction de la durée hebdomadaire du travail ;
- le revenu minimum mensuel moyen ;
- la préretraite ;
- l'égalité de rémunération entre hommes et
femmes ;
- la rémunération des salariés
handicapés ;
- le travail à temps partiel ;
- le travail intérimaire ;
- les heures supplémentaires ;
- le travail de nuit ;
- le chômage temporaire ;
- le congé parental ;
- les conséquences sociales de l'introduction des nouvelles
technologies.
2) Les principales caractéristiques de la négociation
collective
a) Les différentes catégories d'accords
Il existe trois catégories d'accords collectifs, qui correspondent
à trois niveaux de négociation. Chacun d'eux est
spécialisé, car les différents accords sont
hiérarchisés
. On distingue :
- les accords interprofessionnels signés au niveau national ;
- les accords nationaux de branche ;
- les accords d'entreprise.
Les
accords interprofessionnels signés au niveau national
La négociation peut avoir lieu au sein du Conseil national du travail.
Elle peut également se dérouler à l'extérieur du
Conseil national du travail, notamment pour appliquer les décisions
d'une autre instance (des dispositions législatives ou des mesures
prises par un organe tripartite par exemple).
Selon que la négociation a lieu au sein ou à l'extérieur
du Conseil national du travail, elle se traduit par la conclusion d'une
convention collective interprofessionnelle ou d'un accord interprofessionnel
national
.
Depuis la création du Conseil national du travail, environ
80 conventions collectives interprofessionnelles ont été
conclues. Comme cela a déjà été indiqué,
certaines d'entre elles règlent des questions particulièrement
importantes.
Leur application requiert souvent la conclusion d'accords à un niveau
inférieur. Ainsi, l'accord collectif interprofessionnel relatif au
statut de la délégation syndicale dans l'entreprise
précise que des accords de branche définissent l'effectif minimum
justifiant la création d'une telle délégation, l'effectif
de cette dernière, les crédits d'heures attribués à
ses membres, leur mode de désignation...
Quant aux accords interprofessionnels nationaux, ils ont essentiellement pour
objet de définir l'évolution maximale du coût salarial pour
les deux années suivantes, par comparaison avec les trois principaux
partenaires commerciaux de la Belgique : l'Allemagne, la France et les
Pays-Bas.
Les accords nationaux de branche
Ils sont
nécessairement négociés au sein d'un organe
paritaire
, en principe au sein de la
commission paritaire sectorielle
compétente.
Les commissions paritaires sont des organes de concertation prévus par
la loi du 5 décembre 1968. Chaque commission paritaire est
créée par arrêté, à la demande des
organisations représentatives de la branche ou à l'initiative du
gouvernement. Il existe une centaine de commissions paritaires. La plupart ont
une compétence sectorielle et nationale, sans nécessairement
traiter les problèmes de l'ensemble du personnel, car la majorité
d'entre elles ne sont pas intercatégorielles, mais s'occupent seulement
du personnel ouvrier ou seulement du personnel employé. Le rattachement
d'une entreprise à une commission paritaire dépend de
l'activité principale de l'entreprise.
Des
sous-commissions paritaires
peuvent être créées
à la demande des commissions. Leur compétence, toujours
inférieure à celle de leur commission paritaire de rattachement,
peut être géographique ou sectorielle. Il existe aussi des
sous-commissions compétentes pour une seule grande entreprise, mais
elles sont rares. On compte une soixantaine de sous-commissions paritaires.
En l'absence de commission paritaire, les accords nationaux de branche peuvent
être conclus au sein du Conseil national du travail.
Les accords nationaux de branche, conclus entre les représentants des
organisations d'employeurs et de salariés compétents, sont
dénommés
conventions collectives sectorielles.
Les accords d'entreprise
La négociation se déroule en dehors de tout organe paritaire
,
entre l'employeur et la délégation syndicale. Composée de
salariés syndiqués, elle est élue par l'ensemble du
personnel.
b) Les signataires des accords collectifs
Quel que soit le niveau des accords collectifs, la loi de 1968 exige qu'ils
soient signés par des organisations représentatives, tant du
côté des salariés
(
65
(
*
)
)
que des
employeurs.
Les organisations d'employeurs sont considérées comme
représentatives si elles satisfont aux mêmes critères que
les confédérations syndicales, ce qui permet à la
Fédération des entreprises belges (FEB) d'être reconnue
comme représentative. En outre,
une organisation d'employeurs peut
être déclarée représentative dans une branche
donnée
par arrêté du ministre de l'Emploi, sur avis du
Conseil national du travail. Cette disposition concerne les organisations qui
ne sont pas affiliées à la FEB et qui souhaitent siéger
dans une commission paritaire. Par ailleurs, la loi du 6 mars 1964 portant
organisation des classes moyennes prévoit que les organisations
patronales du commerce et de l'artisanat puissent être reconnues comme
représentatives. Une loi et un arrêté de 1979 ont
défini très précisément les critères de
représentativité de ces organisations.
c) La force obligatoire des accords collectifs
Les
accords interprofessionnels nationaux
n'ont aucune valeur juridique
directe. Pour produire des effets, ils ont besoin d'être ratifiés,
par une loi, un arrêté ou une convention collective.
En vertu de la loi du 5 décembre 1968,
les accords collectifs
conclus au sein d'un organe paritaire
, c'est-à-dire les conventions
collectives interprofessionnelles et les conventions collectives nationales
sectorielles, lient les employeurs qui les ont conclues ou qui y ont
adhéré, ainsi que ceux qui sont membres des organisations qui les
ont conclues ou qui y ont adhéré. Ils couvrent tous les
salariés des employeurs qui sont liés. En principe, une
convention collective interprofessionnelle s'applique à toutes les
branches et dans tout le pays.
En outre, à moins que les contrats de travail des salariés ne
comportent des clauses contraires à ces accords, ils lient
également les employeurs qui, bien que n'appartenant pas à une
organisation signataire, relèvent de l'organe paritaire au sein duquel
l'accord a été conclu.
Pour éviter que les employeurs ne se soustraient aux obligations
créées par les accords collectifs conclus au sein d'un organe
paritaire, la loi du 5 décembre 1968 prévoit que, à
la demande de la commission ou de la sous-commission paritaire, ou d'une
organisation qui y est représentée,
un
arrêté royal puisse rendre ces accords obligatoires pour tous
les employeurs relevant de l'organe paritaire au sein duquel ils ont
été conclus
. Cette procédure d'extension est
fréquemment utilisée.
Négociés en dehors de tout organe paritaire, les accords
collectifs d'entreprise sont conclus par l'employeur et la
délégation syndicale. Ils s'appliquent à tous les
salariés de l'entreprise, même s'ils ne sont pas syndiqués
ou s'ils sont membres d'une organisation qui a refusé de signer
l'accord.
Les accords collectifs, quelle que soit leur nature, peuvent avoir une
durée
indéterminée ou déterminée,
avec ou sans clause de reconduction. Tous sont enregistrés au
ministère de l'Emploi.
La plupart des accords collectifs de branche prévoient que les
contestations relatives à leur application sont soumises au bureau de
conciliation de la commission paritaire compétente. D'autres renvoient
ces problèmes aux conseils d'administration des « fonds de
sécurité d'existence ».
Ces fonds, dont le statut est défini par une loi de 1958, sont
établis par des accords collectifs de branche. Conçus comme des
systèmes complémentaires de sécurité sociale au
niveau sectoriel, ils accordent des prestations aux salariés qui en
relèvent (allocations complémentaires en cas de maladie, primes
de départ en retraite...). Les employeurs sont tenus de contribuer
à leur financement.
d) Le respect de la paix sociale dans les entreprises couvertes par des
accords collectifs
À défaut de clause de paix sociale, tout accord collectif
comporte des dispositions subordonnant le déclenchement d'un conflit
à l'échec d'une procédure de conciliation préalable.
Pour pallier la relative inefficacité de ces clauses, certaines
commissions paritaires ont créé des associations paritaires
auxquelles les entreprises versent des cotisations. Celles-ci sont
reversées à un fonds intersyndical qui les redistribue aux
salariés sous forme de « primes syndicales », ou qui
finance la formation des représentants du personnel. Lorsqu'une clause
de paix sociale n'est pas respectée ou qu'un conflit du travail survient
sans que les que les procédures de conciliation préalable aient
été suivies, les contributions financières des employeurs
sont réduites, voire suspendues.
e) Le renouvellement des accords collectifs
En cas de difficulté, aucune disposition légale n'oblige les
parties à recours à la médiation, à la conciliation
ou à l'arbitrage. Ces procédures, l'arbitrage en particulier,
sont cependant souvent prévues par les accords eux-mêmes.
LA
NÉGOCIATION COLLECTIVE
DANEMARK
Le
« modèle danois »
tel qu'il fonctionne depuis
1899, c'est-à-dire depuis
l'accord historique passé entre la
Confédération des syndicats ouvriers et le patronat, laisse aux
partenaires sociaux le soin d'organiser le marché du travail par voie
conventionnelle
. S'ils peuvent résoudre seuls leurs
problèmes, l'État n'intervient pas.
|
1) La
place respective de la loi et de la négociation collective
a) L'importance de la négociation collective
Les lois sociales sont beaucoup moins nombreuses que dans les autres pays
européens
, car les partenaires négocient des accords
collectifs dans tous les domaines et en assurent l'application eux-mêmes
hors de toute intervention de l'État.
Cette situation remonte
à
l'accord historique du 5 septembre 1899
conclu entre les
syndicats ouvriers et les employeurs à la suite d'un conflit majeur.
Cet accord reconnaissait, sans les définir, les prérogatives
patronales, affirmait le droit des partenaires sociaux à s'organiser et
à mener des conflits sociaux, et énonçait le devoir de
paix sociale.
L'accord de base qui lie DA, la Confédération des employeurs, et
LO, la principale confédération des salariés
n'a
été renégocié que deux fois : en 1960 et en
1973. Dans sa version actuelle, c'est-à-dire tel qu'il résulte de
modifications adoptées en 1993 (document n° 4), cet accord
affirme à l'article premier qu'il est souhaitable que toutes les
questions relatives aux conditions de travail et aux
rémunérations soient
déterminées par des
accords collectifs.
Cet accord comporte toujours la reconnaissance des prérogatives
patronales. Celles-ci ont été définies assez largement par
la jurisprudence : les pouvoirs de l'employeur en matière de
licenciement, de recrutement, de promotion, de fixation des salaires, de
détermination des horaires et de contrôle du travail
dépendent de l'accord collectif auquel il est lié. L'employeur a
également le droit d'interpréter les accords collectifs. Les
conflits relatifs à leur interprétation sont certes
résolus par arbitrage, mais l'interprétation de l'employeur
prévaut tant que la procédure d'arbitrage n'est pas
achevée.
L'accord de base entre DA et LO détermine aussi les règles
générales applicables en cas de licenciement abusif, ainsi que
celles qui protègent les délégués du personnel.
Les dispositions relatives à la participation des salariés
à la gestion des entreprises, par l'intermédiaire de la
« commission de coopération », laquelle constitue
surtout un organe d'information et de consultation, ont également
été fixées par un accord conclu entre les deux grandes
confédérations DA et LO. Signé en 1947, cet accord a
été renouvelé depuis.
Les autres confédérations ont conclu des accords similaires
à celui qui lie DA et LO
et qui constitue en quelque sorte un
modèle. Par conséquent, dans la suite du texte, il sera
essentiellement question des relations entre DA et LO.
b) Le petit nombre de lois sociales
La législation sur les accords collectifs est presque inexistante.
Aucune loi générale ne couvre les contrats de travail de
l'ensemble des salariés. Ainsi, il n'existe pas de loi sur le salaire
minimum ou sur la durée du travail.
Indépendamment de celles qui régissent la sécurité
sociale ainsi que les questions d'hygiène et de sécurité
sur les lieux de travail,
les principales lois sociales sont les
suivantes
, plusieurs d'entre elles ayant dû être
adoptées pour assurer la transposition de directives :
- loi sur le tribunal du travail ;
- loi sur la médiation dans les conflits sociaux ;
- loi garantissant le versement des salaires en cas de faillite de
l'entreprise, adoptée pour transposer la directive 80/87 ;
- loi sur le statut des salariés en cas de cession de l'entreprise,
adoptée pour transposer la directive 77/187 ;
- loi sur le préavis relatif aux licenciements collectifs,
adoptée pour transposer la directive 75/129 modifiée par la
directive 92/156 ;
- loi sur les congés payés ;
- loi sur les indemnités journalières d'assurance maladie et
maternité ;
- loi sur la protection contre le licenciement motivé par des
questions syndicales ;
- loi sur les comités d'entreprise européens ;
- loi sur l'utilisation par l'employeur des données relatives
à la santé ;
- loi sur le statut des salariés, qui garantit notamment le
versement du salaire pendant les périodes de maladie et de vacances,
ainsi qu'un préavis de licenciement variable en fonction de
l'ancienneté et une indemnité de licenciement ;
- loi sur l'obligation des employeurs d'informer le salarié des
conditions régissant le contrat de travail ;
- loi prohibant la discrimination sexuelle ;
- loi sur l'égalité de rémunération entre les
sexes ;
- loi interdisant la discrimination sur le marché du travail ;
- loi sur les cotisations à la caisse de retraite.
* *
*
Si le
droit d'origine conventionnelle représente une part importante des
normes sociales, il convient donc de nuancer cette affirmation et de souligner
également le rôle que l'État joue en tant qu'employeur dans
la négociation collective. En effet, plus de 30 % de la population
active est employé dans le secteur public. En outre, les accords conclus
dans le secteur public servent souvent de référence pour le
secteur privé.
2) Les caractéristiques principales de la négociation
collective
a) Les différentes catégories d'accords
Traditionnellement, les accords collectifs sont conclus au niveau national
pour une branche donnée.
La négociation au niveau de l'entreprise a lieu :
- lorsque l'employeur n'est pas affilié à une organisation
patronale et qu'il signe avec son personnel une convention dite
d'adhésion, qui fait référence à la convention de
branche ;
- pour adapter les dispositions conclues au niveau de la branche.
Depuis une vingtaine d'années, on constate que les négociations
sont de plus en plus menées au niveau local. Ainsi, les salaires sont de
plus en plus souvent négociés au niveau de l'entreprise.
Les accords collectifs ne sont pas nécessairement écrits, de
sorte qu'il est parfois difficile de les distinguer des coutumes.
b) Les signataires des accords collectifs
Selon le niveau de l'accord, les parties sont :
- une organisation patronale de branche et le syndicat correspondant ;
- la délégation syndicale de l'entreprise et l'employeur.
Les principales confédérations, DA et LO, quant à elles,
signent de temps à autre des accords généraux comme ceux
qui ont déjà été évoqués. Plus
fréquemment, elles concluent des accords cadres dans lesquels
s'insèrent les accords de niveau inférieur. Elles jouent ainsi un
rôle important de coordination dans le processus de la négociation
collective.
Compte tenu de la
reconnaissance mutuelle que s'accordent les organisations
patronales et syndicales, la question de la représentativité ne
se pose pas
.
c) La force obligatoire des accords collectifs
Bien que considérés comme des contrats entre, du
côté des salariés, un groupe de personnes (le plus souvent
un syndicat) et du côté du patronat, une organisation d'employeurs
ou un employeur isolé, les accords collectifs ne s'appliquent pas aux
seuls signataires. En effet, les syndicats ne souhaitant pas que les
salariés non syndiqués acceptent de travailler à des
conditions différentes de celles prévues par les accords,
l'employeur observe les dispositions des accords collectifs non seulement
vis-à-vis des salariés syndiqués, mais aussi
vis-à-vis des autres.
Par ailleurs, les employeurs qui n'appartiennent pas à une association
patronale ont la possibilité de conclure des
conventions
d'adhésion
, selon lesquelles ils s'engagent à respecter les
accords valables dans leur branche. De ce fait, malgré l'absence de
procédure d'extension, les accords collectifs s'imposent au-delà
du cercle des employeurs signataires.
Les accords sur l'adhésion obligatoire à un syndicat ne sont
pas interdits au Danemark.
Un tel accord oblige l'employeur à
n'embaucher que des salariés membres d'un syndicat
déterminé ou qui s'engagent à y adhérer
immédiatement après l'embauche. Toutefois, les statuts de DA
interdisent aux entreprises membres de conclure de tels accords. En outre, dans
le secteur public, ils ne sont pas permis.
On estime que,
dans le secteur privé, environ 60 % des
salariés sont couverts par des accords collectifs
. Comme le taux de
couverture est de 100 % dans le secteur public et compte tenu de la part
des salariés employés dans le secteur public, on peut
évaluer à environ 25 % le pourcentage total des
salariés non couverts.
La durée habituelle des accords collectifs est de
deux ans
.
Pendant la période où il sont en vigueur, les questions relatives
à leur interprétation sont normalement résolues par une
commission d'arbitrage composée de deux représentants de chacune
des deux parties, ainsi que d'un arbitre indépendant.
En revanche, en cas d'infraction à un accord collectif, une
négociation directe entre les deux parties a lieu. Si elle ne conduit
pas à un arrangement, les deux confédérations LO et DA
tentent à leur tour de retrouver une solution amiable. En cas
d'échec, l'affaire est portée devant le tribunal du travail,
où elle est tranchée par une formation présidée par
un magistrat professionnel et composée de trois représentants des
employeurs et de trois représentants des salariés. Une amende
peut être imposée à la partie qui a enfreint l'accord. Le
tribunal du travail est également compétent pour les accords
collectifs du secteur public.
d) Le respect de la paix sociale dans les entreprises couvertes par des
accords collectifs
Aussi longtemps qu'un accord collectif est en vigueur, la grève et le
lock-out sont interdits dans la mesure où ils se rapportent à des
matières couvertes par l'accord, à moins que ce dernier ne les
autorise explicitement. Ceci n'exclut pas les grèves de
solidarité par exemple. En cas d'infraction, le tribunal du travail peut
imposer des amendes.
Dès que l'accord est échu, le recours à la grève et
au lock-out est possible. Il est d'ailleurs fréquent, ce qui a
justifié la mise en place par voie législative d'un
système de conciliation au niveau national.
e) Le renouvellement des accords collectifs
L'accord principal entre LO et DA oblige les partenaires sociaux à
négocier un nouvel accord collectif avant l'échéance de
l'accord en vigueur. Si les négociations n'aboutissent pas à
temps, l'accord échu continue à s'appliquer.
La conciliation est alors obligatoire.
Régie par
la loi depuis
1934, elle est actuellement organisée par la loi du
6 mars 1997 sur la conciliation en matière de conflits du
travail
(document n°5).
Il existe un
service national de conciliation
qui suit en permanence
l'état d'avancement des négociations, qui dispose des copies des
accords collectifs et à qui les préavis de grève sont
adressés. Ce service comprend trois conciliateurs et 21
médiateurs. Tous sont nommés par le ministère du Travail
sur proposition du tribunal du travail. Il doit s'agir de personnalités
indépendantes.
Bien que les procédures de conciliation diffèrent selon les
circonstances (échec avéré des négociations, menace
d'une grève aux conséquences sociales importantes,
difficulté à mener les négociations...), elles
présentent quelques points communs.
Si les partenaires ne parviennent pas à un accord dans les délais
prévus, ils doivent continuer à négocier,
éventuellement avec l'aide de l'un des médiateurs. Ils se voient
imposer un délai pour aboutir.
En cas d'échec de ces négociations, les partenaires peuvent
déposer un préavis de grève ou de
lock-out. Un
conflit peut alors s'engager, à moins que le conciliateur en charge du
dossier ne décide d'en retarder le début de 14 jours. En
l'absence de résultats à l'issue de ces 14 jours, le
conciliateur constate l'échec des négociations, et un conflit
peut commencer dans les cinq jours qui suivent cette constatation.
Si, malgré tout, aucun accord n'est trouvé, le gouvernement peut
intervenir en déposant un projet de loi sur les matières
normalement régies par les partenaires : le gouvernement peut
proposer au Parlement de prolonger l'accord précédent ou
d'entériner les suggestions du conciliateur. Cette procédure a
par exemple été utilisée au printemps de l'année
1998 pour mettre fin à un conflit social majeur consécutif
à la négociation de l'accord cadre national sur les salaires.
LA
NÉGOCIATION COLLECTIVE
ESPAGNE
L'article 37 de la Constitution
énonce :
« La loi garantira le droit à la négociation
collective en matière de travail entre les représentants des
salariés et des chefs d'entreprise, ainsi que le caractère
contraignant des accords. »
|
1) La
place respective de la loi et de la négociation collective
Aux termes de la loi portant statut des salariés, les accords collectifs
peuvent déterminer
« les conditions de travail et de
productivité ».
Les partenaires sociaux peuvent
également
« régler la paix sociale grâce aux
obligations dont ils conviennent »
.
Les accords collectifs peuvent donc non seulement compléter ou
améliorer les dispositions légales ou réglementaires, mais
ils peuvent aussi définir les procédures de résolution des
conflits collectifs.
L'article 85 de la loi, consacré au contenu des accords collectifs,
précise :
« Dans le respect des lois, les accords
collectifs pourront régler des questions dans les domaines de
l'économie, du travail, des syndicats et, de façon
générale, toutes les autres questions relatives aux conditions
d'emploi, ainsi qu'aux relations entre, d'une part, les salariés et les
organisations qui les représentent et, d'autre part, l'employeur et les
associations patronales ».
Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1994, qui a
réformé la loi de 1980 portant statut des salariés en
confiant aux partenaires sociaux
le
soin de négocier sur
une trentaine de sujets,
les accords collectifs traitent essentiellement les
questions suivantes :
- le régime des contrats à durée
déterminée ;
- la durée de la période d'essai ;
- la mobilité géographique ;
- les classifications professionnelles ;
- l'avancement ;
- la définition des modifications substantielles du contrat de
travail ;
- la structure des salaires ;
- la durée du travail et sa répartition annuelle ;
- le régime des heures supplémentaires.
En avril 1997, les confédérations syndicales
(UGT et CCOO)
et patronales
(CEOE, la confédération espagnole des
associations patronales, qui regroupe des employeurs du secteur public et du
secteur privé, et CEPYME, la confédération des petites et
moyennes entreprises, elle-même fédérée à la
CEOE)
ont signé trois accords
interconfédéraux
qui constituent une réelle
réforme du droit du travail. Ces trois accords, qui portent
respectivement sur la stabilité de l'emploi, sur la
réorganisation des niveaux et des procédures de la
négociation collective, et sur les conditions de travail dans les
secteurs dépourvus de règles spécifiques, manifestent la
volonté des partenaires sociaux d'organiser eux-mêmes les
relations sociales.
Cette situation contraste avec celle qui prévalait avant
l'avènement de la démocratie, lorsque les relations sociales
étaient principalement régies par des dispositions
réglementaires sectorielles. Bien qu'environ 80 % des
salariés soient couverts par des accords collectifs,
la
négociation collective joue un rôle encore restreint par rapport
à la loi ou au règlement.
2) Les principales caractéristiques de la négociation
collective
a) Les différentes catégories d'accords
La loi portant statut des salariés distingue :
-
les accords de niveau supérieur
, qui peuvent concerner
plusieurs entreprises, une branche professionnelle, une province ou le pays
tout entier ;
-
les accords d'entreprise ou d'un niveau inférieur,
ces
derniers ne s'appliquant qu'à certains groupes de salariés ou
à certains établissements à l'intérieur de
l'entreprise.
Au cours de l'année 1998, d'après le ministère du Travail,
un peu plus de 5 000 accords concernant 8,75 millions de
salariés ont été signés ou renouvelés ;
72 % étaient des accords d'entreprise et couvraient un peu plus
d'un million de salariés. Les accords nationaux de branche constituent
moins de 2 % de tous les accords conclus. Les partenaires sociaux
regrettent cette fragmentation de la négociation collective. Dans
l'accord interconfédéral sur la négociation collective
qu'ils ont signé en 1997, ils se sont engagés à
rationaliser la structure des accords collectifs et à développer
la négociation sectorielle, en particulier dans les branches où
les petites entreprises sont majoritaires. Cependant, les organisations
syndicales et patronales locales, plus ou moins soutenues par les partis
politiques régionalistes, résistent à cette centralisation
de la négociation. Celle-ci semble tout de même commencer à
se dessiner.
Outre les accords collectifs
stricto sensu
, conclus dans le respect des
règles énoncées par la loi portant statut des
salariés et dotés d'une valeur normative, il existe d'autres
accords qui, juridiquement, n'ont qu'une valeur contractuelle, mais auxquels
la jurisprudence est souvent conduite à reconnaître la même
valeur qu'aux accords collectifs.
C'est par exemple le cas des accords
d'entreprise signés par les syndicats qui ne sont pas
représentatifs.
Par ailleurs, les confédérations syndicales et patronales ont
renoué avec la pratique des
accords
interconfédéraux
au milieu des années 90.
b) Les signataires des accords collectifs
- • Les accords d'entreprise ou de niveau inférieur
Il peut aussi les signer avec les sections syndicales ( 67 ( * ) ) constituées par les syndicats les plus représentatifs ou par les syndicats qui disposent de représentants au comité d'entreprise (ou de délégués du personnel), à condition que les salariés concernés par l'accord les aient expressément mandatées pour négocier, à l'issue d'un vote à la majorité absolue. Si l'accord s'applique à tous les salariés, les sections syndicales ne peuvent participer à la négociation que si elles sont majoritaires au sein du comité d'entreprise.
En pratique, le rôle des syndicats est essentiel pour la conclusion de ces accords, soit directement, soit en raison de leur implantation au sein des comités d'entreprise.
- • Les accords de niveau supérieur à celui de l'entreprise
- les organisations syndicales les plus représentatives au niveau national (6) ;
- les organisations syndicales les plus représentatives au niveau d'une communauté autonome ;
- les organisations syndicales représentatives dans le champ d'application, géographique ou sectoriel, de l'accord.
- • Les accords de niveau national
c) La force obligatoire des accords collectifs
Conformément à la reconnaissance constitutionnelle de la négociation collective et du caractère obligatoire des accords conclus, la loi portant statut des salariés précise que les accords collectifs en vigueur lient tous les salariés et tous les employeurs inclus dans leur champ d'application, sans qu'une procédure d'extension soit nécessaire.
La même loi précise que les conflits entre normes juridiques de niveaux différents sont résolus par le principe de l'application des dispositions les plus favorables au salarié.
Les accords collectifs conclus à un niveau supérieur à celui de l'entreprise peuvent contenir une clause de non-application des mesures salariales , au cas où celles-ci risqueraient de menacer la stabilité de certaines entreprises.
En principe, un accord collectif ne peut pas être modifié par un autre, dont le champ d'application est différent, à moins qu'une telle modification ne soit explicitement prévue par les partenaires. Cependant, les syndicats et les associations patronales habilités peuvent modifier, dans un domaine plus large que celui d'une entreprise, un accord de rang supérieur. Cette disposition, qui permet de prendre en compte les disparités de niveau de vie entre les différentes régions, ne peut cependant pas s'appliquer dans les matières suivantes : période d'essai, modalités d'embauche, groupes professionnels, régime disciplinaire, normes minimales d'hygiène et de sécurité, et mobilité géographique.
Une fois signés, les accords collectifs sont, en fonction de leur champ d'application, enregistrés par l'administration du ministère du Travail ou par celle de la communauté autonome.
À la demande des organisations syndicales, des associations patronales ou des représentants du personnel, le ministre du Travail et les organes correspondants dans les communautés autonomes peuvent étendre le champ d'application d'un accord collectif à des entreprises ou à des secteurs similaires. Une telle demande doit être motivée par la difficulté à négocier ou par les circonstances économiques et sociales. Ainsi, la nécessité de préserver l'égalité des salaires peut justifier une extension.
Une telle mesure d'extension suppose l' accord d'une commission paritaire regroupant des représentants des associations patronales et des organisations syndicales les plus représentatives du futur champ d'application de l'accord collectif. La décision doit énumérer les entreprises concernées. En pratique, de telles mesures sont rares.
Les parties déterminent librement la durée de validité des accords qu'elles concluent. En l'absence de dénonciation ou de clause explicite, ces accords sont automatiquement reconduits pour des périodes d'un an. En outre, les dispositions normatives des accords, c'est-à-dire celles qui s'appliquent directement aux salariés, restent en vigueur jusqu'à la conclusion de nouveaux accords. En règle générale, les partenaires préfèrent conclure des accords pluriannuels dont la durée de validité n'excède pas trois ans.
Aux termes de la loi, les conflits relatifs à l'interprétation des accords collectifs sont tranchés par le juge, mais les parties peuvent convenir d'établir des procédures de résolution extrajudiciaire.
Dans l'accord sur la résolution extrajudiciaire des conflits collectifs , qu'ils ont signé le 25 janvier 1996 et renouvelé le 31 janvier 2001, les partenaires sociaux ont décidé que les conflits relatifs à l'interprétation et à l'application d'un accord collectif seraient obligatoirement soumis à la commission paritaire qui administre l'accord contesté. Cette commission peut être investie d'autres pouvoirs : interprétation, médiation ou arbitrage en cas de différend sur l'accord. Si ce n'est pas le cas, l'accord sur la résolution extrajudiciaire des conflits collectifs dispose que ces différends sont résolus par la voie de la médiation si une des parties en fait la demande, et par arbitrage si les deux parties le sollicitent. Dans les deux cas, le désaccord est soumis au Service interconfédéral de médiation et d'arbitrage (SIMA), création de l'accord de 1996 et qui a succédé au Service de médiation, d'arbitrage et de conciliation, organisme tripartite créé en 1979, placé sous l'autorité du ministère du Travail, et qui n'avait joué qu'un rôle limité. Le SIMA est un organe paritaire, composé de représentants des deux confédérations patronales et des deux confédérations syndicales signataires de l'accord.
d) Le respect de la paix sociale dans les entreprises couvertes par des accords collectifs
La loi portant statut des salariés prévoit explicitement que les accords collectifs puissent contenir des clauses relatives à la paix sociale.
En outre, l'accord sur la résolution extrajudiciaire des conflits collectifs prévoit que, lorsqu'une procédure de médiation ou d'arbitrage est entamée, aucune grève ne doit être décidée tant que les possibilités offertes par la procédure ne sont pas épuisées.
e) Le renouvellement des accords collectifs
En cas de difficultés, l'accord sur la résolution extrajudiciaire des conflits collectifs s'applique.
LA
NÉGOCIATION COLLECTIVE
GRANDE-BRETAGNE
Longtemps, les pouvoirs publics ont encouragé le syndicalisme
et la négociation collective, et le législateur s'est abstenu le
plus possible de traiter des conditions de travail.
|
1) La
place respective de la loi et de la négociation collective
Traditionnellement, la loi occupe une place limitée dans le droit du
travail
, les relations collectives résultant essentiellement du
rapport de force entre employeurs et syndicats, et les relations individuelles
étant régies par les accords collectifs et par le contrat de
travail, élément essentiel. C'est le contrat de travail qui
détermine par exemple la durée de la période d'essai et
celle du préavis de licenciement. Dans ce contexte, le
législateur intervient surtout pour réglementer les conditions de
travail de ceux dont il estime qu'ils méritent une protection
particulière, parce qu'ils ne peuvent se protéger eux-mêmes
par la négociation collective (les enfants, les femmes), tandis que les
accords collectifs déterminent les conditions générales de
travail : la durée du travail, les congés payés, les
congés de maladie, la formation professionnelle, les salaires...
Depuis le début des années 80, le rôle de la loi s'est
développé
: afin de restaurer le jeu de la libre
concurrence sur le marché du travail, plusieurs textes visant à
réduire le rôle des syndicats ont été
adoptés. Ainsi, entre 1980 et 1993, la loi a défini l'objet des
grèves, limité les possibilités de recours à des
piquets de grève, imposé l'organisation d'un vote à
bulletins secrets avant le déclenchement de toute grève,
instauré la responsabilité civile des syndicats, et très
sévèrement limité le système du
closed shop
.
L'affaiblissement des syndicats a naturellement entraîné le
recul de la négociation collective.
De plus, pour rendre au
marché du travail sa flexibilité, une loi de 1992 a
supprimé les conseils salariaux tripartites qui fixaient les conditions
minimales de revenu et jouaient un rôle important dans les secteurs
faiblement syndicalisés.
Par ailleurs,
plusieurs lois ou règlements ont dû être
adoptés pour transposer des directives communautaires
. Ainsi, une
loi de 1992, un règlement de 1998 et la loi de 1999 sur l'emploi ont
respectivement transposé les directives sur le licenciement collectif,
sur l'aménagement du temps de travail et sur le congé parental.
Rompant avec la tradition de libéralisme et de négociation,
collective ou individuelle, une loi de 1998 a institué un salaire
horaire minimum.
Aux termes de la loi de 1992 sur les syndicats et les relations sociales
(document n° 8), la négociation collective peut porter sur les
sujets suivants :
- les modalités d'emploi et les conditions de travail, et, le cas
échéant, les critères physiques de recrutement ;
- le recrutement, la suspension ou la fin du contrat de travail, ainsi
que les obligations professionnelles ;
- la répartition du travail entre salariés ou groupes de
salariés ;
- les questions disciplinaires ;
- l'appartenance syndicale ;
- les moyens mis à la disposition des syndicats ;
- les procédures de négociation ou de consultation sur les
sujets précédents.
Dans la réalité, les enquêtes administratives montrent que
la
grande majorité des salariés n'est plus couverte par
des accords collectifs
. D'après les données de 1999, seuls
38,5 % voient leur salaire influencé par un accord collectif.
L'entrée en vigueur, le 6 juin 2000, de la loi de 1999 sur
l'emploi
, qui amende la loi de 1992,
devrait entraîner une reprise
de la négociation collective car, dans les entreprises de plus de
vingt salariés, l'employeur est obligé de négocier
avec le syndicat
qui, à l'issue d'une procédure de
reconnaissance, a obtenu une
attestation de
représentativité
(
69
(
*
)
)
. Dans cette hypothèse, la
négociation collective est cependant limitée à trois
points :
les rémunérations, les horaires et les
congés.
2) Les principales caractéristiques de la négociation
collective
a) Les différentes catégories d'accords
Les accords collectifs peuvent être négociés au niveau de
la branche ou de l'entreprise. Dans le premier cas, leur application requiert
généralement la conclusion d'accords d'entreprise.
Au cours des vingt dernières années, la négociation de
branche a progressivement
disparu
, sauf dans quelques secteurs comme
ceux de la construction ou de l'imprimerie. Les négociations collectives
se déroulent essentiellement au niveau de l'entreprise ou de
l'établissement. Les dispositions adoptées en 1999 pour rendre la
négociation collective obligatoire évoquent même
« l'unité de négociation », qui n'est
constituée que d'un groupe de salariés.
b) Les signataires des accords collectifs
S'il s'agit d'un accord de branche, les signataires sont une ou plusieurs
organisations patronales et un ou plusieurs syndicats de salariés de la
branche industrielle concernée, reconnus par les organisations
patronales en question.
Le
Trade Union Congress
(TUC), qui est la seule
confédération syndicale, ne négocie pas d'accords
collectifs, ni avec les associations patronales, ni avec son homologue
patronal, la Confédération des industries britanniques (CBI).
Les signataires des accords d'entreprise sont les employeurs et les
syndicats de salariés reconnus par l'employeur, soit volontairement,
soit à la suite d'une procédure de reconnaissance
devant le
Comité central d'arbitrage. Ils sont représentés par les
délégués d'atelier, qui sont élus par les membres
syndiqués, ou par des responsables syndicaux locaux, qui ne sont pas
nécessairement membres du personnel.
c) La force obligatoire des accords collectifs
Traditionnellement, les accords collectifs, bien que dépourvus de
tout statut juridique et de tout effet contraignant, ont un effet normatif, car
ils sont intégrés aux contrats de travail.
Cette
intégration peut n'être qu'implicite, par exemple parce que l'une
des dispositions de l'accord concerné correspond à un usage dans
l'entreprise. L'intégration implicite n'est pas systématique.
Elle n'a pas lieu si elle semble ne pas correspondre à la volonté
des parties. De plus, la partie des accords collectifs qui n'est pas
destinée à être intégrée aux contrats de
travail constitue seulement un engagement sur l'honneur.
La loi de 1992 sur les syndicats et les relations sociales réaffirme
ce principe
. Elle établit en effet une présomption
irréfragable selon laquelle les accords collectifs ne sont pas
censés produire les effets d'un contrat entre les parties, sauf si
celles-ci en disposent autrement.
D'après la jurisprudence, la dénonciation unilatérale par
l'employeur d'un accord collectif n'empêche pas ce dernier de continuer
à faire partie intégrante des contrats de travail, car ceux-ci ne
peuvent être modifiés qu'avec le consentement des salariés.
Il n'existe
aucune procédure légale d'extension
, car les
dispositions de la loi de 1975 qui permettaient d'étendre un accord
collectif à des entreprises dépourvues de représentation
syndicale ont été abrogées par la loi de 1980 sur
l'emploi. De plus, les employeurs ne sont pas liés par un accord
signé par une fédération, même s'ils en sont membres.
En principe, les accords collectifs sont conclus pour une durée
indéterminée. Toutefois, les salaires sont
généralement négociés chaque année.
Par ailleurs,
le règlement relatif à la méthode de
négociation collective pris en 2000
(document n° 9) pour
permettre l'application de la partie de la loi de 1999 concernant la
reconnaissance des syndicats permet au Comité central d'arbitrage
(CAC)
(
70
(
*
)
)
d'imposer aux partenaires sociaux une
méthode de négociation lorsqu'ils ne sont pas parvenus à
un accord. Or, cette méthode prévoit que les
rémunérations, les horaires et les congés font l'objet
d'une négociation annuelle.
Les problèmes d'interprétation de l'accord collectif sont
réglés par les parties elles-mêmes dans l'accord
préalable sur la procédure à suivre lors de la
négociation de l'accord collectif. En l'absence d'un tel accord, la
méthode de négociation collective imposée par le CAC
prévoit que chaque partie peut demander, par écrit, la
réunion de l'organe paritaire de négociation. Si ce dernier ne
parvient pas à régler le problème, les parties peuvent
s'entendre pour demander la conciliation du Service d'arbitrage, de
conciliation et de consultation, organisme public indépendant.
d) Le respect de la paix sociale dans les entreprises couvertes par des
accords collectifs
La plupart des accords collectifs contiennent des clauses de paix sociale. Tout
comme les accords eux-mêmes, ces clauses n'ont pas de force obligatoire.
La loi de 1992 relative aux syndicats et aux relations sociales
prévoit que, si un accord collectif contient une clause supprimant ou
restreignant le droit de grève ou toute autre forme d'action sociale,
les salariés ne sont pas obligés de la respecter, sauf si
certaines conditions sont remplies.
Pour qu'une clause de paix sociale soit contraignante, elle doit figurer dans
un accord écrit :
- qui contient une disposition prévoyant expressément que
cette clause sera ou pourra être intégrée aux contrats de
travail ;
- qui fait l'objet d'une certaine publicité sur le lieu et pendant
les heures de travail, permettant ainsi aux salariés d'en avoir
connaissance ;
- qui est signé par un ou plusieurs syndicats indépendants
et reconnus par l'employeur.
Il faut, en outre, que les contrats de travail incorporent expressément
ou implicitement cette clause.
e) Le renouvellement des accords collectifs
En cas de difficulté, aucune procédure particulière ne
s'impose aux parties.
C'est seulement lorsque l'employeur est obligé de négocier avec
un syndicat qui a obtenu une attestation de représentativité et
qu'il n'a pas réussi à s'entendre sur une méthode de
négociation, qu'il peut se voir imposer les dispositions prévues
par le règlement de l'année 2000 relatif à la
méthode de négociation collective.
LA
NÉGOCIATION COLLECTIVE
ITALIE
L'article 39-4 de la Constitution
prévoit que
«
les syndicats enregistrés (...) peuvent conclure des
conventions collectives de travail dont l'effet est obligatoire pour tous les
membres des catégories professionnelles auxquelles la convention se
rapporte.
»
|
1) La
place respective de la loi et de la négociation collective
L'article 35 de la Constitution, selon lequel «
La
République protège le travail sous toutes ses formes et dans
toutes ses applications
», est interprété comme
confiant à la loi le soin d'assurer la protection des salariés.
Par conséquent, la loi garantit les dispositions minimales auxquelles la
négociation collective ne peut pas déroger.
Par ailleurs, la méfiance des syndicats à l'égard des
pouvoirs publics, qui a notamment empêché l'adoption de la loi
prévue par l'article 39 de la Constitution et qui les auraient
dotés d'un statut juridique explicite, explique le partage entre, d'une
part, loi et règlement et, d'autre part, négociation collective.
Traditionnellement, les relations individuelles entre salariés et
employeurs sont régies par la loi et le règlement, tandis que les
relations collectives sont régies par la négociation.
Par
conséquent, le droit syndical, les accords collectifs et la
participation financière relèvent principalement de la
négociation.
Avec le temps, les interférences entre la loi et la
négociation collective se sont multipliées
. Ainsi, la loi de
1970 portant statut des salariés, intégrant d'ailleurs de
nombreux éléments présents dans des accords collectifs,
visait à promouvoir l'activité des syndicats sur les lieux de
travail et se voulait la principale source du droit des relations sociales. De
même, depuis la fin des années 70, il est arrivé à
plusieurs reprises que la loi pose des principes et qu'elle envisage des
dérogations par voie conventionnelle. À l'opposé, la loi
apporte parfois des restrictions à la négociation collective,
notamment pour en contrôler les éléments salariaux.
L'affaiblissement du système politique qui a résulté de la
découverte des affaires de corruption dans les années 80 s'est
notamment traduit par la revalorisation des organisations syndicales et par la
signature de
plusieurs pactes tripartites entre le gouvernement et les
partenaires sociaux
.
Celui de juillet 1993, en refondant le
système de négociation collective
, renoue avec la tradition
selon laquelle les relations collectives ne sont pas régies par la loi,
le gouvernement jouant toutefois un rôle non négligeable dans
cette refondation.
2) Les principales caractéristiques de la négociation
collective
a) Les différentes catégories d'accords
Les négociations collectives ont lieu à trois niveaux :
- interconfédéral ;
- de branche ;
- d'entreprise.
En outre, elles peuvent se dérouler au niveau national ou
régional, de sorte que les principales catégories d'accords
collectifs sont les suivants :
-
accords interconfédéraux
, auxquels le gouvernement
peut être associé, qui règlent des questions de principe et
déterminent les dispositions minimales applicables à tous les
salariés ;
-
accords nationaux de branche
, qui fixent les dispositions
minimales applicables à tous les salariés d'un secteur
d'activité ;
-
accords provinciaux de branche
, dans quelques secteurs comme
l'agriculture ou le bâtiment ;
-
accords d'entreprise
, qui régissent essentiellement les
questions d'organisation du travail.
Cette structure correspond à l'organisation des syndicats de
salariés et des associations patronales, qui repose à la fois sur
des fédérations de branche subdivisées en sections
provinciales, locales, voire d'entreprise, et sur des structures territoriales
interbranches.
La place relative du niveau interconfédéral et du niveau
sectoriel varie selon les périodes, la négociation au niveau
interconfédéral se développant essentiellement en
période de crise. Par ailleurs, la multiplication des petites
unités de production explique l'importance des accords d'entreprise.
La pluralité des niveaux de négociation et l'absence de
coordination entre eux freinent le développement du système.
C'est pourquoi
l'accord tripartite du 23 juillet 1993,
qui vise
à refonder le système des relations sociales, se propose de
rationaliser la structure de la négociation collective et de ne
conserver que deux niveaux :
- l'accord collectif national de branche ;
- l'accord décentralisé, au niveau de l'entreprise, les
petites entreprises pouvant toutefois être couvertes par des
négociations menées au niveau local ou provincial par les
organisations de branche.
L'accord tripartite de juillet 1993 précise également que les
accords décentralisés ne doivent pas être redondants par
rapport aux accords nationaux de branche, mais que les deux niveaux de
négociation doivent être articulés. Les accords
décentralisés doivent obéir aux prescriptions
fixées dans les accords nationaux et seule une clause explicite de
renvoi dans l'accord collectif national justifie la négociation
décentralisée. Ainsi, la négociation de branche
détermine les augmentations salariales cohérentes avec les
prévisions d'inflation et la négociation d'entreprise peut
prévoir des augmentations supplémentaires liées à
la rentabilité.
b) Les signataires des accords collectifs
En fonction du niveau de la négociation collective, les accords sont
signés par :
- les confédérations syndicales et patronales ;
- les syndicats et les associations patronales de branche
considérés comme représentatifs ;
- l'employeur et la «
représentation syndicale
unitaire
» (
RSU
).
Compte tenu de la relative confusion qui règne autour de la notion de
représentativité
(
71
(
*
)
)
, la reconnaissance mutuelle prévaut
pour les négociations collectives de branche. Elle repose
essentiellement sur l'acceptation de critères implicites.
La RSU est l'organe de représentation des salariés dans les
établissements de plus de quinze salariés
. Elle se
substitue à la « représentation syndicale
d'entreprise ». Elle a été instituée par
l'accord interconfédéral du 1
er
mars 1991 et
légitimée par l'accord tripartite du 23 juillet 1993. Les
modalités de désignation de ses membres ont été
déterminées par l'accord interconfédéral du
1
er
décembre 1993 : deux tiers de ses membres sont
élus par l'ensemble du personnel, tandis que le dernier tiers est
constitué de représentants des syndicats qui ont signé
l'accord collectif national de branche couvrant l'établissement. Dans
les entreprises où les RSU n'ont pas encore été
élues
(
72
(
*
)
)
, les accords collectifs sont signés
par la « représentation syndicale d'entreprise ».
c) La force obligatoire des accords collectifs
La loi prévue par l'article 39 de la Constitution n'ayant jamais
été adoptée, les accords collectifs sont régis par
le droit des contrats et n'ont en principe de force obligatoire que pour les
employeurs et les salariés appartenant aux organisations signataires
(
73
(
*
)
)
.
L'article 2077 du code civil
précise en effet que les
contrats de travail des salariés couverts par un accord collectif
doivent respecter le contenu de ce dernier et que les clauses des contrats qui
le contredisent sont implicitement remplacées par les dispositions de
l'accord qui sont plus favorables aux salariés.
En pratique, les accords collectifs de branche sont le plus souvent applicables
à tous les salariés de la branche considérée, car
la jurisprudence considère comme couvertes par l'accord les
entreprises dont les employeurs ne sont pas signataires. La jurisprudence
estime en effet qu'ils adhèrent, explicitement ou implicitement.
D'après la jurisprudence, l'adhésion explicite de l'employeur
peut résulter de la présence, dans le contrat de travail ou dans
la lettre d'embauche, d'une référence à l'accord collectif
considéré. En outre, lorsque l'employeur applique certaines
clauses significatives de l'accord, le juge estime que l'employeur manifeste
tacitement sa volonté d'y adhérer. Or, l'employeur est souvent
incité à appliquer partiellement les accords collectifs pour
bénéficier de certaines aides publiques, comme des
allégements de charges sociales.
Par ailleurs, la référence à l'article 36 de la
Constitution, qui affirme le droit pour tout salarié de recevoir une
juste rémunération, permet l'extension par les tribunaux des
accords salariaux de branche.
Les accords collectifs doivent préciser leur durée de
validité. En règle générale et conformément
à l'accord tripartite du 23 juillet 1993, les accords collectifs
conclus au niveau national sont conclus pour une durée de quatre ans,
mais leurs clauses dites économiques (qui concernent les niveaux et les
augmentations de salaires) ne sont valables que pendant deux ans. Les accords
d'entreprise s'appliquent pendant quatre ans.
d) Le respect de la paix sociale dans les entreprises couvertes par des
accords collectifs
L'accord tripartite du 23 juillet 1993 suggère aux partenaires de
présenter leurs programmes de négociation au moins trois mois
avant l'expiration des accords collectifs, cette période devant, tout
comme le mois suivant, constituer une période d'apaisement, pendant
laquelle aucune forme de conflit social n'est admise.
e) Le renouvellement des accords collectifs
Traditionnellement, les pouvoirs publics jouent un rôle actif de
médiation lors du renouvellement des accords collectifs de branche. Il
arrive souvent que cette médiation se transforme en arbitrage.
Par ailleurs, pour encourager le renouvellement rapide des accords collectifs,
l'accord tripartite du 23 juillet 1993 impose à l'employeur le
versement d'une indemnité de «
vacance
contractuelle
» qui garantit à tous les salariés
une progression de leur pouvoir d'achat. Lorsque l'accord collectif national de
branche est échu depuis trois mois et qu'il n'est pas renouvelé,
le montant de cette indemnité est de :
minimum salarial contractuel X taux anticipé de l'inflation X 30 % |
Au bout de dix mois, ce pourcentage passe à 50 %.
LA
NÉGOCIATION COLLECTIVE
PAYS-BAS
Les
relations sociales sont dans une très large mesure
déterminées par l'autodiscipline des partenaires sociaux.
Ceux-ci se rencontrent très fréquemment dans des
instances
nationales de concertation
. Ils se rencontrent également aux
différents niveaux du système des relations sociales, pour
conclure des
accords collectifs
.
|
1) La
place respective de la loi et de la négociation collective
D'après l'article premier de la loi de 1927,
un accord collectif a
pour objet principal ou exclusif la détermination des conditions de
travail
.
En pratique, le champ de la négociation collective s'étend
au-delà de ce qui est prévu par la loi et
il n'existe aucune
délimitation entre, d'une part, le champ de la loi et du
règlement et, d'autre part, celui des accords collectifs
. Les
matières qui peuvent être régies par un accord collectif
peuvent l'être par la loi, et inversement.
Ainsi, la loi de 1970 sur la fixation des salaires précises que le
ministre des Affaires sociales peut, à la demande des partenaires
sociaux, prendre des dispositions valables pendant une durée
déterminée - mais qui ne saurait excéder deux
ans - et qui règlent les mêmes questions qu'un accord
collectif. Selon les cas, ces « quasi-accords collectifs »
ont la même valeur juridique qu'un accord collectif simple ou
étendu.
En règle générale, la loi détermine des normes
minimales, qui sont améliorées par les accords collectifs.
Les accords collectifs portent non seulement sur les salaires, les accessoires
de la rémunération, la durée du travail, les
congés, les heures supplémentaires, mais aussi sur la formation,
les retraites anticipées, les prestations complémentaires de
sécurité sociale, l'hygiène et la sécurité,
ou la participation financière.
Traditionnellement, les accords collectifs régissaient seulement les
conditions de travail des ouvriers. Depuis quelques années, le champ des
accords collectifs s'étend aux cadres, sans toutefois aborder la
question du salaire des cadres supérieurs.
2) Les principales caractéristiques de la négociation
collective
a) Les différentes catégories d'accords
Les accords collectifs
tels qu'ils sont définis par la loi de
1927 sont établis
au niveau de la branche ou de l'entreprise
.
Presque tous les accords de branche ont un champ d'application national.
Un employeur est rarement lié à la fois par un accord sectoriel
et par un accord d'entreprise. La négociation au niveau de l'entreprise
tend à se développer.
Environ 80 % des salariés sont couverts par des accords
collectifs :
- plus de 200 accords de branche ;
- plus de 600 accords d'entreprise.
Les accords collectifs de branche ou d'entreprise constituent souvent
l'aboutissement de négociations plus ou moins formelles menées
par les principales confédérations au sein de la
Fondation
pour le travail
(
Stichting van de Arbeid : STAR
), fondation de
droit privé créée en mai 1945 par des représentants
des grandes confédérations patronales et syndicales. Reconnue et
consultée par les pouvoirs publics, la STAR constitue cependant une
instance bipartite de concertation où les partenaires sociaux se
rencontrent seuls.
Selon
l'objet
des accords, on distingue :
- les accords « minimaux », c'est-à-dire les
accords cadres, qui permettent la négociation d'accords plus
détaillés à un autre niveau, à condition que ces
derniers ne soient pas défavorables aux salariés ;
- les accords « standards », qui contiennent des
précisions sur toutes les conditions de travail et qui
déterminent tous les droits et devoirs des employeurs et des
salariés (procédure applicable en cas de harcèlement
sexuel par exemple).
Outre les accords collectifs régis par la loi de 1927,
l'employeur
peut conclure des accords avec le comité d'entreprise
, qui est
élu par tous les salariés à l'issue d'élections
libres. Bien que le comité d'entreprise dispose d'un pouvoir de
codécision dans certaines questions relatives à l'organisation du
travail et dans la mesure où ces matières ne sont pas
déjà traitées par un accord collectif ou par la
réglementation d'un organisme public
(
74
(
*
)
)
, la loi qui
définit ses compétences ne prévoit pas qu'il signe des
accords. Ces derniers n'ont donc en principe aucun pouvoir normatif, sauf dans
le cadre de la loi sur le temps de travail, qui reconnaît explicitement
les accords passés entre l'employeur et le comité d'entreprise.
b) Les signataires des accords collectifs
Les accords collectifs sont conclus entre, d'une part, un employeur à
titre individuel ou une association d'employeurs et, d'autre part, un syndicat
de salariés. La représentation des syndicats dans l'entreprise
n'est pas organisée par la loi.
La loi n'exige
aucun critère de représentativité
,
mais elle précise que
les associations signataires doivent disposer
de la personnalité morale et être habilitées, par leurs
statuts, à conclure des accords collectifs.
c) La force obligatoire des accords collectifs
En principe,
les accords collectifs
ne lient que les employeurs
signataires ou affiliés aux organisations signataires, alors que, sauf
stipulation contraire, ils
s'appliquent à tous les salariés,
syndiqués ou non
.
Cependant, il convient d'établir
une distinction entre les
salariés syndiqués et les autres
. Pour les premiers,
directement
couverts par l'accord, le contrat de travail doit
impérativement respecter les dispositions de l'accord. En cas de
contradiction, les termes de l'accord collectif se substituent automatiquement
aux clauses du contrat et, si cette règle n'est pas respectée, le
juge peut être saisi par les signataires du contrat ou par ceux de
l'accord collectif.
En revanche, lorsqu'un salarié est
indirectement
couvert par un
accord, l'employeur est tenu d'en respecter les clauses pour ne pas enfreindre
ses obligations à l'égard des syndicats signataires, mais le
salarié ne peut pas se prévaloir de l'accord à moins que
son contrat de travail n'y fasse référence. En cas de litige,
seuls les syndicats signataires peuvent saisir le juge.
Lorsque la durée de validité d'un accord n'est pas explicitement
précisée, il est considéré comme s'imposant aux
parties pendant un an. À défaut de dénonciation, il est
automatiquement renouvelé pour des périodes d'un an.
La
durée maximale
des accords collectifs ne peut pas
dépasser cinq ans.
Après qu'ils ont été signés, les accords collectifs
sont notifiés au ministre des Affaires sociales. Ce dernier peut,
à la demande de l'un des signataires, prendre une
décision
d'extension de l'accord
, qui devient alors obligatoire pour tous les
employeurs de la branche. Une telle décision du ministre suppose que
l'accord collectif s'applique déjà «
d'après
lui
à
une
large majorité
» des
salariés du secteur d'activité, c'est-à-dire que les
organisations patronales signataires soient suffisamment
représentatives. En règle générale, si les
organisations patronales signataires justifient que les salariés
employés par leurs adhérents représentent 60 % des
salariés du secteur, l'extension est accordée sans aucune
difficulté. Entre 55 % et 60 %, le ministre fait
procéder à des examens complémentaires et, en-dessous de
55 %, l'extension n'a pas lieu.
Au moment de l'extension, le ministre peut exclure certaines entreprises et
certaines clauses. La loi cite parmi les dispositions qui ne peuvent pas
être étendues celles qui sont susceptibles de favoriser les
salariés syndiqués. Aux Pays-Bas, les clauses de
closed
shop
ne sont pas interdites, mais elles sont exceptionnelles.
L'extension par arrêté permet aux salariés non
syndiqués de saisir le juge pour revendiquer les droits prévus
par l'accord. La durée maximale de validité de
l'arrêté d'extension est de deux ans.
Les conflits relatifs à l'interprétation des accords collectifs
sont tranchés par les tribunaux de droit commun sur saisine des
signataires, mais ces derniers peuvent aussi s'adresser à des instances
paritaires d'arbitrage.
d) Le respect de la paix sociale dans les entreprises couvertes par des
accords collectifs
Les accords collectifs contiennent souvent une clause de paix sociale, en vertu
de laquelle les parties s'engagent à respecter ses dispositions pendant
toute sa durée et à s'abstenir de toute action collective portant
sur les matières réglées par l'accord.
Même si les clauses de paix sociale ne sont pas énoncées
explicitement, les signataires sont, en vertu du droit général
des obligations, tenus d'appliquer de bonne foi les accords qu'ils ont conclus.
En cas d'infraction, les syndicats sont condamnés par le juge à
payer des astreintes.
e) Le renouvellement des accords collectifs
De nombreux accords collectifs contiennent des clauses sur l'éventuel
recours à une procédure transactionnelle (médiation,
arbitrage...) dans l'hypothèse où une nouvelle convention ne
pourrait être conclue à l'échéance de la
précédente.
LA
NÉGOCIATION COLLECTIVE
LISTE DES PRINCIPAUX TEXTES ANALYSÉS
Document n° 1 |
Allemagne - Loi de 1949 sur les accords collectifs (langue originale) |
Document n° 2 |
Belgique - Loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires |
Document n° 3 |
Belgique - Loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité |
Document n° 4 |
Danemark - Accord principal de 1973 entre LO et DA (langue originale) |
Document n° 5 |
Danemark - Loi du 6 mars 1997 sur la conciliation en matière de conflits du travail (langue originale) |
Document n° 6 |
Espagne - Titre III de la loi portant statut des salariés (langue originale) |
Document n° 7 |
Grande-Bretagne - Annexe A1 de la loi de 1999 relative à l'emploi et aux relations sociales (langue originale) |
Document n° 8 |
Grande-Bretagne - Articles 178 à 187 de la loi de 1992 relative aux syndicats et aux relations sociales (langue originale) |
Document n° 9 |
Grande-Bretagne - Règlement de 2000 sur la méthode de négociation collective susceptible d'être imposée aux employeurs (langue originale) |
Document n° 10 |
Italie - Articles du code civil relatif aux accords collectifs (langue originale) |
Document n° 11 |
Italie - Deuxième partie du pacte tripartite de juillet 1993, relative aux accords collectifs (langue originale) |
Document n° 12 |
Pays-Bas - Loi du 24 décembre 1927 sur les accords collectifs (langue originale) |
Document n° 13 |
Pays-Bas - Loi du 25 mai 1937 relative au caractère obligatoire ou non des dispositions des accords collectifs (langue originale) |
Document n° 14 |
Pays-Bas - Loi du 12 février 1970 sur les salariés (langue originale) |
TABLEAU COMPARATIF
___
* 1 Selon l'expression du juriste italien Carnelutti.
* 2 Qui tenta d'imposer une organisation corporatiste et limita, par trois décrets-lois et par la « charte du travail », la portée des conventions collectives existantes.
* 3 Ainsi, même non étendue, la convention collective ne peut être négociée que par les organisations syndicales et doit s'appliquer à tous les salariés.
* 4 Les dernières statistiques en la matière ont été publiées dans « Premières informations et premières synthèses », n° 29-2, juillet 1999.
* 5 Pour reprendre l'expression employée par la commission présidée par M. Michel de Virville dans son récent rapport « Pour un code du travail plus efficace », janvier 2004.
* 6 C'est ainsi par exemple que les accords d'entreprise ont pu jouer un rôle innovant, les accords de branche ou interprofessionnels reprenant alors le fruit de ces accords.
* 7 On observera toutefois que le poids des non-syndiqués est en baisse continue depuis dix ans, leur résultat étant passé de 31 % en 1991 à 23 % en 2001.
* 8 Même si celle-ci a été reconnue par la jurisprudence de la Cour de cassation.
* 9 Images économiques des entreprises et des groupes au 1 er janvier 2002.
* 10 Ainsi, en matière d'intéressement et de participation ou de prévoyance complémentaire, il est admis que les accords peuvent être négociés et conclus avec les représentants du personnel ou approuvés par la majorité des salariés, sans intervention syndicale.
* 11 Cet accord a été signé par le CNPF, la CGPME, la CFDT, la CFTC et la CGC.
* 12 Selon les termes mêmes du préambule de l'accord.
* 13 Rapport de M. Yves Robineau, « Loi et négociation collective », 15 mars 1997.
* 14 C`est le cas par exemple pour les règles d'indexation ou pour les litiges.
* 15 S'il est considéré comme un principe général du droit par la Cour de cassation et le Conseil d'État, la première en généralise la portée à l'ensemble des sources (Cass. soc., 17 juillet 1996) alors qu'il ne vaut, pour le second, que dans les rapports entre loi et conventions collectives (8 juillet 1994 et 27 juillet 2001).
* 16 Voir notamment les décisions n° 89-257 DC du 25 juillet 1989, n° 96-383 DC du 6 novembre 1996 et n° 97-388 DC du 20 mars 1997.
* 17 « La réforme de la négociation collective », Petites affiches, n° 232, 20 novembre 2003.
* 18 « L'information sur les conventions collectives en France et dans cinq pays européens », juillet 2003.
* 19 Dans un rapport d'information présenté par votre rapporteur « L'actionnariat salarié : vers un véritable partenariat dans l'entreprise », n°500, 1998-1999.
* 20 On observera toutefois que le code du travail prévoit déjà, dans certains cas, un aménagement de ces règles soit en requérant l'unanimité des parties (c'est le cas pour les accords d'organisation des élections en application des articles L. 423-3 et L. 423-13), soit en introduisant un droit d'opposition des organisations syndicales majoritaires à la révision d'un accord collectif réduisant un ou plusieurs avantages (article L. 1327) et à la conclusion d'un « accord dérogatoire » (article L. 132-26).
* 21 On compte aujourd'hui, en application de l'arrêté du 31 mars 1966, quatre confédérations syndicales représentatives au plan national interprofessionnel (CFDT, CFTC, CGT, CGT-FO), la CFE-CGC ne bénéficiant que de la présomption de représentativité pour les seuls accords intéressant les cadres.
* 22 Qui peut être indifféremment une convention de branche ou un accord professionnel.
* 23 On observera à ce propos que cette consultation vise moins à apprécier stricto sensu la « représentativité » des organisations syndicales, qui reste définie par l'article L. 133-2 du code du travail, que leur « audience » effective, seul critère permettant d'apprécier leur caractère majoritaire.
* 24 On rappellera que ces conditions d'électorat fixent un âge minimal (seize ans), une ancienneté minimale dans l'entreprise (trois mois) et la nécessité de jouir de ses droits civiques.
* 25 Comme c'est actuellement le cas pour l'exercice du droit d'opposition à l'entrée en vigueur des « accords dérogatoires » fixé à l'article L. 132-26 du code du travail.
* 26 On peut penser par exemple aux cadres.
* 27 Ainsi, pour l'exercice du droit majoritaire d'opposition, la majorité s'appréciera en fonction des suffrages exprimés et non pas des inscrits, 50 % des inscrits équivalant environ à 70 % des votants...
* 28 On observera d'ailleurs que ces deux droits d'opposition (prévus aux articles L. 132-7 et L. 132-26 du code du travail) sont par ailleurs supprimés, seuls subsistant alors le droit d'opposition suspensif à l'extension des accords.
* 29 Arrêt du 5 octobre 1999 de la Chambre sociale de la Cour de cassation.
* 30 Issu de sa rédaction par la loi du 13 novembre 1982.
* 31 On observera toutefois, comme le note M. Jean-Paul Anciaux dans son rapport que, contrairement aux dispositions de l'article 36, le présent article ne prévoit pas de dispositif spécifique pour permettre le maintien de clauses dérogatoires lorsque le champ conventionnel évolue. Ce serait en effet inutile dans la mesure où la situation actuelle de l'article L. 132-23 (à la différence de celle de l'article L. 132-13) n'évoque que l'obligation d'adaptation, sans faire référence au principe de faveur.
* 32 Un exemple est fourni par l'accord du 12 décembre 2001 relatif au développement du dialogue social dans l'artisanat.
* 33 La mutualisation concerne ici le financement des frais fixes inhérents aux PEI (fonctionnement des conseils de surveillance des FCPE, financement de la formation des salariés membres des conseils de surveillance...) ou les règles d'abondement minimal dû par les entreprises.
* 34 Celles concernant le code rural et le code du travail maritime ne faisant, pour l'essentiel, que les décliner.
* 35 Voir en dernier lieu sa décision n° 2003-465 DC du 13 janvier 2003 sur la loi du 19 janvier 2003.
* 36 Commentaire de la décision précitée du 13 janvier 2003 aux Cahiers du Conseil constitutionnel (n° 14).
* 37 Et modifie par coordination l'article L. 132-18.
* 38 Et conformément également à la jurisprudence qui admettait que l'accord de groupe ait un périmètre moins large que le groupe dès lors qu'il porte sur les sujets d'intérêt commun aux entreprises ou secteurs concernés.
* 39 A cet égard, il convient d'observer que cette reconnaissance concerne aussi bien l'accord que la convention. On rappellera que la convention a pour objet de traiter de l'ensemble des conditions d'emploi et de travail et des garanties sociales.
* 40 Voir sur ce point l'arrêt du 20 mars 1980.
* 41 On rappellera d'ailleurs que c'est sur ce point que portait l'arrêt AXA France du 30 avril 2003.
* 42 Introduit par la loi du 13 novembre 1982.
* 43 C'est en tout cas la lecture qu'en a fait M. Michel Jalmain, secrétaire national de la CFDT : « S'y ajoutent les commissions paritaires locales, qui peuvent ouvrir la voie à une prise en charge mutualisée des problèmes locaux. En effet, des accords d'intérêts locaux peuvent être conclus, ce qui peut être intéressant pour traiter de questions d'emploi, d'insertion, de RMI et de RMA, d'exclusion, des jeunes... ». Cf. annexe.
* 44 Cf. rapport de l'IGAS, « L'information sur les conventions collectives en France et dans cinq pays européens », juillet 2003..
* 45 Rapport n° 125 (2000-2001) de M. Alain Gournac - Séance du 14 décembre 2000.
* 46 Sous une forme toutefois légèrement différente puisqu'il s'agissait de maintenir le seuil d'imposition à partir de la 38 ème heure jusqu'au 31 décembre 2004.
* 47 Dans la mesure où la loi empiète sur un domaine désormais prioritairement réservé à la négociation collective...
* 48 Laquelle comporte un volet positif (faculté d'adhérer à un syndicat de son choix) et un volet négatif (droit de ne pas adhérer).
* 49 Et il conviendrait que les salariés mandatés en application de l'article 41 du projet de loi soient également pris en compte.
* 50 Devenu, dans la rédaction transmise par l'Assemblée nationale, le paragraphe I bis.
* 51 L'article L. 136-2 du code du travail prévoit que la CNNC est notamment chargée de « faire, au ministre chargé du travail, toute proposition de nature à favoriser le développement de la négociation collective ».
* 52 Et notamment en matière d'avis sur les projets de textes communautaires et de propositions sur le mode de transposition.
* 53 On rappellera en outre qu'un décret du 23 juillet 2003 a, dans le même temps, réduit le plafond des garanties de l'AGS.
* 54 Son rapporteur s'y étant toutefois déclaré favorable, à titre personnel, en séance.
* 55 Mais aussi avec l'état actuel du code du travail qui prévoit une obligation annuelle de négocier dans l'entreprise sur la mise en place de dispositifs d'épargne salariale (dont le PEE).
* 56 Ultérieurement modifié par la loi du 17 juin 1987, puis par la loi de finances pour 1992.
* 57 Mais ce risque d'endettement excessif existait surtout avant l'aménagement du RES réalisé par la loi de finances pour 1992.
* 58 « L'actionnariat salarié : vers un véritable partenariat dans l'entreprise », n° 500, 1998-1999.
* 59 Article L. 444-3 du code du travail.
* 60 La formule repose en effet sur le bénéfice fiscal et non le bénéfice comptable : la base de calcul de la réserve spéciale de participation est donc nulle pour les entreprises exonérées en totalité d'impôt.
* (61) Voir l'étude de législation comparée LC 58 sur la participation des salariés à la gestion des entreprises.
* ( 62 ) Voir l'étude de législation comparée LC 58 sur la participation des salariés à la gestion des entreprises.
* (63) Voir l'étude de législation comparée LC 87 sur la représentativité des syndicats de salariés.
* (64) À la différence de ce qui existait pendant la République de Weimar, la loi sur les accords collectifs ne prévoit pas la conciliation obligatoire de l'État, qui serait considérée comme incompatible avec la liberté d'association, garantie par la Loi fondamentale.
* (65) Voir l'étude de législation comparée LC 87 sur la représentativité des syndicats de salariés.
* (66) Voir l'étude de législation comparée LC 87 sur la représentativité des syndicats de salariés.
* (67) Dans une entreprise, l'ensemble des salariés adhérents au même syndicat peut former librement une section syndicale. Lorsque l'entreprise a un effectif supérieur à 250, les sections syndicales sont représentées par des délégués syndicaux.
* (68) Les dispositions législatives analysées ne s'appliquent pas en Irlande du Nord.
* (69) Voir l'étude de législation comparée LC 87 sur la représentativité des syndicats de salariés.
* (70) Le CAC est une institution arbitrale permanente, à représentation tripartite, instituée en 1975.
* (71) Voir l'étude de législation comparée LC 87 sur la représentativité des syndicats de salariés.
* (72) L'accord interconfédéral du 1er décembre 1993 subordonnait leur élection à l'adoption d'accords de branche ad hoc.
* (73) Pour permettre l'extension des accords collectifs, une loi de 1959 avait autorisé le gouvernement à donner, par décret, force de loi à certains. Ce système a été abandonné quelques années plus tard. Quelques-uns de ces accords sont encore en vigueur.
* (74) Voir l'étude de législation comparée LC 58 sur la participation des salariés à la gestion des entreprises.