b) Un dialogue social mis à mal par l'emprise croissante du législateur
A ces
mutations économiques et sociales s'ajoute une attitude nouvelle du
législateur.
Jusqu'à la fin des années 1970, le partage effectif des
responsabilités entre le législateur et les partenaires sociaux
témoignait d'une certaine harmonie laissant une large place à la
négociation collective principalement au niveau interprofessionnel ou au
niveau de la branche.
D'une part, la négociation précédait le plus souvent la
loi, celle-ci se contentant alors de reprendre et de transposer les accords
collectifs et notamment les accords interprofessionnels ou d'intervenir en
l'absence d'accord.
Le rapport de la « commission Virville » esquisse à
cet égard un bilan de cette pratique :
« Les accords de Grenelle, conclus à la suite des
événements de mai 68, ont débouché sur
l'adoption, dans la loi du [27] décembre 1968, des dispositions
relatives à la section syndicale dans l'entreprise. De même, la
loi du 19 janvier 1978 sur la mensualisation a repris et
généralisé l'accord national interprofessionnel du
10 décembre 1977. L'abaissement à 39 heures de la
durée légale hebdomadaire du travail par l'ordonnance du
16 janvier 1982 est directement issu du protocole d'accord du
17 juillet 1981.
« Les dispositions législatives relatives à la
formation professionnelle sont, pour la plupart, issues des accords
interprofessionnels de 1971, 1991 et 2003. De même, le régime de
la procédure de licenciement pour motif économique constitue la
transcription de l'accord du 20 octobre 1986 et de son avenant du 22 juin 1989
modifiant l'accord interprofessionnel du 10 février 1969. On peut encore
citer le régime des CDD et de l'intérim, issu de l'accord du 24
mars 1990, ou les règles régissant la négociation dans les
entreprises dépourvues de délégués syndicaux,
définies par l'accord du 31 octobre 1995 puis reprises par la loi du 12
novembre 1996. »
D'autre part, la loi sociale, et cela en stricte conformité avec les
dispositions de l'article 34 de la Constitution, se limitait le plus souvent
à fixer les principes généraux du droit du travail, sans
entrer par trop dans le détail, laissant alors une place significative
à la négociation collective pour fixer les modalités
d'application de ces principes généraux aux
spécificités de chaque branche, de chaque territoire ou de chaque
entreprise.
Ce partage harmonieux des rôles entre le législatif et le
contractuel a vécu.
D'une part, la loi sociale est progressivement intervenue dans des domaines
sans cesse plus larges et est parallèlement devenue plus précise,
plus pointilleuse, réglant jusque dans le détail les relations du
travail et réduisant alors souvent à la portion congrue la place
de la négociation collective.
Face à l'emprise croissante du législateur, et bridée par
le principe dit « de faveur », la négociation
collective n'a désormais plus d'espace pour se développer, hormis
les cas où la loi renvoie expressément à l'accord le soin
de préciser ses modalités de mise en oeuvre, dans un cadre
toutefois le plus souvent très strict.
D'autre part, la pratique traditionnelle liant toute réforme
substantielle du droit du travail à la conduite d'une négociation
préalable n'a plus été respectée.
A cet égard, le précédent gouvernement porte une lourde
responsabilité en ayant réformé en profondeur deux des
domaines les plus importants du droit du travail sans avoir permis l'engagement
préalable d'une négociation, ni même avoir mené une
réelle consultation des partenaires sociaux. Votre rapporteur fait ici
bien évidemment référence au droit du temps de travail
- au travers des lois du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000 - et au
droit du licenciement économique - par la loi dite de
« modernisation sociale » du 17 janvier 2002.