2. Revoir l'articulation des sources du droit du travail
a) L'articulation entre la loi et la négociation collective
Notre
droit du travail est régi par le principe de l'ordre public
social : sauf pour quelques rares matières régies par
l'ordre public absolu
14
(
*
)
et auxquelles les accords collectifs ne peuvent déroger ni dans un sens,
ni dans l'autre, l'accord collectif ne peut que comporter des dispositions plus
favorables aux salariés que celles des lois et règlements en
vigueur, sauf si la loi l'autorise expressément : on parle alors
d'« accords dérogatoires ».
Ce principe fondamental, codifié à l'article L. 132-4 du code du
travail, n'est bien entendu pas remis en cause par le projet de loi.
En revanche, celui-ci aborde, au moins dans son exposé des motifs, la
question de l'articulation entre la loi et la négociation collective non
pas sous l'angle de leur hiérarchie, mais de leur place respective, dans
le prolongement des propositions de la Position commune.
Il ne s'agit donc pas ici de revoir les domaines respectifs de la loi et de
l'accord, ce partage relevant en droit de la Constitution, mais de mieux en
organiser les conditions de mise en oeuvre d'une double manière.
favoriser l'application de la loi par accord collectif au niveau le
plus approprié
La Position commune précise, à son point III-1, son souci,
concernant le « domaine partagé » entre le
législateur et les interlocuteurs sociaux que
« les
modalités d'application des principes généraux
fixés par la loi [soient] négociés, au niveau
approprié, par les interlocuteurs sociaux. »
A ce titre,
l'article 38
du projet de loi prévoit que, dès
lors que le code du travail renvoie à un accord de branche la
tâche de mettre en oeuvre une disposition législative, cette mise
en oeuvre puisse en principe également se faire par accord d'entreprise.
définir une charte de méthode pour l'élaboration
des lois réformant le droit du travail
Dans le souci de laisser suffisamment d'espace à la négociation
collective, notamment au niveau interprofessionnel, et de créer une
complémentarité dynamique entre la loi et l'accord, la Position
commune exprime le souhait, à son point III-3, que le
législateur, tout en gardant naturellement son pouvoir d'initiative,
puisse fonder, dans la mesure du possible, son intervention sur les fruits du
dialogue social :
« Il conviendrait de prévoir que :
« - les interlocuteurs sociaux puissent au niveau national
interprofessionnel, prendre, s'ils le souhaitent, le relais d'une initiative
des pouvoirs publics dans leur champ de compétence,
« - les accords auxquels ils parviendraient dans une telle
hypothèse, ou encore à leur propre initiative dans un domaine qui
requiert des modifications législatives, puissent entrer en vigueur dans
le respect de leur équilibre.
« En pratique, la mise en oeuvre de ces principes est susceptible
d'être organisée sous plusieurs formes. A titre d'exemple, on
pourrait concevoir que préalablement à toute initiative
législative dans le domaine social, les interlocuteurs sociaux doivent
être officiellement saisis par les pouvoirs publics d'une demande d'avis
sur son opportunité. A l'issue de cette consultation, si l'initiative
était maintenue, la faculté devrait leur être offerte de
traiter le thème faisant l'objet de ladite initiative par voie
conventionnelle dans un délai à déterminer. En cas de
refus des interlocuteurs sociaux de traiter la question par la
négociation collective ou en l'absence d'accord à l'issue du
délai fixé pour la négociation, l'initiative
législative reprendrait son cours. A l'inverse, si la négociation
aboutissait à un accord, celui-ci devrait être repris par le
législateur dans le respect de son équilibre. »
Ce souci d'organiser la collaboration entre le législateur et les
partenaires sociaux ne relève à l'évidence pas du cadre
d'une loi ordinaire, même si le rapport de la commission
précitée par M. Michel de Virville formule une proposition
en ce sens. Dans la mesure où les règles relatives à
l'initiative des lois sont fixées par la Constitution et puisque le
législateur ne peut s'autodessaisir de sa capacité à
modifier la loi, ce sujet ne peut alors être valablement abordé,
de manière normative, par le présent texte.
Mais le projet de loi n'est pourtant pas muet sur ce point puisque son
exposé des motifs pose le principe d'une concertation effective avec les
partenaires sociaux et, le cas échéant, d'une négociation
préalable à toute réforme substantielle modifiant
l'équilibre des relations sociales et évoque l'adoption à
venir d'une «
charte de méthode
» en la
matière :
« Sans affecter les responsabilités du Gouvernement et du
Parlement, telles qu'elles sont définies par la Constitution, la
présente loi doit être l'occasion tout à la fois d'affirmer
et de montrer l'application concrète du principe, déjà
institué au sein de l'Union européenne, selon lequel toute
réforme substantielle modifiant l'équilibre des relations
sociales doit être précédée d'une concertation
effective avec les partenaires sociaux et, le cas échéant, d'une
négociation entre ceux-ci.
« A cet égard, le Gouvernement prend l'engagement solennel de
renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle toute
réforme de nature législative relative au droit du travail. Par
conséquent, il saisira officiellement les partenaires sociaux, avant
l'élaboration de tout projet de loi portant réforme du droit du
travail, afin de savoir s'ils souhaitent engager un processus de
négociation sur le sujet évoqué par le Gouvernement.
« Le Gouvernement proposera à la Commission nationale de la
négociation collective d'adopter une charte de méthode fixant les
modalités pratiques de ce renvoi à la négociation
collective interprofessionnelle, et notamment les délais de
réponse des partenaires sociaux. »
En ce sens, la mise en oeuvre d'une telle règle de conduite ne pourra
que modifier en profondeur les conditions d'élaboration du droit du
travail en ouvrant, dans le respect des principes constitutionnels, un champ
plus large à la négociation collective. Sans dessaisir le
législateur ou reconnaître une quelconque « loi
négociée », elle permettra alors de formaliser une
coopération constructive entre législateur et partenaires
sociaux, qui ne pourra qu'améliorer la qualité et surtout la
stabilité de la règle de droit.
* 14 C`est le cas par exemple pour les règles d'indexation ou pour les litiges.