3. L'aggravation inquiétante de l'absentéisme scolaire
a) Une réalité multiple
L'assiduité scolaire est un devoir, qui s'impose aux enfants scolarisés comme à leurs parents ou tuteurs, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 28 mars 1882 relative à l'obligation de l'instruction, dite « loi Ferry ».
Pour autant, le phénomène de l'absentéisme scolaire est une réalité qui atteint aujourd'hui des proportions inquiétantes. C'est pourquoi différents dispositifs ont été récemment mis en place pour étudier ce problème et y remédier, dans le but de favoriser la resocialisation et la réinsertion des jeunes en rupture avec le système scolaire, à l'instar du programme Nouvelles Chances ou des dispositifs relais.
La typologie des jeunes déscolarisés montre qu'il peut s'agir :
- d'élèves nouvellement arrivés de l'étranger en France, non identifiés ou en situation irrégulière ;
- d'enfants d'origine étrangère scolarisés un temps, puis retirés des établissements scolaires vers 12-13 ans pour travailler en famille ou dans des ateliers clandestins ;
- d'enfants du voyage ;
- d'élèves poly-exclus par décisions de conseils de discipline ;
- d'élèves qui ont fait l'objet d'orientations, notamment dans le cadre de l'adaptation ou de l'intégration scolaire (AIS), et dont la durée de certaines procédures d'affectation ou l'inadéquation des solutions proposées par rapport aux besoins réels ou ressentis (refus des parents, manque de places disponibles, etc.) peut conduire à une déscolarisation de fait ;
- d'élèves qui se sentent en danger en raison de la présence de bandes ou d'élèves de communautés rivales, et sont parfois sujets à une véritable phobie scolaire ;
- de jeunes délinquants en grande rupture sociale ou d'élèves « difficiles » que l'éducation nationale ne peut pas traiter.
Les jeunes les plus fragilisés socialement, psychologiquement et culturellement sont donc aussi les plus touchés par l'absentéisme scolaire. Il apparaît ainsi un lien incontestable entre ce phénomène et l'échec scolaire, qu'il en soit la cause ou la conséquence (85 % des élèves en situation d'absentéisme lourd sont également en échec scolaire), la délinquance et le travail illégal des mineurs de moins de seize ans.
Il semble en outre que le risque de rupture soit plus fréquent lors du passage de la maternelle à l'école primaire, de l'entrée en sixième ou entre le collège et le lycée, ainsi qu'au lycée professionnel.
Il apparaît enfin que le non-respect de l'obligation scolaire est un phénomène complexe, très souvent signe d'un mal-être de l'élève et de souffrances qui peuvent être d'origine scolaire, personnelle ou familiale.
En termes d'évolution, l'enquête nationale sur la santé des adolescents réalisée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a révélé une évolution différenciée de l'absentéisme selon le sexe au cours des années 1990 : alors que celui des garçons a faiblement diminué, celui des filles a augmenté, ce qui s'inscrit dans le cadre du constat du développement des troubles du comportement chez les jeunes filles au cours de la décennie (hausse de 10 % du suicide féminin, dépression, etc.).
L'absentéisme scolaire constitue donc un danger pour les jeunes concernés , notamment lorsqu'il est la conséquence de violences scolaires, d'une action délibérée des adultes responsables de l'enfant ou encore d'un emploi illégal. Ainsi, le manquement à l'obligation scolaire peut-il être sanctionné comme une carence éducative de la part des parents au sens du code pénal. En ce sens, c'est aussi une forme de maltraitance et la lutte contre l'absentéisme et le travail des enfants a, à ce titre, toute sa place dans le présent projet de loi.
b) Une augmentation certaine malgré des approches variées
Si son développement est évident, le phénomène n'est pas toutefois connu avec précision, tant les approches et les mesures de l'absentéisme sont diverses. Deux enquêtes récentes présentent une synthèse intéressante sur cette réalité complexe.
D'une part, une enquête menée auprès des chefs d'établissement du second degré sur le dernier trimestre de 1999 recense 0,8 % d'élèves concernés par les absences trimestrielles non justifiées comprises entre douze et quarante demi-journées (le seuil légal est de quatre demi-journées par mois) et 0,1 % d'élèves qui dépassent quarante demi-journées d'absence (absentéisme lourd). Les résultats de cette enquête soulignent par ailleurs la grande variabilité des politiques de signalement des établissements : 60 % des établissements totalisent l'ensemble des signalements d'absentéisme et 30 % d'entre eux signalent de l'absentéisme lourd. L'absentéisme est enfin lui-même concentré puisque 2,5 % des établissements déclarent au moins 1 % d'absentéisme lourd, l'exposition étant supérieure dans les grands établissements et les lycées professionnels. Dans certains lycées de zones sensibles, le taux d'élèves absents plus de quatre demi-journées par mois peut atteindre 20 % des effectifs.
L'extension de ces données est toutefois problématique en raison de la répartition inégale du phénomène, qui s'accroît en général au fur et à mesure de l'année scolaire.
Une seconde enquête, dite ABVI (absentéisme et violence), a été réalisée en octobre dernier par la direction de l'évaluation et de la prospective auprès des inspections académiques pour les années scolaires 2000-2001 et 2001-2002. Elle porte sur l'évaluation des dispositifs législatifs existants et concerne l'ensemble des élèves de six à seize ans.
Il en ressort que :
- 81.700 signalements à l'inspection académique, sur une population totale de sept millions d'élèves, ont été dénombrés en 2001-2002 (soit pour la population collégienne 1,9 à 2,5 % des élèves). L'enquête a notamment révélé des situations et des politiques départementales très diverses. Ainsi, treize départements, tous à dominante rurale, ont-ils déclaré moins de cent élèves alors que, a contrario , les onze départements qui ont déclaré plus de 2.000 signalements concentrent la moitié du nombre total d'élèves signalés. Au demeurant, toute comparaison doit être interprétée prudemment, dans la mesure où les politiques locales diffèrent grandement, du signalement systématique après quatre demi-journées d'absence non justifiées, à la déconcentration des avertissements aux familles, seuls les « réfractaires » étant signalés à l'inspection académique.
Sur les quatre-vingt-douze inspections ayant participé à cette enquête, la hausse des signalements en 2001-2002 par rapport à l'année précédente est de près de 10 % en moyenne. Cette augmentation, qui affecte les deux tiers des départements, est toutefois ambiguë puisqu'elle peut refléter soit un développement de l'absentéisme, soit une attention plus soutenue portée à ce problème par les établissements.
- Les avertissements adressés par l'inspection académique aux familles recensées sont au nombre de 58.300 en 2001-2002 (47.500 en 2000-2001), soit un taux d'avertissement de 70 % après signalement.
Le taux de reprise de scolarité après avertissement s'élève à 65 %. Ce chiffre est cependant difficilement interprétable, du fait de la diversité des pratiques départementales, du faible retour d'information relative à ces reprises en direction des inspections académiques, et du lien de causalité incertain entre l'avertissement et la reprise de la scolarité.
- Le taux de transmission des dossiers à la caisse d'allocations familiales (CAF) ou à la mutualité sociale agricole (MSA) atteint près de 20 % des signalements . Par ailleurs, environ 9.000 suspensions d'allocations familiales par les CAF ou la MSA ont été dénombrées en 2001-2002, dont le tiers dans le seul département de la Seine-Saint-Denis. Il est à noter, à cet égard, que ces données convergent avec celles transmises par la CNAF à votre commission.
- Enfin, le taux de signalement à la justice, rapporté au nombre de signalements à l'inspection académique, est de l'ordre de 5 % , taux quasi stable sur les deux années, alors que les seconds ont parallèlement augmenté de près de 10 %.
L'ampleur atteinte aujourd'hui par le phénomène fait donc douter de l'efficacité des moyens mis en oeuvre jusqu'alors. Le présent projet de loi a pour ambition de rénover la lutte contre l'absentéisme scolaire en proposant des sanctions mieux adaptées .