N° 402
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2002-2003
Annexe au procès-verbal de la séance du 17 juillet 2003 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de loi, MODIFIÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, visant à restreindre la consommation de tabac chez les jeunes ,
Par M. Dominique LARIFLA,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gilbert Chabroux, Jean-Louis Lorrain, Roland Muzeau, Georges Mouly, vice-présidents ; M. Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Claire-Lise Campion, M. Jean-Marc Juilhard, secrétaires ; MM. Henri d'Attilio, Gilbert Barbier, Joël Billard, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Jean Chérioux, Mme Michelle Demessine, M. Gérard Dériot, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Claude Domeizel, Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jean-Pierre Fourcade, Serge Franchis, André Geoffroy, Francis Giraud, Jean-Pierre Godefroy, Mme Françoise Henneron, MM. Yves Krattinger, Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, André Lardeux, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mmes Valérie Létard, Nelly Olin, Anne-Marie Payet, M. André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente, MM. Bernard Seillier, André Vantomme, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.
Voir les numéros :
Sénat : Première lecture : 77 , 168 et T.A. 66 (2002-2003)
Deuxième lecture : 394 (2002-2003)
Assemblée nationale ( 12 ème législ.) : 609 , 827 et T.A. 167
Santé publique |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
« Cette proposition de loi de loi vient, en effet, en discussion juste au moment où le Gouvernement s'apprête à déclarer la guerre au tabac ». Ces propos tenus par M. Jean-François Mattei, le 11 février dernier 1 ( * ) , démontrent, si besoin était, l'intérêt et la pertinence de la proposition de loi visant à restreindre la consommation de tabac chez les jeunes, déposée par M. Bernard Joly (Sénat - n° 77, 2002-2003).
Cette proposition de loi, inspirée d'une précédente initiative sénatoriale lors de l'examen en 1990 de la « loi Evin », s'inscrit dans un contexte de reprise de la politique de lutte contre le tabac, après une phase au cours de laquelle, selon le ministre 2 ( * ) de la santé, de la famille et des personnes handicapées, elle avait perdu en vigueur et en efficacité.
Aujourd'hui, les signes de cette vigueur renouvelée sont nombreux, et présents aussi bien au niveau international que national.
Au niveau international, les 192 pays membres de l'OMS viennent d'adopter le 21 mai dernier une convention-cadre de lutte contre le tabac. Le texte final de la déclaration souligne le consensus scientifique « irréfutable » autour des méfaits du tabac, dont la consommation « est cause de décès, de maladie et d'incapacité ».
Au sein de l'Union européenne, plusieurs législations nationales confortent la proposition de loi de notre collègue. Six Etats membres sur quinze interdisent ou restreignent la vente de tabac aux mineurs, notamment dans les pays nordiques. Par ailleurs, la majorité des régions autrichiennes refusent, en l'absence de législation nationale, la vente de tabac aux mineurs et, comme c'est le cas en Allemagne, des interdictions de fumer en public sont édictées à leur encontre.
En règle générale, seize ans est l'âge limite retenu pour l'application de ces restrictions ou de ces interdictions, seules la Finlande et la Suède ont fixé cet âge à dix-huit ans.
En France enfin, cette proposition de loi recoupe une part des propositions du Plan national de lutte contre le Cancer qui considère la lutte contre le tabagisme, y compris le tabagisme passif, comme un élément incontournable de toute politique visant à réduire la mortalité prématurée provoquée par le cancer.
L'un des objectifs du « plan Cancer » est de mettre en oeuvre une stratégie complète de lutte contre le tabac, de « déclarer la guerre au tabac » selon les termes employés dans le rapport de la commission d'orientation sur le cancer, dont une des recommandations est d'interdire la vente de tabac aux mineurs de moins de seize ans.
Le caractère indispensable de ces mesures est mis en lumière par les statistiques disponibles. Selon le bulletin épidémiologique hebdomadaire 3 ( * ) du 27 mai 2003, « le nombre de décès attribuable au tabac est égal à 66.000 dont 59.000 décès chez les hommes et 7.400 décès chez les femmes. Ceci représente 2 % de la mortalité masculine et 3 % de la mortalité féminine ».
Il ressort de cette même étude « qu'en France, le tabagisme a un effet plus important sur la mortalité prématurée que sur la mortalité dans la population âgée ».
Ainsi, cette proposition de loi participe du renforcement des moyens de la lutte contre le tabagisme et, comme le soulignait le ministre de la santé, de la famille, et des personnes handicapées, à l'occasion de l'examen de ce texte en première lecture au Sénat : « cette proposition de loi est hautement symbolique.(...) c'est un élément de plus qui contribue à « débanaliser » le tabac et à rendre la position des fumeurs chaque jour plus inconfortable ».
I. L'INTERDICTION DE VENTE AUX MINEURS : UNE MESURE DE NATURE À RENFORCER LA LUTTE CONTRE LE TABAGISME
Comme le soulignait votre rapporteur à l'occasion de la première lecture au Sénat, la proposition de loi soumise à votre examen « vise à interdire la vente de tabac aux mineurs. Elle a pour objet de diminuer la consommation tabagique des jeunes et d'éviter, dans la mesure du possible, l'expérimentation même du tabac, à un âge où l'acquisition des dépendances s'effectue de manière durable ».
Le texte de la proposition déposée par notre collègue, M. Bernard Joly, prévoyait l'interdiction de la vente de tabac aux mineurs de moins de dix-huit ans, la prise en charge des substituts nicotiniques, un gage fiscal et une sensibilisation au risque tabagique à l'école.
Les travaux de la commission des Affaires sociales et de son rapporteur avaient aménagé le texte initial, en choisissant notamment de ramener de dix-huit à seize ans, l'âge des mineurs visés par l'interdiction, et d'accompagner cette mesure de sanctions applicables aux buralistes qui contreviendraient à la loi.
A. LA PERTINENCE DE LA MESURE AU REGARD DE LA QUESTION DE L'ÂGE
Le dépôt de la proposition de loi et son inscription à l'ordre du jour du Sénat s'expliquent par le constat, préoccupant, du niveau élevé de la consommation de tabac dans notre jeunesse.
Selon les résultats d'une enquête réalisée en milieu scolaire dans une trentaine de pays européens, la consommation de tabac par les jeunes Français s'établissait, en 1999, au-dessus de la moyenne européenne. Deux jeunes Européens sur trois, âgés de seize ans, soit 69 % de cette classe d'âge, admettaient avoir fumé au moins une cigarette au cours de leur vie, et un sur trois, soit 37 % de l'ensemble, avait fumé au cours des trente jours ayant précédé l'entretien. En France, ces proportions étaient respectivement de 72 % et de 44 %.
Le « baromètre santé », réalisé en 2000 par le Comité français d'éducation pour la santé permet, quant à lui, d'établir que 36,7 % des jeunes Français âgés de douze à vingt-cinq ans déclarent fumer, ne serait-ce qu'occasionnellement. Cette proportion passe de 8,5 % chez les 12-14 ans à 40,9 % chez les 15-19 ans, et atteint un maximum de 47,6 % chez les 20-25 ans. Les résultats de cette enquête font également apparaître que le tabagisme concerne, à l'heure actuelle, autant les filles que les garçons.
Selon une autre enquête, réalisée en 2002 par la Fédération française de cardiologie auprès de quatre cents adolescents, l'âge moyen auquel on fume la première cigarette se situerait, aujourd'hui, à onze ans et trois mois. Par ailleurs, plus d'un quart des jeunes « apprentis fumeurs » ont déclaré avoir fumé leur première cigarette dès l'âge de dix ans.
Plusieurs raisons ont conduit la commission à adopter la décision d'abaisser l'âge des mineurs concernés par l'interdiction et tout d'abord la conviction qu'une interdiction générale pourrait entraîner des réactions brutales de rejet ou de contestation et serait susceptible de compromettre ce type de mesure aux yeux de l'opinion publique.
L'âge de seize ans est généralement retenu en droit français comme celui d'une « première émancipation » des mineurs, à partir duquel ceux-ci sont autorisés à prendre, de manière relativement autonome, certaines décisions personnelles.
Enfin il est généralement plus facile d'identifier « du premier coup d'oeil » un mineur de moins de seize ans que de déterminer sans hésitation l'âge exact d'un grand adolescent.
Au total, cette interdiction, qui repose sur un constat sanitaire maintenant bien établi et s'inspire des règles régissant la vente d'alcool aux mineurs dont personne ne remet en cause le principe et la nécessité, renforce la cohérence de ces mesures sociales de protection des mineurs de moins de seize ans et devrait aider parents et éducateurs dans leurs missions quotidiennes.
* 1 Sénat, séance publique du 11 février 2003.
* 2 Idem.
* 3 BEH publié sous l'égide de l'Institut de veille sanitaire. Tabagisme et mortalité : aspects épidémiologiques, Mmes Hill et Laplanche.