2. La réalité du diagnostic
Tous les travaux sur l'impact économique du vieillissement démographique et sur l'avenir des retraites procèdent de simulations macro-économiques postulant la pérennité du système économique et social actuel. Les résultats obtenus ne constituent donc que des projections . Les simulations effectuées s'appuient en effet sur des hypothèses dont chacune peut être discutée.
On observera cependant que, si des projections aussi lointaines que 2040 sont inhabituelles en France, elles se pratiquent couramment dans d'autres pays qui travaillent parfois à des échéances plus lointaines encore : 60 ans, voire 70 ans dans certains cas.
Il reste que le précédent gouvernement disposait en avril 1999, à mi-parcours de la législature, d'un diagnostic sans ambiguïté et, de surcroît, d'un solide inventaire des solutions.
a) Un diagnostic bien établi
Quelles que soient les hypothèses retenues, le rapport Charpin faisait apparaître que les besoins de financement de l'ensemble des régimes seront amenés à s'accroître entre 2000 et 2040. Cette progression sera la plus forte entre 2005 et 2020 et continuera au-delà de cette date. La situation reste cependant contrastée. Il est possible de regrouper les régimes en trois catégories :
• les régimes qui ont actuellement de fortes ressources de compensation démographique, et qui apparaissent de fait comme ayant un déséquilibre initial (CANCAVA, ORGANIC, régimes agricoles, régime des marins, régime des mines, régime des ouvriers de l'Etat et SNCF) verraient leurs besoins de financement évoluer le plus faiblement. Ces régimes devraient cependant perdre les ressources de compensation qui assurent actuellement en partie leur équilibre financier global ;
• les régimes tels que l'AGIRC, l'ARRCO, la CNAVPL ou les régimes complémentaires des professions libérales , dont la situation démographique se dégrade rapidement mais qui, grâce à la stabilité de leur pension moyenne liée aux hypothèses d'indexation, parviennent à limiter la dégradation de leur solde ;
• les autres régimes (en particulier le régime général, le régime des fonctionnaires de l'Etat, la CNRACL, l'IRCANTEC et le régime EDF-GDF ) dont la situation démographique initiale est favorable. Ces régimes subissent une forte dégradation démographique qui n'est pas compensée par un écart important d'évolution entre salaire moyen et pension moyenne. Leurs besoins de financement (ou la hausse relative de la contribution d'équilibre de l'employeur) s'accroissent fortement.
Le rapport était novateur dans sa comparaison du régime des salariés du privé et des salariés du public . Il faisait apparaître l'écart croissant entre les régimes . Il mettait en évidence les principales règles qui différencient le régime général et les régimes spéciaux et qui sont susceptibles de procurer un avantage relatif à ces derniers :
- les régimes spéciaux permettent des départs anticipés ; la répartition des départs au régime général se concentre autour de deux âges : à 60 ans, âge minimum légal de la retraite et à 65 ans, où le taux plein est acquis quelle que soit la durée d'assurance ; pour la fonction publique et la CNRACL, la distribution des départs présente deux pics à 55 ans et 60 ans ; dans les régimes d'entreprises, l'âge moyen de départ en retraite est de 53,5 ans à la RATP, de 54,1 ans à la SNCF et de 55,6 ans à EDF-GDF ;
- l'importance des bonifications d'annuité ; le taux de liquidation dans les régimes d'entreprises est proche de 70 %, malgré une durée de cotisation limitée : 120 trimestres à la RATP, 130 trimestres à la SNCF et au régime des industries électriques et gazières (IEG) ; ceci est dû à l'attribution de bonifications de durée d'assurance, qui atteignent en moyenne, pour les personnels masculins, 3,3 ans à la SNCF, 4 ans aux IEG et 5,4 ans à la RATP ; il en résulte que, dans ces régimes, les retraités de moins de 60 ans représentent entre 15 et 25 % du total des pensions de droit direct ;
- le rendement de la retraite des salariés du secteur privé se réduit du fait de la réforme de 1993 ; celle-ci incite en effet les salariés à reporter leur départ en retraite à la date d'obtention du taux plein correspondant à terme à 40 annuités de cotisations (à ce jour l'âge moyen d'entrée dans la vie active est de 21,6 ans) ;
- si les régimes garantissent aujourd'hui des taux de remplacement nets comparables, l'écart devrait se creuser entre les salariés qui ont fait l'objet de réformes et les autres : mesuré par le SESI, le taux de remplacement net des salariés nés en 1926 et ayant effectué une carrière complète s'élève, en moyenne, à 80 % au régime général et 76 % pour la fonction publique civile ; les simulations réalisées pour le futur sur des carrières types complètes représentatives montrent que le taux de remplacement des salariés du privé se réduit du fait de la réforme de 1993 et surtout de la forte baisse de rendement des régimes complémentaires du privé ; à l'inverse, les taux de remplacement restent stables pour les salariés du public.
Le rapport notait que, dans la plupart des régimes, les avantages familiaux non contributifs sont importants : majorations de 10 % pour enfants élevés, bonifications de durée d'assurance accordées aux mères de famille, validation sous condition de ressources des années d'inactivité consacrées à élever les enfants de moins de six ans (assurance vieillesse des parents au foyer), possibilité dans les régimes spéciaux de départ à la retraite sans condition d'âge pour les mères de famille de trois enfants ou plus ; le coût de ces avantages est estimé à 73,7 milliards de francs partiellement financés par la CNAF et le FSV.
b) Un inventaire de solutions répertoriées
Dans ce contexte, le rapport Charpin examinait plusieurs pistes de réformes susceptibles d'assurer la viabilité du système de retraite par répartition : l'allongement à 170 trimestres de la durée d'assurance nécessaire à l'obtention du taux plein, la constitution de réserves permettant d'amortir le choc démographique, l'élargissement de l'assiette des cotisations et l'aménagement de différents dispositifs susceptibles d'avoir un impact sur le besoin de financement des régimes.
• L'allongement à 170 trimestres de la durée d'assurance nécessaire à l'obtention du taux plein
Cette mesure, mise en oeuvre progressivement au rythme d'un trimestre par génération, permettait, selon le rapport, de contrecarrer la forte augmentation de la population des retraités. Le rapport relevait qu'elle n'avait de sens que si deux conditions étaient satisfaites :
- il ne faut pas que cette mesure conduise à retarder l'entrée des jeunes dans la vie active ;
- il ne faut pas que l'âge effectif de cessation d'activité reste notablement inférieur à l'âge de départ en retraite ; il faut donc limiter le recours aux dispositifs de préretraite.
Selon le rapport, ces conditions pourraient être satisfaites si, conformément aux scénarios macro-économiques retenus, la forte augmentation des départs en retraite conduit à réduire fortement le chômage à l'horizon 2010.
Il s'agissait donc pour le Commissaire général du plan de prolonger la réforme de 1993 pour les salariés du privé et au rythme d'un trimestre par génération.
Mais il s'agissait aussi, pour les régimes qui n'ont pas été réformés, de rattraper le retard pour atteindre, pour l'ensemble des régimes, 170 trimestres à l'horizon 2020.
Le relèvement de la durée d'assurance nécessaire à l'obtention du taux plein se serait accompagné de deux mesures complémentaires :
- la réduction de moitié de l'abattement par trimestre manquant d'assurance tous régimes, qui passerait de 2,5 % au régime général à 1,2 % en 2020, cet abattement étant généralisé à l'ensemble des régimes, en particulier les régimes spéciaux ;
- la proratisation de la pension en fonction de la durée d'assurance à chaque régime fixée à 1/170 ème .
L'orientation retenue par le rapport visait à inciter au décalage de l'âge de départ à la retraite entre 60 et 65 ans et non à contraindre au travail au-delà de 65 ans. A partir de cet âge, aucun abattement n'était retenu sur le niveau de la pension tandis qu'un dispositif supprimait, sous certaines conditions, l'effet du passage à une proratisation à 1/170ème.
Les effets du relèvement de la durée d'assurance dépendent des modifications de comportement induites par cette mesure. Dans l'hypothèse où les actifs choisissent de reporter leur départ en retraite afin d'obtenir le taux plein, la population active est majorée de 420.000 personnes en 2010, 920.000 personnes en 2020 et environ 1,4 million en 2040.
En intégrant l'effet des cotisations supplémentaires consécutives à l'augmentation de la population active, les besoins de financement apparaissaient notablement réduits - mais pas complètement supprimés - par la réforme.
• La constitution de réserves
Cette voie a été retenue par de nombreux pays pour consolider les systèmes de retraite publics.
L'ampleur des réserves à constituer varie suivant que l'on se limite à lisser temporairement les besoins de financement de moyen terme des régimes de retraite ou que l'on souhaite assurer de manière permanente, par les produits de placement du fonds, un complément de ressources aux cotisations.
Dans le premier cas (lissage des besoins de financement), le montant des réserves à constituer représente 3 à 4 points de PIB. Dans le second cas, il faut accumuler, dans l'hypothèse d'un rendement moyen des actifs supérieur de 1 point au taux obligataire 3 ( * ) , 28 points de PIB pour diminuer le besoin de financement d'1,5 point de cotisations.
Dans le cas d'un fonds permanent, l'apport de ressources est d'autant plus important que le rendement des placements est élevé, ce qui conduit à orienter partiellement les investissements vers le marché actions.
• L'élargissement de l'assiette des cotisations
Cette piste n'est pas très approfondie par le rapport, qui prend néanmoins acte de ce que l'intégration dans l'assiette des cotisations d'éléments de rémunération actuellement non soumis à prélèvement - telles les primes des fonctionnaires de l'Etat - conduirait, à terme, à majorer les charges de retraite.
Le rapport examine la possibilité de déplafonner les cotisations sociales patronales, ce qui rendrait le prélèvement global sur les salaires du privé très progressif. Il évoque les conséquences d'un éventuel basculement des cotisations de retraite sur la CSG, qui accroîtrait la pression fiscale sur les retraités et les revenus de capitaux.
• L'aménagement de certains dispositifs
Le rapport évalue les conséquences d'une modification de l'indexation des salaires dans les régimes du privé.
Depuis la réforme de 1993, l'indexation des salaires portés au compte des assurés du régime général est effectuée conformément à l'évolution des prix. Les conséquences d'un changement de cette indexation - et non de l'indexation des pensions - au profit d'une indexation sur l'évolution des salaires conduiraient à majorer en 2040 les dépenses du régime général de 20 % environ, soit 6 points de cotisation.
Le rapport étudie également la possibilité de faire financer par la branche famille l'ensemble des avantages familiaux liés aux retraites, tandis que pourrait être envisagée une meilleure prise en compte dans la durée d'assurance de certaines périodes d'activité ou d'inactivité. Le rapport évoque enfin l'éventualité de prendre en compte, dans la durée d'assurance, la pénibilité du travail, sous réserve de mettre en place un système de modulation de la cotisation des entreprises concernées.
En conclusion, le rapport du Commissariat général du Plan recommandait d'engager dès à présent la réforme du système de retraite, avant que le choc démographique ne fasse sentir ses effets, c'est-à-dire avant 2006 :
- si l'on veut décaler l'âge de la retraite, il faut pouvoir le faire progressivement pour éviter de désavantager certaines générations et soumettre le marché de l'emploi à un choc soudain ;
- si l'on veut recourir à des mécanismes de capitalisation, en complément de la gestion en répartition, il faut accumuler un capital suffisant avant que soit atteinte la période de plus fort déséquilibre des régimes de retraite. Ceci contraint à démarrer l'accumulation avant le début de la phase de dégradation.
Le rapport recommandait enfin de relayer le débat national par des négociations décentralisées au sein des régimes et de mettre en place un dispositif de pilotage.
Sans surprise, le rapport Charpin confirmait donc une nouvelle fois la nécessité et l'urgence de réformer notre système de retraite.
En définitive, le précédent gouvernement n'a retenu du rapport qu'il avait lui-même diligenté que les mesures d'accompagnement d'une réforme dont le principal a été renvoyé à plus tard : un fonds de réserve chichement pourvu et ignorant tout, en l'absence de réforme, des échéances auxquelles il était censé faire face et la structure d'un futur dispositif de pilotage qui, n'ayant rien à piloter, a repris à la base le travail pédagogique du rapport Charpin, à une échéance telle (fin 2001) qu'il était clair pour tous qu'elle oeuvrait désormais pour la prochaine législature.
* 3 Le taux réel obligataire de long terme est supposé égal à 2,5 %.