N° 329

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003

Annexe au procès-verbal de la séance du 4 juin 2003

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant la ratification de l' accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la République algérienne démocratique et populaire , d'autre part (ensemble six annexes, sept protocoles, un acte final, cinq déclarations communes et neuf déclarations unilatérales),

Par M. Claude ESTIER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. André Dulait, président ; MM. Robert Del Picchia, Jean-Marie Poirier, Guy Penne, Michel Pelchat, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, secrétaires ; MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Jacques Blanc, Didier Borotra, Didier Boulaud, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Ernest Cartigny, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Paul Dubrule, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Jean Faure, Philippe François, Jean François-Poncet, Philippe de Gaulle, Mme Jacqueline Gourault, MM. Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Philippe Madrelle, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis Moinard, Xavier Pintat, Jean-Pierre Plancade, Bernard Plasait, Jean Puech, Yves Rispat, Roger Romani, Henri Torre, Xavier de Villepin, Serge Vinçon.

Voir le numéro :

Sénat : 184 (2002-2003)

Traités et conventions.

Pages

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Votre rapporteur tient, avant toutes choses, à exprimer au nom de votre Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sa très grande tristesse devant le drame que vit l'Algérie à la suite de secousses sismiques à répétition qui ont déjà fait plus de 2 000 morts, plus de 10 000 blessés et des dizaines de milliers de sans abris.

Les populations durement touchées expriment une légitime colère, soulignant que l'ampleur du drame est due pour une large part au fait que les autorités ont laissé construire des habitations ne tenant aucun compte des risques sismiques, qui existent dans cette région et qui ont déjà valu à l'Algérie de grandes catastrophes. La colère s'est aussi exprimée face au retard, à la faiblesse ou à l'absence des secours, une grande partie de ceux-ci étant venus de l'étranger et plus particulièrement de France où un grand mouvement de solidarité s'est manifesté. Le Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, a d'ailleurs annoncé récemment que la France allait consentir à l'Algérie un prêt à condition privilégiée de 30 à 50 millions d'euros pour faire face à la reconstruction.

Ce drame a encore accru l'hostilité, voire le mépris, d'une grande partie des Algériens à l'égard du pouvoir politique comme on a pu le constater lors de la visite du président Bouteflika à Boumerdès d'où il a dû repartir rapidement sous les jets de pierre.

On est très loin de la liesse populaire qui avait accompagné la visite du président Jacques Chirac à Alger et à Oran les 2, 3 et 4 mars dernier. Présent parmi les invités du président en sa qualité de président du groupe d'amitié France-Algérie, votre rapporteur a gardé de cette visite des images spectaculaires de foules massées sur le passage du cortège officiel. Il y a vu pour sa part une volonté des Algériens d'ouvrir une nouvelle page de leurs relations avec la France. Comment ne pas être frappé, même si cela est d'une certaine manière attristant, par les cris de ces milliers de jeunes réclamant des visas pour la France.

Votre rapporteur craint pourtant qu'au-delà du spectacle et de l'enthousiasme populaire les choses n'aient pas beaucoup bougé. Il y avait dans la délégation présidentielle de nombreux chefs d'entreprises qui ont le désir de développer des relations économiques et commerciales avec l'Algérie. Mais il se heurtent toujours à la lenteur de la mise en oeuvre des réformes annoncées concernant par exemple le système bancaire ou la fiscalité.

La catastrophe récente a mis à nouveau en lumière les profondes difficultés de l'Algérie et son urgent besoin de sortir de la crise politique, économique et sociale qui la ronge depuis si longtemps, ce qui suppose la mise en oeuvre des réformes et l'ouverture vers l'extérieur. C'est toute l'actualité de l'accord que nous examinons aujourd'hui.

Cet accord institue une association entre la Communauté européenne et l'Algérie. Il a été signé le 22 avril 2002 à Valence, en Espagne. Il s'inscrit dans le processus euro-méditerranéen engagé à Barcelone au lendemain de la première guerre du Golfe et afin d'accompagner le processus de paix au Proche-Orient. Aujourd'hui, seules la Libye, qui n'y participe pas, et la Syrie n'ont pas encore signé d'accord avec la Communauté européenne.

Votre rapporteur fera le point sur la situation politique, économique et sociale de l'Algérie, nos relations bilatérales, la mise en oeuvre du processus de Barcelone et présentera les principales dispositions de l'accord d'association.

I. ALGÉRIE : UNE TENSION PERSISTANTE

Confrontée, depuis plus de 10 ans, à une très grave crise économique, sociale et politique, l'Algérie se trouve toujours dans une situation de grande tension.

A. LA SITUATION POLITIQUE, ÉCONOMIQUE ET SOCIALE

1. Une situation politique intérieure toujours tendue

. Les résultats des élections législatives et locales de mai et octobre 2002

Le FLN (Front de libération nationale) est sorti vainqueur des élections législatives du 30 mai 2002 et apparaît comme la première force politique du pays . Avec 199 sièges sur 389, l'ancien parti unique dispose désormais de la majorité absolue à l'Assemblée populaire nationale. Il a par ailleurs largement remporté les élections locales (communes et wilayas) du 10 octobre dernier et contrôle 668 communes sur 1 541, et 43 wilayas sur 48.

La représentation de l'islamisme politique a connu de profonds bouleversements . Le Mouvement de la Société pour la Paix a perdu son statut de deuxième force politique du pays. Le mouvement Ennahda n'a obtenu qu'un seul siège dans la nouvelle assemblée. Enfin, le Mouvement de la Réforme Nationale apparaît aujourd'hui, avec 43 sièges à l'Assemblée nationale, comme le leader légal de la mouvance islamiste algérienne , son discours populiste et radical ayant su capter une partie du vote contestataire.

La défiance à l'égard du pouvoir politique s'est, en outre, exprimé par une très forte abstention (54 %) lors des élections législatives. Environ 900 000 bulletins blancs ont été recensés.

A noter, au niveau des moyens d'information, que si la télévision algérienne demeure strictement contrôlée par le pouvoir, la presse écrite connaît une grande diversité (une vingtaine de quotidiens à Alger) et une certaine liberté de critique qui n'existe guère dans les pays voisins.

. Le départ de M. Ali Benflis et la nomination de M. Ahmed Ouyahia au poste de Premier ministre

Le Président de la République a démis, début mai, M. Ali Benflis de ses fonctions de Premier ministre et a nommé M. Ahmed Ouyahia, tout en maintenant l'essentiel du gouvernement. Ce changement est apparu, pour les observateurs algériens, comme la conséquence de la rivalité croissante entre M. Ali Benflis et M. Abdelaziz Bouteflika dans le cadre de la préparation de l'élection présidentielle de 2004, la popularité de ce dernier déclinant alors que l'ancien Premier ministre et secrétaire général du FLN est sorti renforcé du succès du parti, qu'il a profondément remodelé, aux élections nationales et locales. Elle semble aussi le signe de divergences de fond sur le rythme et les objectifs des réformes, notamment des privatisations dans le secteur public.

Le nouveau Premier ministre, M. Ahmed Ouyahia, est président du Rassemblement national démocratique (RND) et fut, au sein du gouvernement dirigé par M. Ali Benflis, ministre de la justice puis ministre d'Etat sans porte-feuille représentant personnel du Président de la République. Il fut Premier ministre du Président Liamine Zeroual de 1995 à 1998, période au cours de laquelle il a mis en oeuvre les consignes des institutions internationales pour assainir les finances publiques algériennes. Agé de 51 ans, il est présenté comme proche des militaires.

. Le vote contestataire est alimenté par un profond malaise social et s'exprime par des flambées de violence .

Ce malaise social s'explique essentiellement par l' érosion du pouvoir d'achat, la paupérisation des classes moyennes et la dégradation du cadre de vie (défaillance des services publics de transports, d'électricité ou d'eau potable, de la mauvaise qualité du réseau téléphonique et de l'importante pénurie de logements). Cette situation a récemment provoqué de nombreux conflits sociaux dans plusieurs branches professionnelles : enseignants, universitaires, inspecteurs du travail, magistrats, agents hospitaliers, métallurgistes. Une grève générale, a été lancée à l'appel de l'UGTA (Union générale des travailleurs algériens, première centrale syndicale du pays) contre les privatisations et a paralysé l'ensemble du pays les 24 et 25 février dernier.

. La situation en Kabylie

Après un conflit très dur en 2001, le gouvernement a adopté en mars 2002 des mesures d'apaisement : la constitutionnalisation du Tamazight, la langue berbère, comme langue nationale, le redéploiement des brigades de gendarmerie et la mise en place d'un régime d'indemnisation pour les victimes des émeutes de l'été 2001). Elles n'ont toutefois pas permis de ramener le calme dans la région. Les autorités ont alors opté pour une politique de fermeté. Les sièges locaux des coordinations de « archs » ont été fermés fin mars. Plus d'une centaine de cadres et de militants du mouvement ont été arrêtés puis condamnés à des peines de prison ferme allant de 2 mois à 2 ans. Ces mesures ont permis de ramener un calme précaire. Pour autant, le mouvement de contestation s'est poursuivi.

Le scrutin local du 10 octobre 2002 n'a pu se dérouler normalement dans la région : les bureaux de vote n'ont pu ouvrir dans plus du tiers des communes de Kabylie ; ailleurs, le taux d'abstention a atteint un niveau très élevé (90 % environ). Des émeutes ont éclaté dans certaines localités le jour du scrutin entre jeunes manifestants et forces de l'ordre. Les leaders radicaux du mouvement de contestation ont été interpellés puis incarcérés et le dialogue n'a pu s'engager entre toutes les parties pour mettre un terme à un mouvement de contestation qui tend à s'essouffler.

. La situation sécuritaire

Le niveau global de la violence est inférieur à ce qui prévalait avant le mois d'avril 2001, mais ne diminue plus depuis cette date . 100 à 120 morts par mois environ sont dénombrés contre 200 auparavant. Les ramadans 2001 et 2002 se sont révélés sensiblement moins meurtriers que les ramadans précédents (90 morts cette année, 109 morts en 2001, contre 325 en 2000 et 1814 en 1998).

Dans le même temps, des zones urbaines, depuis longtemps épargnées, ne sont plus à l'abri du terrorisme . En particulier, la situation s'est sensiblement dégradée dans l'Algérois au premier semestre 2002. Six bombes de faible puissance ont explosé dans le centre-ville d'Alger entre l'été 2001 et juillet 2002. Des policiers ont à nouveau fait l'objet d'attentats ciblés en centre-ville. La capitale n'avait pas été frappée depuis l'été 1999.

L'élimination d'Antar Zouabri, l'émir du GIA (Groupe islamique armé), le 8 février 2002 constitue un succès indéniable pour les autorités algériennes qui multiplient depuis l'automne dernier les opérations de lutte anti-terroriste. Les groupes armés, le GIA dirigé désormais par Abou Tourab et le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) de Hassan Hattab, restent néanmoins actifs et ont démontré ces derniers mois qu'ils conservent d'importantes capacités opérationnelles.

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