II. UN PROJET DE LOI SOUMIS À UNE DOUBLE CONTRAINTE
A. L'AUTONOMIE RÉDUITE DU LÉGISLATEUR NATIONAL
1. Des questions transnationales
Le
présent projet de loi intervient dans un contexte de
développement rapide de la réglementation en matière
financière, émanant aussi bien d'autorités publiques que
professionnelles.
Concernant les marchés financiers
, le poids et l'influence de la
SEC aux Etats-Unis sont manifestes. S'agissant tout particulièrement des
nouveaux champs d'investigation des régulateurs, à savoir les
moyens de contrôler l'activité de recherche financière et
de mieux appréhender le travail des agences de notation, la SEC
apparaît comme le « leader » naturel de la
réflexion mondiale sur ce sujet.
La loi Sarbanes-Oxley du 30 juillet 2002 a confié à la SEC la
charge de prendre des mesures pour prévenir les conflits
d'intérêts des analystes financiers, et renforcer
l'objectivité de la recherche financière.
La SEC mène également une réflexion sur les agences de
notation, dont il faut rappeler que les principales d'entres elles sont
implantées aux Etats-Unis
4(
*
)
, même si l'une d'entre elle est
majoritairement détenue par des capitaux européens,
possède un siège à Londres
5(
*
)
et des effectifs significatifs à
Paris.
Concernant la transparence des comptes
, les normes établies au
niveau international (normes IAS, IFRS)
6(
*
)
sont déterminantes, puisque
dès 2005, toutes les sociétés cotées de l'Union
européenne (y compris les banques et les entreprises d'assurance) seront
tenues d'appliquer des normes comptables internationales dans la
préparation de leurs comptes consolidés. Les Etats membres
pourront aussi autoriser ou obliger ces entreprises à appliquer ce
système à leurs comptes annuels. Il sera même possible
d'imposer la nouvelle réglementation à des sociétés
qui ne font pas appel public à l'épargne.
Il est tout à fait remarquable que la législation
américaine ait vocation à s'appliquer à des entités
situées hors de son cadre national.
Les dispositions de la loi
Sarbanes-Oxley
s'appliquent dès lors qu'elles ont une
répercussion sur une société cotée aux Etats-Unis
(que cette société soit américaine ou
étrangère), et notamment les dispositions concernant le
commissariat aux comptes de ces sociétés.
Le législateur français est donc soumis à une forte
pression internationale.
Déjà, les recommandations de la
Commission des opérations de bourse ou les normes de déontologie
des organismes professionnels comme la Compagnie nationale des commissaires aux
comptes, tendent à s'aligner sur les pratiques internationales
dominantes.
Le législateur a cependant son rôle à jouer
, afin
non seulement de prendre en compte la spécificité des entreprises
européennes, mais également de conférer à la
nouvelle Autorité des marchés financiers (AMF) les moyens
nécessaires pour devenir un régulateur de tout premier plan,
capable de dialoguer avec ses homologues, la SEC américaine ou la
FSA
7(
*
)
britannique.
Cependant, notre législation ne doit pas être trop lourde, au
risque de provoquer la délocalisation des entreprises et des actifs
financiers, c'est-à-dire l'inverse de l'objectif recherché. Pour
cette raison, il importe que l'essentiel des principes de transparence et de
régulation du marché soient conformes à ceux
définis à l'échelle de l'Union européenne.
2. Le poids croissant du droit communautaire
La
législation communautaire connaît une phase intense de
rénovation et d'extension de son champ d'intervention. Maintes
directives récentes ou en cours de négociation ont ainsi trait
aux activités financières et au droit des sociétés.
Elles constituent la
toile de fond du présent projet de loi,
déterminent une partie de ses dispositions et annoncent certaines
orientations futures de la législation française
. Ces textes
généralement techniques font parfois l'objet de débats
animés, tant sont grandes leurs implications sur l'activité
économique et financière. Les principaux textes récents
sont les suivants :
- la directive du 3 décembre 2002 relative aux
opérations
d'initiés et aux manipulations de marché
, adoptée dans
le cadre de la nouvelle procédure dite
« Lamfalussy », a pour objet de relever le niveau
d'intégrité du marché, de contribuer à
l'harmonisation des règles concernant les abus de marché dans
toute l'Europe, de susciter un engagement résolu en faveur de la
transparence et de l'égalité de traitement entre les acteurs du
marché, et d'imposer une collaboration plus étroite entre les
administrations nationales, afin de réduire les risques de discordance
et les entorses potentielles ;
- la rénovation de la directive du 20 décembre 1985 sur les
OPCVM
: deux directives 2001/107/CE et 2001/108/CE, portant
respectivement sur la réglementation relative aux sociétés
de gestion et au prospectus simplifié et sur les placements des OPCVM,
ont été adoptées le 21 janvier 2002 ;
- le règlement du 7 janvier 2002 dispose que toutes les
sociétés européennes cotées en bourse, y compris
les établissements bancaires et les compagnies d'assurance, devront
publier leurs comptes consolidés selon les normes IAS (
International
Accounting Standards
) d'ici le 1
er
janvier 2005 ;
- la directive du 16 décembre 2002, relative à la
surveillance
complémentaire des établissements de crédit, des
entreprises d'assurance et des entreprises d'investissement appartenant
à un conglomérat financier
, renforce la surveillance
prudentielle de ces groupes et la coopération entre organismes de
régulation ;
- la directive du 18 septembre 2000 concernant
l'accès à
l'activité des établissements de monnaie électronique et
son exercice
a pour objet de garantir la reconnaissance mutuelle de
l'agrément et de la surveillance prudentielle de ces
établissements ;
- la directive du 23 septembre 2002 concernant la
commercialisation à
distance des services financiers auprès des consommateurs
tend
à harmoniser les législations nationales, notamment en
matière d'information préalable, de communication des conditions
contractuelles, de droit de rétractation et de modalités de
paiement ;
- la directive du 6 juin 2002 relative aux
contrats de garantie
financière
traite des compensations, sûretés et gages
et tend à renforcer leur sécurité juridique ;
- la directive du 19 mars 2001 concernant
l'assainissement et la liquidation
des entreprises d'assurance
dispose notamment que la procédure de
mise en faillite d'une entreprise d'assurance obéit aux règles de
l'Etat de la maison-mère, et non plus à celles de chacun des
Etats membres où la compagnie est présente ;
- enfin la directive du 5 novembre 2002 concernant l'assurance directe sur la
vie tend à permettre l'octroi d'un agrément unique et à
harmoniser les systèmes de contrôle prudentiel.
Au delà de ces textes,
il importe que les concepts issus du droit
français influencent la construction juridique communautaire
. Cela
suppose un effort de présence auprès des instances
concernées, et surtout une réflexion constante pour assimiler les
problèmes du présent et tâcher d'anticiper ceux du futur.