B. UNE LÉGISLATION À DURÉE DÉTERMINÉE ?
1. Le vieillissement rapide de la législation financière
Sous
l'influence des évolutions constatées dans le secteur financier
et afin de suivre une législation communautaire dynamique en ce domaine,
la législation en matière financière présente la
caractéristique d'être souvent remaniée. Le
législateur doit en tirer une grande humilité : dans ce
domaine plus que dans beaucoup d'autres, il légifère dans un
contexte donné. S'il doit veiller à la permanence des grands
principes de notre droit, s'il doit garder le souci de la cohérence, il
est souvent contraint non pas d'anticiper, mais de prendre acte des
évolutions enregistrées dans le secteur financier, et d'en tirer
les conséquences qui lui semblent, à cet instant, les plus
adaptées.
Pour ne prendre qu'un exemple en matière de législation des
marchés financiers, la loi relative à la sécurité
et à la transparence du marché financier de 1989
8(
*
)
a été substantiellement
modifiée par l'intervention de la directive sur les services
d'investissement en 1993, qui a nécessité l'adoption d'une loi de
transposition en 1996, dite loi de modernisation des activités
financières
9(
*
)
.
Depuis le vote de cette loi il y a moins de dix ans, les lois ESF
10(
*
)
, NRE
11(
*
)
, MURCEF
12(
*
)
et le présent projet de loi
« remettent sur le métier » du législateur
des pans entiers de notre législation financière qu'il convient
d'adapter aux nouvelles réalités financières.
Il est bon d'observer que ces différents textes ont profondément
réformé notre droit des sociétés commerciales, en
l'absence d'un texte global que votre rapporteur appelait de ses voeux en
1996
13(
*
)
. Il observe cependant
que, la quasi-totalité des idées et propositions qu'il
défendait alors ont été intégrées dans les
textes précités, ou à l'occasion de l'adoption d'autres
véhicules législatifs, ou le seront, très probablement,
à l'issue de l'examen parlementaire du présent projet de loi.
Même si le résultat technique est en définitive le
même, il eut été préférable,
assurément, d'anticiper sur des évolutions et des besoins
manifestes dès 1996, notamment en matière de gouvernance des
entreprises, de transparence et de prévention des conflits
d'intérêt. A la vérité,
la conjugaison du
conservatisme naturel aux organisations économiques et de l'approche
idéologique, ou trop éloignée des réalités,
du précédent gouvernement, explique le retard de notre droit, et
son adaptation parcellaire, au gré des circonstances.
L'évolution rapide de la législation financière rend
regrettable l'absence d'inscription à l'ordre du jour du Sénat du
projet de loi de
ratification du code monétaire et
financier
14(
*
)
. Cela est
d'autant plus dommage que progressivement, des modifications substantielles
sont apportées au code non ratifié par diverses lois qui
interviennent en matière financière (lois NRE, MURCEF,
présent projet de loi, etc.). On peut considérer que le Parlement
ratifie « petit à petit » ce code, à chaque
article dont il adopte la modification. En revanche,
on ne saurait
considérer qu'il a implicitement ratifié l'ensemble de ce
code
15(
*
)
.
2. Les prochaines évolutions déjà en gestation
Près de dix ans après les premières mises
en
garde de votre commission des finances sur les chevauchements de
compétences et l'absence de coordination institutionnelle entre la COB
et les autorités fusionnées au sein du CMF
16(
*
)
, le présent projet de loi
procède enfin à l'unification attendue. Dans le même temps,
le contrôle des assurances et celui des mutuelles et des institutions de
prévoyance est logiquement fusionné. Les premières
passerelles organiques entre le contrôle des banques et celui des
assurances sont mêmes jetées.
Ces évolutions, si elles sont souhaitables, ne sont-elles cependant pas
déjà dépassées ? Compte tenu de
l'évolution des métiers et des techniques financières, la
frontière entre le contrôle prudentiel et le contrôle des
marchés n'est-elle pas désormais largement artificielle ? Il
est vraisemblable que, d'ici quelques années, l'unification des
autorités prudentielles et des autorités de marché sera
à l'ordre du jour, en tirant les leçons de l'expérience de
la
Financial Services Authority
(FSA) britannique.
Les dispositions du projet de directive sur les services d'investissement (DSI)
appelée, dans le cadre de la « procédure
Lamfalussy », à remplacer la directive du 10 mai 1993,
renforcent l'obligation de réfléchir à la création
d'une autorité unifiée et laissent peu de doute sur la
nécessité d'ajuster les dispositions du présent projet de
loi dans un avenir proche
17(
*
)
.
Par exemple, lorsque les MTF (
Multilateral Trading Facilities
) et
infrastructures de transactions internalisées seront autorisés et
réglementés par le droit communautaire en tant que marchés
organisés, dans quelles conditions, et sur quel fondement juridique,
l'AMF sera-t-elle amenée à les contrôler (en
particulier grâce aux règles de transparence
pré-transaction et au bon routage des ordres non satisfaits vers les
marchés réglementés) ? De même, selon quelles
modalités le contrôle des prestataires multiservices et
intégrés, qui tendent à façonner le nouveau paysage
du secteur bancaire et financier, sera-t-il réparti entre
l'autorité de marché et les autorités prudentielles ?