B. LA CRISE DU SYSTÈME FINANCIER
1. Les dysfonctionnements des marchés
Les
trois dernières années ont constitué une période
riche en soubresauts pour les marchés financiers. Ces évolutions
heurtées ont d'abord laissé croire à une correction
violente, mais logique compte tenu de la très forte hausse
enregistrée au cours de la décennie 90. Mais la poursuite d'un
cycle baissier, parfois qualifié de « krach
larvé », a révélé l'étendue des
possibles dysfonctionnements structurels et conjoncturels des marchés.
Après que l'« exubérance irrationnelle »
annoncée fut clairement constatée,
l'ampleur actuelle de la
chute
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*
)
des cours sème le
doute quant à l'efficience présumée des
marchés
, c'est-à-dire leur capacité à
refléter à tout moment l'ensemble des informations disponibles
sur chaque titre.
Les
manifestations
des errements actuels des marchés sont connues
et douloureuses pour les investisseurs, qu'ils soient particuliers ou
professionnels : division par dix ou davantage de la capitalisation de
certaines sociétés, « contagion » des
difficultés boursières des secteurs de technologies et
télécommunications aux secteurs réputés plus
solides et réguliers, accroissement rapide de la volatilité
(celle du CAC 40 a ainsi doublé pour atteindre 50 % au second
semestre de 2002), perte de repères sur la capacité des
marchés à valoriser correctement des sociétés
pourtant rentables, variations quotidiennes très brutales ne
s'expliquant pas toujours par l'information financière publique, absence
de la reprise escomptée après une diminution inédite des
taux d'intérêt des principales banques centrales, interrogations
sur les niveaux de multiples de bénéfices pertinents et
représentatifs d'une valorisation « raisonnable »
des actifs, amertume devant ce qui apparaît parfois comme une
capitulation ou une « loterie », et dont les
conséquences macro-économiques sont notamment de perturber
considérablement le financement des sociétés et de geler
le marché des introductions en bourse.
Les
causes
de cette grave crise boursière sont logiquement plus
difficiles à déterminer. Certains facteurs sont
structurels
et depuis longtemps exposés par la théorie
économique et la théorie des jeux : mimétisme entre
opérateurs, surréaction à toute information qui laisserait
craindre ou espérer une inversion de tendance sur un titre,
anticipations auto-réalisatrices et procycliques, immixtion d'ordres
différents de rationalité (procédurale et
économique), etc. D'autres facteurs sont plus
conjoncturels
et
alternativement surestimés. On peut ainsi mentionner l'atonie de la
croissance, les crises géopolitiques, l'impact de la croissance des
hedge funds
et des ventes à découvert, les seuils
automatiques de vente prévus dans les processus de gestion de certains
fonds de placement, ou les stratégies relatives et comptables de rachat
par les sociétés de leurs propres actions.
La difficulté de l'analyse de la crise actuelle tient aussi à
l'émergence d'une réflexion sur une crise supposée du
fonctionnement même du capitalisme, et au
facteur exogène de la
perte de fiabilité et de la difficulté croissante de la
consolidation de l'information financière
, qui représente le
déterminant essentiel de la formation des cours de bourse.
2. Les doutes sur la qualité de l'information financière et comptable
Les
affaires
Enron
ou
WorldCom
ont jeté un doute important sur
la qualité de l'information financière et comptable aux
Etats-Unis et cette suspicion s'est naturellement étendue à
l'ensemble des entreprises internationales.
Les Etats-Unis, jusqu'alors plutôt partisans de l'auto-régulation,
ont réagi promptement à la crise de confiance par le vote de la
loi dite « Sarbanes-Oxley » («
Corporate
Accountability Act
») adoptée par le Congrès et
promulguée le 30 juillet 2002.
La loi, dont les dispositions s'appliquent dès lors qu'elles ont une
répercussion sur une société cotée aux Etats-Unis
(que cette société soit américaine ou
étrangère), propose un certain nombre de solutions aux
dysfonctionnements identifiés dans la régulation des
marchés financiers américains. Notamment
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*
)
:
a/ Concernant les conditions de certification des comptes et
l'indépendance des auditeurs :
- la loi met fin au système d'auto-régulation en instituant le
Public Company Accounting Oversight Board (PCAOB)
, chargé de
l'établissement des règles de la profession et de la surveillance
des auditeurs et financé par les cotisations des sociétés
cotées ;
- elle interdit la plupart des services de conseil que pourraient proposer les
firmes d'audit à leurs clients ;
- elle impose une rotation des associés signataires des audits et
commande une étude au
Comptroller General
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)
sur les coûts et avantages d'une
rotation des firmes elles-mêmes ; elle contraint le recrutement des
auditeurs par leurs clients.
b/ Concernant le gouvernement d'entreprise :
- la loi cherche à garantir aux comités d'audit des
sociétés cotées un fonctionnement efficace et
indépendant ; elle renforce les contrôles portant sur les
procédures d'audit interne ;
- elle oblige les dirigeants des sociétés à certifier
personnellement la validité des comptes qu'ils présentent
à la
Securities and Exchange Commission
(SEC) et aux
investisseurs ;
- elle soumet les transactions des mandataires sociaux sur les titres de leur
compagnie à plus de contraintes et plus de transparence.
c/ Concernant la réforme des normes comptables :
- la loi transfère le financement du
Financial Accounting Standard
Board (FASB)
de la profession comptable aux sociétés
cotées ;
- elle demande l'émission de règles visant à rendre public
l'ensemble des transactions hors-bilan ainsi que toutes les relations de la
compagnie avec des entités non-consolidées qui seraient en mesure
d'avoir à terme un impact financier ;
- elle commande à la
Securities and Exchange Commission
(SEC) une
étude sur la faisabilité de l'introduction aux Etats-Unis d'une
comptabilité qui établirait des principes mieux identifiés
que les US-GAAP (
generally accepted accounting principles)
actuels.
d/ Concernant la déontologie des analystes financiers et la
régulation des agences de notation :
- la loi valide les propositions faites par les places de marché visant
à réduire les sources de conflits d'intérêts pour
les analystes ;
- elle commande à la SEC une étude sur le rôle des agences
de notation dans le fonctionnement des marchés financiers et les risques
ou problèmes que ce rôle peut induire.