EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. LES DÉFIS JURIDIQUES D'UN SYSTÈME FINANCIER GLOBAL, COMPLEXE ET EN PLEINE MUTATION
A. LES ÉVOLUTIONS DES MARCHÉS ET DES TECHNIQUES
1. La globalisation
La
globalisation des flux financiers comme des échanges commerciaux n'est
pas un fait nouveau, mais a pris une
dimension inédite
au cours
de la dernière décennie, à la faveur d'un cycle boursier
de grande amplitude (hausse sans précédent et bulle
spéculative jusqu'en septembre 2000, puis tendance baissière
prolongée et soutenue, sporadiquement aggravée par des crises
géopolitiques) et, en Europe, de l'avènement de la monnaie
unique. Les opérateurs des marchés financiers ne se focalisent
désormais plus sur une place nationale et tentent d'agréger une
information surabondante et à l'échelle de plusieurs pays ou
continents. La mondialisation de l'économie contraint à une
comparaison et à un « benchmarking » permanents
entre firmes multinationales.
La globalisation des marchés s'accompagne d'une spécialisation
accrue des acteurs et se manifeste dans quatre domaines :
-
globalisation des acteurs et des investisseurs
: les
institutionnels (fonds de placement, fonds de pension, assureurs, etc.) et les
différents métiers de la chaîne de valeur de
l'investissement (analyse financière, gestion des OPCVM,
capital-investissement, courtage, conservation des titres...) se positionnent
sur les principaux marchés mondiaux et entendent ainsi capter les
moindres « niches » de rentabilité, et les
allocations d'actifs tendent beaucoup moins à privilégier les
marchés nationaux et se structurent désormais fréquemment
en trois zones géographiques (marché national, zone euro et
international) ;
-
globalisation des moyens et de l'offre de produits
:
l'industrialisation des métiers de la finance conduit à la mise
en place de « plate-formes » régionales (desservant
par exemple l'Europe, l'Amérique du Nord, l'Amérique latine, le
Japon et l'Asie du Sud-Est), les instruments financiers et indices boursiers
multi-pays se multiplient, l'analyse financière est davantage
sectorielle, transversale et internationale ;
-
homogénéisation des comportements
: la recherche de
la performance et de la maîtrise des risques conduit à
l'observation permanente de la concurrence et du « consensus de
place », qui constitue la référence tacite dont la
majorité des opérateurs ne s'écarteront guère. Des
« modes » se créent, se diffusent et
s'évanouissent rapidement, particulièrement dans le domaine de la
gestion collective où les « styles » de gestion (la
préférence pour les valeurs de rendement a ainsi
succédé à celle pour les valeurs dites « de
croissance ») et les gammes de produits (fonds
« éthiques », gestion alternative, fonds
indiciels...) connaissent d'incessantes mutations dans lesquelles le
mimétisme et la réplication plus ou moins prononcée des
indices côtoient l'inventivité. Parallèlement, cette
relative homogénéisation permet à des acteurs de plus
petite taille de se différencier et de gagner en
crédibilité par un positionnement original et une expertise
pointue dans un nouveau sous-segment de marché ;
-
internationalisation des places boursières
elles-mêmes
: le paysage des marchés boursiers
réglementés a considérablement évolué,
puisque ceux-ci sont désormais gérés par des entreprises
de droit commun qui sont parfois elles-mêmes cotées en bourse,
telle Euronext, et fusionnent ou constituent des alliances pour créer
des synergies de coûts, acquérir la taille critique sur le plan
mondial et trouver un meilleur positionnement qualitatif et tarifaire face
à la multiplication des infrastructures non réglementées
de négociation (ordres internalisés et plates-formes
multilatérales).
Ces tendances lourdes rendent d'autant plus nécessaire l'adaptation des
autorités de régulation, qui doivent elles-mêmes devenir
plus globales et tournées vers l'international, ainsi que de la
réglementation, qui doit être en phase avec un nouveau contexte
pour la sécurité des placements et la compétitivité
des offres de produits et services.
2. La technologie et l'ingénierie financières
La
globalisation et l'habituelle recherche de l'optimisation du couple
rendement/risque conduisent à un foisonnement de nouvelles techniques
financières destinées à conférer à leurs
utilisateurs un gain ou un
avantage concurrentiel
déterminant, au
moins de manière temporaire, à
exploiter une inefficience de
marché ou à transférer un risque de marché
sur
d'autres acteurs. Ces nouvelles techniques sont particulièrement
prégnantes dans les multiples stratégies de gestion alternative
et décorrélée des marchés traditionnels (les
«
hedge funds
»), qui impliquent souvent des
modélisations et méthodes de valorisation très complexes
et de compréhension malaisée pour les investisseurs. La
gestion collective
plus traditionnelle n'échappe pas non plus
à la diffusion de nouveaux outils présentant une plus grande
technicité : dérivés de crédit,
généralisation de l'utilisation des options, programmes de mesure
instantanée du risque, ou encore utilisation d'indicateurs comptables et
de création de valeur de plus en plus variés, contribuent
à la sophistication de la gestion de fonds. Enfin la technologie
financière est également très sollicitée dans la
gestion bilancielle
et comptable,
dans le but d'améliorer
les ratios de solvabilité et de rentabilité (obligations
convertibles, titrisation de créances certaines ou futures, augmentation
plus ou moins fictive des fonds propres par «
equity
swap
», programmes de rachat et de stérilisation
d'actions...).
La complexification croissante des outils financiers est certes
porteuse de
risques
, comme en témoignent la faillite du fonds
Long Term
Capital Management
en 1998 et les méthodes - parfois fatales aux
entreprises - de déconsolidation exacerbée des actifs et
d'extension des engagements hors-bilan,
mais peut également
être facteur de sécurité, de croissance et de
stabilité pour les investisseurs
. Ainsi les produits
dérivés n'ont certainement pas une vocation exclusivement
spéculative, mais ont aussi pour objet originel d'étendre les
possibilités de couverture contre les risques de crédit, de
change ou de marché. De même la titrisation, lorsqu'elle est
suffisamment encadrée, permet aux secteurs privé comme public, de
trouver des sources alternatives et pérennes de financement dans un
contexte de raréfaction du crédit bancaire et de
dégradation de la qualité moyenne des émetteurs de titres
obligataires.
L'ingénierie financière ne doit donc pas être
bridée, ne serait-ce que pour ne pas engendrer une fuite des capitaux,
mais ses conséquences doivent être maîtrisées par un
cadre réglementaire lisible, pragmatique dans ses modalités et
ferme dans ses principes.