G. AUDITION DE M. SADEK BELOUCIF, PROFESSEUR D'ANESTHÉSIE-RÉANIMATION AU CHU D'AMIENS, M. MICHEL GUGENHEIM, GRAND RABBIN, DIRECTEUR DU SÉMINAIRE ISRAÉLITE DE FRANCE, M. PATRICK VERSPIEREN, THÉOLOGIEN, DIRECTEUR DU DÉPARTEMENT D'ÉTHIQUE BIOMÉDICALE DU CENTRE SÈVRES, M. GEOFFROY DE TURCKHEIM, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION oeCUMÉNIQUE DE LA FÉDÉRATION PROTESTANTE DE FRANCE, M. STÉPHANE MEYER, MÉDECIN, CONSEILLER DE L'ORDRE DU GRAND ORIENT DE FRANCE
M.
Nicolas ABOUT, président - Messieurs, en vous invitant à
participer à cette table ronde sur la bioéthique, nous souhaitons
donner au débat toute sa dimension philosophique et humaine, au sens le
plus noble du terme. Comme le rappelait l'un des professeurs, il s'agit de
l'homme sujet et non pas objet et qui, donc, doit être respecté
dans son intégrité et dans son être. Nous souhaitons donc
bénéficier de vos réactions, remarques et propositions sur
ces sujets.
Notre table ronde est retransmise sur Public Sénat, notre débat
doit donc être le plus animé possible et les interventions
brèves et synthétiques. Afin d'éviter une succession de
monologues, nous aborderons les différents thèmes les uns
après les autres.
M. Francis GIRAUD, rapporteur - Depuis ce matin, à l'occasion de ce
projet de loi relatif à la bioéthique, nous avons entendu de
nombreux exposés passionnants. L'un des sujets les plus importants de
notre réflexion concerne la recherche sur l'embryon, non pas uniquement
dans un but cognitif, mais également à cause des espoirs
suscités dans l'opinion publique, dont on nous a rappelé
aujourd'hui qu'ils n'étaient pas envisageables à court terme et
qu'ils demeuraient incertains, que ce soit pour les cellules embryonnaires ou
adultes. Nous aimerions avoir vos réflexions sur ce qui peut être
réalisé avec l'embryon. Dans le projet de loi, il est inscrit que
la recherche est interdite mais une ambiguïté existe avec une
mention qui autoriserait la recherche à partir d'embryons
surnuméraires conçus dans le cadre d'une PMA. Vos avis sur cette
question fondamentale seront écoutés très attentivement
car les choix se révèlent extrêmement difficiles.
Pr. Sadek BELOUCIF - Je vous remercie de me permettre de représenter
l'expression d'une sensibilité. Je n'entends pas vraiment parler de
religion dans un espace laïc, républicain et citoyen au sens
rappelé par le professeur Huriet, mais exprimer une valence spirituelle
ou humaine. Pour l'Islam, l'homme est unique.
Le Coran indique : «
Nous vous avons créés d'un
mâle et d'une femelle. Nous vous avons constitués en peuples et
tribus pour que vous vous connaissiez entre vous. Le plus noble d'entre vous
auprès de Dieu est le plus pieux d'entre vous » (...)
« Si Dieu avait voulu, Il aurait fait de vous une communauté
unique : mais Il voulait vous éprouver en Ses dons. Faites assaut
de bonnes actions vers Dieu. En Lui, pour vous tous, est le retour. Il vous
informera ce qu'il en est de vos divergences.
»
J'interprète cette unicité de l'homme comme une condamnation du
clonage reproductif. L'embryon ou l'embryogenèse sont décrits
avec beaucoup de détails dans le Coran. Il s'agit de rappeler son
origine humble à l'homme par ces phrases : «
Nous
avons créé l'homme d'une quintessence d'argile puis Nous en
fîmes une goutte de liquide, déposé en un réceptacle
sûr, puis ce peu de liquide, Nous le créâmes
adhérence, et créâmes l'adhérence mâchure, et
créâmes la mâchure ossature, et revêtîmes
l'ossature de chair, après quoi Nous le promûmes d'une toute autre
création
. »
Pour un musulman, cela renvoie au concept d'animation retardée et au
débat théologique persistant entre une animation immédiate
ou retardée. Personnellement, je ne sais pas si la fécondation
est un mystère ou une énigme. Avec la notion d'animation
retardée, je me demande si le vrai changement de paradigme n'intervient
pas avec la nidation, au moment où cette goutte s'accroche dans un
réceptacle sûr. Nous pourrions, dès lors, imaginer que
cette espèce de grumeau de cellules et la personne humaine potentielle
après l'accrochage sont différents.
M. Nicolas ABOUT, président - Cette remarque est très
intéressante puisque c'est également une nidation qui va
permettre l'organisation spatiale de cet amas cellulaire.
Dr. Stéphane MEYER - En tant que médecin, ce passage de la
nidation, de l'accrochage de l'oeuf me semble intéressant. Cependant
pour élargir le débat et ne pas rester dans la théologie
de chacun au sein de notre république laïque, nous devons prendre
du recul par rapport à toutes les émergences religieuses afin de
rester laïc et républicain.
L'intérêt de vos questions et de votre quête porte, pour
moi, sur cette recherche sur l'embryon créé un peu par hasard et
dont nous pourrions nous servir parce qu'il est là. Pire encore, cette
recherche pourrait concerner les embryons issus des IVG avec les
difficultés humaines se présentant, pour la mère,
d'accepter que l'enfant qu'elle a refusé puisse servir et non pas
uniquement disparaître. A mon sens, au risque de provoquer, ce
symptôme révèle notre besoin d'embryons pour le
progrès de la science, bien entendu encadrée par les lois et les
médecins. Cette nécessité de recherche nous met mal. Mais
nous devons aller au-delà et nous, vous, les décideurs, devons
réfléchir aux moyens d'aider l'évolution de la science
dans un but, évidemment humaniste et médical et surtout pas
mercantile. Vous savez à quel point la France se trouve seule dans le
mercantilisme ambiant au niveau planétaire. Nous devons donc rester
très vigilants sur ce qui sera fait.
M. Nicolas ABOUT, président - Estimez-vous, docteur, que la recherche ne
doit pas être simplement menée sur des embryons
surnuméraires mais que vous envisagez, éventuellement, la
création d'embryons pour la science ?
Dr. Stéphane MEYER - Nous, les décideurs, devrons peut-être
un jour poser cette question pour faire avancer le débat. Tout le monde
n'est peut-être pas mûr aujourd'hui pour entendre cela mais nous
serons peut-être obligés de nous poser cette question tous
ensemble.
M. Geoffroy de TURCKHEIM - La question sur la recherche sur l'embryon est
évidemment la plus difficile de celles que vous nous avez soumises. Les
églises protestantes, que je représente, disposent de l'avantage
et de l'inconvénient d'être diverses, nous sommes une
fédération d'églises et donc une seule opinion protestante
n'existe pas. Par conséquent, et cela concerne tous les citoyens
français, votre décision fera à la fois des satisfaits et
des mécontents. Je ne dis pas dans quelle proportion puisque cela n'a
pas d'importance. Enfin, toutes les églises s'accordent pour la
nécessité d'une décision rapide car nous ne pouvons pas
rester dans le flou actuel avec toutes les possibilités de contournement
déjà évoquées.
Même en ayant suivi attentivement les débats de ce matin, je ne
suis pas compétent pour affirmer si le projet de loi comporte des
ambiguïtés comme cela semble avoir été relevé,
notamment sur le sujet de savoir si oui ou non la loi autorise la
création d'embryons. Ici, nous devons vous faire confiance,
législateurs, pour améliorer ce passage.
Parmi les différentes églises, les satisfaits et les
mécontents seront aussi nombreux et nous retrouverons un peu la
même ligne de partage que pour l'IVG. D'ailleurs, nous parlons moins de
cette question mais j'ai aimé l'idée du professeur Nisand suivant
laquelle la réflexion n'avait peut-être pas été
suffisante sur la portée morale de l'IVG. La fédération
protestante avait approuvé la reconduction de la loi Veil en 1979. Mes
références s'expliquent car, pour certaines églises, le
recours à l'embryon surnuméraire, qui peut s'assimiler à
une IVG, sera une deuxième chance pour l'embryon qui aura quand
même une utilité. Au contraire, pour d'autres églises ce
sera comme une deuxième mort.
M. Nicolas ABOUT, président - Je tiens à vous remercier ainsi que
M. Beloucif car vous avez pu assister quasiment à la totalité des
auditions. Je souhaiterais que, plus tard, vous nous donniez votre sentiment
pour savoir si votre approche en a été modifiée dans
certains domaines.
M. Patrick VERSPIEREN - Je suis amené à représenter une
sensibilité catholique. Tout grand courant de pensée a le droit
et le devoir de s'exprimer parce que tout citoyen a le droit de faire part de
ses convictions et d'être représenté de différentes
façons. A propos de l'utilisation d'embryons humains pour la recherche,
les catholiques sont appelés à voir en l'embryon humain un
être, en toute première phase de développement, qui
appartient déjà à l'humanité. Ce qu'il est ne peut
pas dépendre, uniquement, du genre d'attentes placées en lui. Par
conséquent, je ne veux pas me placer dans la perspective de ceux qui
pensent qu'un regard différent peut être porté sur
l'embryon selon qu'il est porteur de telle attente ou tel projet. Ce qu'est
l'embryon ne dépend pas non plus purement et simplement de son seuil de
développement. En tout cas, l'Eglise catholique appelle à voir en
l'embryon, dès la conception, un être humain qui ne peut pas
être un objet disponible ou traité comme une chose. L'Eglise
catholique va donc réprouver ce qui serait de l'ordre de la
chosification ou, en termes un peu plus savants, de la
« réification » ou de l'instrumentalisation,
c'est-à-dire la soumission à une recherche suivie de rejet. Le
Parlement et le Sénat, en 1994, avaient décidé de ne pas
s'opposer à toute recherche, mais à celles qui lèsent
l'embryon avec une règle analogue, par certains côtés,
à celle concernant la recherche sur l'être humain, adulte ou
enfant.
Nous parlons, aujourd'hui, de l'utilisation d'embryons humains pour le
prélèvement de cellules souches embryonnaires au sujet desquelles
les scientifiques nourrissent beaucoup d'espoirs. Mais, la question est de
savoir si un embryon humain peut être utilisé ou
instrumentalisé ainsi pour recueillir ces cellules. Dans cette
chosification, je vois une certaine négation de l'humanité de
l'embryon, l'instauration d'un seuil d'humanité. Ici, je fais
référence à la tendance actuelle, de vouloir
réserver la notion de personne et même peut-être
d'humanité à ceux qui possèdent certaines
capacités. Si nous commençons à penser que l'humain ne
doit pas être respecté à une phase particulière
parce qu'il n'a pas encore acquis telle ou telle capacité, le grand
danger est d'en venir à manquer de respect à ce que l'on peut
appeler « l'homme sans qualité », celui notamment
qui a perdu toutes ses capacités mentales. Le respect de l'humain est
indivisible de la conception à la mort, même si les
modalités du respect peuvent changer.
Nous disposons de nombreux embryons en congélation qui ne pourront pas
être transférés. Cependant, avoir fécondé
sans prudence des milliers d'ovocytes ne donne pas, pour autant, le droit
d'utiliser ces embryons. En fait, l'un des véritables problèmes
éthiques est celui de la limitation des fécondations. Le projet
de loi prévoit un droit à la parole donné aux parents
à propos du nombre de fécondations. C'est une question
essentielle car la loi n'a pas encore abordé le sujet du nombre
d'embryons créés au moment d'une PMA. Des milliers d'embryons ne
pourront plus être transférés mais cela n'aurait pas de
sens de continuer la conservation de ces embryons indéfiniment. Il
faudra donc, sous le regard de la loi, prendre la décision d'y mettre
fin. Mais cela ne justifie pas d'employer ces embryons humains pour la
recherche ou pour prélever sur eux des cellules. Cela serait
déjà une instrumentalisation. Un degré
supplémentaire serait franchi avec la création d'embryons pour la
recherche ou comme réserves de cellules. Le projet de loi a vraiment
raison de distinguer, d'une part, l'utilisation et, d'autre part, la
création d'embryons pour la recherche.
M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur Michel Gugenheim, êtes-vous
plus proche de la théorie selon laquelle l'embryon a un statut
dès sa conception, de l'idée d'après laquelle cela
commence à la nidation ou du propos suivant lequel on fait ce que l'on
veut ?
M. Michel GUGENHEIM - Je vous remercie, monsieur le président de m'avoir
invité pour faire entendre la sensibilité juive.
Le judaïsme dispose, en ce domaine, d'un point de vue qui lui est propre,
le fameux concept des quarante jours. Le Talmud à plusieurs reprises,
énonce cette formule étonnante
a priori
, selon laquelle
jusqu'à quarante jours, c'est de l'eau et que donc, le statut de
l'embryon n'existe pas vraiment. Cela ne signifie pas pour autant que l'IVG
soit autorisée aux yeux du judaïsme. La grande originalité
du judaïsme, à mon sens, est, qu'au-delà du statut de
l'embryon, existe l'argument de la potentialité. En effet, si nous
n'avons pas encore un embryon mais quelque chose faisant que, potentiellement,
le futur embryon deviendra un être humain, nous ne pouvons
déjà plus nous opposer à son développement. Cette
idée débouche sur la différence fondamentale entre un
embryon
in vivo
et
in vitro
. Pour nous, c'est totalement
différent. Si, par exemple, un congélateur conservant des
éprouvettes tombe en panne et provoque la destruction des embryons, nous
ne considérons pas que c'est une mise à mort, un avortement comme
lorsqu'il est mis fin à une grossesse en gestation
in vivo
. Notre
argument est logique puisque la potentialité n'existe pas ou elle est
beaucoup plus faible. En effet, un bébé
in vivo
naît
au bout de neuf mois sans avoir besoin de quelque manipulation technique que ce
soit. Par contre, si vous ne touchez pas à un embryon congelé,
deux siècles plus tard il en sera toujours au même stade. Le
projet de loi concernant la recherche sur les embryons surnuméraires,
par définition embryons congelés, se révèle, donc,
pour nous, tout à fait acceptable. De plus, cela contribue à
l'avancée de la recherche, sur laquelle le judaïsme porte un regard
très positif puisqu'elle fait partie de la mission donnée
à l'homme de garder le jardin, mais aussi de le cultiver. Nous ne posons
donc pas d'obstacle fondamental à la mise en place d'une recherche sur
les embryons surnuméraires.
Par contre, le deuxième point m'a beaucoup étonné car,
lors de ma lecture du projet de loi, je n'avais pas vu la possibilité
offerte de créer des embryons. Une ouverture de ce type serait un
problème complètement différent. Créer un embryon,
pour nous, se révèle tout un problème pour des raisons qui
vous paraîtront probablement saugrenues. En effet, pour créer un
embryon, à moins de passer par un clonage, ce qui a été
radicalement exclu, un prélèvement de sperme est obligatoire.
Cela nous pose un problème très grave. Nous l'autorisons, bien
sûr, pour venir en aide à un couple infertile car, dans ce cas ce
n'est pas une extraction vaine. Il s'agit simplement d'étendre
l'insémination de manière un peu plus artificielle et, au final,
un projet de naissance est envisagé. Par contre, pour un projet de
recherche, le prélèvement de sperme est totalement impossible.
M. Francis GIRAUD, rapporteur - Pour expliciter le deuxième
alinéa, je précise que la loi avait effectivement prévu,
pour l'évaluation des techniques de PMA, de créer des embryons.
Un problème se pose effectivement ici et nous devrons trancher ce
débat.
M. Jean CHERIOUX - Ce qu'a dit M. Beloucif à propos de la nidation
a attiré mon attention puisque c'est le seul moyen pour que la
transposition dans la loi suive de près la nature. L'embryon
créé
in vitro
l'est pour être implanté et ce
transfert est la nidation réalisée artificiellement. Donc, s'il
n'est pas transféré à ce moment, il change en quelque
sorte de nature et se trouve dans la même situation que l'embryon qui n'a
pas été nidé naturellement et qui se trouve
expulsé. En outre, d'après les informations
délivrées tout à l'heure, 80 % sont expulsés
naturellement. Le sort normal de l'embryon n'ayant pu être
transféré est sa disparition. Comme l'a dit l'un des professeurs,
nous ne le supprimons pas, mais nous mettons fin à sa conservation.
Ensuite, il disparaît comme celui qui ne s'est pas nidé dans le
corps de la femme.
M. Nicolas ABOUT, président - En effet, cet amas de cellules ne
s'oriente pas, ne se structure pas, ne se différencie pas. Une
potentialité existe donc, mais pas véritablement une
organisation. C'est la nidation qui crée une réaction, une
auto-induction permettant le développement.
Mme Gisèle PRINTZ - Toutes les auditions auxquelles nous avons
assisté ont été présentées par des hommes.
Nous ne parlons jamais de la femme et ces sujets sont abordés de
façon un peu froide...
M. Nicolas ABOUT, président - Nous n'avons pas non plus parlé du
père.
Mme Gisèle PRINTZ - Je trouve que ce discours est un peu froid et cela
me gêne. Je voudrais aussi ajouter que tous les sujets abordés
aujourd'hui suscitent des peurs quand nous voyons ce que nous pourrions
réaliser avec des embryons.
Dr. Stéphane MEYER - Nous ne devons pas pouvoir faire ce que l'on veut,
selon l'une des hypothèses du Président. La loi doit pouvoir
brider tout le mercantilisme pouvant graviter autour de ce douloureux
problème des maladies génétiques. En effet, c'est
douloureux pour ceux qui en souffrent, qui perdent un enfant par une IVG ou
autrement, pour ceux qui sont stériles. Le chercheur a un devoir de
recherche et nous, au moins au sein de cette assemblée, devons lui
donner les moyens de travailler légalement et à l'abri du
mercantilisme. Ces deux notions sont, pour moi, fondamentales.
Voici maintenant une notion qui n'a rien à voir mais qui me semble
importante. Autant la vie, la mort et l'avant-vie sont profondément
sacrées, autant nous semblons admettre moins difficilement la recherche
sur les cadavres. Depuis Ambroise Paré, qui ne pouvait pas effectuer
tout ce qu'il voulait, nous avons réalisé beaucoup de
progrès. D'ailleurs, un intervenant, tout à l'heure, demandait
d'autoriser les autopsies pour faire avancer la science.
Généralement, tout le monde peut comprendre cela relativement
facilement. Par contre, l'avant-vie, je veux dire que je ne vivais pas du temps
de Napoléon ou des rois mages, s'ils ont existé, et que je ne
serai plus là demain, doit aussi être prise en compte pour la
survie de l'espèce et pour que les chercheurs travaillent en toute
sérénité.
Pr. Sadek BELOUCIF - Pour reprendre les propos du docteur Meyer, nous avons
effectivement eu une discussion, dans le pays, sur la fin de vie au sujet des
patients en réanimation et qui souffrent entourés d'un
appareillage compliqué. L'avis du comité d'éthique avait
fait appel à un texte du Pape, assez ancien, qui distinguait, entre
guillemets, des moyens ordinaires et extraordinaires de maintien de la vie.
Cela déborde sur la question de savoir si c'est de l'euthanasie passive
de remettre en cause les moyens extraordinaires mis en oeuvre par le
médecin, animé d'une obstination déraisonnable proche de
l'acharnement thérapeutique.
Nous avons parlé de potentialité. L'intention, celle de l'homme
qui vaut plus que ses actes, est aussi une notion forte. Nous pouvons imaginer
que les embryons dits surnuméraires, la sémantique n'est pas
anodine, qui sont dans un congélateur à - 80°, survivent par
des moyens extraordinaires. Dès lors, si leur destinée est la
conservation
ad vitam aeternam
ou la destruction, nous pouvons nous
demander si nous pouvons l'utiliser à des fins de recherche.
Personnellement, j'imagine soit un distinguo subtil similaire à celui de
1994 du Parlement énonçant l'autorisation d'études mais
l'interdiction de recherches soit, plutôt que la destruction, une
ouverture limitée et très encadrée de la recherche. En
effet, les embryons étaient créés au départ
par
la recherche et non
pour
elle, l'intention était donc
là. Elle est tout à fait différente. Dès lors, nous
pourrions choisir le moindre des deux maux.
M. Bernard CAZEAU - Je voudrais revenir sur la notion de nidation. Dans le
cursus de l'embryogenèse, la nidation arrive après la
fécondation. L'organisme, il est vrai, en rejette 80 % pour des
raisons très diverses, qui peuvent être pathologiques ou dues
à une mauvaise embryogenèse. Il ne faut pas non plus oublier,
concernant les méthodes de contraception, que les dispositifs
intra-utérins empêchent, justement, la nidation. Nous pouvons donc
nous accorder ou pas sur le stade, ce qui n'a rien à voir avec le
problème de la destination de l'embryon, mais nous ne pouvons pas
affirmer, comme il a été dit, je crois, que c'est de l'eau
jusqu'au moment de la nidation.
M. Nicolas ABOUT, président - Ceci est symbolique, notamment avec la
traversée du désert.
M. Patrick VERSPIEREN - Sur la notion de fin mise à la conservation,
nous pouvons très bien le faire pour des embryons humains sans prendre
position sur ce qu'ils sont. Les conserver pourrait se rapprocher de la notion
de « traitement extraordinaire » qui renvoie à une
très longue tradition. De même que, pour des humains pleinement
reconnus comme tels, arrêter des moyens de préserver la vie est
sage dans certaines situations, de même, pour l'embryon, stopper la
conservation n'est pas forcément une prise de position sur ce qu'il est.
Je plaide pour cette distinction entre la notion de fin mise à la
conservation et celle de l'utilisation pour la recherche.
M. Geoffroy de TURCKHEIM - J'ajoute juste une précision sur le fait que
vous laissiez entendre, Monsieur le président, que les autres
églises ou religions admettaient que l'on puisse faire ce que l'on
voulait. Je ne suis pas intervenu sur la question du statut de l'embryon,
expression souvent utilisée, et semble-t-il abandonnée, au moins
sur le plan législatif, car les théologiens protestants ont
renoncé à donner un statut à l'embryon de même que,
dans les textes de lois de bioéthique, l'homme n'a pas de statut
particulier, il est un sujet moral et peut être aussi objet. L'embryon
est un élément de vie, à l'évidence, mais il n'a
pas de statut particulier transcriptible sur le plan juridique et qui
permettrait d'énoncer des autorisations ou des interdictions.
M. Nicolas ABOUT, président - Ceci est un vrai problème,
même en droit français. En effet, un médecin n'ayant pas
voulu volontairement mettre fin à la vie d'un foetus n'est pas
poursuivi. A l'inverse, s'il laisse vivre un enfant, des arrêts
célèbres le montrent, porteur d'une maladie sans l'avoir
informé, il fera l'objet de poursuites. Il s'agit donc d'un vrai sujet
de fond pour tout le monde.
M. Francis GIRAUD, rapporteur - Je souhaiterais que les membres de cette table
ronde puissent nous livrer leur idée sur l'évolution des
mentalités de la population française depuis 1994, notamment par
rapport à la médiatisation assez forte sur tous ces
problèmes. Quelles sont les réactions des courants de
pensées que vous représentez ?
Ensuite, la deuxième question concerne l'inscription de la
brevetabilité du corps humain dans cette loi et à sa mise en
concordance ou non avec les directives européennes.
Nous souhaiterions donc connaître votre avis sur l'évolution
des mentalités et la brevetabilité du corps humain.
M. Michel GUGENHEIM - Au sujet de la brevetabilité, on ne peut pas
parler véritablement de position, officielle ou non, du judaïsme et
cela relève plus de la réflexion personnelle. La
difficulté, ici, réside, en fait, dans la tension entre deux
intérêts, entre le risque, en brevetant, de brider l'accueil aux
soins, et ne le faisant pas, de manquer de moyens commerciaux pour la
recherche. Sur ce point, il n'y a pas véritablement de point de vue
religieux pouvant, à mon sens, s'exprimer. Simplement, d'une certaine
manière, on pourrait demander un brevet sur une découverte sur le
corps humain même si ce n'est pas une invention. En effet, nous sommes
quand même en face d'un savoir-faire, et nous comprenons que le
découvreur ait un droit dessus, notamment de le monnayer. Cependant, si,
dans ce cas, cela aboutit à une interdiction de l'accès aux
soins, cela devient un peu comme un trouble de l'ordre public.
M. Nicolas ABOUT, président - M. Meyer me semble suivre votre
avis ?
Dr. Stéphane MEYER - Je suis tout à fait d'accord. En fait, la
grande différence classique entre découvrir et inventer existe.
Les découvertes, au niveau du génome, doivent rester dans le
patrimoine planétaire et, en aucun cas, une appropriation ne doit
être possible. Là-dessus, la France, avec votre aide, conserve une
position très ferme, contre l'avis de la majorité de l'Europe,
qu'il faudra maintenir pour contrer tous les projets mercantilistes de rachat
du corps humain sous toutes ses formes. A l'inverse, l'invention d'une
thérapeutique provient de la recherche et a un coût. Par
conséquent, ces médicaments ou thérapeutiques pourraient
être brevetés voire monnayés. Toutefois, le risque est que
leur accès soit réservé aux plus riches au
détriment des plus pauvres. Ici encore, nous nous trouvons à la
limite entre ce qui doit être fait et ce qui est intolérable. Nous
sommes dans la même situation pour le sujet qui nous préoccupe
puisque nous naviguons entre les innovations thérapeutiques et
l'eugénisme. Vous, législateurs, devez trouver le juste milieu
entre ces deux extrêmes pour les uns exceptionnels et pour les autres
intolérables.
M. Patrick VERSPIEREN - Mon point de vue est assez personnel mais je l'ai
exprimé devant les instances de mon église. La principale
question me paraît être une question de justice sociale et
internationale, plus encore que du respect du corps. Au nom de quoi un
découvreur, parce qu'il dispose d'une petite avance, va accaparer les
connaissances ? Nous devons réfléchir sur cette question
difficile. Personnellement, il me paraît sage de bien marquer la
différence entre découverte et invention. Mais, j'insisterai, moi
aussi, sur la question de justice sociale.
M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur de Turckheim, partagez-vous
l'idée de la nécessité de faire une différence
entre la découverte et l'invention ? Peut-on breveter un
gène ou une technique permettant, par exemple, de corriger une anomalie ?
M. Geoffroy de TURCKHEIM - Cette distinction reste tout à fait
pertinente. Elle était très chère à France
Quéré qui nous disait souvent, en comité d'éthique,
qu'une découverte n'est pas brevetable, contrairement à une
invention. Je suis sensible à certains arguments,
développés ce matin, selon lesquels certains
procédés découlant de découvertes devraient,
hélas, dans la logique du système, être brevetés. Le
législateur ne pourra pas éviter, ici, une certaine ouverture
mais dans le domaine des inventions et surtout des applications.
Sur la brevetabilité, le professeur Degos a attiré notre
attention sur la commercialisation. Que l'homme, ou une partie de son corps,
puisse devenir un objet de commerce est ce qui suscite le plus de peurs.
A propos des mentalités, point sur lequel nos églises sont assez
vigilantes, le concept même de bioéthique est passé dans
les moeurs et est pris très au sérieux aujourd'hui alors que,
tout à fait au début, certains philosophes qui ne voulaient pas
s'enfermer dans une démarche éthique particulière et qui
pensaient qu'elle était une discipline générale qui
n'avait pas à s'instrumentaliser dans un domaine particulier,
formulaient des réticences. Evidemment, ce sont les gens les plus
sensibles à ces questions, et parfois aussi les plus audacieux, entre
guillemets, qui se montrent sensibles à la réflexion
bioéthique pour, en quelque sorte, s'encadrer eux-mêmes. J'ai
entendu parler ce matin, je ne sais pas si le terme
« mentalité » était utilisé mais il
était quand même sous-jacent, de mentalité latine,
judéo-chrétienne ou anglo-saxonne. J'ai alors un peu tressailli
car ce sont des concepts relevant aujourd'hui de l'image d'Epinal et ce sont
des schémas un peu douteux. En effet, par exemple, pour le don
d'organes, la Norvège, pays luthérien à 90 %, a le
même genre de pratique que le Portugal, pays catholique et latin. D'autre
part, la France et l'Allemagne partagent des points de vue très
rapprochés, pour des raisons d'ailleurs différentes. Nous savons
évidemment le grand souci de l'Allemagne concernant toutes les questions
d'eugénisme. J'ai beaucoup apprécié ce que disait le
Professeur Munnich, tout en contestant ses références à la
latinité, sur le modèle français. Celui-ci est
effectivement cité en référence dans d'autres pays. A mon
avis, il pourra faire ses preuves s'il pose des interdictions, s'il reste
très ferme sur certaines positions, s'il sert, d'abord à
encadrer, mais aussi si, parallèlement, il demeure ouvert, audacieux et
permettant quelques transgressions dans certains domaines. J'utilise, ici,
l'expression du ministre Mattei qui expliquait récemment que la
médecine avait souvent progressé, entre guillemets, par des
transgressions. Elles doivent cependant être provisoires. La recherche
sur l'embryon est, d'ailleurs, un type de transgression pour lequel les
médecins nous demandent de franchir le pas. Mais, c'est dans le cadre de
ce modèle français, que nous pourrons prendre des
décisions sages.
Pr. Sadek BELOUCIF - Au sujet des brevets, je reste touché par la
différence entre invention et découverte. Nous pourrions, par
rapport au gène, opposer de façon binaire deux conceptions, l'une
considérant qu'il constitue un nouveau Far West ou une nouvelle
frontière, et l'autre prenant en compte une inspiration plus
rousseauiste. La proposition du professeur Axel Kahn de revenir à la
formulation ancienne : «
en tant que telle, la connaissance
totale ou partielle d'un gène ne peut faire l'objet d'un
brevet
» permet pleinement de différencier le travail
mécanique d'un séquenceur automatique par rapport à la
valeur ajoutée intellectuelle qui doit mériter salaire.
Pour les conséquences sociales ou l'évolution des
mentalités, nous craignons tous les dérives de certains
scientifiques, espèces de docteur Folamour ou Frankenstein, qui seraient
des fabricants de raison sans foi. Bien sûr, le Prophète
disait : «
les savants sont les héritiers des
prophètes
. » Cette parole signifie que la science, quand
elle est belle, est synthétique et intègre le sacré et le
profane. Elle est élaborée par des scientifiques responsables de
leurs connaissances, et plus nous sommes savants, plus nous devons être
responsables. Cette peur peut entraîner des réactions sociales
fortes. Il y a plus de dix siècles les philosophes mutazilites, les
rationalistes de l'Islam, disaient aux Omeyyades qui les
persécutaient : «
Nul n'est tenu d'obéir
à une créature, fut-elle un calife, lorsqu'il s'agit d'entrer en
rébellion contre le Créateur
. » Nous pourrions tous
nous dire que nous avons nos propres desseins et destins et récuser ces
lois, un peu comme Antigone s'opposant au roi Créon proclamait :
«
Je ne croyais pas tes édits, qui ne viennent que d'un
mortel, assez forts pour enfreindre les lois sûres, les lois non
écrites des dieux
. » Cependant, l'ensemble de ce qui nous
réunit est bien plus fort que ce qui nous distingue ou nous
sépare. Sur ce sujet, c'est la république qui va élaborer
le
religio
ou le
religare
.
M. Nicolas ABOUT, président - Oui, cependant lorsque nous essayons de
définir la bioéthique, nous ne faisons que tenter d'approcher ces
lois non écrites. Cette tâche se révèle bien
difficile.
M. Gilbert BARBIER - Nous abordons la question fondamentale, notre charge de
légiférer sur ce sujet. En écoutant vos conceptions sur
les problèmes de l'embryon, nous n'avons jamais évoqué le
fait qu'une trop grande restriction pourrait empêcher de sauver des vies.
En effet, cette recherche a quand même pour but d'essayer de soulager
certains de nos concitoyens, notamment atteints de maladies dont la
guérison pourrait passer par les thérapies
évoquées. Même si ce travail sur l'embryon doit être
extrêmement encadré et soumis à quelques interdictions, en
ne l'autorisant pas du tout, nous nous privons, tout de même, de soulager
et, éventuellement, de sauver des vies. C'est cette question que nous
devons garder à l'esprit.
Ma deuxième question serait de connaître votre attitude face
à des chercheurs qui, tout en appliquant la loi, transgresseraient les
données de votre religion. En ce qui me concerne, j'ai un souvenir
très douloureux, Nicolas About s'en souvient. Je suis catholique
et, étant parlementaire en 1979 au moment du renouvellement de la loi
Veil, j'ai reçu des menaces d'excommunication de dignitaires de
l'Eglise. Cela m'a profondément marqué parce que j'ai voté
la reconduction de la loi. Bien sûr, depuis 1979, les choses ont beaucoup
changé. Quelle serait votre attitude devant l'évolution de la
loi ?
M. Nicolas ABOUT, président - A l'époque, nous avions une
tâche effectivement difficile. M. Beloucif évoquait, à
l'instant, une époque où le prophète et le savant
étaient deux personnages. Nous sommes en présence de deux
personnes différentes mais, dans le temps, elles n'étaient
qu'une, donc, il était simple pour le prophète de penser ce que
devait penser le savant, et pour le savant de savoir ce que devait penser le
prophète. Aujourd'hui, nous sommes dans l'obligation d'écrire la
loi et nous nous tournons vers vous pour tenter de recevoir l'avis,
peut-être pas des prophètes, mais, en tout cas, de ceux qui
réfléchissent encore plus que d'autres à ces sujets.
Dr. Stéphane MEYER - Vous parliez, tout à l'heure, du discours
ambiant. Malheureusement, notre recherche du bien-être à tout va
n'est pas compatible avec ce que nous voudrions aujourd'hui faire. L'important,
aujourd'hui, est l'éradication de la maladie. Nous allons
peut-être nous trouver face à des cancers, qui n'ont pas lieu
d'être évoqués ici, nous ne sommes pas en séance
médicale. Mais, nous devons nous demander de quels moyens nous sommes
capables de nous doter au-delà du bien-être moral ou physique de
chacun. En parlant de bien-être moral, j'évoque toutes les
restrictions intellectuelles de chacun, pour le bien-être physique je
pense à l'eugénisme que pourrait engendrer le simple fait de
procéder à une échographie pour choisir le sexe de
l'enfant. Le coeur du débat réside dans cette question :
sommes-nous capables, aujourd'hui, de nous donner les moyens, au risque d'une
excommunication, d'aller jusqu'à la volonté d'éradiquer
une maladie potentielle ou non, quelles que soient les inimitiés ou le
mal-être pouvant être engendrés ?
M. Patrick VERSPIEREN - Pratiquement tout le monde, dans la
société française, s'accorde pour donner une grande
importance à la valeur santé. Notre pays doit se mobiliser contre
la maladie. C'est un grand acquis de notre histoire et nous n'avons pas
à revenir dessus. Les églises ont, d'ailleurs, beaucoup
travaillé en ce sens et l'histoire montre que ce sont elles qui se sont
investies au départ. En fait, la question est celle des limites.
Mon point de vue, depuis un certain temps, reposant d'ailleurs sur des
expériences personnelles et douloureuses, mais rejoignant l'intuition de
fond du christianisme, est que nous risquons de perdre le respect et le souci
des personnes très âgées affaiblies par des polypathologies
et ne relevant plus d'une médecine très technique. Cette question
me hante. N'oublions-nous pas alors nos préoccupations de
santé ? Que faisons-nous, notamment dans les services de
gérontologie, pour les personnes très âgées ?
Personnellement, j'ai connu une personne très âgée qui
n'intéressait plus personne. Elle était, par exemple,
acceptée dans un service de pneumologie, pour des
prélèvements dans le poumon, en chirurgie pour tel acte
chirurgical, mais ensuite il n'y avait pas de service de médecine
générale apte à l'accepter. J'insiste beaucoup sur ce
problème et je pense que tout cela rejoint le respect de l'embryon.
D'accord, nous devons oeuvrer contre la maladie, mais cela ne signifie pas
aller toujours plus loin dans la recherche. Il faut, certes, la
développer, mais nous devons, aussi, avoir d'autres
préoccupations, notamment celle de l'accueil des personnes qui ont
besoin surtout de « soins ».
M. Geoffroy de TURCKHEIM - J'ai, peut-être, manqué de
clarté, mais des églises comme l'église luthérienne
d'Alsace et de Moselle approuvent le principe de la recherche sur les embryons
et, en particulier, sur les surnuméraires. Ils développent
sensiblement les mêmes arguments que ceux invoqués lors de
l'approbation de la reconduction de la loi Veil, à savoir que ce recours
à l'avortement était légitime en cas de situation de
détresse y compris, comme en 1984, en cas de détresse sociale de
la mère. Donc, un peu de la même manière, dans le cas de
situation de détresse thérapeutique, nous savons que nous pouvons
y mettre fin. J'ajoute, sans aucun esprit de provocation ni même sans que
ce soit une demande, que certaines églises évangéliques
plutôt conservatrices sur le plan des moeurs, notamment à propos
de l'IVG, auraient préféré que les recherches soient
menées sur les embryons issus du clonage thérapeutique que sur
les surnuméraires. Elles ont une intuition éthique à
propos de ces derniers les conduisant à penser que ce n'est pas bien de
les utiliser. Cela rejoint la question de M. Degos : un embryon
est-il un embryon ? Je n'insiste pas mais vous voyez qu'il y a là
quelque chose.
M. Francis GIRAUD, rapporteur - Nous allons aborder le problème des dons
d'organes. Effectivement, ce n'est pas une nouveauté mais la loi
promulguée en janvier 2002 a, en particulier, élargi le cercle
des donneurs vivants à toute personne ayant avec le receveur une
relation étroite et stable. Que vous inspire cette modification de la
loi française ?
Pr. Sadek BELOUCIF - Je n'ai pas de commentaire particulier. On peut donner
parce qu'on est doué, on a reçu le don d'être compatible
à cet être cher. Je me placerai peut-être plus sur un plan
médical en reprenant la distinction du professeur Degos entre les
organes uniques et doubles. Le don de rein ne me pose pas de problème
à condition qu'une information pertinente et claire soit transmise. Les
dons de foie, par contre, occasionnent des soucis d'anesthésie et de
réanimation tout à fait particuliers.
M. Nicolas ABOUT, président - Quelle est votre position sur la greffe du
foie ?
Pr. Sadek BELOUCIF - Les chirurgiens hépatiques peuvent réussir
à dédoubler un foie. Cette question n'est pas philosophique mais
médicale. Vous savez que deux donneurs de foie sont morts et cela pose
des soucis d'information. Il faut bien se rendre compte que ce qui se passe est
parfois soucieux.
M. Gilbert BARBIER - Pouvez-vous élargir votre réflexion au
prélèvement d'organes
post mortem
?
Pr. Sadek BELOUCIF - Pouvoir donner est non seulement un acte de gentillesse
mais également un acte de grâce. L'Islam n'est absolument pas
réfractaire au don d'organes. Au contraire, une première
réunion en Jordanie en 1986 ou 1987 énonçait que
c'était faire preuve d'adoration que de pouvoir donner. Une
deuxième conférence multirégionale se réunit au
Caire en décembre et la France va être représentée
par son ambassade et le professeur Houssin, accompagné de membres du
comité d'éthique pour pouvoir plaider dans ce sens.
M. Michel GUGENHEIM - Les autorités rabbiniques ne voient aucun
problème en ce qui concerne le prélèvement d'organes sur
des personnes vivantes. La question du lien plus ou moins éloigné
entre le donneur et le receveur ne pose strictement aucun problème. Par
contre, la problématique renvoie au risque pour le donneur. La question
n'est pas tellement « avons-nous le droit » mais
plutôt « est-ce recommandé ou même
obligatoire ». La réponse consiste à dire que le
prélèvement est d'autant plus recommandé qu'il n'y a aucun
risque pour le donneur et d'autant moins quand un danger existe. Sur ce plan,
je me suis aperçu que le débat entre les autorités
rabbiniques ne provient pas, finalement, du principe rabbinique, mais des
différents médecins, avec des avis différents sur le
prélèvement de rein, par exemple, consultés par les
rabbins. En tout cas, nous n'avons aucune opposition si nous nous en tenons au
projet de loi qui autorise mais, bien sûr, en demandant l'accord express
du donneur.
Paradoxalement le sujet deviendra plus délicat pour un
prélèvement
post mortem
, ceci pour une raison simple,
c'est que, pour le prélèvement sur vivant, la personne est
là pour donner son accord. A notre avis, le bât blesse un peu
quand on présume d'un consentement nullement exprimé.
Effectivement, si la personne n'a pas donné l'autorisation de son
vivant, il est difficile de présumer qu'il l'a donnée. En outre,
dans le judaïsme, le respect dû au corps est une valeur
extrêmement importante, plus que dans le monde ambiant où, bien
sûr, une dépouille ne va pas être maltraitée
inutilement. Cependant, d'un autre côté, comme la personne est
morte, on considère que son corps peut être utilisé. Nous
ne partageons pas cette idée : pour nous, le corps qui a
vécu et été l'écrin d'une âme, conserve un
statut sacré. Pour sauver une vie, toutefois, mais seulement
hic et
nunc
, il est possible de porter atteinte à ce corps, mais uniquement
dans ce cas. Par contre, un prélèvement dans le cadre de la
recherche est strictement interdit car la démarche s'inscrit dans le
long terme.
M. Nicolas ABOUT, président - Vous ne formulez pas d'opposition si
l'accord a été donné par le défunt avant sa mort.
M. Michel GUGENHEIM - S'il y a son accord, nous n'avons aucun problème.
M. Gilbert BARBIER - Le droit appartient-il à la famille ?
M. Michel GUGENHEIM - C'est un problème de droit complexe qui n'a pas
été réellement tranché.
A priori
nous
pourrions avancer que la famille n'est pas titulaire des droits du
défunt. Le judaïsme est aussi attaché à l'affirmation
que le défunt reste titulaire de ce qui lui appartient après la
mort. De quel droit même un frère, ou un fils, pourrait-il
s'approprier ce qui ne lui appartient pas ?
M. Patrick VERSPIEREN - Dans le don d'organes, le catholicisme voit un
véritable geste de générosité et de
solidarité humaines. Il approuve donc véritablement le don
d'organes. Cependant, cette approbation porte sur le don, ce qui suppose une
véritable liberté et la gratuité. Si ce n'est pas gratuit,
s'il n'y a pas une véritable liberté et si la décision est
prise sous certaines pressions trop fortes, il n'y a pas vraiment don. C'est le
problème principal du don d'organes par un donneur vivant.
Paradoxalement, une certaine distance vis-à-vis de la famille permet,
éventuellement, une plus grande liberté. Ayant organisé un
colloque sur le don d'organes du vivant, j'ai perçu qu'il existait des
pressions familiales. Votre responsabilité comme législateur est
de prendre des mesures pour préserver, dans la mesure du possible, un
don suffisamment libre. Vous prenez certaines précautions avec,
notamment, le comité d'experts dont je ne sais pas s'il est bien
nommé. Un problème est celui d'un éventuel commerce
lorsque le donneur est extérieur à la famille. Vous devez prendre
des précautions pour éviter cela, mais la liberté concerne
la famille. Vous devez vous assurer qu'une certaine distance est
respectée, que tout sera arrêté si trop de pression est
perçue. Le comité d'experts pourrait-il recevoir toute personne
proposant un don ? Je pose cette question à titre personnel. La loi
doit également protéger la personne contre un excès de
générosité. Je pense ici à des
prélèvements présentant des risques, comme celui d'une
partie de foie, spécialement sur des personnes présentant des
fragilités de santé. Renvoyez-vous toute la responsabilité
sur le médecin préleveur ? Exigerez-vous, en plus de la loi,
des bonnes pratiques cliniques, pour résoudre ce problème de la
protection contre des risques trop importants ? Cela me paraît une
question importante.
Sur le prélèvement
post mortem
, le corps après la
mort n'appartient à personne, et évidemment pas à la
famille. Cependant, là n'est pas la question. Au nom de mon
église, je suis très réservé quant à tout ce
qui traiterait le corps après la mort comme un objet, une pure chose ou
une forme de nationalisation des corps. Cela suppose que des paroles soient
échangées. Un consentement du défunt avant sa mort doit
être recherché mais en l'absence de cela, je cite ici les
évêques français, «
il ne serait pas humain de
prélever en cas d'opposition de la famille
». Il ne s'agit
pas de propriété mais de sensibilité et de tradition. La
famille a un rôle et j'ai même entendu des médecins,
travaillant dans les prélèvements d'organes, parler de leur
épreuve quand il s'est agi d'un de leurs enfants. Ce genre
d'événement est très traumatisant et, donc, il faut
s'organiser pour permettre la parole. Il ne faut pas résoudre la
question en optant systématiquement pour le prélèvement,
ce n'est pas humain. Un grand effort a été justement
réalisé dans les hôpitaux avec la mise en place de
coordinatrices qui permettent l'échange de paroles. Je terminerai en
affirmant qu'il ne serait pas humain de prélever en cas d'opposition de
la famille car elle peut n'être pas persuadée de la mort dans la
mesure où la personne, lors du prélèvement,
présente des apparences de vie.
M. Geoffroy de TURCKHEIM - Je ferai une réponse analogue sur ces sujets
dans le sens où ce sont des actes graves et risqués
méritant d'être accompagnés sur le plan psychologique. En
même temps, sur le plan moral ou éthique, de telles dispositions
ne paraissent pas condamnables. Ce sont des gestes graves mais pas condamnables
moralement. Je reprendrai, ce n'est peut-être pas la question, les propos
récents du ministre selon lesquels les conditions de
prélèvement d'organes sur les personnes
décédées doivent être améliorées. Je
constate auprès de l'opinion publique, des aumôniers
d'hôpitaux et des familles que la loi est soit mal connue, soit
interprétée de travers. Les médecins semblent très
réticents à l'appliquer à la lettre. Pour les raisons
venant d'être évoquées, ce sujet est très difficile
mais une possibilité doit être trouvée pour sortir, non pas
de ce flou juridique car la loi est claire et même trop pour être
appliquée telle quelle, mais de cette situation.
Pr. Sadek BELOUCIF - Je veux juste évoquer un point très court
pour aller dans le sens de la protection que plaidait M. Verspieren face
aux donneurs vivants. Dans le projet de texte apparaît une
ambiguïté suite à une modification de la rédaction.
En effet, au départ la commission devait donner un avis non
motivé, mais un amendement a modifié cette disposition en
indiquant que, désormais, il doit l'être. A mon avis, ne pas
motiver l'avis permet de garder le secret professionnel et une meilleure
relation entre le médecin et la famille. Comme médecin, je
pourrais révéler qu'un prélèvement n'est plus
possible à cause d'une sérologie positive alors que je
préférerais ne pas en informer la famille. Je plaiderai, donc,
pour une non-motivation de l'avis.
Dr. Stéphane MEYER - Evidemment, je suis pour le don d'organes avec une
information à tous les niveaux pour le donneur vivant, aussi proche
soit-il, sur les risques encourus. Cette disposition paraît absolument
nécessaire. Nous ne pouvons pas tuer un donneur au
bénéfice d'un receveur. L'information doit également
être diffusée pour tenter d'obtenir le maximum de donneurs
pré mortem
ou
post mortem
. Beaucoup de campagnes sont
menées dans ce sens et c'est très important. En effet, nous
manquons cruellement d'organes, de nombreux receveurs attendent et nous devons
essayer de pallier cette carence, bien entendu sans trafic, en restant anonyme
et complètement gratuitement. Un énorme travail d'information est
à réaliser sur tout le monde, chacun jugeant avec sa
sensibilité, mais actuellement cette tâche n'est pas encore assez
menée en profondeur.
M. Nicolas ABOUT, président - Nous arrivons au terme de notre table
ronde. Chacun de nos invités peut, pendant cinq minutes, aborder un
sujet qui ne l'a pas été et au sujet duquel il souhaite nous
laisser un message fort. Ainsi, les commissaires seront parfaitement
informés de leurs pensées.
Pr. Sadek BELOUCIF - Je voudrais vous remercier car j'ai beaucoup appris. On me
confiait, tout à l'heure, que le bruit ne faisait pas de bien et que le
bien ne faisait pas de bruit. Cependant, vous devez pouvoir lancer le
débat dans la population générale de manière
éventuellement plus forte car ces sujets sont fédérateurs
et indépendants des querelles politiques et autres. Nous pouvons louer
nos amis allemands qui, cet été, ont publié dans le
Frankfurter Allgemeine Zeitung
, une sorte de feuilleton éthique
où, quotidiennement, des arguments étaient
présentés pour ou contre la recherche sur l'embryon. La Haute
assemblée dispose peut-être de la vocation de lancer ce
débat dans une atmosphère sereine et apaisée.
A la question du sénateur Barbier demandant si nous appliquerions une
loi transgressant nos convictions, je répondrai brièvement :
Dura lex sed lex
. L'intérêt général prime
l'intérêt particulier, nous pouvons d'ailleurs nous
référer à l'avortement. Quelles que soient mes convictions
personnelles à ce propos, comme responsable hospitalier, je me dois
d'assurer une continuité du service public. Bien entendu, ce n'est pas
parce que c'est légal que c'est moral, cette distinction pourrait
être source d'enrichissement du débat entre nous. Le comité
d'éthique a pu naître du rapport au droit mais nous pouvons nous
demander si notre attitude générale, la morale ou
l'éthique ne procèdent pas d'un acte de foi, si ce n'est en Dieu
au moins en l'homme.
M. Michel GUGENHEIM - D'abord, à propos du transfert d'embryons
post
mortem
, les autorités du rabbinat sont elles-mêmes encore
partagées. Personnellement, ce qui me choque dans ce problème,
est la création,
a priori
, d'un orphelin et j'ai pitié de
ce pauvre enfant qui n'aura pas de père. Ce qui m'a choqué dans
le projet de loi est que la faculté est présentée lorsque
s'engage le processus. Autant je peux comprendre, et c'est dans ce cas que les
rabbins sont partagés, une demande formulée de façon
expresse par une épouse éplorée voulant, en quelque sorte,
une trace de son ex-mari, par contre, aller au devant des gens et leur proposer
cette possibilité alors qu'ils n'y ont probablement jamais pensé
me paraît aller un peu loin en besogne.
Plus généralement, je voulais dire que, lorsque je siège
dans les assemblées comme ici, mon propos, en exprimant la parole du
judaïsme, n'est bien sûr pas de penser que notre point de vue va
être suivi puisqu'il est strictement minoritaire. Toutefois,
l'idée peut servir à éclairer. Cependant, le point
important, pour moi, comme représentant d'une minorité n'est pas
que l'examen de la loi fasse droit à notre point de vue mais qu'il
permette, au moins, à cette minorité de vivre tranquillement dans
son pays. A ce propos, la clause de conscience dans le projet de loi est
satisfaisante puisqu'elle permet, par exemple, à un praticien de ne pas
pratiquer l'IVG si c'est contraire à ses convictions. En outre, plus
généralement, un consentement express, éclairé et
libre est toujours demandé. A partir du moment où ces deux
principes sont respectés, nous sommes finalement bien
protégés. Je voudrais conclure, sur ce point, en relevant les
quelques exceptions à la loi qui ne paraissent pas logiques. Par
exemple, lorsqu'un consentement est présumé, il est passé
outre le principe de consentement express. Cela me paraît difficile dans
la mesure où nous allons ici au-delà de la liberté
individuelle. J'ai également été frappé que les
parties pénales du projet de loi n'entrent en vigueur que lorsque, par
exemple, le protocole n'a pas été suivi, mais pas dans le cas
où le médecin ne s'est pas intéressé à
rechercher comme il le fallait le point de vue du défunt. Cela montre
bien la relative minoration de ce point par le législateur. Je
souhaitais mettre l'accent là-dessus pour conclure.
M. Patrick VERSPIEREN - Sur la question du transfert d'embryons
post
mortem
, je serai très bref en vous avouant ma grande
perplexité, je ne vous en dirai donc pas plus.
A propos de l'Agence prévue dans le projet de loi, il est sans doute
sage qu'une instance soit chargée de veiller au respect de règles
fixées par le droit. Cependant, c'est à ce dernier qu'il revient
de les édicter et le législateur ne doit pas se défausser
de ses responsabilités sur un établissement, fut-il public, ou
sur un fonctionnaire agissant au nom de l'Etat comme précisé
à l'article 14-17. Cependant, cette réflexion n'est pas une prise
de position contre l'Agence mais consiste à signaler que nous devons
faire attention : ce n'est pas la création d'une telle structure
qui résout des problèmes éthiques et juridiques difficiles.
D'une manière générale, tous ces débats me
confirment, dans cette vision, que la santé est une valeur très
importante dans une société. La recherche médicale doit,
évidemment, être favorisée mais la grande question est
celle des limites à poser, ce qui relève notamment du rôle
de la loi et du législateur. A mon sens, ces limites doivent être
axées sur le respect de l'homme.
Nous sommes attirés par le scientifique et le technique, mais nous
risquons d'oublier le soin tout court. Il importe de redécouvrir la
dignité de l'homme et de tout homme, même, et peut-être
surtout, s'il ne bénéficie plus des ressources de ces
technosciences biomédicales.
Comme dernière remarque, je noterai que nous devons faire oeuvre de
sagesse et résister à la fascination des modes, qui existent
même dans le domaine scientifique. Je citerai ici tous les espoirs mis
dans la thérapie génique. L'une des questions que je posais, il y
a douze ans, dans un colloque, était de demander si c'était
vraiment la voie à privilégier. Ne devrions-nous pas plutôt
comprendre les maladies génétiques ? On m'a
répondu : oui, mais cette démarche est très difficile
et, donc, nous nous sommes lancés dans la thérapie
génique. Bien sûr, nous pouvons en attendre des
résultats ; mais, pour le moment, ils s'avèrent
limités. Nous pouvons nous souvenir des discours tenus, en 1988, sur le
séquençage du génome, qui était censé nous
faire découvrir les secrets de la vie. Finalement, le génome a
été séquencé et nous avons obtenu une carte, comme
nous pouvions nous y attendre. Actuellement, le sujet porte sur les cellules
souches embryonnaires : une espèce de fascination apparaît
à propos de la recherche sur l'embryon. Ne serait-il pas rationnel
d'observer une certaine distance face à cette fascination ? La
sagesse consiste parfois à résister à certaines modes.
M. Geoffroy de TURCKHEIM - Je me demande si le texte de loi aborde suffisamment
la question des cellules souches adultes dont nous avons beaucoup parlé.
Je ne suis pas juriste et je ne sais pas si autoriser des pratiques un peu
évidentes et ne posant pas de problème moral, pourrait servir.
Cependant, une précaution serait peut-être à aborder
à ce sujet.
L'expression, à l'article 21-51 alinéa 3, selon laquelle une
expérience ne peut être menée qu'à condition qu'elle
ne puisse être poursuivie par une méthode alternative
d'efficacité comparable, m'a un peu choqué. En effet, nous avons
envie de dire que votre oui soit oui, et que votre non soit non. Sur le plan
moral, cela doit être permis ou pas, mais pas les deux.
La question de l'élargissement du champ d'action du DPI suscite une
interrogation toute personnelle, je n'en ai pas discuté sur le plan
fédératif. En effet, lorsque j'ai appris l'avis du comité
consultatif d'éthique, j'ai été très
étonné, connaissant la sagesse de cet organisme.
Sinon, nous partageons avec beaucoup une inquiétude à propos de
l'Agence. Cet organisme donne l'impression de disposer d'un champ d'action et,
donc, d'un pouvoir considérable. Dans cette structure se retrouveraient
des politiques et des scientifiques, ce qui est très bien, mais nous
nous sommes demandés ce matin si, dans le cadre d'une instance à
l'apparence très professionnelle et technicienne, des risques de
dérive entre des partenaires complices ne peuvent pas apparaître.
Un comité des sages a été évoqué, ce serait
peut-être la solution mais nous restons perplexes.
Je termine en répondant à votre question sur mon idée
à propos des débats de ce matin. J'ai été
très agréablement surpris, je dis cela sans flagornerie, car je
ne pensais pas qu'une loi était discutée aussi
sérieusement par les parlementaires. Les consultations ont
été très écoutées, les sénateurs
attentifs et ne faisant pas usage de la langue de bois. Le débat est
vraiment important et cela fait plaisir.
M. Nicolas ABOUT, président - Croyez bien que nous savons l'importance
des sujets que nous traitons et qu'ils amènent des discussions vraiment
en profondeur, comme cela a été le cas avec le handicap, auquel
nous avons consacré beaucoup de temps en auditions. Nous en aurons
encore d'autres lorsque nous atteindrons le stade d'une proposition. En effet,
nous réfléchissons en amont et, ensuite, nous faisons valider nos
propositions en aval, avant même de voter.
Les sujets sont trop importants et je suis d'accord avec votre idée sur
« que votre oui soit oui et que votre non soit non ».
Cependant, en matière de bioéthique, nous devrons, sans
arrêt, remettre l'ouvrage sur le métier et nous vous
réinviterons dans quelques années pour connaître
l'évolution de vos pensées. Nous avons besoin de vous et, comme
vous l'avez très bien précisé, une erreur manifeste dans
la composition de l'Agence existe. Certes, des scientifiques ou des politiques
sont nécessaires mais il faudrait intégrer ceux qui ont pour
mission, non pas de jouer les prophètes, mais de guider et d'approfondir
la réflexion. Cela est très utile et nous avons beaucoup à
faire dans ce domaine.
Dr. Stéphane MEYER - Je voulais aborder le point important des
subventions pour la recherche d'Etat. Ce serait très grave de laisser
l'industrie monopoliser la recherche parce qu'elle s'approprierait très
vite toutes les découvertes que nous pourrions faire, avec
malheureusement toutes les dérives possibles. Messieurs, vous avez un
rôle important à jouer pour permettre aux chercheurs de rester en
France et d'y travailler en toute tranquillité. C'est un point important
à aborder.
Pour terminer, comme l'énonçait l'un des intervenants, associer
deux mots, comme bio- de biologie, et éthique, ne peut pas être
facile puisque c'est le mélange de l'eau et du feu. En effet, si la
biologie peut être binaire, scientifique pure et mathématique,
l'éthique restera toujours dans le domaine du ternaire, de l'intuitif et
de la personnalité de chacun. C'est, peut-être, la raison pour
laquelle certaines personnes plus férues d'éthique ont une place
auprès de vous.
M. Francis GIRAUD, rapporteur - Nous arrivons ce soir à un terme
fondamental de ces auditions menées depuis six mois, et auxquelles vous
avez été nombreux à participer. La journée
d'aujourd'hui est significative avec l'accueil, ce matin, de chercheurs et de
médecins et, cet après-midi, cette table ronde avec la
représentation des courants de pensée, religions et philosophies.
Comme l'a précisé un collègue, la tâche du
législateur n'est pas facile parce que nous ne sommes ni un
comité scientifique, ni des représentants d'églises ou de
philosophies. Nous devons écouter tout le monde comme, je crois, nous
l'avons fait. Ensuite, nous allons essayer, le mot semble-t-il a
été prononcé et le Sénat s'honore, d'adopter une
telle attitude devant des textes difficiles, de décider en sagesse.
Cependant, comme cela a été précisé, il sera
impossible de satisfaire tout le monde. Cependant, la loi peut, en apportant
des repères et des limites et en tentant, autant que possible, de ne pas
figer des situations, rester attentive à une évolution
éventuelle. Notre collègue M. Chérioux, grâce
à sa large participation aux lois de 1994, sait bien que le fait d'avoir
fixé un délai de cinq ans, a permis neuf ans plus tard d'entamer
la révision. Il ne faut peut-être pas inscrire un terme fixe dans
la loi mais permettre au Parlement, et vous ne nous en voudrez pas puisque nous
représentons la population française, d'avoir le dernier mot pour
fixer les grandes orientations.
Nous vous remercions tous. Le président Nicolas About a beaucoup mis en
oeuvre pour que ces auditions, tout au long de l'année, soient
très instructives, ce qui a été le cas.
M. Nicolas ABOUT, président - Je voudrais remercier le public qui a
assisté à ces auditions, tous les téléspectateurs
qui vont les suivre sur la chaîne Public Sénat, tous nos
invités, les commissaires présents, notre rapporteur et les
collaborateurs de la commission qui ont permis de faire avancer ce difficile
sujet.