A. PRÉSERVER ET ADAPTER LE MODÈLE D'ARMÉE

A la différence des textes précédents, la loi de programmation militaire 1997-2002 s'est inscrite dans le cadre beaucoup plus large d'une réforme en profondeur de notre outil de défense, touchant ses missions, son organisation et son format. Une planification à moyen terme des objectifs assignés aux armées a guidé cette réforme, en prenant pour référence un modèle d'armée à l'horizon 2015.

Avant d'aborder, à partir de 2003, une deuxième étape de ce parcours, il est légitime de s'interroger sur la pertinence des objectifs arrêtés en 1996 et sur l'opportunité de continuer à s'y référer.

Votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a abordé cette question avec les responsables de la défense et les experts qu'elle a entendus en préalable à l'examen du projet de loi. Ces échanges l'ont convaincue que cette référence demeurait largement valable , même s'il est évidemment indispensable de l'actualiser à la lumière des éléments les plus récents du contexte stratégique.

Plus précisément, notre défense doit aujourd'hui faire face à un plus large éventail de situations. Mais les capacités nouvelles exigées pour y répondre ont vocation à s'ajouter, et non à se substituer, à celles du modèle d'armée 2015 , ceci bien entendu dans la limite de nos moyens et de nos ambitions, qui ne sont pas ceux d'une puissance mondiale cherchant à garantir sa suprématie absolue en tout temps, en tout lieu et face à tout type d'adversaire.

Aussi votre commission approuve-t-elle pleinement le double choix opéré par le projet de loi :

- maintenir la référence au modèle 2015 et se doter des moyens nécessaires à sa réalisation, qui était compromise ;

- procéder à son actualisation pour tenir compte de l'évolution des besoins de défense.

1. La réalisation du modèle 2015 demeure nécessaire

Le niveau de ressources prévu par le projet de loi de programmation déposé en juillet 2001 par le précédent gouvernement, et a fortiori celui qui aurait résulté d'un simple maintien des crédits par rapport à la période 1997-2002, conduisait directement à la remise en cause du modèle 2015, soit par un décalage de sa réalisation dans le temps, soit par abandon pur et simple de certaines capacités.

Parmi les déficits qu'aurait engendré le projet précédent, on peut citer :

- dans le domaine du commandement, des communications et du renseignement, l'absence de confirmation de lancement du second satellite Syracuse III et un retard sur les systèmes de commandement ne permettant à la France d'assurer que la conduite d'opérations de moyenne envergure ;

- une accentuation des lacunes déjà importantes pour le transport stratégique et l'aéromobilité,

- en matière de frappe dans la profondeur, la prolongation du « trou » capacitaire lié à la non-permanence du groupe aéronaval ;

- dans la maîtrise des différents milieux, un ralentissement de la cadence de renouvellement des matériels, un affaiblissement des moyens navals de lutte anti-aérienne, du fait de l'absence de commande de la 3 ème frégate Horizon.

Ces différents éléments auraient sans conteste affaibli la cohérence de notre outil militaire. Le redressement des ressources opéré par le présent projet de loi permet d'éviter cette situation. Il réaffirme la validité du modèle d'armée et la nécessité de l'atteindre « pour l'horizon 2015 dans toutes ses capacités ».

Rappelant que le modèle d'armée 2015 constitue « un cadre général de grands objectifs et de moyens réalisables à cet horizon » , le rapport annexé au projet de loi souligne qu'il « répond à une analyse stratégique approfondie qui constatait dès 1996 des tendances de fond , notamment : l'absence de menace militaire directe à proximité de nos frontières ; l'existence d'une instabilité dangereuse capable de dégénérer rapidement en de multiples points du globe et pouvant nous amener à contribuer à une intervention militaire extérieure au sein de coalitions ; l'accroissement des risques dus à la prolifération des armes de destruction massive , et l'apparition possible de menaces asymétriques, dont le terrorisme . »

Le projet de loi considère que « cette analyse, dans ses axes principaux, reste pertinente aujourd'hui » . Il souligne que « les menaces et risques identifiés, dont certains se sont renforcés et concrétisés depuis lors, constituent la base du dimensionnement et de la structure de notre modèle d'armée ».

Votre commission souscrit pleinement à cette analyse qui intègre tous les enseignements des crises récentes sans pour autant faire de la dernière actualité le prisme unique au travers duquel devrait être défini notre outil de défense.

Chaque crise présente en effet ses particularités. Le conflit d'Afghanistan se distinguait de celui du Kosovo ou de la guerre du Golfe et le risque que représentent le terrorisme ou les armes de destruction massive n'exclut pas la nécessité de faire face à des situations plus traditionnelles comme en Côte d'Ivoire.

Votre rapporteur demeure convaincu que « les grandes fonctions stratégiques dont découle notre modèle d'armée (dissuasion, prévention, projection-action, protection) conservent toute leur pertinence », selon les termes repris par le rapport annexé.

De ces quatre fonctions stratégiques, la dissuasion est sans doute celle qui demeure marquée par la plus grande permanence, puisqu'elle touche à l'essence même de notre politique de défense, en tant que garantie ultime de nos intérêts vitaux. Même si elles ne jouent pas le même rôle que lors de la guerre froide, les armes nucléaires sont désormais détenues par un nombre plus important de pays -le cas nord-coréen en apporte une nouvelle illustration- et elles demeurent une pièce majeure du paysage stratégique international. Notre doctrine a évolué en conséquence, prenant en compte les menaces émanant de puissances régionales, la posture définie en 1996, dans une optique de stricte suffisance, constituant la référence et conditionnant sur le moyen terme l'évolution de nos forces.

La diversification des menaces et leur caractère diffus, lorsqu'il s'agit par exemple du terrorisme, n'ont pu que renforcer la fonction de prévention , et notamment l'accent mis dès 1996 sur la nécessité de renforcer le renseignement d'origine humaine et technique.

De même, les évolutions récentes n'ont pas remis en cause, bien au contraire, la fonction de projection et d'action , dont on sait désormais qu'elle doit pouvoir être assurée dans de brefs délais vers des théâtres éloignés. Cet impératif confirme la nécessité de tous les programmes liés aux capacités de transport, de soutien et de ravitaillement, ainsi qu'aux moyens de frappe dans la profondeur.

Enfin, la fonction de protection prend une dimension accrue, qu'il s'agisse de la protection du territoire national et de ses approches aériennes ou maritimes, ou de celle de nos ressortissants dans le monde et des troupes déployées sur les théâtres extérieurs.

Aussi votre rapporteur ne peut-il partager certains jugements sommaires proclamant le caractère périmé de notre modèle d'armée. Bien au contraire, au vu d'un contexte international qui s'est dégradé et d'exigences accrues de sécurité, on ne voit pas quelle capacité serait désormais devenue inutile ou sans objet, et dans quel domaine il faudrait renoncer à renouveler nos équipements, alors que le format des armées a déjà été fortement réduit et ajusté à des ambitions qui n'ont rien d'excessives.

La réalisation du modèle 2015 demeure donc nécessaire , ce qui n'exclut pas bien entendu son actualisation, elle aussi indispensable.

2. L'actualisation du modèle 2015 est engagée

Les développements stratégiques récents et la volonté de la France de contribuer au projet de défense européenne ont été pris en compte par le projet de loi de programmation. Il procède donc opportunément à une actualisation du modèle dont les premiers effets se traduiront dès la période 2003-2008 et devront être prolongés lors des lois de programmation futures.

Le domaine du commandement, du renseignement et des communications fait ainsi l'objet d'un renforcement significatif par rapport à la loi de programmation précédente. Il s'inscrit en outre clairement dans une perspective européenne , étroitement liée aux objectifs de capacité retenus lors du sommet de Nice en décembre 2000.

Les différents niveaux de commandement seront dotés de moyens « multinationalisables » nécessaires à l'intégration de nos partenaires européens.

Les systèmes de drones, pour le renseignement à base d'imagerie, sont désormais introduits dans le modèle avec les programmes MCMM et MALE, qui seront développés au cours de la période 2003-2008 et le projet HALE inscrit au modèle 2015. Pour palier l'absence de satellite national en la matière, une capacité de réception d'images satellitaires tout temps devrait être réalisée en coopération européenne . Dans le cadre du programme Hélios II est prévue l'adjonction d'une capacité d'appréciation de situation avec des images à très haute résolution. Enfin, de nouveaux capteurs aériens (nacelles aéroportées de reconnaissance nouvelle génération) sont identifiés.

Le modèle inclut également, sur le fondement des décisions prises par l'Union européenne, une contribution à la fonction de sécurité du système Galiléo , afin d'acquérir une capacité de positionnement avec des moyens de navigation satellitaire.

Le développement de capacités de lutte informatique, sous un aspect tant défensif qu'offensif, est lui aussi pris en compte.

Dans le domaine de la projection et de la mobilité des forces , les lacunes initiales du modèle 2015 ont fait l'objet d'analyses critiques à l'occasion des opérations de ces dernières années. Pour améliorer les capacités de transport aérien , le format sera rehaussé avec l'acquisition supplémentaire de deux CASA 235 et de deux avions multirôles destinés au transport à long rayon d'action et au ravitaillement en vol des avions de combat ( MRTT : multi role transport tanker ). La capacité de projection maritime sera modernisée grâce à la mise en service de deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) qui remplaceront deux transports de chalands de débarquement (TCD). Capables de projections amphibies et héliportées, ils disposeront d'une forte capacité de commandement et de soutien santé.

En matière d'action et de frappe dans la profondeur , les inflexions du modèle tirent là aussi les enseignements des engagements militaires les plus récents, en particulier dans les Balkans et en Afghanistan.

L'objectif de la permanence du groupe aéronaval sera atteint, avec la commande d'un deuxième porte-avions, livré avant 2015 , c'est-à-dire avant la deuxième période d'indisponibilité programmée du porte-avions Charles de Gaulle.

La capacité de délivrer des frappes précises à grande distance à partir de frégates ou de sous-marins, sera acquise grâce au développement du missile de croisière naval ,  essentiel pour nos capacités d'action nationale ou en coalition.

Des objectifs nouveaux sont introduits concernant les forces spéciales . Au-delà de la création d'une nouvelle unité de niveau brigade, les capacités de projection (hélicoptères spécialisés) et de transmissions sécurisées seront rehaussées.

Enfin, le modèle inclut désormais les éléments nouveaux de guerre électronique offensive (nacelles de brouillage offensif) et une capacité tout temps pour les armes air-sol de précision : ces développements sont indispensables pour les opérations extérieures de nos forces.

En ce qui concerne la protection , et pour répondre à la montée des menaces liées à la prolifération des armes de destruction massive, biologiques en particulier, et à leur utilisation possible dans le cadre d'actions terroristes, un ensemble de mesures a été décidé après les attentats du 11 septembre pour améliorer la protection et la sauvegarde des forces.

Une première étape est prévue pour la capacité de protection des forces déployées contre des missiles balistiques de portée courte à moyenne (600 km) ; cette capacité de système de missiles antibalistiques est fondée au départ sur la réalisation de moyens spécifiques en missiles sol-air, radars de détection et moyens de commandement et de gestion. En outre, des études sont conduites dans les domaines de l'alerte avancée et des moyens permettant de fusionner les informations, d'intégrer les différents systèmes et d'assurer leur interopérabilité.

L'adoption d'un objectif de capacité de défense biologique vise à permettre la protection individuelle de 35 000 hommes et collective de 10 sites projetés. Cette capacité prend en compte la protection médicale face à un nombre significatif d'agents.

Les besoins de protection de l'infanterie conduisent à réévaluer les objectifs en volume des véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) et à programmer l'acquisition de moyens nouveaux chenillés (véhicules articulés chenillés). L'introduction du système FELIN participe de cette orientation.

Enfin, les moyens de surveillance et de sauvegarde des approches et de l'espace aérien et maritime du territoire seront renforcés, en particulier par l'acquisition de radars Giraffe et l'amélioration de la chaîne sémaphorique.

Le projet de loi de programmation comporte en outre les orientations définies par le projet de loi d'orientation sur la sécurité intérieure qui se traduiront par un important renforcement des moyens de la gendarmerie , tant en personnels qu'en moyens de fonctionnement et en matériels.

LE RENFORCEMENT DES MOYENS DE LA GENDARMERIE

La gendarmerie verra ses effectifs passer de 98 134 à 106 427 hommes de 2002 à 2008, soit une augmentation de 8 293 postes.

L'enveloppe prévue sur la période par la loi de programmation et la LOPSI s'élève à 3,3 milliards d'euros 2003 d'autorisations de programme et 3,2 milliards d'euros 2003 de crédits de paiement .

Dans le domaine des équipements, ces dotations permettront l'acquisition de plus de 16 200 véhicules destinés aux brigades, la commande de 6 hélicoptères de sauvetage et d'intervention et de 15 hélicoptères de surveillance , le remplacement de 122 véhicules blindés à roues (VBRG), l'accentuation de l'informatisation des unités et le renouvellement de l'habillement .

En matière d'infrastructures, un important programme d'investissement immobilier sera lancé avec la mise en chantier de 10 000 unités logement, de 24 unités de formation et de 59 unités spécifiques correspondant à des locaux techniques ou scientifiques. Plus de 185 millions d'euros sont destinés à l'entretien du patrimoine immobilier de la gendarmerie.

3. Quelle dimension européenne pour notre loi de programmation ?

Au delà de la question de la pertinence du modèle d'armée et de la nécessité de l'actualiser, se pose celle de sa cohérence avec les développements de la politique européenne de sécurité et de défense. En d'autres termes, notre cadre de référence conserve t-il tout son sens et ne devrait il pas être radicalement revu à la lumière de l'élément nouveau que constitue cette politique européenne ?

Face à cette interrogation légitime, votre rapporteur souhaite tout d'abord rappeler une évidence : la loi de programmation française engage les autorités françaises et elles seules. Si elle doit tenir compte des accords intervenus avec nos partenaires, et cela est par exemple le cas dans le domaine des capacités satellitaires, elle ne peut suspendre des pans entiers de son exécution à des coopérations demeurant au stade d'hypothèses et soumises à des décisions nationales. Il est ainsi difficile à la loi de programmation d'anticiper des coopérations futures , et d'aller au delà du rythme de progression de la défense européenne.

Il est par ailleurs important de souligner que notre modèle d'armée doit pouvoir répondre au scénario d'une opération à caractère purement national - la Côte d'Ivoire l'illustre pleinement - et qu'à l'heure actuelle, l'ambition européenne en matière militaire se limite à la conduite de missions de type « Petersberg » .

Enfin, les faits démontrent clairement que l'édification d'une dimension européenne de la défense ne peut s'affirmer indépendamment des efforts nationaux . Bien au contraire, seul le renforcement de ces derniers est de nature à concrétiser le projet européen de défense, et de passer du stade des intentions à celui des capacités concrètes d'action.

Ce préalable étant posé, votre rapporteur a le sentiment que la dimension européenne constitue bien une caractéristique importante du projet de loi de programmation , même s'il est toujours possible d'estimer qu'elle aurait pu être plus forte encore si des progrès plus rapide étaient intervenus en matière de politique européenne de sécurité et de défense.

D'une part, de multiples volets du projet de loi traduisent la volonté de la France de respecter son engagement capacitaire pris à Helsinki et réaffirmé dans le cadre du plan d'action européen sur les capacités lancé au début de l'année 2002. L'acquisition de drones de surveillance, de missiles de croisière et d'armements de précision, de capacités de ravitaillement en vol, de systèmes d'information et de commandement déployables, de moyens satellitaires plus performants ou encore d'un second porte-avions dont la commande est programmée en 2005, sont autant de contributions essentielles pour combler les lacunes identifiées par l'Union européenne .

D'autre part, le poids des programmes conduits en coopération continuera à s'accroître au cours de la prochaine loi de programmation. Il ne représentait que 7% du titre V en 1997, est passé à 10% en 2000 et se situera en moyenne à 12% tout au long des six prochaines années .

Plus globalement, il est clair que le redressement du budget d'équipement français est désormais de nature à créer une dynamique plus favorable et à entraîner de nouvelles coopérations.

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