C. LE PARCOURS HÉSITANT DE L'AMBITION EUROPÉENNE DE DÉFENSE
Les six
dernières années ont incontestablement été
marquées, en matière de défense européenne, par des
avancées auxquelles la France a contribué et qui confortent sa
volonté clairement affirmée d'inscrire sa politique de
défense dans un cadre européen susceptible de lui donner plus de
poids et d'efficacité.
Tout en reconnaissant qu'un projet tel que l'Europe de la défense
implique nécessairement un long et patient cheminement, on doit
constater cependant que ses bases demeurent fragiles. Les espoirs nés de
la déclaration franco-britannique de Saint-Malo et du Conseil
européen d'Helsinki ont du être réévalués
à la lumière des réalités. Les différences
de perception entre les Etats-membres, l'incidence de leur situation
intérieure, politique ou économique, ou encore les conflits entre
engagement européen et solidarité atlantique sont autant
d'éléments qui ont perturbé la marche en avant de ce
projet.
Les moyens considérables engagés par les Etats-Unis en vue du
renforcement de leur
leadership
politique, militaire et industriel font
ressortir, par contraste, tous les
obstacles qui entravent aujourd'hui
encore l'affirmation d'une ambition européenne de défense
,
qu'il s'agisse de la définition des objectifs européens ou de la
volonté et de la capacité à les mettre en oeuvre. Ces
hésitations se retrouvent dans la difficulté à faire
émerger une politique européenne de l'armement.
1. La construction de l'Europe de la défense : quels moyens au service de quels objectifs ?
a) Les ambiguïtés originelles de la politique européenne de sécurité et de défense demeurent dans un contexte de renforcement du poids des Etats-Unis
Dans son
discours sur l'Europe, prononcé à Marseille le 2 décembre
2002, le ministre des Affaires étrangères interrogeait :
«
qui pourrait comprendre qu'une puissance de près de 500
millions d'habitants ne se donne pas les moyens de défendre une vision
propre de sa sécurité ?
».
Pourtant,
l'Europe de la défense
, telle qu'elle est aujourd'hui
formulée dans les traités,
n'est pas la défense du
territoire européen
, laquelle relève au premier chef des
Etats et, le cas échéant, de l'Alliance atlantique. Elle
ne
traduit pas davantage l'ambition d'une « Europe
puissance »
, dont la politique étrangère et de
sécurité permettrait l'existence de l'Union, en tant que telle,
sur la scène internationale, de façon proportionnée
à son poids démographique et économique.
Onze des quinze membres
3(
*
)
de
l'Union sont en effet liés par l'engagement de sécurité
collective de l'OTAN, dix
4(
*
)
d'entre eux ayant par surcroît souscrit, dans le cadre de l'Union de
l'Europe occidentale, un engagement de même nature mais beaucoup moins
concret, compte tenu de l'absence de moyens militaires de cette organisation.
L'OTAN demeure ainsi, pour la plupart de nos partenaires européens,
le cadre privilégié de la coopération en matière de
défense
. L'évidente prééminence qu'y exercent
les Etats-Unis n'est guère ressentie comme une gêne car toutes les
apparences d'un mode de fonctionnement intergouvernemental sont maintenues,
avec le double avantage d'éviter que n'émerge le
leadership
d'un des Etats européens et de pouvoir en partie se
décharger sur le plus puissant des alliés du poids de la
construction et de l'entretien d'un outil militaire performant.
A travers la « relation spéciale » qu'il entretient
avec les Etats-Unis, le Royaume Uni semble vouloir trouver un
démultiplicateur de puissance lui permettant de continuer à
exister sur la scène internationale. La déclaration de Saint-Malo
ne constitue pas un retournement britannique, mais plutôt le constat
d'une place pour l'Union européenne en complément de l'OTAN.
Une telle analyse est largement partagée en Europe, en particulier chez
les Etats concernés par l'élargissement à venir de l'Union
européenne.
En dépit de la prise en compte de la politique européenne de
sécurité et de défense par l'Alliance atlantique, lors du
sommet de Washington en 1999, au cours duquel fut admise la
complémentarité entre la démarche européenne et
l'engagement au sein de l'OTAN,
une forme d'ambiguïté
perdure
et pèse sur l'implication concrète de tous les
Etats-membres de l'Union européenne dans la mise en oeuvre des
décisions arrêtées par cette dernière.
Si certains commentateurs, soulignant le relatif effacement de l'OTAN lors des
opérations d'Afghanistan, croyaient pouvoir déceler l'amorce d'un
déclin de l'Alliance, l'administration américaine a rapidement
cherché à effacer cette impression de
« marginalisation », lui trouvant des vocations nouvelles
dans une politique de sécurité largement orientée vers des
menaces qui, aujourd'hui, préoccupent davantage les Etats-Unis que
l'Europe.
C'est le sens qu'il faut donner aux décisions adoptées, sous
l'impulsion des Etats-Unis, lors du
sommet de l'Alliance à
Prague
, en novembre dernier, qui visent à
« transformer » l'OTAN
en l'axant vers la lutte
contre le terrorisme et les armes de destruction massive. La
réorientation de l'initiative sur les capacités de défense
(DCI) autour de quelques domaines clés et le projet de création
d'une force de réaction rapide traduisent cette évolution. La
question de sa compatibilité avec les ambitions de la PESD
se
pose dans la mesure où il n'est pas garanti que les deux
démarches, qui peuvent a priori paraître complémentaires,
n'entreront pas en concurrence dès lors que des arbitrages concrets
devront être rendus par les pays européens sur les domaines devant
faire l'objet d'un renforcement prioritaire.
b) Des avancées institutionnelles notables autour d'objectifs limités
Au terme
de l'article 17 du Traité d'Amsterdam, «
la politique
étrangère et de sécurité commune inclut l'ensemble
des questions relatives à la sécurité de l'Union, y
compris la définition progressive d'une politique de défense
commune, qui pourrait conduire à une défense commune, si le
Conseil européen en décide ainsi
».
La défense européenne doit-elle assurer la sécurité
du territoire, la stabilité du voisinage immédiat de l'Europe, ou
encore donner à l'Union européenne les moyens de porter une
conception spécifique de l'ordre international avec une vocation
universelle ?
A défaut de réponse claire à cette question, la politique
européenne de sécurité et de défense se construit
ainsi par étapes, en éludant quelque peu la question de ses fins
ultimes. Un consensus a pu se dégager sur le fait que l'Europe ne
pouvait se désintéresser de la gestion des crises qui se
produisent dans son voisinage immédiat et dont la résolution
n'intéresserait pas au premier chef les Etats-Unis et par
conséquent l'OTAN. C'est donc autour d'un objectif limité -les
missions de Petersberg- qu'ont été opérées les
avancées institutionnelles aboutissant à la création des
organes de la PESD.
LES ÉTAPES DE LA CONSTRUCTION DE L'EUROPE DE LA DÉFENSE
Le
Traité de Maastricht (1993), institue la politique
étrangère et de sécurité commune (PESC),
deuxième pilier de l'Union européenne : la PESC inclut
l'ensemble des « questions relatives à la
sécurité de l'Union européenne, y compris la
définition à terme d'une politique de défense commune, qui
pourrait conduire, le moment venu, à une défense
commune ». Il s'agit d'une démarche intergouvernementale qui
nécessite un accord consensuel des Etats membres. L'Union de l'Europe
occidentale se voit confier le rôle de « bras
armé » de l'Union européenne.
Le traité d'Amsterdam (1997) prévoit la formule
« d'abstention constructive » qui permet à un Etat
membre de ne pas appliquer une décision sans bloquer l'engagement de
l'Union. Le protocole n° 5 offre au Danemark une dérogation pour
toutes les questions de défense.
Les missions dévolues à L'UEO sont reprises dans le traité
qui crée en outre la fonction de Haut représentant.
Le sommet franco-britannique de Saint-Malo (décembre 1998) est
clôturé par une déclaration sur la défense
européenne qui annonce que l'Union européenne doit pouvoir
disposer d'une capacité autonome d'évaluation, de décision
et d'action, en prenant en compte les moyens de l'UEO et de l'OTAN.
Le sommet de l'alliance atlantique de Washington (avril 1999), tire les
conséquences de l'engagement franco-britannique en organisant
l'articulation entre OTAN et Union européenne. Les arrangements dits de
« Berlin + » prévoient l'accès de l'Union
européenne aux capacités de planification militaire et aux moyens
communs de l'Alliance atlantique, déjà ouvert au
bénéfice de l'UEO lors de la réunion ministérielle
de Berlin en 1996.
La crise du Kosovo ayant mis en évidence des lacunes dans les
équipements de Européens, le conseil européen de Cologne
(juin 1999) s'engage à améliorer les capacités militaires
existantes. Le domaine d'action de l'Union européenne est limité
aux missions de Petersberg (intervention humanitaire, évacuation de
ressortissants, maintien de la paix, rétablissement de la paix).
Les conclusions du Conseil européen d'Helsinki (décembre 1999)
fixent des objectifs précis.
Un objectif global (
headline goal
) prévoit, à
l'échéance de 2003, la capacité de projeter dans un
délai de 60 jours et pour au moins un an 50 à 60 000 hommes
dans le cadre d'opérations dirigées par l'Union européenne
pour effectuer l'ensemble des opérations de Petersberg.
Un objectif de recensement rapide des capacités collectives est
fixé.
L'architecture des organes politiques et militaires nécessaires à
la décision et à la conduite d'opérations est
arrêtée. Les procédures de coopération, notamment
avec l'OTAN, doivent être définies tandis que le
périmètre d'action autonome de l'Union européenne par
rapport à l'Alliance est précisé :
« là où l'Alliance en tant que telle n'est pas
engagée ».
Lors du conseil européen de Feira (juin 2000) les structures
décidées à Helsinki sont mises en place à titre
intérimaire. Les aspects civils de gestion des crises font l'objet d'un
plan d'action dans quatre domaines prioritaires (police, renforcement de
l'état de droit et de l'administration civile, protection civile). Un
objectif en matière de capacité de police est fixé.
Les structures permanentes de la chaîne politico-militaire de l'UE sont
créées par le conseil européen de Nice (décembre
2000) : le comité politique et de sécurité, le
comité militaire et l'état-major de l'UE. Le conseil
européen officialise les résultats de la Conférence
d'engagement des capacités militaires et les documents qui en sont
issus : le « catalogue » des capacités (HFC ou
Helsinki Force Catalogue
) qui recense les contributions des Etats
membres et le « catalogue » des besoins (HHC ou
Helsinki
headline Goal catalogue
) qui identifie les capacités que l'Union
doit acquérir pour mener à bien l'ensemble des missions de
Petersberg.
Les propositions relatives aux arrangements permanents avec l'OTAN et avec les
pays tiers sont formalisées.
Un troisième catalogue, catalogue de progrès (HPC ou
Headline
goal
progress
catalogue
), est défini lors du Conseil
européen de Göteborg (juin 2001) qui identifie 54 domaines
capacitaires déficitaires.
Conformément aux engagements pris à Nice et à
Göteborg, la PESD est déclarée opérationnelle par le
conseil européen de Laeken (décembre 2001), c'est à dire
capable de gérer une crise.
Le conseil européen de Séville (juin 2002) prend acte de la
capacité opérationnelle en décidant le lancement d'une
mission de police de l'Union européenne en Bosnie-Herzégovine en
janvier 2003.
La création institutionnelle la plus importante est certainement le
poste de haut représentant pour la PESC, combiné avec celui de
secrétaire général du Conseil. Le Haut représentant
est soutenu par l'UPPAR ou unité politique dont l'objectif est de
fournir une analyse et une aide à la décision autonome dans
l'appréciation de la situation internationale.
Sur la base des procédures et des institutions en place , la PESC a
été déclarée opérationnelle mais en
l'absence d'objectifs clairs et d'impulsion politique, elles offrent
plutôt l'apparence de « coquilles vides ».
LES INSTITUTIONS DE L'EUROPE DE LA DÉFENSE
Le
Comité politique et de sécurité (COPS), créé
en janvier 2001, est le pivot de la politique étrangère et de
sécurité commune. Il est composé de fonctionnaires
nationaux ayant rang d'ambassadeur, ainsi qu'un représentant de la
Commission. Il est chargé de surveiller la situation internationale,
d'émettre des avis et de présenter des propositions au Conseil
ainsi que de surveiller la mise en oeuvre des politiques. Sous la
responsabilité du Conseil, il exerce le contrôle politique et la
direction stratégique des opérations de gestion de crise. Il
assure la coordination des instruments civils et militaires. Il est
également un forum de dialogue sur la PESD avec d'autres partenaires
européens ou de l'OTAN.
Le Comité militaire de l'Union européenne (CMUE) est
composé des chefs d'états-majors des armées ou de leurs
représentants permanents, il est chargé, sous la conduite du
président permanent nommé par le Conseil, de donner des avis
militaires et des recommandations au COPS et de diriger les travaux de
l'état-major.
L'état-major de l'Union européenne (EMUE) est composé de
135 militaires des quinze Etats membres, il effectue, sous la direction du
CMUE, la conduite stratégique des opérations militaires (alerte
rapide, analyse de situations, planification stratégique, identification
des forces engagées...) et des exercices.
c) Des capacités encore insuffisantes
. Le
déficit capacitaire européen
Pleinement révélées lors des opérations dans les
Balkans, notamment le conflit du Kosovo, les lacunes dans l'équipement
militaire européen sont multiples et elles ont eu tendance à
s'aggraver du fait de l'érosion des budgets de défense.
On rappellera ici simplement que d'après les statistiques de l'OTAN,
outre la Grèce, seuls deux autres pays de l'Union européenne
consacraient à leur défense plus de 2% de leur PIB en 2001, le
Royaume-Uni (2,28%) et la Suède (2,1%). Les dépenses de
défense de la France s'établissaient à 1,71% et se
limitaient à 1,47% du PIB aux Pays-Bas, 1,36% au Danemark, 1,3% en
Espagne, 1,12% en Allemagne et 1,01% en Italie.
Cette insuffisance de l'effort de défense européen est souvent
mis en rapport avec celui des Etats-Unis. Les
ordres de grandeur
, qui
sont suffisamment révélateurs, sont les suivants :
- les
pays de l'Union européenne
consacrent à leur
défense des ressources totales inférieures à la
moitié du budget de défense américain
, et le budget de
défense américain dépasse à lui seul celui des neuf
autres puissances suivantes,
- les
dépenses de défense par habitant
sont
trois fois
plus élevées aux Etats-Unis qu'au sein de l'Union
européenne
,
- les
dépenses de défense rapportées aux effectifs
militaires
sont
2,5 fois plus élevées aux Etats-Unis qu'au
sein de l'Union européenne
, seul le Royaume-Uni s'approchant du
niveau américain,
- si le
rapport entre l'Europe
et les Etats-Unis
est de 1
à 2 pour l'ensemble du budget et pour les dépenses
d'acquisitions, il est plutôt de
1 à 4 en matière de
recherche et développement
.
L'augmentation spectaculaire du budget de défense programmée par
l'administration américaine actuelle (passage de 300 à 450
milliards de dollars entre 2001 et 2007, soit 50% d'augmentation en 6 ans) va
bien entendu accroître cet écart déjà
considérable.
Dans ce contexte, et à la suite de l'état des lieux dressé
lors de la conférence d'engagement des capacités tenue à
Bruxelles en novembre 2000, la mise en oeuvre du processus de comblement des
lacunes prend toute son importance.
En novembre 2001, la conférence d'amélioration des
capacités militaires a défini, dans la perspective de la
réalisation du catalogue des forces d'Helsinki, un
plan d'action
européen sur les capacités
(ECAP
European capability
action plan
) permettant d'identifier et de mobiliser toutes les
initiatives, nationales et multinationales, qualitatives et quantitatives,
susceptibles de combler les 45 lacunes résiduelles demeurant au HPC
(dont 21 sont considérées comme dimensionnantes). Des groupes de
travail ont été chargés de réfléchir aux
problématiques d'acquisition et de financement des capacités
déficitaires.
Parmi les lacunes qualifiées de critiques figurent : le
système de commandement, de contrôle et de communication, le
renseignement stratégique et la surveillance et protection des troupes
engagées, le transport stratégique et la capacité
d'engagement effectif.
La France s'est engagée à couvrir environ 20 % des besoins
identifiés de façon à pouvoir remplir le rôle de
nation-cadre. Le projet de loi de programmation militaire permet de traiter les
lacunes suivantes : drones de surveillance, missiles de croisière
et armements de précisions, ravitaillement en vol, transport
stratégique, aviation embarquée, hélicoptères
d'assaut et de manoeuvre, systèmes d'information et de commandement,
renseignement et transmission satellitaires, drones tactiques, défense
aérienne de théâtre, opérations spéciales et
transport stratégique maritime.
. La reprise d'opérations dans les Balkans : première
manifestation concrète de la PESD
Le blocage persistant sur la mise en oeuvre des arrangements dits
« Berlin plus » permettant l'accès de l'Union
européenne aux moyens de planification opérationnelle de l'OTAN,
lié à un différend gréco-turc, a longtemps
entravé la reprise par l'Union européenne de l'opération
«
Amber fox
» conduite par l'OTAN en
Macédoine.
La levée des réserves de la Turquie a permis de déboucher
sur un accord lors du sommet de Copenhague, le 12 décembre 2002, qui
ouvre la voie à des actions opérationnelles menées par
l'Union européenne.
Les arrangements « Berlin plus » ne seront applicables
qu'avec les membres de l'Union européenne élargie qui sont en
même temps membres de l'OTAN ou parties au « partenariat pour
la paix » et qui ont, à ce dernier titre, conclus des accords
bilatéraux avec l'Alliance. Chypre et Malte ne participeront donc pas
aux opérations militaires de l'Union européenne menées
avec l'assistance des moyens de l'OTAN, ce qui n'exclut pas leur participation
à l'ensemble des autres processus de l'Europe de la défense. La
mise en place effective des arrangements concernant chacun des
éléments de « Berlin plus » devrait
intervenir au 1
er
mars 2003, ce qui aura pour effet de rendre la
force de réaction rapide de l'Union européenne
opérationnelle à la mi-2003.
Le Haut représentant a par ailleurs indiqué que la relève
de l'opération en Macédoine, rebaptisée
« Harmonie alliée » à l'occasion de sa
diminution de format à 450 personnes, pourrait être effective fin
février. L'Union européenne et l'OTAN analysent les
possibilités d'une reprise par l'Union de la mission de la SFOR
menée par l'OTAN en Bosnie-Herzégovine en sus de la reprise,
prévue en janvier 2003, de l'opération de police.
Les missions définies, les procédures et les institutions en
place, il reste à l'Union européenne à faire la
démonstration de l'effectivité de ses capacités
opérationnelles, ce dont l'opération en Macédoine, de
relativement faible ampleur, offre une première opportunité.
L'occasion est importante et peut permettre de faire avancer le processus de
façon déterminante pour conférer à la politique de
défense européenne ce qui lui fait le plus défaut :
la volonté politique.
d) Les perspectives : la défense européenne dans le débat sur l'avenir de l'Europe
Présentées le 20 décembre 2002 à la
Convention sur l'avenir de l'Europe, les conclusions du groupe de travail sur
la défense ont fait émerger certains points de consensus qui
pourraient déboucher sur des avancées nouvelles lors de la
Conférence intergouvernementale de 2004.
Elles mettent tout d'abord en avant une conception élargie de la
politique européenne de sécurité et de défense,
ensemble des « instruments nécessaires à l'Union
européenne pour défendre ses objectifs et ses valeurs ».
Le groupe de travail recommande la
modernisation des missions
de
Petersberg
, sans aller toutefois jusqu'à permettre une intervention
au sein même de l'Europe qui, avec les élargissements successifs,
va s'ouvrir à des zones plus pauvres et plus instables.
Il préconise une accélération des procédures qui
passerait par la dévolution au Haut représentant d'un
droit
d'initiative en matière de gestion de crise
et de la
responsabilité de la coordination en prévoyant un accès
rapide au financement.
Une approche plus flexible de l'Europe de la défense peut être
envisagée avec une organisation en différents
périmètres, comme c'est le cas pour l'Europe sociale, la monnaie
unique ou l'espace Schengen. Le groupe de travail préconise à cet
égard la création d'une « Euro-zone de la
défense » où la règle de l'unanimité ne
prévaudrait pas systématiquement à toutes les
étapes d'une opération et au sein de laquelle pourraient
s'exercer des coopérations renforcées.
Une clause de sécurité collective, proposée par la
contribution franco-allemande à la Convention ne figure pas en
l'état dans les propositions du groupe de travail mais une
clause de
« solidarité »
est proposée face à
des menaces non-étatiques.
Enfin, le groupe de travail reprend la proposition de création, sur une
base intergouvernementale, d'une
agence européenne d'armement et de
recherche stratégique
par laquelle l'Union européenne
reprendrait les éléments appropriés de la
coopération développée au sein du GAEO (groupe armement de
l'Europe occidentale).
2. La coopération européenne en matière d'armement : des résultats encore décevants
Le
renforcement de la coopération européenne en matière
d'armement constitue un objectif majeur de notre politique de défense et
répond à une
double nécessité
: assurer
le développement puis la fabrication d'équipements dont le
coût ne pourrait être supporté par les seuls budgets
nationaux et offrir des débouchés à nos industries de
défense, confrontées à l'étroitesse des
marchés nationaux. Il est par ailleurs évident qu'une
coopération accrue sur les programmes d'armement constitue un atout pour
le développement de la politique européenne de
sécurité et de défense.
La loi de programmation 1997-2002 réservait une part importante aux
programmes d'équipement conduits en coopération, mais
les
résultats ont été plutôt décevants
,
affectés par des différés de commandes, voire le retrait
de certains partenaires et, en tout état de cause, des surcoûts
tout à fait contraires à l'objectif recherché.
Parmi
les échecs ou les difficultés rencontrées sur les
programmes en coopération
, on peut citer : l'échec de la
coopération franco-allemande sur les programmes satellitaires
d'observation (Horus et Hélios II), l'abandon du projet de satellite de
télécommunications commun à la France, à
l'Allemagne et au Royaume-Uni (projet Trimilsatcom), en dépit de besoins
opérationnels convergents, le retrait britannique du programme de
frégates Horizon à un stade très avancé du
programme ou encore l'absence de coopération sur les futurs
véhicules blindés de combat d'infanterie. Enfin, bien que les
programmes aient été finalement sauvegardés, on ne peut
qu'être inquiets, compte tenu des enjeux en cause, des aléas qui
ont pesé jusqu'à ces dernières semaines sur l'avion de
transport A 400 M et le missile air-air Meteor, en raison du contexte
politique et financier allemand.
Ces exemples démontrent la difficulté des européens
à réduire leurs
divergences
résultant naturellement
des contraintes budgétaires nationales, des considérations
industrielles, des différences dans l'appréciation des besoins
opérationnels ou dans les calendriers de renouvellement des
équipements.
Dans ce contexte, la création en 1996 par l'Allemagne, l'Italie, le
Royaume-Uni et la France de l'
Organisme conjoint de coopération en
matière d'armement (OCCAR)
est apparue comme un progrès
important.
Face à l'absence de résultats concrets du GAEO,
créé dans le cadre de l'UEO, et à la perspective encore
lointaine de la création d'une agence européenne de l'armement
prévue par le traité de Maastricht, l'OCCAR présente un
double intérêt : d'une part elle regroupe les quatre
principaux pays européens en matière de défense et d'autre
part, elle entend innover totalement par rapport aux pratiques traditionnelles
de la coopération en appliquant les règles et les
procédures inspirées des meilleures pratiques en vigueur au sein
de ses membres (mise en concurrence systématique dans tous les pays
européens, abandon du juste retour industriel programme par programme).
L'OCCAR possède depuis 2001 la personnalité juridique lui
permettant de mettre en oeuvre ses principes d'acquisition, mais elle n'a
toujours pas eu l'occasion de les concrétiser, faute de se voir confier
des programmes nouveaux. En effet, l'OCCAR n'est aujourd'hui gestionnaire que
de six programmes
5(
*
)
,
principalement franco-allemands, qui lui ont été confiés
alors que leur développement était déjà très
avancé. Le programme d'avion de transport A 400 M, qui doit
désormais aboutir au printemps 2003, doit être confié
à l'OCCAR. Il s'agira de la première occasion de vérifier
si cet organisme apporte les gains d'efficacité qui en sont attendus et
s'il peut en résulter une dynamique nouvelle pour la coopération
européenne en matière d'armement, alors que les Pays-Bas,
l'Espagne, la Belgique ont sollicité leur adhésion à
l'organisme et que la Suède se montre intéressée.
Seule tentative réelle d'intégration européenne dans le
domaine de l'armement, dotée en théorie d'une large
capacité de contractualisation, l'OCCAR n'a pas encore pu donner la
mesure de sa capacité à atteindre les objectifs ambitieux qui lui
ont été fixés, comme l'établissement de
spécifications conjointes pour le développement et l'acquisition
d'équipements définis en commun et la coordination des
investissements et de l'utilisation des centres d'essais.
Parallèlement, dans le prolongement de la lettre d'intention (LoI,
letter of intent
) sur
l'accompagnement des restructurations
industrielles
dans le domaine de la défense signée en
1998 par six pays européens (Allemagne, Espagne, France, Royaume-Uni,
Italie, Suède), un traité a été signé en
juillet 2000 pour mettre en place un environnement favorable à
l'édification d'une industrie européenne plus compétitive
et d'un marché européen plus intégré. Si certains
domaines retenus portent sur des points techniques (sécurité des
approvisionnements, sécurité de l'information), d'autres
présentent un caractère politique plus fort, notamment la
coordination des procédures d'exportation
, l'
harmonisation des
besoins opérationnels
et la
coopération en matière
de recherche et technologie
. Dans ces trois points clés
réside la réalisation d'un indispensable changement
d'échelle dans la coopération européenne en matière
d'armement, mais pour l'heure, les objectifs définis dans la LoI en la
matière n'ont donné lieu à aucune avancée
concrète.
Ainsi, l'émergence d'une politique européenne d'armement peine
aujourd'hui à s'affirmer.
Le
ralliement de quatre pays européens
, le Royaume-uni, l'Italie,
le Danemark et les Pays-Bas, au
projet d'avion de combat américain F
35
(
JSF - Joint strike fighter
) en a fourni l'illustration la plus
frappante. Ces pays participent de manière très substantielle, et
sans garantie assurée de retour industriel au coût de
développement de cet avion prévu pour un horizon lointain (2015),
venant directement concurrencer les appareils produits par l'industrie
aéronautique européenne et compromettant sa capacité
à mettre au point une future génération d'avions de combat.
C'est aux Etats-Unis qu'il revient d'avoir su fédérer
plusieurs pays européens
et d'être parvenus à leur
faire surmonter toutes les réticences que pouvaient légitimement
susciter le coût du programme, son horizon incertain et son
adéquation hypothétique au besoin opérationnel des
armées concernées.
Il s'agit là d'un signal très inquiétant pour l'avenir de
la politique européenne de l'armement.