J. LA PRÉPARATION DE L'AVENIR : UN REDRESSEMENT DE L'EFFORT DE RECHERCHE QUI DEVRA IMPÉRATIVEMENT ÊTRE ACCENTUÉ DANS UN CADRE EUROPÉEN
Faut-il rappeler le
caractère indispensable des
crédits de recherche
pour la préparation de l'avenir et la
maîtrise, par la France et ses entreprises, des technologies-clefs
permettant d'assurer de manière autonome le développement des
systèmes d'armes modernes ?
Le niveau actuel de performance de nos équipements résulte
directement d'un investissement conséquent et continu
réalisé, au cours des dernières décennies, dans les
domaines de pointe. Compte tenu de la durée du cycle de conception des
matériels militaires, l'effort financier doit être maintenu dans
le temps pour préserver cette compétence technologique et
demeurer en phase avec l'innovation continue qui caractérise le domaine
de la défense.
Pourtant, cet effort de recherche, si déterminant pour l'avenir de notre
outil de défense et de notre industrie, tant militaire que civile, a
été victime, au cours des dernières années, d'une
réduction excessive
,
surtout dans le domaine des
études-amont
, c'est à dire celui qui n'est pas directement
lié au développement des matériels nouveaux mais dont le
rôle est crucial pour l'acquisition des capacités technologiques
du futur.
Le
redressement des crédits de recherche, absolument
impératif, est engagé par le projet de loi de programmation
.
Toutefois, l'importance des moyens financier désormais
nécessaires à la recherche militaire, tout comme l'ambition d'une
politique européenne de défense incitent fortement à
développer des coopérations avec nos principaux
partenaires
. Cette accentuation des coopérations permettra
d'augmenter l'efficacité des crédits supplémentaires
dégagés en faveur de la recherche par le projet de loi de
programmation militaire afin de mettre un terme au décrochage
constaté depuis quelques années vis à vis du Royaume-Uni
et surtout des Etats-Unis.
1. Un relèvement programmé de l'effort de recherche et technologie
L'effort de recherche est habituellement
comptabilisé
à travers deux agrégats : l'agrégat
« recherche et technologies » - R&T - et
l'agrégat plus large « recherche et
développement » - R&D.
L'agrégat R&T
(recherche et technologie) mesure l'
effort
consenti « en amont » des programmes d'armement
. Il
correspond à l'activité qui ouvre la possibilité, en
s'appuyant sur les travaux réalisés dans le secteur civil,
d'acquérir l'expertise, les connaissances et les capacités
scientifiques, techniques et industrielles permettant de définir et de
lancer les programmes d'armement.
L'agrégat R&T, comprend :
- le budget des études amont ;
- le budget des études à caractère opérationnel ou
technico-opérationnel (EOTO) et des études à
caractère politico-militaire, économique et social (EPMES) ;
- les subventions versées aux organismes de recherche sous tutelle du
ministre de la Défense tels que l'Office national d'études et de
recherche aérospatiales (Onera) et l'Institut franco-allemand St-Louis
(ISL) ;
- le financement des travaux de recherche fondamentale et relatifs aux nouveaux
moyens d'expérimentation et de simulation du CEA ;
- le financement des centres de recherche des écoles sous la tutelle de
la DGA.
Par ailleurs, le ministère de la Défense contribue au budget
civil de recherche et développement (BCRD), bien que le ministère
n'en ait jamais contrôlé l'emploi. Votre rapporteur a
déjà signalé que le projet de loi de programmation
précise qu'au-delà de 2003, la part du BCRD qui relève de
la Défense sera évoquée dans le cadre des discussions
budgétaires annuelles. C'est pourquoi aucun financement n'est inscrit au
titre du BCRD dans le référentiel de programmation.
L'agrégat R&D
(recherche et développement), beaucoup
plus large, comprend pour sa part la R&T ainsi que les travaux de
développement des matériels
, dont ceux des programmes
d'armement déjà lancés.
Au cours des cinq dernières années,
l'effort de recherche a
particulièrement souffert de la réduction des budgets
d'équipement
des armées. Il a même diminué plus
vite que les crédits du titre V.
Évolution des crédits de recherche de 1996 à 2002
(crédits inscrits en loi de finances initiale, hors BCRD, en milliards d'euros courants)
|
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
R & T |
1,27 |
1,08 |
0,98 |
0,99 |
0,98 |
0,98 |
0,99 |
R & D |
4,20 |
3,63 |
3,10 |
3,27 |
3,33 |
3,42 |
3,48 |
Le
tableau ci-dessus montre que les
dotations prévues en loi de finances
pour la recherche-amont (R & T) ont diminué de 22%
entre 1996 et
2002. Pour l'ensemble des crédits de recherche et développement
(R & D), la diminution a été brutale entre 1996 et 1998 ( -
26%) avant que ne s'opère un redressement, le niveau atteint en 2002
étant inférieur de 17% à celui de 1996.
Par ailleurs, les chapitres budgétaires consacrés aux
études et aux développements ont été parmi les plus
touchés par les annulations de crédits, le niveau des
dépenses effectives ayant été notablement inférieur
à celui des dotations inscrites en loi de finances initiale.
Durant la même période, nos crédits de recherche et
technologie ont été inférieurs d'environ 60% à ceux
du Royaume-Uni. Quant aux dépenses de recherche et développement
des Etats-Unis, elles ont été maintenues, en monnaie constante,
à un niveau de 40 milliards de dollars sur la période, une
augmentation de 50% étant programmée entre 2001 et 2005. La
volonté manifeste, outre-atlantique, de créer une
véritable rupture technologique entre l'Amérique et le reste du
monde, au-delà du fossé quantitatif qui existe
déjà, est le moteur principal de l'accroissement de cet effort de
recherche. Celui-ci s'exerce tous azimuts, certains domaines étant
particulièrement privilégiés comme la défense
anti-missiles, l'utilisation de l'espace ou la furtivité.
Le projet de loi de programmation militaire marquera l'arrêt du
décrochage entre la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, si ces
pays n'accentuent pas à nouveau leur effort de recherche. Il ne
permettra toutefois pas de rattraper nos partenaires britanniques.
Les crédits de paiement qui seront consacrés à la
recherche et technologie et à la recherche et développement entre
2003 et 2008 s'établissent comme suit :
On observe que le projet de loi permet un
relèvement significatif,
supérieur à 18% sur 6 ans, des crédits
d'études-amont
concourant à l'effort de recherche et
technologie, qui passeront d'environ 1 milliard d'euros actuellement à
1,2 milliards d'euros en 2008.
En revanche, les dotations consacrées aux développements
connaîtront à partir de 2006 une réduction notable. Cette
évolution traduit le passage d'un cycle de développement à
un cycle de fabrication pour beaucoup de nos matériels majeurs. Ainsi,
les
décalages enregistrés dans la livraison de
matériels nouveaux
mais attendus de longue date, comme le Rafale ou
le Tigre,
restreignent considérablement notre capacité
à développer des systèmes d'armes de nouvelle
génération
, qui n'interviendront qu'au cours de la
programmation suivante.
2. Maîtriser les capacités technologiques clefs : un enjeu majeur
La
politique de recherche et technologie du ministère de la défense
s'organise autour d'un
« plan prospectif à
30 ans »
(PP30) qui identifie les technologies
nécessaires à notre outil de défense sur le long terme.
Partant du modèle d'armée 2015, ce plan en déduit
l'ensemble des technologies requises non seulement pour réaliser les
armements correspondants mais également et surtout pour lancer le
développement des futurs programmes qui leur succèderont au cours
des quinze années suivantes.
Le recensement des actions technologiques à mener sur les quinze
prochaines années a donné lieu à la création d'un
modèle dit « de capacités
technologiques »
qui précise les actions à
conduire, l'enchaînement de ces travaux et les besoins en financement
associés. Les
axes d'effort de la
politique de R&T
durant la période de la loi de programmation sont donc définis
par rapport à ce modèle. La définition des
capacités implique d'
identifier les technologies de rupture
avec
l'aide de la communauté scientifique.
Les différentes technologies nécessaires ont été
regroupées en
une quarantaine de capacités technologiques
clefs
.
Capacités technologiques clefs |
Poids relatif |
Moteurs d'avions de combat à hautes performances |
7% |
Maîtrise de l'interaction entre aérodynamique, furtivité et autoprotection |
6% |
Numérisation de l'espace de bataille |
6% |
Lutte contre les agents biologiques et chimiques |
5% |
Observation optique spatiale |
5% |
Guidage et navigation de précision maîtrisée |
4% |
Identification non coopérative |
4% |
Capteurs d'écoute |
4% |
Détection et interception aérienne anti-furtive |
4% |
Propulsion et architecture des missiles balistiques |
4% |
Outils de lutte informatique |
3% |
Systèmes de combat navals intégrés et modulaires |
3% |
Détection sous-marine |
3% |
Plates-formes navales innovantes |
3% |
Protection des bâtiments contre les menaces d'origine sous-marine |
3% |
Protection équilibrée pour les blindés et les hélicoptères |
3% |
Maîtrise de l'architecture des systèmes de drones |
2% |
Maîtrise de l'architecture des grands systèmes (Outils de simulation et ingénierie) |
2% |
Environnement géophysique |
2% |
Imagerie radar à haute résolution (SAR-MTI) |
2% |
Armes à énergie dirigée |
2% |
Transmission en EHF (télécommunications spatiales ) |
2% |
Mise en oeuvre de munitions intelligentes bas coût |
2% |
Neutralisation des systèmes de défense aérienne futurs |
2% |
Détection et interception de missiles balistiques |
2% |
Pénétration des missiles balistiques |
2% |
Propulsion et architecture des missiles aérobies |
2% |
Avionique ouverte |
2% |
Soutien médical en opérations extérieures |
1% |
Interfaces homme-machine |
1% |
Fusion de données |
1% |
Maîtrise de l'architecture des missiles de croisière |
1% |
Détection et neutralisation des mines terrestres |
1% |
Robotique |
1% |
Maîtrise de l'énergie |
1% |
Intégration d'ouvertures radioélectriques et optiques partagées et discrètes |
1% |
Maîtrise des systèmes à base d'avions de combat sans pilote (UCAV) |
1% |
Turboréacteurs de petite dimension pour les missiles et les drones |
å (1) |
Identification spatiale et orbitographie (surveillance de l'espace) |
å (1) |
Transmissions stratégiques |
å (1) |
(1)
å
: <
1%
Ce recensement illustre très concrètement la direction
à prendre dès aujourd'hui pour bâtir les systèmes
d'armes de demain.
Au cours de la loi de programmation 2003-2008, un accent particulier sera mis
sur tous les domaines liés à l'
appréciation de
situation
et à la
maîtrise de l'information en temps
réel
: travaux sur l'
observation optique spatiale à
résolution améliorée
et l'observation hyperspectrale,
sur les
liaisons laser à très haut débit entre
systèmes spatiaux et mobiles
, sur les
transmissions spatiales en
Extrêmement haute fréquence (EHF)
et sur la surveillance de
l'espace terrestre des théâtres d'opérations.
Le domaine de la
défense antimissile
fera lui aussi l'objet d'une
priorité, avec la conduite d'études permettant d'acquérir
la capacité antimissile balistique à partir du système
sol-air moyenne portée terrestre (SAMP/T), articulé autour du
missile Aster, et une
capacité d'alerte spatiale sur les tirs de
missiles
.
Les micro-drones, les drones sous-marins, l'amélioration des
performances du missile balistique M 51, la réalisation d'une
plate-forme aérienne expérimentale très furtive, la
détection acoustique, les torpilles hypervéloces, la robotique au
service du projet de « bulle » opérationnelle
aéroterrestre ou encore les nouvelles techniques de détection,
d'interception et de traitement des signaux électromagnétiques
figurent également au rang des domaines étudiés.
Le projet de loi de programmation privilégie la
réalisation de
démonstrateurs technologiques
destinés à
vérifier, dans des conditions représentatives de l'utilisation
réelle, que le niveau de performance escompté est accessible.
Votre rapporteur approuve pleinement cette orientation qui permettra de lever
les risques en validant les technologies nouvelles. Ces dernières seront
plus rapidement intégrées aux programmes d'armement dont les
délais et les coûts pourront alors être réduits.
Pourraient ainsi être très rapidement lancés un
démonstrateur d'alerte avancée spatiale
pour la
détection de tir des missiles balistiques, un démonstrateur de
liaison optique laser aéroportée entre un drone et un
satellite
ainsi qu'un véhicule de contre-minage.
3. Un effort à accentuer en coopération européenne
Les
crédits prévus par le projet de loi de programmation, s'ils
donnent un coup d'arrêt au décrochage vis à vis de nos
partenaires, ne permettent pas d'effectuer un rattrapage ni de retrouver les
niveaux antérieurs à 1997. L'effort très conséquent
effectué sur les études-amont ne compensera pas la baisse des
activités de développement, due à l'entrée de
nombreux programmes en cycle de fabrication, ce qui repousse d'autant, compte
tenu des contraintes financières, le lancement du développement
d'équipements nouveaux.
Ainsi, en matière
spatiale
, la mise en service des satellites
Helios 2 ne sera achevée qu'en fin de programmation et seules sont
envisagées des études amont et l'initiation d'une
coopération européenne pour assurer la pérennisation d'une
capacité globale d'observation tout temps. Les décisions de
lancement de ces programmes sont déjà anciennes et aucun nouveau
programme n'est envisagé.
En matière de
drones
, qu'il s'agisse des systèmes MALE
(moyenne altitude longue endurance) ou MCMM (multi-charges, multi-missions),
les livraisons interviendront également tardivement et, pour
l'essentiel, au-delà de 2008 (livraisons à partir de 2009 pour
les drones MALE, livraison de 10 drones MCCM sur 40 avant la fin 2008). On
peut s'inquiéter de ces livraisons tardives, alors même que les
opérations américaines en Afghanistan ou encore récemment
au Yémen ont montré l'utilité de ces capacités et
l'avance technologique dont disposent les Etats-Unis pour lesquels l'usage de
drones Predator armés est désormais banalisé.
Une contrainte financière forte continuera donc à peser sur les
crédits de recherche et développement.
Mais l'ampleur des domaines technologiques à étudier et des
capacités à développer est telle que la seule augmentation
des crédits ne permettrait pas d'atteindre un résultat
satisfaisant. La différence entre l'Europe et les Etats-Unis est certes
très importante (de 1 à 4), mais comme dans les autres domaines
militaires,
les Européens souffrent en premier lieu de la dispersion
et de la non coordination de leurs moyens
.
Les
travaux de recherche et de technologie conduits conjointement par les
pays européens
sont actuellement très limités
.
On peut citer le programme d'études amont sur le
système de
combat aérien futur
européen (SCAFE/ETAP), dont on se demande
quel est son avenir, étant donné l'engagement de plusieurs pays
européens dans le développement du JSF/F 35, qui fragilise toute
perspective d'élaboration d'un futur avion européen de combat de
nouvelle génération, ou encore le
domaine des radars de
surveillance du sol
(
Stand-off surveillance and target acquisition
radar - SOSTAR
).
A l'évidence, il est indispensable d'aller beaucoup plus loin.
Il est permis d'espérer que le plan d'action européen sur les
capacités (ECAP) exercera une influence fédératrice afin
de
lancer des programmes de recherche européens
pour
répondre aux besoins militaires communs et combler les lacunes
capacitaires identifiées. Le domaine spatial, que ce soit en
matière d'observation, de télécommunications ou d'alerte,
ou encore celui des drones, mériteraient à ce titre une attention
particulière.
La proposition du groupe de travail sur la défense de la Convention sur
l'avenir de l'Europe d'étendre à la recherche les
compétences d'une future
agence européenne d'armement
constituerait bien entendu un pas beaucoup plus important. Quelle que soit
la structure de rattachement envisagée, il semble en effet
impératif de transférer vers un organisme commun une part
croissante des fonds de recherche européens afin d'accéder
à une réelle taille critique et d'acquérir les
compétences technologiques nécessaires à la
crédibilité militaire de l'Europe et à la
pérennité de son industrie de défense.