B. LA DISSUASION NUCLÉAIRE : CONTINUITÉ ET COHÉRENCE DE LA MODERNISATION DE NOS FORCES STRATÉGIQUES
Continuité et cohérence
sont les deux
caractéristiques majeures du projet de loi de programmation militaire
2003-2008 dans le domaine de la dissuasion nucléaire. La
continuité inspire les évolutions prévues pour les six
prochaines années, qui découlent directement des grandes options
définies en 1996, à savoir une réduction significative du
format allant de pair avec une modernisation de nos forces nucléaires.
La cohérence résulte de l'adéquation forte entre notre
posture, adaptée au nouveau contexte stratégique, et les moyens
dévolus à la dissuasion nucléaire, dimensionnés
dans une logique de stricte suffisance.
Dans ces conditions, la commission des affaires étrangères, de la
défense et des forces armées ne peut que réaffirmer son
approbation des orientations arrêtées en 1996 et de leur
traduction, pour la période 2003-2008, telle quelle figure dans le
présent projet de loi.
Votre rapporteur se limitera donc à développer les raisons qui
conduisent la commission à pleinement adhérer à ces
orientations en répondant à trois questions :
-
en quoi la dissuasion doit-elle rester un élément central de
notre stratégie
?
-
avec quels moyens la France entend-elle maintenir la
crédibilité de sa dissuasion nucléaire dans les
années à venir
?
-
quelles sont, pour les six prochaines années, les implications
financières de ces choix ?
1. La dissuasion nucléaire doit demeurer un élément central de notre stratégie
La montée des menaces asymétriques et du terrorisme de masse alimente un débat sur le rôle de la dissuasion nucléaire aujourd'hui. Dans un environnement radicalement nouveau, instable et imprévisible, marqué par l'émergence d'acteurs, étatiques ou non, n'observant pas les règles traditionnelles du jeu stratégique, celle-ci conserve-t-elle encore sa pertinence ?
LES
CAPACITÉS NUCLÉAIRES DANS LE MONDE - DES ACTEURS PLUS NOMBREUX
-
UNE STABILITÉ STRATÉGIQUE MOINS ASSURÉE
Etats-Unis et Russie : des engagements bilatéraux
moins
contraignants, des arsenaux plus réduits mais plus modernes
Le
traité de Moscou
du 24 mai 2002 retient l'objectif
d'une réduction des deux-tiers des arsenaux américain et russe,
ramenés à une « fourchette de 1.700 à 2.200
têtes nucléaires fin 2012 ». Toutefois, il n'impose
aucun démantèlement des têtes excédentaires, qui
pourront être éventuellement réactivées, et ne
conserve aucun effet contraignant à partir de 2013. Il rend donc caduc
l'accord Start II qui interdisait les têtes multiples sur les missiles
intercontinentaux et les limitait pour les missiles emportés par les
SNLE.
Aux
Etats-Unis
, la «
Nuclear Posture Review
»
de janvier 2002 confirme l'objectif de modernisation et d'amélioration
qualitative de l'arsenal nucléaire américain. Elle n'exclut pas
l'hypothèse d'une reprise des essais nucléaires. Elle traduit une
volonté d'adapter l'outil nucléaire au nouveau contexte
stratégique, en particulier la prolifération des armes de
destruction massive.
La
Russie
, grâce au traité de Moscou, pourra maintenir des
têtes nucléaires multiples et réduire dans une plus forte
proportion le nombre de ses vecteurs. Elle ambitionne la construction d'un SNLE
de nouvelle génération et le développement de missiles
sol/sol plus performants (SS27-Topol).
Chine : un arsenal en voie d'accroissement
La
Chine
, qui ne possède actuellement qu'une vingtaine de
missiles intercontinentaux, doit se doter d'engins balistiques à
propulsion solide, de portée accrue. Elle développe des SNLE de
nouvelle génération et modernise sa flotte de bombardiers
stratégiques.
Les nouveaux Etats nucléaires
Si
Israël
n'a jamais officialisé sa capacité
nucléaire, simplement supposée, celle de l'Inde et du Pakistan a
été confirmée, l'
Inde
ayant réalisé
une campagne d'essais nucléaires en 1998 et annoncé son intention
de se doter d'une triade nucléaire, avec dans un premier temps un
missile balistique sol-sol (Ag ri 2). Le
Pakistan
a lui aussi
réalisé des essais nucléaires en 1998 et développe
des missiles balistiques intercontinentaux.
La révélation du programme nucléaire militaire de la
Corée du Nord
ouvre une crise nouvelle en matière de
prolifération. La situation de l'
Irak
, qui dispose de l'expertise
nécessaire, reste à clarifier dans le cadre des inspections en
cours. L'
Iran
vient d'accepter des inspections de l'AIEA à la
suite des interrogations suscitées par sa coopération avec la
Russie pour la centrale nucléaire de Bouchehr.
Plus globalement, alors que 25 pays disposeraient de missiles balistiques, en
particulier au sein d'un « arc de la prolifération »
allant de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient à l'Asie du Sud et de
l'Est, le
risque de voir s'élargir les pays à capacité
nucléaire
est réel compte tenu de la diffusion des
technologies, de la difficulté à contrôler
d'éventuels trafics de matières fissiles ou des transferts de
scientifiques, en particulier en provenance de l'ex-URSS.
Des instruments multilatéraux en crise
Les instruments multilatéraux de désarmement et de
non-prolifération traversent une véritable crise. Le
traité d'interdiction complète des essais nucléaires ne
peut entrer en vigueur du fait de l'absence de signature de l'Inde, du Pakistan
et de la Corée du Nord, et du refus des Etats-Unis de le ratifier. Les
discussions sur l'élaboration d'un traité d'interdiction de la
production de matières fissiles (cut-off) sont enlisées. Le
programme de renforcement des garanties de l'AIEA, indispensable au
contrôle du respect du traité de non-prolifération,
connaît une mise en oeuvre extrêmement lente et laborieuse depuis
son adoption en 1993, la plupart des pays sensibles n'ayant pas souscrit de
protocole additionnel à leur accord de garanties.
Face à ce débat, il faut rappeler que les menaces nouvelles
s'ajoutent, bien plus qu'elles ne se substituent, aux menaces plus
traditionnelles, et qu'il serait dangereux, au gré de crises qui se
succèdent sans nécessairement se ressembler, de perdre de vue les
facteurs permanents de l'environnement stratégique.
Le projet de loi de programmation réaffirme que «
la
dissuasion nucléaire reste notre garantie
fondamentale
».
Il la place «
au coeur des moyens garantissant à la France
l'autonomie stratégique qui est l'un des fondements de la politique de
défense ».
Il y voit «
un facteur important de la
stabilité internationale
».
Au-delà de sa contribution au statut de la France sur la scène
internationale, le projet de loi rappelle que la dissuasion nucléaire
«
constitue la garantie fondamentale contre toute menace de nos
intérêts vitaux
», qu'elle émane de
puissances militaires majeures animées d'intentions hostiles,
ou
de
puissances régionales dotées d'armes de destruction
massive.
Ainsi se trouve rappelée la
double fonction
de notre dissuasion.
D'une part, sur le moyen et le long terme, seul horizon pertinent en la
matière,
la réapparition d'une menace majeure sur nos
intérêts vitaux ne saurait être totalement exclue
,
notamment du fait de la subsistance dans le monde d'arsenaux militaires
conséquents, au demeurant en accroissement dans certains pays. La
dissuasion nucléaire demeure la garantie ultime de notre survie face
à toute puissance majeure hostile et dotée de moyens de mettre en
cause notre existence même.
D'autre part, elle répond aux
menaces d'un autre type
que
feraient peser sur nos intérêts vitaux des
puissances
régionales dotées d'armes de destruction massive
. Cette
fonction, soulignée dans le Livre blanc de 1994, a depuis lors
été précisée par nos autorités politiques.
En 1995, le Président de la République affirmait que
«
seule la force de dissuasion garantit la France contre
l'éventuel recours à des armes de destruction massive, quelle
qu'en soit la nature
». Le Premier Ministre rappelait en 1999 que
l'arme nucléaire permettait à la France «
de faire
face aux risques liés à l'existence d'armes de destruction
massive et de vecteurs balistiques, en préservant notre liberté
de manoeuvre face à une menace contre nos intérêts
vitaux».
Dès lors, la modernisation de l'arsenal
nucléaire français devait «
désormais prendre
en considération les armes balistiques et de destruction massive dont se
dotent certaines puissances
».
Cette
inflexion de notre doctrine effectuée dès la fin de la
guerre froide
a été confirmée avec force et
précision le 8 juin 2001 par le Président de la République
qui a notamment déclaré :
- que nos forces nucléaires devaient nous donner la capacité
d'infliger des dommages inacceptables à tout Etat qui s'en prendrait
à nos intérêts vitaux, «
en toute circonstance
et quelles que soient la localisation ou la nature de la
menace
» ;
- qu'en cas de
menace émanant d'une puissance régionale
dotée d'armes de destruction massive
, «
le choix ne
serait pas entre l'anéantissement complet d'un pays ou l'inaction. Les
dommages auxquels s'exposerait un éventuel agresseur s'exerceraient en
priorité sur des centres de pouvoir, politique, économique et
militaire
».
Il apparaît clairement, au travers de ces déclarations, que notre
dissuasion ne s'exerce pas exclusivement à l'égard d'Etats
dotés d'armes nucléaires, conformément d'ailleurs au droit
inaliénable à la légitime défense consacré
par l'article 51 de la charte des Nation unies.
Les choix opérés en 1996 ont pleinement intégré
cette analyse de l'évolution du contexte stratégique, notre
concept ne se résumant plus à la dissuasion anti-cités
mais évoluant vers une
dissuasion adaptée à la nature
et à la variété des menaces.
Cette volonté
d'adaptation inspire les programmes de modernisation de nos deux composantes.
Le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 précise à
cet égard que notre dissuasion nucléaire, toujours
caractérisée par un concept de non-emploi,
«
implique de disposer de moyens diversifiés permettant
d'assurer sa crédibilité face aux évolutions des menaces,
quelles que soient leur localisation et leur nature
. »
Concrètement, il s'agit d'être en mesure de menacer de
manière crédible une plus large gamme d'objectifs, grâce
à la variété des types de vecteurs et à
l'amélioration de leur portée et de leur précision, ainsi
qu'au renforcement de la capacité de pénétration des
têtes nucléaires, voire à la modulation de leur puissance
explosive.
Ces différents éléments sont au coeur des enjeux de la
modernisation des forces nucléaires au cours des quinze prochaines
années.
2. Les moyens d'une dissuasion adaptée à la nature et à la variété des menaces
Le
projet de loi de programmation rappelle qu'en matière de dissuasion,
l'objectif est de «
disposer, en toutes circonstances, d'une
capacité autonome et suffisante pour faire peser sur tout agresseur
potentiel une menace de frappe nucléaire
crédible
». Il souligne la nécessité de
maintenir le niveau d'invulnérabilité de nos deux
composantes
et d'
améliorer la souplesse de choix des
objectifs
.
Ce « contrat opérationnel » passe par la poursuite
de la modernisation des deux composantes, dont la complémentarité
permet d'offrir au Président de la République le maximum de
souplesse et de possibilités :
- une force océanique stratégique dotée de sous-marins
nucléaires de nouvelle génération emportant un missile
plus performant, le M 51,
- une composante aérienne à la fois plus visible et plus souple
d'emploi, elle aussi dotée d'un nouveau missile, l'ASMP/A.
Il passe également par des
moyens de simulation
qui garantissent
la fiabilité, et donc la crédibilité des armes
nucléaires en l'absence d'essais de vraie grandeur.
a) La composante océanique
Le
projet de loi de programmation militaire 2003-2008 poursuit la mise en oeuvre
des deux grands objectifs définis en 1996 pour la
force
océanique stratégique
.
Il s'agit tout d'abord d'achever le remplacement des SNLE de type
« Redoutable » par
4 sous-marins lanceurs d'engins de
nouvelle génération (SNLE-NG)
caractérisés
notamment par une invulnérabilité et une mobilité accrues
du fait de leur discrétion acoustique. Ce
format à 4
bâtiments
est considéré comme le minimum indispensable
pour assurer, compte tenu des cycles d'entretien, la permanence à la mer
de 2 bâtiments si nécessaire, et ce afin de parer la
neutralisation éventuelle de l'un d'entre eux.
Après l'entrée en service du Triomphant en 1997 et du
Téméraire en1999, l'admission au service actif des
deux
derniers SNLE-NG
est prévue fin 2004 pour le Vigilant et en juillet
2010 pour le Terrible, commandé en 2000.
Le deuxième objectif est, à l'horizon 2010, le remplacement du
missile balistique M 45
par un missile plus performant, le M 51
. Le
4
ème
SNLE-NG, le Terrible, sera directement
équipé du M 51. Les trois autres bâtiments seront
adaptés au nouveau missile à partir de 2010, à l'occasion
de leur période d'entretien majeur.
Le
missile
M 51
se caractérisera par une portée,
avec un chargement complet en têtes nucléaires, de l'ordre de
6 000 km, contre 4 000 km pour le M 45, ce qui permettra d'augmenter les
zones de patrouille. Les missiles M 51 seront équipés dans un
premier temps de la tête nucléaire TN 75 actuellement en service
sur le missile M 45 et des aides à la pénétration de ce
dernier, puis, à partir de 2015, de la nouvelle tête
nucléaire océanique (TNO) et d'un nouveau système d'aide
à la pénétration.
b) La composante aéroportée
La
composante aéroportée de notre force de dissuasion constitue le
complément nécessaire de la composante sous-marine
et se
caractérise par une
mobilité
et une souplesse d'emploi
permettant de
diversifier les modes de pénétration
. Mise
en oeuvre depuis le sol ou depuis le porte-avions, elle peut contribuer de
manière plus visible à l'exercice de la dissuasion.
La composante aéroportée repose sur trois escadrons de Mirage
2000-N de l'armée de l'air et sur les flottilles de Super-Etendard
modernisés de l'aéronavale, qui emportent le missile air sol
moyenne portée (ASMP), dont la portée varie de 300 km en haute
altitude à 80 km en basse altitude et qui est équipé de la
tête nucléaire TN 81.
La
composante aéroportée
sera
entièrement
renouvelée à partir de 2007
par l'entrée en service
des
Rafale Marine et Air
, le remplacement de l'ASMP par l'
ASMP
amélioré (ASMP-A)
et le remplacement de la TN 81 par la
nouvelle tête nucléaire aéroportée (TNA)
.
Les tête nucléaires TN 81 commenceront à être
retirées du service en 2007 pour être remplacées par les
TNA.
La livraison du
vecteur ASMP-A
devrait intervenir à partir de
2007. Il se caractérisera par une
portée et une
capacité de pénétration des défenses nettement
supérieures
à celles de l'ASMP.
L'ASMP-A équipera dans un premier temps un escadron de Mirage 2000-N, le
missile étant adapté à cet appareil. Dès 2008, un
escadron de Rafale Air sera équipé de l'ASMP-A, ainsi que la
flottille des Rafale marine. Le deuxième escadron de Rafale air sera mis
en service en 2015 et le troisième en 2017.
c) Le programme de simulation
La mise
en oeuvre du programme de simulation constitue un impératif pour notre
force de dissuasion car il conditionne
la garantie de la fiabilité et
de la sûreté des armes futures.
De l'ensemble des puissances nucléaires reconnues, la France se
distingue en ayant à la fois renoncé juridiquement aux essais
nucléaires, en ratifiant le traité d'interdiction complète
des essais nucléaires, et renoncé matériellement et de
manière irréversible à sa capacité d'effectuer de
tels essais, en démantelant les installations du Centre
d'expérimentations du Pacifique.
Or, les armes nucléaires vieillissent, du seul fait de
l'évolution naturelle des matériaux nucléaires qui les
composent, ce qui conduit à limiter la durée de vie de ces armes.
Il est désormais nécessaire d'assurer leur renouvellement sans
recourir aux essais de vraie grandeur.
Le
programme simulation
Un pôle d'excellence pour la recherche française
Eléments clés du programme de simulation, les
moyens
numériques Tera et les moyens expérimentaux comme le laser
mégajoule et son prototype, la ligne d'intégration laser (LIL),
constituent des
réalisations exceptionnelles
à la fois par
leurs caractéristiques techniques et par leurs performances. Ces
performances seront
mises à la disposition de la communauté
scientifique européenne
conformément à la politique
d'ouverture approuvée fin 2001 par le ministère de la
défense.
Il est ainsi prévu de favoriser, autour du centre CEA-DAM d'Ile de
France, le développement d'une « vallée
d'excellence » sur le calcul haute performance rassemblant
scientifiques et industriels (
projet « Valcim » :
vallée pour le calcul intensif et la modélisation).
De même, en Aquitaine, le CEA cherche à favoriser
l'établissement de liens cohérents entre les installations laser,
le milieu industriel, le monde de la formation et l'environnement scientifique
dans le cadre du projet «
route des lasers
» dans
lequel le comité interministériel pour l'aménagement et le
développement du territoire du 13 novembre 2002 vient d'officialiser
l'engagement de l'Etat.
Le projet Valcim
La machine Tera, en service sur le site de Bruyères-le-Châtel, est
aujourd'hui le
calculateur le plus puissant en Europe
(le
7
ème
au monde). Cette capacité a d'ores et
déjà été mise à profit pour effectuer des
calculs sur le génome
en juillet 2002 dans le cadre du projet
Teraprot. Ce projet qui réunit la puissance de calcul de Tera
(indispensable pour ces calculs), les performances du logiciel
Lassap
TM
d'analyse des génomes complets et l'expertise en
bio-informatique de l'université d'Evry constitue la
première
concrétisation de la volonté de faire bénéficier la
communauté scientifique des compétences et des moyens du
programme simulation
. Cette collaboration a été
formalisée par la signature, le 5 juillet 2002, d'une convention entre
le CEA et l'université d'Evry Val d'Essonne.
La décision de regrouper autour de Tera, dans le cadre de la
vallée numérique, les moyens de calculs haute performance pour
toutes les activités du CEA fournit l'opportunité de
développer de nouveaux
partenariats avec des acteurs scientifiques,
industriels, régionaux
, ayant des besoins dans ce domaine.
Le projet « route des lasers »
La LIL sera, dès fin 2003, le laser le plus puissant en Europe
en
terme d'énergie délivrée jusqu'à l'entrée en
service du
LMJ qui deviendra à la fin de la décennie, avec le
NIF (National Ignition Facility) américain, le laser le plus puissant au
monde.
Ces installations permettront d'étendre le domaine de la physique
accessible en laboratoire. Elles intéressent ainsi les chercheurs
concernés par la physique des très hautes températures et
des très hautes densités. Elles constituent, en effet, un
moyen unique pour simuler des phénomènes qui se manifestent
sous des conditions extrêmes
comme celles que l'on rencontre dans les
étoiles (protoétoiles ou supermovae) ou dans les noyaux
planétaires (milieux chauds et denses).
La politique d'ouverture à la communauté scientifique dans les
domaines de l'optique, des lasers et des plasmas s'est traduite par des
discussions entre le CEA, l'université de Bordeaux I et le CNRS, qui
vont se concrétiser par la création, début 2003, de deux
entités :
•
une structure régionale de recherche
, nouvelle
unité mixte de recherche (UMR) qui effectuera des travaux en
collaboration ouverte entre des personnels du CEA, de l'université et du
CNRS sur des thèmes précis dans les domaines des plasmas denses
et chauds d'une part, de l'optique et des lasers d'autre part ;
• une
structure de coordination nationale, l'institut lasers et
plasmas (ILP)
, point d'entrée pour les relations avec les
communautés civiles et les expériences
« ouvertes » sur la LIL et le LMJ, organisant le recueil et
l'évaluation des propositions d'expériences issues soit
directement des chercheurs de l'ILP, soit de la communauté
extérieure par un comité de programme indépendant.
La direction de l'ILP sera installée dans l'environnement bordelais de
façon à accentuer son couplage avec les installations en
Aquitaine.
Indépendamment des programmes défense, la communauté
scientifique s'accorde pour estimer que la
recherche sur les plasmas
bénéficierait grandement du couplage entre la LIL et un
laser
petawatt
(10
15
watts)
délivrant des impulsions
très courtes. Ce projet, porté par la région Aquitaine qui
en étudie actuellement le financement, permettrait de constituer une
installation unique
(LIL + Petawatt)
plaçant la France dans
une position remarquable pour aborder des secteurs de la physique aujourd'hui
inexplorés
comme les phénomènes fortement non
linéaires et la fusion par allumage rapide.
Le programme de simulation constitue l'un des volets d'une stratégie
visant à garantir la fiabilité et la sûreté des
armes futures, et reposant sur trois éléments
indissociables :
- le
concept de charges robustes
, moins soumis aux effets du
vieillissement et testé lors de l'ultime campagne d'essais, qui
caractérisera les futures têtes nucléaires
océaniques et aéroportées ;
- la validation, grâce à des
outils de simulation
, des
faibles écarts dus à la « militarisation » de
la charge nucléaire ou susceptibles d'apparaître au cours de la
durée de vie de l'arme ; elle justifie le développement des
moyens expérimentaux et des capacités de calculs prévus
par le programme de simulation ;
- enfin, la
certification
, par les concepteurs actuels ayant connu les
essais nucléaires, des
équipes nouvelles
qui seront
appelées, au seul moyen de la simulation, à évaluer les
conséquences de modifications du comportement des charges sur le
fonctionnement ou la sûreté des armes ; cette exigence de
passage de relais entre générations
conditionne le calendrier
du programme simulation
.
La mise en oeuvre du programme de simulation repose sur de
puissants moyens
de simulation numérique
fournis par des ordinateurs beaucoup plus
performants que ceux actuellement en service, et sur des
installations
expérimentales
permettant de valider les modèles physiques
décrivant les phénomènes essentiels du fonctionnement des
armes nucléaires : la machine radiographique Airix pour la visualisation
détaillée du comportement dynamique de l'arme, et le laser
Mégajoule pour l'étude des phénomènes physiques,
notamment thermonucléaires.
Dans le cadre du projet
Tera
, le CEA s'est doté fin 2001 d'une
machine « 5 terapflops » (5 milliards d'opérations
par seconde) qui multiplie par 100 sa capacité de calcul par rapport
à 1996 et en fait le premier centre européen de calcul. Deux
autres machines devant être livrées d'ici 2009 pour atteindre une
puissance de calcul de 100 teraflops.
La
machine radiographique AIRIX
, située à Moronvilliers
dans la Marne, est opérationnelle, dans sa version initiale, depuis la
mi-2000. Elle est vouée à l'analyse de la dynamique des
matériaux et permet d'étudier le fonctionnement non
nucléaire des armes, à l'aide d'expériences au cours
desquelles les matériaux nucléaires sont remplacés par des
matériaux inertes. L'ensemble complet devrait être
opérationnel en 2011.
Enfin, le
laser Mégajoule
qui sera installé au Barp, en
Gironde, est destiné à l'étude du domaine
thermonucléaire. Il permettra de déclencher une combustion
thermonucléaire sur une très petite quantité de
matière et de mesurer ainsi les processus physiques
élémentaires. Le développement du projet doit s'effectuer
en plusieurs étapes. La
ligne d'intégration laser (LIL)
,
prototype à 8 faisceaux du futur laser qui en comportera 240, a
été
mise en service en avril 2002
, ce qui devrait
permettre à la fin de cette année la validation des grands choix
technologiques de la chaîne laser de base du laser Mégajoule. La
mise à disposition du laser mégajoule à pleine puissance
est prévue pour 2009, les premières expériences d'ignition
et de combustion thermonucléaire étant envisagées pour fin
2011.
D'ores et déjà, les premières capacités fournies
par les premiers moyens expérimentaux et de calcul du programme
simulation contribuent au développement de la future tête
aéroportée.
3. L'impact financier de la dissuasion nucléaire dans l'effort de défense
Les
crédits affectés à la dissuasion nucléaire ont
atteint en 2001 leur point historiquement le plus bas, avec une dotation de
2,37 milliards d'euros courants représentant 18,7 % des crédits
d'équipement de la défense.
L'année 2002 a été marquée par un net redressement
des dotations, poursuivi en 2003.
Le projet de loi de programmation affecte à la dissuasion
nucléaire une
enveloppe représentant, sur 6 ans, environ 17
milliards d'euros,
soit une
annuité moyenne de 2,85 milliards
d'euros
.
Evolution des crédits de la dissuasion nucléaire de 1990 à 2008
Crédits de paiement |
Domaine nucléaire |
Titres V et VI défense |
Part |
||
milliards d'€ courants |
milliards d'€ 2003 |
milliards d'€ courants |
milliards d'€ 2003 |
nucléaire |
|
1990 |
4,89 |
5,94 |
15,57 |
18,91 |
31,4% |
1991 |
4,73 |
5,58 |
15,72 |
18,55 |
30,1% |
1992 |
4,55 |
5,27 |
15,69 |
18,15 |
29,0% |
1993 |
4,03 |
4,55 |
15,69 |
17,74 |
25,7% |
1994 |
3,31 |
3,68 |
14,47 |
16,09 |
22,9% |
1995 |
3,16 |
3,46 |
14,47 |
15,83 |
21,9% |
1996 |
2,97 |
3,20 |
13,56 |
14,62 |
21,9% |
1997 |
2,87 |
3,06 |
13,52 |
14,39 |
21,2% |
1998 |
2,53 |
2,67 |
12,27 |
12,94 |
20,7% |
1999 |
2,53 |
2,66 |
12,97 |
13,61 |
19,5% |
2000 |
2,42 |
2,52 |
12,92 |
13,45 |
18,7% |
2001 |
2,37 |
2,44 |
12,72 |
13,05 |
18,7% |
2002 |
2,65 |
2,68 |
12,27 |
12,40 |
21,6% |
2003 |
2,96 |
2,96 |
13,64 |
13,64 |
21,7% |
2004 |
3,03 |
3,00 |
14,75 |
14,60 |
20,5% |
2005 |
3,02 |
2,96 |
15,02 |
14,72 |
20,1% |
2006 |
2,93 |
2,84 |
15,29 |
14,84 |
19,2% |
2007 |
2,81 |
2,70 |
15,57 |
14,96 |
18,0% |
2008 |
2,76 |
2,63 |
15,85 |
15,08 |
17,4% |
Le tableau ci-dessus replace en perspective le budget programmé pour la dissuasion nucléaire d'ici 2008. Trois observations s'imposent :
- en
monnaie constante,
l'enveloppe affectée à la dissuasion
nucléaire pour la période 2003-2008
(environ 17 milliards
d'euros 2003)
sera supérieure d'environ 6,6 % à celle
attribuée lors de la précédente loi de programmation
(environ 16 milliards d'euros 2003) ;
- pour autant, la
dissuasion nucléaire ne représentera plus
que 19,5 % de l'effort d'équipement militaire
sur la
période 2003-2008, contre 20 % en moyenne de 1997 à 2002 ;
- enfin,
l'annuité moyenne
lors de la prochaine loi de
programmation est
inférieure de 40 % environ au niveau de l'effort
financier consacré à la dissuasion sur la période
1990-1996
.
Au-delà de ces variations, votre rapporteur souhaite souligner que, dans
le domaine de la dissuasion nucléaire plus que dans tout autre, le
niveau des besoins financiers découle directement des options politiques
définies pour notre posture : maintien de deux composantes,
adaptation de ces dernières aux exigences de crédibilité,
mise en oeuvre de la simulation à la suite de l'arrêt des essais.
La cohérence d'ensemble de nos choix implique nécessairement une
cohérence budgétaire
. Celle-ci n'a pas été
rompue au cours de ces dernières années, malgré des
abattements financiers qui ont entériné certains décalages
et réduit toute marge de manoeuvre. Elle est également
respectée avec le niveau de ressources prévu par le projet de loi
de programmation pour la période 2003-2008.
Sur la période, environ 2 milliards d'euros seront consacrés au
programme SNLE-NG, 2,8 millards d'euros au missile balistique M 51, 800
millions d'euros au missile aéroporté ASMP/A et 2,3 milliards
d'euros au programme simulation.