III. L'ÉQUIPEMENT MILITAIRE DE 2003 À 2008 : UNE MODERNISATION RELANCÉE
A. DEUX OBJECTIFS : ÉVITER TOUT NOUVEAU RETARD DANS LA RÉALISATION DU MODÈLE D'ARMÉE, PRENDRE EN COMPTE LES PRIORITÉS NOUVELLES
Avec une
annuité moyenne de 14,64 milliards d'euros en valeur 2003,
régulièrement revalorisée en fonction de l'érosion
monétaire, le budget d'équipement des armées
connaîtra sur la période 2003-2008 un relèvement
substantiel qui ne représente toutefois qu'une augmentation de 2% par
rapport au niveau qui aurait du être le sien de 1997 à 2002, si la
précédente loi de programmation avait été
respectée.
L'affectation de cette enveloppe financière obéit à une
nouvelle présentation par systèmes de forces
qui innove
par rapport aux lois précédentes, même si le
ministère de la défense la pratique depuis quelques années
déjà. Ces systèmes de forces regroupent les
capacités qui concourent à un résultat opérationnel
donné, quelle que soit leur armée d'appartenance.
Cette
approche fondée sur les capacités militaires
, plus
que sur les programmes, est nécessaire dans la mesure où toutes
les opérations dans lesquelles nos forces sont susceptibles d'être
engagées présentent aujourd'hui un caractère
interarmées, ce qui impose la recherche d'une
cohérence
globale de tous les moyens
dévolus à notre outil militaire,
que ce soit dans les concepts d'emploi, l'interopérabilité ou les
calendriers de livraison.
Comme votre rapporteur l'a déjà souligné, les moyens
financiers programmés d'ici 2008 dégagent des ressources
supplémentaires par rapport à celles effectivement disponibles
ces dernières années, mais pour une large part, ce
surplus de
crédit doit être affecté aux priorités les plus
urgentes
, à savoir la
restauration de la disponibilité des
matériels
et le
financement de programmes déjà
lancés
qui ne peuvent accuser de nouveaux retards.
Néanmoins,
un effort très significatif a été
accompli pour tenir compte
, autant que le permettaient les ressources
financières,
des évolutions les plus récentes d'un
contexte international
marqué par le terrorisme de masse et la
prolifération des armes de destruction massive,
et des enseignements
de nos derniers engagements militaires
, en vue d'acquérir les
technologies et les équipements les plus nécessaires.
Se préparer dès aujourd'hui à pouvoir acquérir
les prochaines générations d'équipements
constitue aux
yeux de votre rapporteur un
impératif qui devra guider toute la mise
en oeuvre de la loi de programmation
et impliquera de rechercher les moyens
d'anticiper certaines échéances de livraison et
d'améliorer la réactivité de notre processus
d'équipement face aux évolutions du contexte
géostratégique et des besoins.
1. Les besoins prioritaires de restauration de l'environnement des forces et de financement des programmes déjà lancés seront satisfaits
Deux
priorités urgentes s'imposent
, si l'on veut éviter à
très court terme une rupture de la cohérence de notre outil
militaire :
restaurer la disponibilité des matériels
,
et plus largement l'environnement des forces ;
éviter tout
nouveau retard, et a fortiori tout nouvel abandon de capacité, dans les
programmes inscrits au modèle d'armée
.
Ces deux priorités seront satisfaites grâce au retour à un
niveau de ressources voisin de celui initialement prévu par la
précédente loi de programmation.
La disponibilité des équipements, qui conditionne la
capacité d'action immédiate de nos forces,
bénéficiera d'un redressement des crédits de maintien en
condition opérationnelle, dont l'annuité moyenne, portée
à 2,4 milliards d'euros 2003, représentera une hausse de 8% par
rapport au niveau de 2001. Les crédits d'infrastructure, qui concourent
également à l'environnement des forces, seront confortés.
S'agissant des programmes prévus au modèle 2015, ils seront
financés à la hauteur voulue pour ne pas accuser de nouveau
retard, ni être remis en cause par des réductions de cibles ou des
abandons. La réalisation de ces programmes, dont beaucoup ont
été initiés il y a longtemps déjà, demeure
nécessaire, car ils constituent le socle de notre outil de
défense.
L'enveloppe affectée à la
dissuasion nucléaire
pour
la période 2003-2008 représentera près de environ 17
milliards d'euros 2003, soit, en monnaie constante, une augmentation de
6,6 % à celle attribuée lors de la précédente
loi de programmation. Elle correspond aux besoins générés
par la poursuite de la mise en oeuvre des orientations définies en 1996
pour la modernisation de nos deux composantes, maritime et aérienne, et
pour le programme de simulation décidé à la suite de
l'arrêt des essais nucléaires.
Le
domaine spatial
, doté d'une annuité moyenne de 2,61
milliards d'euros, verra la réalisation selon les
échéances prévues des programmes Hélios II et
Syracuse III qui doivent respectivement renforcer nos capacités
d'observation et de télécommunications par satellites.
Enfin, le domaine de l'
équipement classique
se
caractérisera par la montée en puissance des crédits de
fabrication nécessaires à nos programmes majeurs : avion de
combat Rafale, hélicoptères Tigre et NH 90, avion de transport
A 400 M, frégates multi-missions et Horizon, sous-marins
d'attaque Barracuda. Nombre de ces programmes, comme le Rafale, le Tigre ou le
NH 90, sont initiés depuis de nombreuses années, mais les retards
pris ont décalé à la période qui s'ouvre en 2003
l'essentiel, voire la totalité de leur entrée effective dans les
forces.
Le tableau ci-dessous détaille les crédits de paiement
affectés par le projet de loi de programmation aux principaux programmes
d'équipement classique.
Programmes |
Crédits * |
Commandes et livraisons |
Avion de combat Rafale |
8,47 |
Livraison de 57 Rafale Air et 19 Rafale Marine |
Hélicoptère de combat Tigre |
2,75 |
Livraison de 37 Tigre HAP |
Hélicoptère de transport NH 90 |
1,68 |
7 hélicoptères livrés à la Marine (27 commandés) et 34 commandés pour l'armée de terre |
Avion de transport A 400 M |
1,45 |
50 appareils commandés et 3 livrés à l'horizon 2008-2009 |
Frégates multimissions |
1,24 |
8 frégates commandées et 1 livrée en 2008 |
Frégate antiaérienne Horizon |
1,21 |
2 frégates livrées en 2006 et 2008 et commande d'une 3 ème en 2007 |
Sous marin Barracuda |
1,21 |
2 sous-marins commandés |
Char Leclerc |
0,92 |
117 chars livrés de 2003 à 2005 |
Missile sol-air moyenne portée terre (SAMP/T) |
0,69 |
10 systèmes et 505 munitions commandés ; 4 systèmes et 110 munitions livrés |
Missile air-air Mica |
0,62 |
1135 missiles commandés et 850 livrés |
Véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) |
0,55 |
433 véhicules commandés à partir de 2005 et 272 livrés à partir de 2006 |
Porte-avions n°2 |
0,55 |
Commande d'un 2 ème PA en 2005 |
Missile de croisière Scalp EG |
0,41 |
500 missiles livrés à partir de 2003 |
Missile sol-air moyenne portée naval (PAAMS) |
0,32 |
2 systèmes livrés en 2004 et 2005 pour les frégates Horizon |
Hélicoptère Cougar MK2+ |
0,31 |
10 hélicoptères livrés aux forces spéciales |
* en milliards d'euros 2003
2. Des lacunes capacitaires persisteront mais de nouveaux besoins sont pris en compte
Le
rattrapage financier opéré par le projet de loi ramènera
notre effort d'équipement sur une trajectoire compatible avec le
modèle d'armée. Il ne permettra pas de résorber le retard
pris ces dernières années par de nombreux programmes.
Comme le souligne l'exposé des motifs du projet de loi,
«
il ne permettra cependant pas
, au cours des
années 2003-2008,
de combler toutes les lacunes, ou de
remédier d'emblée à toutes les insuffisances
.
Des
faiblesses
, notamment en matière de transport stratégique,
d'aéromobilité ou de permanence du groupe aéronaval
persisteront
».
La chute annoncée de nos capacités de transport aérien et
de transport par hélicoptères constitue sans aucun doute l'un des
points faibles les plus visibles de notre outil militaire.
S'agissant des
avions de transport
, les aléas politiques et
financiers qui ont affecté la coopération européenne sur
le programme A 400 M ont été particulièrement
pénalisants pour la France, dont le besoin, déjà patent
aujourd'hui, s'accentuera dès 2005 avec l'inéluctable retrait du
service des Transall les plus anciens. Le retard pris par le lancement de l'A
400 M, qui repousse les livraisons au delà de 2008, provoquera une
dégradation de la capacité de réaction autonome et
immédiate de nos armées. La préservation du potentiel du
parc actuel de Transall et l'appel, chaque fois que nécessaire, à
des moyens européens, ne constitueront que des mesures palliatives.
Le
déficit en aéromobilité
va également se
creuser, en raison cette fois-ci d'un arbitrage purement national repoussant
à 2011, pour des raisons financières, les premières
livraisons à l'armée de terre du
NH 90
, dont
l'armée allemande sera équipée dès l'année
prochaine. Votre commission a examiné en détail les implications
de cette situation dans un rapport d'information publié
l'été dernier. Elle a souligné le caractère
insatisfaisant de la solution de remplacement mise en oeuvre, à savoir
la rénovation partielle du parc actuel, en déplorant que ces
dernières années n'aient pas été mises à
profit pour étudier plus à fond des solutions financières
innovantes permettant d'avancer la livraison d'appareils neufs.
A ces deux lacunes, votre rapporteur souhaite ajouter celle qui
résultera du
vieillissement des véhicules blindés
légers de l'armée de terre
. Bien que le projet de loi
prévoie la rénovation d'une partie des blindés à
roues AMX 10 RC et permette les premières livraisons du VBCI,
destiné à remplacer le blindé chenillé AMX 10 P,
ces actions paraissent trop limitées pour enrayer une
détérioration de nos capacités qui se constate au fil de
nos engagements sur les théâtres extérieurs.
En dépit de ces limites, il faut reconnaître au
projet de
loi
de programmation le
mérite d'avoir en revanche
accéléré certains choix
au vu des évolutions du
contexte stratégique et de la montée du risque terroriste.
Ainsi, les
moyens de protection
seront renforcés, qu'il s'agisse
de la
protection du territoire national et de ses approches
aériennes
(acquisition de radars Giraffe)
et maritimes
(amélioration de la chaîne sémaphorique), de la
protection contre la menace chimique et biologique
(équipements
de protection de sites et des combattants) ou
contre la menace
balistique
(acquisition d'une première capacité antimissiles
de théâtre, études sur l'alerte spatiale). Le renforcement
des moyens de sécurité intérieure contribue
également à cette nouvelle dimension de la fonction de protection.
Dans le domaine du renseignement et de la maîtrise de l'information, le
projet de loi prévoit l'acquisition de nouveaux systèmes de
drones de reconnaissance.
Enfin, les
capacités d'actions dans la profondeur
bénéficieront de l'entrée en service des
missiles de
croisière
et de la
capacité tout temps pour les
armes air-sol de précision
, ainsi que de moyens nouveaux de
guerre électronique offensive. Les
forces spéciales
seront
dotés de moyens modernes de projection (hélicoptères) et
de communication, ces derniers intégrant la
complémentarité désormais de plus en plus forte entre
actions spéciales au sol et actions aériennes. La décision
de lancer en 2005 la construction d'un second porte-avions va bien entendu dans
le même sens, puisqu'elle permettra à l'horizon 2015 de
rétablir la permanence de nos capacités de frappe aérienne
depuis la mer.
3. Préparer sans retard l'acquisition des prochaines générations d'équipements : un impératif urgent
La
particularité de la campagne d'Afghanistan et des actions de lutte
contre le terrorisme a fait ressortir les principales exigences d'un
équipement moderne, adapté à la grande
variété des menaces et des situations :
- l'importance cruciale de la
maîtrise de l'information en temps
réel
à tous les stades de la crise, du recueil et de
l'exploitation du renseignement en amont, par des moyens diversifiés et
agissant de manière permanente, à la conduite des
opérations et à l'évaluation des dommages ;
- la nécessité d'une
intégration de tous les moyens
engagés
, permettant les liaisons et les transmissions de
données entre centres de commandement, vecteurs aériens et
troupes au sol, en particulier les forces spéciales,
- la
réduction constante des délais entre l'arrivée de
l'information, la prise de décision et l'action militaire
, les
opérations d'Afghanistan s'étant caractérisées par
des délais de l'ordre de 30 minutes entre la détection et le tir,
- l'
usage quasi-exclusif de munitions tirées à longue distance
et garantissant une haute précision
, de jour comme de nuit et par
tout temps, permettant d'acquérir rapidement la
supériorité militaire.
Nos limites en la matière sont évidentes, et s'agissant de
l'Afghanistan, elles ont été aggravées par le fait que
notre
interopérabilité avec les forces américaines
était réduite, ces dernières ayant fonctionné avec
des standards d'équipement ou de procédures spécifiques,
différents de ceux définis par l'OTAN et que la France s'efforce
d'acquérir.
Dans ce contexte, le projet de loi de programmation, soumis à une forte
contrainte financière du fait des besoins importants non couverts au
cours de la précédente programmation, n'a pu apporter que des
réponses limitées, la livraison d'équipements tels que les
drones ou le missile de croisière naval étant fixée
à une échéance lointaine, alors que dans d'autres
domaines, seules sont évoquées, au mieux, de simples
études.
C'est pourquoi il paraît indispensable à votre rapporteur de
préparer au mieux, dès aujourd'hui, les conditions optimales
d'intégration de ces capacités futures dans notre outil de
défense.
Le
domaine spatial
est l'un de ceux qui
devra faire l'objet d'un
effort beaucoup plus soutenu
, en cherchant à mobiliser au plus vite
nos partenaires européens sur le développement de programmes
nouveaux. L'échec d'une coopération sur les futurs satellites de
communication est à cet égard regrettable, car elle aurait sans
doute permis d'acquérir beaucoup plus vite les capacités de
liaison à haut débit qui ont été massivement
utilisées par les forces américaines lors des dernières
opérations. La détection des tirs de missiles balistiques et
l'écoute à partir de capteurs spatiaux devra elle aussi
dépasser le stade des simples études exploratoires.
Votre rapporteur souhaite également que toutes les
possibilités d'avancer certaines livraisons d'équipement
,
par rapport à l'échéancier prévu par le projet de
loi, soit systématiquement étudiées.
Il en est ainsi des
drones
, dont on a vu la part croissante qu'ils
prennent dans les opérations actuelles, pour des missions de
surveillance, de reconnaissance, de désignation laser des objectifs et,
à l'image du
Predator
armé du missile
Hellfire
,
pour des missions de combat.
Compte tenu du développement rapide de ce type d'équipement, les
échéances retenues par le projet de loi
(2009 pour la
livraison des premiers drones moyenne altitude, et au delà encore pour
les drones haute altitude) paraissent bien
lointaines
. La
nécessité de livraisons plus rapprochées ne fait
guère de doute et votre rapporteur a noté avec
intérêt les propos tenus devant le Sénat le 5
décembre dernier par Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la
défense, au sujet des drones d'observation : «
ils ne
sont peut-être pas suffisamment nombreux ...il y a toujours une certaine
souplesse dans la loi au niveau des équipements. Aussi, en fonction des
besoins et des possibilités, il y aura peut-être moyen
d'intervenir, y compris dans le cadre de coopérations, qui ne sont pas
à exclure
»
.
Votre rapporteur souhaite vivement que les marges éventuelles qui
apparaîtraient dans l'exécution de la loi de programmation soient
utilisées pour
avancer ces livraisons, renforcer nos capacités
en matière de drones et accentuer notre effort de recherche
sur
ce type d'équipements
.
Une démarche analogue pourrait très utilement être
étudiée pour le
missile Scalp naval
, lui aussi
prévu tardivement (2011). Il s'agirait d'examiner dans quelles
conditions son entrée en service pourrait être rapprochée
de celle des frégates multimissions, sous réserve de tenir compte
des exigences liées à l'équipement futur des sous-marins
Barracuda, qui imposent de ne pas rompre la cohérence du programme.