2. Les dispositions relatives à la langue corse et à la culture
Le projet de loi comporte une douzaine de dispositions qui viennent compléter ou modifier le dispositif issu du statut de 1991, l'ensemble étant regroupé dans une nouvelle section intitulée « Identité culturelle de la Corse ».
Ces dispositions sont d'une portée juridique ou symbolique très inégale.
a) La planification scolaire
Ainsi, l'article 4 ne procède-t-il qu'à des réaménagements somme toute ponctuels de la planification scolaire en Corse. Il est cependant regrettable qu'il n'aille pas jusqu'au bout d'un processus de clarification nécessaire, et que, plutôt que de désigner les outils de cette planification par les dénominations communes et bien définies utilisées dans le code de l'éducation, il privilégie une terminologie spécifique et incertaine qui confère à l'ensemble du dispositif une originalité de façade et risque d'alimenter certains malentendus.
b) L'enseignement supérieur
Le projet de loi propose de transférer à la collectivité territoriale de Corse, qui assure déjà la construction et l'entretien des lycées, des collèges et d'une façon générale des établissements d'enseignement secondaire, ceux des établissements d'enseignement supérieur , ainsi que la gestion des biens, mais non des personnels, des instituts universitaires de formation des maîtres. Il autorise en outre la collectivité territoriale de Corse à développer, en matière d'enseignement supérieur et de recherche, des actions en partenariat avec des établissements d'enseignement supérieur et de recherche , actions qui viendraient en complément de la carte des formations supérieures arrêtée par l'Assemblée de Corse, et qui fait l'objet d'une convention tripartite entre la collectivité territoriale de Corse, l'Université de Corse et l'Etat. Cette disposition n'est pas dépourvue d'intérêt, dans la mesure où elle pourrait être l'occasion d'une fructueuse ouverture sur l'extérieur, mais suscite de fortes réserves de la part de l'Université de Corse.
c) L'enseignement de la langue corse
L'article 7, relatif à l'enseignement de la langue corse est certainement l'une des dispositions les plus commentées et les plus controversées du projet de loi.
Compte tenu de la variété des arguments auxquels elle a donné lieu, il n'est sans doute pas inutile de recadrer le débat.
• Celui-ci ne porte pas sur l'opportunité d'offrir ou non, dans le cadre du service public de l'éducation nationale, un enseignement facultatif de la langue corse . On peut en effet considérer que cette question est, en quelque sorte, déjà tranchée. La loi n° 51-46 du 11 janvier 1951, dite « Loi Deixonne », autorise déjà cet enseignement et le bénéfice de ses dispositions a été étendu à l'enseignement de la langue corse par un décret du 16 janvier 1974.
Sur ces fondements législatifs, qui ont été encore confortés par l'article premier de la loi d'orientation sur l'éducation de 1989, le ministère de l'éducation nationale a pu mettre en place, par voie de circulaire, un enseignement de langue régionale. Une circulaire du 21 juin 1982 a consacré l'enseignement de ces langues régionales « comme une matière spécifique » dont l'enseignement devait toutefois reposer sur le volontariat des élèves et des enseignants. Plus récemment, une circulaire du 7 avril 1995 a précisé que cet enseignement pourrait prendre la forme, soit d'un enseignement d'initiation, dispensé à raison d'une à trois heures hebdomadaires, soit d'un enseignement bilingue dans lequel la langue régionale est à la fois langue enseignée et langue d'enseignement, à parité avec la langue française.
C'est dans ce contexte législatif et réglementaire que la « stratégie de l'Etat en Corse » a pu proposer, en février 1994, une généralisation de l'offre de cet enseignement à l'ensemble des élèves des classes primaires de Corse. Cet enseignement , d'après les renseignements recueillis sur place par la mission d'information de votre commission spéciale, est actuellement accessible à 80 % des élèves des écoles maternelles et élémentaires de Corse , et sa généralisation ne se heurte à aucun obstacle de nature juridique, mais à des motifs budgétaires, et à la difficulté de disposer d'un nombre suffisant d'enseignants.
Dans ces conditions, s'il ne se propose effectivement que de confirmer l'offre généralisée d'un enseignement facultatif de langue corse, le dispositif de l'article 7 est symboliquement fort, mais juridiquement inutile.
• Le débat ne porte pas non plus sur l'opportunité de rendre ou non cet enseignement juridiquement obligatoire .
Certes, les deux motions entre lesquelles se sont répartis les différents élus de l'Assemblée de Corse se sont prononcées en faveur d'un enseignement obligatoire de la langue corse. Mais tous les partenaires, dans ce débat public, sont parfaitement conscients que l'instauration, par la loi, d'un enseignement obligatoire de langue corse serait contraire aux principes constitutionnels.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel, garant de la conformité des lois à la lettre et aux principes de notre loi fondamentale, est en effet parfaitement explicite sur ce sujet. A deux reprises, une première fois à l'occasion de l'examen du statut de la Corse de 1991 45 ( * ) , et une seconde fois, à l'occasion de l'examen du statut de la Polynésie de 1996 46 ( * ) , le Conseil constitutionnel a rappelé, dans des termes très voisins, que l'enseignement d'une langue régionale dans le cadre de l'horaire normal des écoles était possible, à la double condition que cet enseignement ne revête pas un caractère obligatoire, et qu'il n'ait pas pour objet de soustraire les élèves aux droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers du service public de l'éducation.
Dans l'état actuel de notre Constitution et des principes qui l'inspirent, il n'est donc pas juridiquement possible d'instaurer, par la loi, un enseignement obligatoire de la langue corse.
• Dans ces conditions, le débat relatif au dispositif de l'article 7 se concentre sur la question suivante : dans quelle mesure la consécration symbolique d'un enseignement de langue corse ne risque-t-elle pas d'instituer, dans les faits, un enseignement obligatoire de cette langue ?
Votre commission spéciale estime que ce risque est très sérieux, particulièrement si une rédaction délibérément ambivalente du dispositif proposé par l'article 7 encourage certaines dérives.
Tel lui paraît le cas du dispositif proposé par le Gouvernement dans le projet de loi initial, qui dispose que : « la langue corse est enseignée dans le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et élémentaires, à tous les élèves, sauf volonté contraire des parents ou du représentant légal de l'enfant ».
Dans l'avis qu'il avait rendu au Gouvernement sur l'avant-projet, le Conseil d'Etat avait en effet censuré ce dispositif, estimant qu'« à la différence de la procédure d'inscription applicable à tous les autres enseignements optionnels », il « contraignait les représentants légaux de l'enfant à accomplir une demande expresse pour faire dispenser l'élève de l'obligation de suivre cet enseignement », ce qui revenait à « instituer dans les faits un enseignement obligatoire de la langue corse ».
Votre commission spéciale partage entièrement ce point de vue, et regrette que, malgré cet avertissement donné par la plus haute instance administrative de notre pays, le Gouvernement ait maintenu cette rédaction dans le texte qu'il a déposé devant l'Assemblée nationale.
d) La culture et la communication
Si l'article 8 ne se livre qu'à des réaménagements marginaux en matière de communication audiovisuelle , l'article 9 procède, en revanche, à une large redéfinition des compétences de la collectivité territoriale de Corse en matière culturelle .
Dans le souci de lui conférer le rôle de « chef de file » réclamé en ce domaine par l'Assemblée de Corse, le projet de loi lui confère la responsabilité « de définir et de mettre en oeuvre la politique culturelle de Corse ».
On peut s'interroger, cependant, sur la cohérence d'un dispositif qui, dans le même paragraphe, envisage de conférer à la collectivité territoriale de Corse cette compétence de premier plan et s'empresse, dès la phase suivante de réaffirmer la compétence générale de l'Etat , qui reste chargé des « actions relevant de la politique nationale ».
L'article 9 confirme en outre un certain nombre de transferts spécifiques déjà réalisés par le statut de 1991, en étend la portée et les complète par une série de nouveaux transferts, notamment en matière d'archéologie, d'inventaire du patrimoine, de recherches ethnologiques. Le projet de loi initial précise que dans toutes ces actions, elle reste soumise au contrôle scientifique et technique de l'Etat.
Mesure la plus visible, le projet de loi transfère à la collectivité territoriale de Corse la propriété des monuments historiques classés et inscrits appartenant à l'Etat, situés sur son territoire, à l'exception des bâtiments occupés par les services de l'Etat. Il étend ce transfert à la propriété des sites archéologiques . L'Assemblée de Corse, favorable à ce transfert, souhaite cependant que celui-ci soit assorti des garanties nécessaires.
Enfin, le projet de loi partage entre le représentant de l'Etat et le président du Conseil exécutif le pouvoir de nomination des membres du Conseil des sites de Corse . Cet organisme, qui exerce en Corse des attributions dévolues, dans le reste du pays, à trois organismes distincts (la commission régionale du patrimoine et des sites, la commission spéciale des unités touristiques nouvelles et la commission départementale des sites), est constitué actuellement de 28 membres, nommés par le représentant de l'Etat et réunit des fonctionnaires de l'Etat, des représentants des diverses collectivités territoriales et des personnalités qualifiées. Votre commission spéciale se demande si ce partage du pouvoir de nomination permettra de continuer à assurer la nécessaire représentation des départements et des communes . Elle se demande en outre si, compte tenu des attributions importantes reconnues au conseil des sites sur des questions qui intéressent directement les collectivités locales, la prépondérance reconnue au président du Conseil exécutif de Corse ne risque pas de se traduire par une forme de tutelle que prohibe expressément le principe de la libre administration des collectivités territoriales ?
L'article 10 se propose de dispenser la collectivité territoriale de Corse de deux conditions qui étaient imposées par l'ancien article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales aux collectivités territoriales qui souhaitent créer des infrastructures de télécommunications . Mais cette disposition du projet de loi est vidée de sa portée depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 juillet 2001 qui a modifié le dispositif de l'article L. 1511-6 précité et supprimé les deux conditions visées.
e) Le sport et l'éducation populaire
L'article 11 reconnaît, dans des termes conformes au principe de la libre administration des collectivités territoriales, une compétence générale à la collectivité territoriale de Corse pour conduire des actions en matière de promotion des activités physiques et sportives, d'éducation populaire et d'information de la jeunesse , tout en maintenant la possibilité pour l'Etat de mener les actions relevant de la politique nationale.
Il attribue également à la collectivité territoriale de Corse les subventions de fonctionnement de la part régionale du Fonds National pour le Développement du Sport (FNDS) destinées aux groupements sportifs locaux, qui étaient jusqu'alors affectés par le représentant de l'Etat, après consultation d'une commission consultative du FNDS constituée sur une base paritaire, de façon à y associer le mouvement sportif, représenté par des membres du comité régional olympique et sportif. Il est regrettable que la procédure envisagée par le projet de loi initial n'ait pas prévu de concertation avec le mouvement sportif .
* 45 Décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991 relative à la loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse.
* 46 Décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996 relative à la loi organique portant statut de la Polynésie française.