EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 2 mai 2001, la Commission des Affaires économiques a procédé à l'examen du rapport de M. Aymeri de Montesquiou sur le projet de loi n° 254 (2000-2001) relatif à la réalisation d'un itinéraire à très grand gabarit entre le port de Bordeaux et Toulouse.
Le rapporteur a tout d'abord rappelé que la ville de Toulouse constituait un pôle industriel de première importance, notamment dans les secteurs aéronautique et spatial, mais enclavé. Eu égard aux besoins et aux perspectives de son développement, il est apparu nécessaire d'aménager un itinéraire à très grand gabarit, qui utilise la voie fluviale jusqu'à Langon, puis des itinéraires routiers aménagés jusqu'à Toulouse.
Il a relevé que le principe d'un tel itinéraire était inscrit dans le schéma de services collectifs « transports routiers », mais que sa réalisation devait être accélérée pour permettre, notamment, l'acheminement des éléments du futur Airbus A380 construit à Hambourg, à Saint-Nazaire ou encore en Angleterre ou en Espagne mais assemblé à Toulouse, à partir de novembre 2003, pour que la commercialisation des premiers appareils se fasse en mars 2006.
Il s'est déclaré très favorable à un tel projet, compte tenu notamment des retombées économiques attendues au niveau européen, national et régional, mais a fait valoir que la réalisation de cet itinéraire à très grand gabarit -eu égard aux caractéristiques des éléments transportés- entraînait des nuisances environnementales importantes pour les collectivités locales situées sur son tracé et pouvait avoir de graves répercussions sur l'activité touristique des départements concernés, qu'il convenait donc de prendre en considération.
Il a ainsi regretté que les délais impartis n'aient pas permis de procéder, en amont, à une étude d'impact approfondie sur les conséquences environnementales et économiques du projet.
Tout en relevant que le Gouvernement s'était engagé à atténuer les nuisances évoquées, notamment par l'application de mesures paysagères spécifiques et de normes de Haute Qualité Environnementale, il a considéré que ce projet devait s'accompagner de mesures concrètes permettant de rééquilibrer la répartition des richesses induites par un tel dispositif.
Présentant l'économie du projet de loi, il a indiqué que celui-ci autorisait l'Etat à faire application de la procédure d'extrême urgence prévue par l'article L.15-9 du code de l'expropriation pour l'entrée en possession des terrains bâtis nécessaires à la réalisation de l'itinéraire, au cas où des difficultés risquaient de retarder l'exécution des travaux. Il a fait valoir que cette habilitation, limitée dans le temps, était assortie de toutes les garanties, notamment en ce qui concerne le respect du droit de propriété, puisqu'elle nécessitait, pour être mise en oeuvre, l'avis conforme du Conseil d'Etat et qu'elle donnait lieu au versement ou à la consignation d'une indemnité provisionnelle, dans l'attente de l'indemnisation définitive fixée par le juge de l'expropriation.
Pour compléter ces garanties, en cas d'expropriation de terrains bâtis, a-t-il ajouté, l'article 2 du projet de loi prévoit l'application des articles L.314-1 à L.314-8 du code de l'urbanisme, qui imposent à l'administration d'assurer le relogement des personnes concernées.
Rappelant sa volonté de voir cette opération se réaliser dans les meilleurs délais, et soulignant l'extrême vigueur des oppositions au projet qu'il avait pu constater sur le terrain, le rapporteur a souhaité que le texte du projet de loi soit complété par un dispositif interdépartemental de péréquation de la taxe professionnelle au profit des départements traversés par l'itinéraire à très grand gabarit, reprenant le principe des fonds départementaux de péréquation crées en 1975 et du fonds de compensation des nuisances aéroportuaires.
Intervenant dans la discussion générale, M. Marcel Deneux a jugé que l'itinéraire à très grand gabarit posait des questions graves en matière d'aménagement du territoire et a regretté qu'il faille recourir, pour respecter des délais incontournables, à des procédures d'urgence en matière d'expropriation. A propos du dispositif de péréquation de la taxe professionnelle, il s'est interrogé sur les conditions de sa mise en oeuvre, lorsque l'établissement acquittant la taxe bénéficie d'exonérations au titre des créations d'emplois.
M. Louis Moinard s'est déclaré surpris que la réalisation de cet aménagement puisse se faire dans des délais aussi rapides, alors que d'autres dossiers d'infrastructures se trouvaient bloqués en raison de considérations environnementales.
M. Gérard César, après avoir déploré l'absence de concertation en amont du projet et s'être étonné du faible degré d'engagement du ministère de l'aménagement et du territoire dans cette affaire, a demandé au rapporteur des éclaircissements sur les études d'impact se rapportant au dispositif envisagé.
M. Gérard Larcher, après avoir regretté, à nouveau, que le Gouvernement ne suive pas, à l'occasion de ce projet, les dispositions des lois « Barnier », « Pasqua » et « Voynet », relatives à l'environnement, a rappelé que le développement du pôle aérospatial constituait un objectif d'intérêt national auquel la majorité sénatoriale ne pouvait qu'adhérer. Il a considéré que le projet d'itinéraire à très grand gabarit devait impérativement s'accompagner d'un dispositif conventionnel ou d'engagements du Gouvernement sur la compensation des nuisances aux collectivités locales concernées.
S'interrogeant sur la pertinence d'un dispositif de péréquation de la taxe professionnelle pour parvenir à un meilleur équilibre en matière d'aménagement du territoire, il a souligné l'intérêt de définir des outils -autres que financiers- pour valoriser les départements concernés, notamment sur le plan touristique.
M. Ladislas Poniatowski a d'abord relevé le consensus existant quant à l'intérêt du projet de construction de l'A-380 à Toulouse et souligné que le Parlement se devait de soutenir celui-ci. Face aux contraintes écologiques liées à un tel projet, réelles et malheureusement exploitées par certains partis à des fins politiciennes, il a jugé scandaleux que la concertation locale ait été à peu près inexistante et a insisté sur l'impérieuse nécessité d'obtenir du Gouvernement, dès maintenant, pour chacune des collectivités affectées par ces contraintes, une compensation appropriée, notamment à travers la prise en charge de travaux d'aménagement sur son territoire. Il a fait valoir, à cet égard, que le dispositif de compensation envisagé par le rapporteur n'était pas forcément le plus pertinent, puisqu'il ne produirait ses effets qu'à partir de 2006 et qu'il pouvait très facilement, par ailleurs, être supprimé par une loi ultérieure.
M. Jean-Pierre Plancade, après avoir reconnu la pertinence des critiques et des objections du rapporteur sur la procédure employée, a rappelé l'enjeu économique qui s'attachait au développement du pôle économique toulousain et le désenclavement réalisé par cet itinéraire à très grand gabarit, qui constitue l'un des objectifs retenu par le schéma des services collectifs « transports routiers ». Tout en reconnaissant que cet itinéraire avait un coût écologique, notamment pour sa réalisation aux abords de Toulouse, et pour les propriétés non expropriées situées aux abords de l'itinéraire, il s'est déclaré opposé à ce que le projet de loi intègre un mécanisme de répartition de la taxe professionnelle et a attiré l'attention de ses collègues sur les risques qu'il y aurait à retarder l'adoption du projet de loi, compte tenu des délais de réalisation des aménagements routiers nécessaires.
Mme Odette Terrade s'est déclarée favorable à une adoption sans modification du projet de loi, eu égard à ses enjeux en matière de développement économique et de création d'emplois. Elle s'est déclarée réservée sur le mécanisme de péréquation de la taxe professionnelle, s'interrogeant sur les conditions de sa mise en oeuvre du fait des règles d'exonération liées aux créations d'emplois ; considérant que la voie explorée par le rapporteur ne garantissait pas des ressources fiscales pérennes, elle s'est prononcée en faveur de compensations et d'aménagements négociés localement.
M. Hilaire Flandre, tout en relevant l'intérêt national qui s'attachait à un tel projet de développement économique, a considéré que celui-ci devait être complété par des compensations préalables négociées avec les collectivités locales concernées.
Leur répondant, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :
- la procédure d'extrême urgence en matière d'expropriation a déjà été utilisée à quatre reprises, en 1965 pour les aménagements nécessaires aux jeux olympiques de Grenoble, en 1966 pour la réalisation de la ligne expérimentale d'aérotrain, en 1987 pour les aménagements nécessaires aux jeux olympiques d'Albertville et en 1993 pour la réalisation du stade de France à Saint Denis ;
- des aménagements spécifiques, pour tenir compte des dimensions exceptionnelles des convois, devront être réalisés, notamment le contournement des ouvrages d'art, ou la suppression d'alignements d'arbres en bord de route ;
- l'enquête publique sera menée préalablement à la déclaration d'utilité publique sur les travaux entrepris pour l'aménagement de l'itinéraire à très grand gabarit, mais on peut regretter que, compte tenu des délais, le Gouvernement n'ait pas saisi la commission nationale du débat public pour débattre, en amont, des objectifs et des caractéristiques de ce projet dont l'impact sur l'environnement est très important ;
- des mécanismes de répartition de la taxe professionnelle créés par voie législative existent déjà, comme les fonds départementaux de péréquation ou encore le fonds de compensation des nuisances aéroportuaires.
Rappelant sa volonté de voir aboutir ce projet d'intérêt national, le rapporteur a fait valoir que le mécanisme de péréquation qu'il proposait permettait d'en faciliter la réalisation en préservant un traitement équitable pour l'ensemble des collectivités locales et en prévenant, autant que faire se peut, les risques de blocage. Tout en faisant remarquer que les collectivités locales disposaient de peu de temps pour s'associer dans une structure syndicale afin de négocier des compensations, il s'est déclaré décidé à poursuivre la réflexion avec le Gouvernement sur des solutions alternatives à son amendement.
Reprenant la parole, MM. Gérard Larcher et Marcel Deneux ont jugé indispensable que le Gouvernement, d'ici la discussion en séance publique, s'engage sur des compensations appropriées, négociées avec les collectivités locales concernées, qu'il importait de ne pas laisser démunies. Dans l'attente de propositions en ce sens, la commission a adopté l'amendement du rapporteur tendant à insérer un article additionnel instaurant un mécanisme de péréquation de la taxe professionnelle au profit des départements concernés par l'itinéraire à très grand gabarit, les groupes socialiste et communiste républicain et citoyen s'abstenant.
La commission a approuvé le projet de loi ainsi amendé.